Kinesither Rev 2014;14(155):9–11
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Jeannine Jennequin : 2 décembre 1994, le soleil de Lyon ! Pascal Gouilly IFMK de Nancy, 57 bis, rue Nabécor, 54000 Nancy, France Un nom revient souvent autour de cette conférence de consensus, celui de Jeannine Jennequin (Fig. 1). Nous l'avons retrouvée (note de la rédaction [Ndr] sans l'avoir jamais vraiment perdue), Jeannine a ouvert pour nous son cahier de souvenirs. Kinésithérapie La Revue (KLR) : Bonjour Jeannine, pourriez-vous présenter votre parcours ? Jeannine Jennequin (JJ) : Je suis monitrice d'éducation physique dans l'enseignement depuis 1954. J'ai exercé la fonction dans des collèges pendant 7 ans. En 1961, je passe mon D.E. de kinésithérapeute à l'école de Lille CHU. Parallèlement, je pratique le basket à un niveau compétition nationale, et un club lyonnais ayant un projet tentant, me démarche afin d'intégrer leur équipe. Je change de région et viens m'installer à Lyon en 1961. J'exerce mon métier de kinésithérapeute sur Lyon où toute ma carrière professionnelle se déroulera exclusivement à l'hôpital de la Croix-Rousse. Dès 1962, j'ai la chance de débuter dans le service des patients atteints de poliomyélite (épidémie 1959/1960) dont les âges variaient. Une enfant de 3 mois était ventilée avec un poumon d'acier, ventilation non invasive, en pression négative. Les autres âgés, de 3 à 8 ans, étaient trachéotomisés sous respirateurs qui généraient une pression positive et qui avaient été créés dans le service (Vincent Jandot), Le service était le seul service de France qui avait osé trachéotomiser et ventiler des enfants en pression positive en 1959. À cette époque, les respirateurs n'étaient pas équipés de batterie, les patients totalement dépendant de leur respirateur étaient accrochés à leur machine.
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Dès 1965, une technique de respiration découverte par un pêcheur de perles japonais « le Frog », (respiration glossopharyngée) a été enseignée et pratiquée dans le service. Cette technique permettait d'assurer une autonomie minimale, mais combien rassurante, assurant ainsi quelques minutes voire quelques heures de liberté pour ces patients dépendants de leur machine. Dès 1980, le service évolue vers la prise en charge des BPCO, nécessitant des soins intensifs. Ce qui a impliqué la création d'un service de réanimation polyvalente. Simultanément, se développe un service d'appareillage des patients soumis à une ventilation mécanique, pour le domicile, complété par un laboratoire de sommeil et l'appareillage des apnéiques et un service de rééducation. Les Quarante années passées sur l'hôpital de la Croix-Rousse m'ont permis de suivre et d'enseigner le rôle et les missions des Kinés pour la prise en charge des patients dépendant d'une ventilation invasive ou non, qu'elle soit à titre provisoire ou définitive, pour les pathologies allant des maladies neuromusculaires, aux patients polytraumatisés, aux pneumopathies, tous les patients admis en réanimation polyvalente, et présentant une insuffisance respiratoire. En 1999, ma carrière de cadre supérieur s'acheva sur cet hôpital. Quelques actions réalisées : En 1985, nous sommes le 1er service en France (avec Paris) à installer une VNI sur un patient myopathe (tétraplégique) qui venait de Tours. À l'époque, les fuites étaient tellement importantes que nous devions ventiler ce patient le jour. Fort heureusement, notre service a développé le masque moulé sur mesure, solution pour éviter les fuites nasales, puis les masques du commerce se sont multipliés en taille et forme assurant leur acceptation donc une efficacité optimale. Autre point novateur qui prend toute sa valeur
à une époque où l'on relance la verticalisation précoce des patients ventilés, en réanimation, nous avions des cadres de marche adaptés pour polios, sur lesquels on pouvait mettre tout le matériel de ventilation ainsi que les perfusions. Nous sommes ainsi les premiers à verticaliser les patients ventilés et les remettre à la marche. En 1989, à Amsterdam, nous présentions un poster « avant gardiste » intitulé « La réhabilitation commence en réanimation ». Dès 1980, j'anime des cours, à Lyon, à Paris René-Descartes, sur la prise en charge en kinésithérapie des patients en réanimation, sur les modes de ventilation, sur la VNI et la prise en charge des maladies neuromusculaires. J'ai également participé à de nombreux congrès nationaux et internationaux, en tant qu'oratrice et formatrice pour partager mes expériences sur des thèmes innovants et d'actualités, que je pratiquais au quotidien, ce qui m'a permis de connaître des physiothérapeutes de Barcelone, Lausanne, Montréal, Gottingen, La Réunion ou d'autres qui venaient dans le service sur Lyon. En 1988, voilà 26 ans, nous créons avec deux collègues un D.U. de kinésithérapie respiratoire sur Lyon, et depuis 2 ans il a été crée avec un médecin physiologiste de l'effort un D.U. de réhabilitation cardiorespiratoire : « L'Exercice et l'Éducation à la Santé comme Prise en charge et Prévention des maladies Chroniques ». Ce D.U. est ouvert à toutes les professions intervenant dans des programmes de réhabilitation auprès de patients atteints de pathologies chroniques. En 2014, je suis toujours en activité et j'exerce depuis 14 ans, au sein d'un prestataire de santé où je suis responsable coordinatrice d'un programme de réhabilitation à domicile : de suivi poststage pour des patients la plupart BPCO. Depuis 14 ans, 300 patients ont participé à ce programme.
http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2014.09.004 9
P. Gouilly
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n'avions que 590 plateaux repas et 500 places assises dans la salle à manger pour le déjeuner. Heureusement que le soleil était radieux ce jour là, bon nombre de participants ont pu s'installer, assis sur des marches d'escaliers et déguster leur plateau repas à l'extérieur ! Le congrès durait 2 jours. La première journée était consacrée aux conférences des 14 experts (Ndr la liste se trouve dans l'édito). Chaque expert disposait de 20 minutes pour exposer une synthèse de son travail. À la suite de chaque présentation, le jury et le public posaient de nombreuses questions, les échanges furent très riches. La seconde journée était organisée comme un congrès avec des communications libres. Pendant ce temps, le jury s'était réuni à huis clos, avec comme mission, de communiquer le texte définitif à l'assemblée à la fin du congrès. Ce qui fut fait. À la fin de la seconde journée, Éric Viel, président du jury, présentait dans un silence studieux le texte final. Figure 1. Jeannine Jennequin.
KLR : Votre parcours professionnel reprend un peu le principe de Lucas Championière « Le mouvement c'est la vie » pour l'appliquer au monde de la respiratoire. Vous étiez l'organisatrice de la conférence de consensus, quel était votre état d'esprit avant cette conférence ? JJ : Seule, il n'était pas question de bâtir un projet de cette ampleur. Il fallait avoir à ses côtés, une équipe soudée et motivée qui soit capable de tenir à long terme pour conduire à bien ce projet. Il fallait avoir également l'état d'esprit d'un coureur de fond qui s'achève après 2 ans de préparation avec des visites à l'ANDEM (l'ex. HAS) à Paris, des réunions avec le comité d'organisation et entre autre la réalisation d'une enquête. Nous avions la chance de démarrer, avec notre équipe lyonnaise, l'Association en Kinésithérapie CardioRespiratoire Rhône-Alpes (AKCR), très vite rejoint par nos voisins respiratoires l'Association Grenobloise en Kinésithérapie Respiratoire et CardioVasculaire (AGKRCV). Ces deux équipes, dont les membres très actifs, motivés, ont travaillé ensemble dans d'excellentes conditions, complétées par l'Association Française pour
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l'Étude, la Recherche, la Prévention en Kinésithérapie Respiratoire et CardioVasculaire (AFERPKRCV). Nos objectifs étaient communs, et nous pouvions le résumer par « il y en a marre de taper sur les gamins ou en réa sur des petits vieux » il y a d'autres techniques que le clapping pour désencombrer les patients. La conférence de consensus relevait de l'évidence. KLR : Pourriez-vous nous remettre dans le bain de cette conférence ? JJ : J'ai des souvenirs plein la tête : la veille de la conférence de consensus, nous avions terminé de réaliser les pochettes, tard dans la nuit. Il faut d'ailleurs souligner le travail colossal réalisé par les petites mains (Fig. 2) – sans elles la conférence n'aurait jamais pu se faire. Le jour J (2 décembre 1994) une première surprise – un magnifique lever de soleil nous donnait l'assurance d'une réussite. Seconde surprise, alors que nous attendions 500 personnes (et que l'école de médecine de Bron ne comptait que 500 places assises), nous voyons arriver près de 700 personnes. Cette fréquentation peut faire rêver, mais ce chiffre nous a d'abord posé un problème de logistique, car nous
KLR : il était 17 heures ce 3 décembre et les participants, dont j'étais, avaient la sensation de vivre un grand moment. Comment avez-vous décidé le président d'accepter cette fonction ? JJ : Éric Viel avait une réputation de sérieux et de professionnalisme reconnue de tous. Même s'il n'avait aucune compétence (je dirai même appétence) pour la kinésithérapie respiratoire, il respectait la passion des « pneumo kinésithérapeutes ». Nous avions beaucoup de respect mutuel. À la suite de la première réunion de l'ANDEM, où il siégeait en temps que secrétaire de l'association française pour la recherche en kinésithérapie (AFREK), je lui ai fait la proposition, car il remplissait toutes les conditions. Éric a mis moins d'une semaine pour donner son accord. Sa présence allait donner une caution encore plus importante à cette conférence. KLR : Qu'est ce que cette conférence a changé ? JJ : Difficile à dire, car je suis juge et parti. Cette conférence sur les techniques manuelles a imposé la réalisation des JIKRI (Ndr lire l'interview de Guy Postiaux). Même s'il fallut 6 ans pour organiser cette seconde conférence, les JIKRI associées à cette conférence ont changé les prescriptions, nous n'avons plus depuis de « x séances
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Figure 2. Le comité d'organisation, on reconnaît entre autres, P. Becques, R.M. Bourret, J. Bovagnet-Mignon, E. Beauvois, O. Brun, B. Cossalter, D. Michon, C. Jacquemet, J. Jennequin, P. Joud et E. Maclet, L. Garin, E. Bernu, A. Kern. Absents de la photo : J. C. Schabanel, D. Billet.
de clapping », cette prescription a été rédigée durant plusieurs années pour les BPCO qui ne voyaient le Kiné que lors des phases d'exacerbation !!!, nous avons à présent, comme prescription, « drainage bronchique » et réhabilitation. . . La conférence a certainement légitimé auprès du plus grand nombre, des pratiques différentes. Il serait peut-être intéressant d'évaluer ces modifications en refaisant l'audit (Ndr si un étudiant dans le cadre du DE ou de la réalisation d'un mémoire en a l'idée, Jeannine vous transmettra les données de l'époque).
KLR : Quelles sont les pistes d'avenir pour rendre possible la tenue d'une nouvelle conférence de consensus ? JJ : Nous devons nous tourner vers l'Europe avec L'European Respiratory Care Association (ERCA) (Kathleen Grant, Lausanne, Présidente). Chaque pays pourrait présenter un état des lieux des techniques manuelles utilisées. À bientôt 80 printemps, mais restant toujours dans le bain, je souhaiterais surtout lancer un message d'avenir qui s'adresse à tous les passionnés de kinésithérapie respiratoire. Il faut s'unir pour créer une spécialité en tant que tel !
Peut-on imaginer un Master, un de plus ? Ou profiter de la création récente partie encore de l'Équipe lyonnaise avec Philippe Joud qui vient d'être élu Président de la Fédération Française des Kinésithérapeutes Respiratoires (FFKR). Cette Fédération nationale inclut certains organisateurs du consensus de 1994. N'est ce pas là un gage de fiabilité et de sérieux ? En tous cas, ce serait une façon de nous permettre de mieux définir et faire reconnaître ces praticiens de la kinésithérapie respiratoire, avec des normes de pratiques reconnues et établies ensemble, pour le milieu hospitalier et tous les cabinets libéraux.
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