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Isabelle BILLIARD, Santé mentale et travail. L’émergence de la psychopathologie du travail en France, La Dispute, Paris, 2001, 283 p. Éclipsée pendant une vingtaine d’années par les théories structuralistes, peu soucieuses d’explorer les processus subjectifs à l’œuvre dans l’activité de travail, la psychopathologie du travail (ou psychodynamique du travail) connaît aujourd’hui un profond renouvellement, avec, pour toile de fond, le fécond débat qui s’est engagé au Cnam entre Yves Clot et Christophe Dejours. Le lien entre travail et santé mentale apparaît sous un jour nouveau, à travers les notions de stress, de souffrance ou d’usure au travail, mais aussi à travers les multiples interrogations qui se font jour sur le sens subjectif accordé au travail. Plus qu’une discipline, la psychopathologie du travail doit d’abord être entendue comme une méthode, une clinique des troubles individuels du sujet liés à l’activité de travail. D’où viennent les outils théoriques et la posture méthodologique qui ont permis d’aborder ces questions ? Et surtout, comment a pu s’opérer ce rapprochement inattendu entre la problématique du travail et celle de la santé mentale ? C’est à cette question que tente de répondre Isabelle Billiard dans cet ouvrage, version remaniée d’une thèse soutenue au Cnam en 1998, sous la direction de C. Dejours1. La première partie intéressera tout particulièrement le sociologue du travail, car elle constitue une contribution inédite et originale à l’histoire de cette discipline. L’auteur passe en revue les réponses apportées par les différentes sciences du travail, de 1920 à 1960, à la question des dynamiques subjectives en jeu dans l’activité de travail. Elle montre l’impossibilité de penser l’expérience vécue du travail dans le cadre de la pensée rationalisatrice qui fut celle de la psychologie du travail de l’entre-deux-guerres (taylorisme, psychotechnique, psychologie appliquée) et de l’immédiat après-guerre (psychosociologie, ergonomie). Ainsi, ce n’est pas au sein de la psychologie appliquée (pourtant en pleine expansion depuis les années 1910, avec les travaux fondateurs de Jean-Maurice Lahy), ni même au sein de la jeune médecine du travail, que se feront les premiers rapprochements entre santé mentale et travail. En effet, ces différentes disciplines s’inscrivent avant tout dans une logique d’objectivation et de normalisation de la main d’œuvre, dans une société salariale en pleine expansion, laissant inexplorées les dynamiques psychiques à l’œuvre dans l’activité de travail. Le courant de la psychosociologie et des « relations humaines », en dépit des espoirs dont il semblait porteur ne permit pas lui non plus d’appréhender l’engagement subjectif des travailleurs. Comme le note fort justement I. Billiard, dans cette discipline, « la personne du travailleur est éclipsée par l’individu social appelé à se faire membre de l’entreprise et à contribuer aux gains de productivité » (p. 82). Finalement, seule la sociologie du travail friedmannienne, synthétisant les savoirs issus des différentes sciences du travail, aborda de front les névroses liées au travail parcellaire, en dénonçant les conséquences néfastes de l’OST sur l’équilibre psychique des travailleurs (ennui, monotonie, fatigue…). Dans une deuxième partie, l’auteur s’attache à montrer que c’est vers un domaine a priori peu porté vers l’étude du travail qu’il faut se tourner pour trouver les premières 1 I. Billiard, « Les conditions historiques, sociales et scientifiques de l’apparition de la psychopathologie du travail en France », Thèse de doctorat de psychologie, Cnam, Paris, 1998.
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formulations d’une psychopathologie du travail : la psychiatrie. L’expérience de la guerre a conduit certains hôpitaux psychiatriques à mettre en œuvre de nouvelles méthodes thérapeutiques par le travail, bousculant le fonctionnement traditionnel de l’institution asilaire. Ces « thérapeutiques actives » furent (sur des terrains différents) ardemment défendues par trois psychiatres, pionniers de la psychopathologie du travail en France : Louis Le Guillant, Paul Sivadon et François Tosquelles. Toutefois, les vertus curatives du travail ne prennent tout leur sens que si elles sont le prélude à une réinsertion sociale plus large du malade et c’est précisément sur ce point que vont achopper les diverses expériences de « reclassement professionnel » menées dans les années 1950. I. Billiard souligne bien la tension qui traverse ces tentatives de reclassement des malades mentaux : elles prétendent réinsérer des sujets fragilisés à un moment où précisément la société salariale tend de plus en plus à imposer une norme du « vrai travailleur », sous les traits du salarié de la grande industrie, contraint à un niveau élevé de productivité. Ces nouvelles règles sont vecteur d’uniformité, ne laissant que peu de place à des sujets fragiles. Toutefois, sur un plan institutionnel, les psychiatres parviendront, par l’entremise de diverses associations2, à défendre une conception élargie du rôle du psychiatre dans la société des années 1950. Au-delà de ses missions traditionnelles, le psychiatre doit avoir un rôle préventif et doit sensibiliser la société aux facteurs pathogènes qu’elle est susceptible de sécréter, notamment dans la sphère du travail. Ainsi sont posées les premières bases d’une véritable « psychiatrie du travail ». Malgré ces avancées, au milieu des années 1960, la catégorie de « malade mental », et les connotations négatives qui y sont associées, pèse encore de tout son poids et l’expertise des psychiatres sur des conditions de travail et sur des travailleurs réputés « normaux » reste fortement contestée. Après avoir mis à jour les conditions sociales et scientifiques d’émergence de la psychopathologie du travail, l’auteur consacre la troisième partie de l’ouvrage à explorer les fondations théoriques de la discipline. Trois conceptions se confrontent au cours des années 1950–1960 : celles de P. Sivadon et Claude Veil, proches du courant de l’Hygiène mentale et celle de L. Le Guillant, d’inspiration marxiste. Chez P. Sivadon, la notion d’adaptation est centrale : il convient avant tout de déceler chez les sujets des risques d’inadaptation à un travail donné. Les conditions d’exercice du travail ne sont pas remises en question, seule l’aptitude du sujet à l’exercer est interrogée. C. Veil, quant à lui, insiste sur l’importance de la cure psychiatrique et du travail d’élucidation réalisé conjointement entre le travailleur et le psychiatre. Le parti pris méthodologique de L. Le Guillant se distingue nettement de celui de ses collègues : pour lui, le psychiatre doit analyser finement les conditions matérielles du travail et dénoncer les conditions de travail pathogènes, mais aussi, plus largement l’ensemble des maladies liées à l’impératif de productivité de la société capitaliste. En dépit des nombreuses qualités de cet ouvrage, on émettra une petite réserve sur le matériau utilisé par l’auteur. I. Billiard s’appuie presque exclusivement sur la presse psychiatrique ou médicale et mobilise peu de documents d’archives ou de sources primaires, ce qui peut surprendre au regard du projet historique initial. 2
Notamment la Ligue d’hygiène mentale, fondée par Edouard Toulouse en 1920.
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Reste que l’auteur apporte un éclairage socio-historique très pertinent au débat actuel sur le lien entre activité et subjectivité. On lira avec grand profit cet ouvrage, qui infléchit notre regard sur des questions très actuelles telles que l’injonction croissante d’une « mobilisation subjective » des salariés, à l’œuvre notamment dans la rhétorique des « compétences ». Thomas Le Bianic Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest), CNRS, 35, avenue Jules-Ferry, 13626 Aix-en-Provence cedex, France
[email protected] PII: S 0 0 3 8 - 0 2 9 6 ( 0 2 ) 0 1 2 5 5 - 4
Michèle GROSJEAN, Michèle LACOSTE, Communication et intelligence collective. Le travail à l’hôpital, Puf, Paris, 1999, 240 p. L’ouvrage de Michèle Grosjean et Michèle Lacoste est organisé autour d’un pari audacieux : rendre compte, à partir d’une analyse fine des interactions dans la situation de travail, des formes d’organisation et des modalités de coordination effectivement à l’œuvre ; autrement dit, effectuer le passage d’une analyse « micro » dans lequel les entités observées sont des individus, à un niveau « méso » dans lequel ceux-ci disparaissent au profit d’entités comme les organisations, les modes de coordination, les fonctions et les métiers. La structure du livre reflète la volonté des auteurs de mener ce projet de bout en bout : il débute sur un important chapitre bibliographique qui fait le tour des cadres théoriques mobilisables, se poursuit par l’explicitation précise des choix méthodologiques (chap. 2) ; les deux chapitres suivants nous font entrer dans le vif du sujet : les données empiriques y sont soigneusement exposées et analysées ; enfin, un chapitre conclusif parachève l’édifice en effectuant le passage, amorcé dans les chapitres précédents, du « micro » au « méso », des interactions aux organisations. Pour conduire leur démonstration, les auteurs ont choisi un terrain exigeant, celui du travail à l’hôpital : celui-ci est caractérisé par l’extrême multiplicité des intervenants impliqués, des professions qui s’y exercent, des outils et technologies utilisés, et à la différence des situations de travail industriel, par l’impossibilité d’enfermer le résultat de ces activités dans des standards autour desquels pourrait se mettre en place une définition quasi exhaustive des tâches et des modalités de coordination qui encadrerait strictement les interactions. Au contraire, le contexte hospitalier est marqué par la présence de malades dont les problèmes sont spécifiques, par l’enchevêtrement d’ordres de réalité hétérogènes – médical, psychologique, social, éthique, économique – et par le caractère constamment évolutif des situations : face à une telle complexité, des ajustements sont en permanence nécessaires, qui eux-mêmes appellent une coordination étroite entre les