Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2012) 24, 29—37
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MISE AU POINT
La colique néphrétique aux urgences夽 Renal colic in emergency departments
C. Maurin ∗, R. Boissier , E. Lechevallier Service d’urologie et transplantation rénale, CHU de la Conception, Aix-Marseille université, 147, boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 5, France
MOTS CLÉS Colique néphrétique ; Fièvre ; Grossesse ; Comorbidités ; Rein unique ; Dérivation urinaire
KEYWORDS Renal colic; Fever; Pregnancy; Comorbidities; Solitary kidney; Urinary derivation
夽 ∗
Résumé La colique néphrétique (CN) représente 1 à 2 % des motifs d’admission au service d’accueil des urgences (SAU). Quelle que soit la nature de l’obstacle, la prise en charge initiale consiste à instaurer un traitement antalgique rapide et adapté. Environ 95 % des coliques néphrétiques sont simples et peuvent être traitées médicalement à domicile avec un suivi urologique. En cas de crise compliquée ou de doute diagnostique, une TDM abdomino-pelvienne éventuellement injectée est réalisée en urgence. Le contexte fébrile ou des signes de sepsis sévère, le caractère hyperalgique, un rein unique, la grossesse ou des comorbidités nécessitent une hospitalisation et un avis urologique afin de définir les modalités de dérivation des voies urinaires supérieures (sonde double J ou sonde de néphrostomie). Cet article fait le point sur la CN et sur sa prise en charge au SAU. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Renal colic represents 1 to 2% of the emergency department admission. Whatever the cause of obstruction, main objective is to begin a prompt and suitable analgesia. About 95% of renal colic are non-complicated forms and are possibly at home medically treated but an urologic follow-up is necessary. An abdomino-pelvic CT scan eventually completed by injection has to be performed immediately in case of complicated renal colic or doubtful of diagnosis. In case of fever or sepsis signs, hyperalgic colic, solitary kidney, pregnancy or comorbidities, hospitalisation and urologic advice are necessary to determinate upper tract urinary derivation modalities (double J stent or nephrostomy tube). This article describes renal colic and its management in emergency department. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Cet article appartient à la série « Urologie ». Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Maurin).
2211-4238/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jeurea.2012.02.001
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Introduction Épidémiologie La colique néphrétique (CN) est un syndrome douloureux lombo-abdominal aigu résultant de la mise en tension brutale de la voie excrétrice du haut appareil urinaire en amont d’une obstruction, « quelle qu’en soit la cause ». Il y a en France 5 à 10 % de patients symptomatiques par an. La CN représente entre 1 et 2 % des motifs de consultation d’un service d’urgences [1]. Parmi les types d’obstacles, la CN sur calcul est l’étiologie la plus fréquente. L’incidence annuelle de la maladie lithiasique (ML), en augmentation dans tous les pays, est estimée entre 1500 et 2000 cas par million d’habitants dans les pays industrialisés avec une prévalence variable selon les pays : États-Unis (13 %), Europe (5—9 %), Asie (1—5 %), risque majoré en Arabie saoudite (20,1 %) [2]. Elle concerne préférentiellement l’homme de 20 à 60 ans avec un taux important de récidive. La ML récidive dans près de 50 % des cas, avec un risque plus élevé dans les cinq premières années suivant la découverte d’un calcul et pour le sexe masculin. Cinquante à 70 % des patients avec un antécédent de calcul de nature calcique récidivent dans les dix ans [3]. L’impact économique associé à la ML est important [4]. En France, la proportion de calculs majoritaires en oxalate de calcium (70 %) augmente dans les deux sexes, préférentiellement pour le sexe féminin. Les calculs uriques augmentent également et les calculs phosphocalciques sont en proportion stables. En revanche, dans l’ensemble des pays industrialisés, la proportion de calculs contenant de la struvite a considérablement diminué du fait de l’amélioration du dépistage et du traitement des infections urinaires [1].
Facteurs intrinsèques et extrinsèques Il existe des facteurs de risque de formation récurrente de calculs, notamment les antécédents personnels et familiaux de ML, l’immobilisation prolongée et les pathologies associées à la formation de calculs ainsi que les anomalies anatomiques (Annexes 1 et 2) [5]. La proportion des calculs d’acide urique augmente considérablement avec l’âge des patients, l’indice de masse corporelle et le diabète. Elle représente un quart des calculs chez l’homme et près de 40 % chez la femme. La modification des comportements alimentaires, en particulier l’excès de consommation de protéines animales, de sel et de sucres d’absorption rapide explique la progression des calculs oxalo-calciques et uriques, parallèlement au développement du syndrome métabolique et des pathologies qui en découlent comme l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et le diabète.
Formes cliniques & diagnostics différentiels La CN simple, plus fréquente que la forme compliquée (environ 95 %), est caractérisée par une douleur brutale
C. Maurin et al. et intense, unilatérale lombaire ou lombo-abdominale, d’irradiation le plus souvent antérieure et descendante vers la fosse iliaque et les organes génitaux externes. Des signes digestifs sont fréquemment associés (nausées, vomissements et constipation), des signes urinaires (dysurie, pollakiurie et impériosité) et des signes généraux (agitation, anxiété). Chez certains patients, la douleur débute dans les zones d’irradiation pour apparaître secondairement dans la région lombaire. En cas de forme simple, la symptomatologie douloureuse n’est jamais associée à de la fièvre. Elle peut être associée à une hématurie microscopique sur la bandelette urinaire. Cependant, une hématurie peut être retrouvée dans d’autres pathologies à l’origine de douleur du flanc. Les formes compliquées sont rares (moins de 6 %) et caractérisées soit par le terrain sur lequel survient la CN soit par l’existence d’emblée ou secondairement de signes de gravité qu’il sera nécessaire de rechercher régulièrement au cours de la prise en charge : • grossesse, insuffisance rénale chronique (IRC), rein transplanté, rein unique, uropathie, patient immunodéprimé (VIH sous indinavir. . .) ; • signes d’infection notamment l’existence de fièvre et/ou frissons, signes de mauvaise tolérance infectieuse, sepsis sévère ; • oligo-anurie ; • résistance douloureuse malgré un traitement antalgique adapté. En cas de forme compliquée, un avis urologique rapide est justifié. Les diagnostics différentiels de la CN peuvent concerner le diagnostic lui-même ou la nature de l’obstacle : d’autres pathologies, de gravité variable, peuvent simuler une crise de CN, particulièrement chez le sujet de plus de 60 ans et chez la femme en âge de procréer. Les diagnostics différentiels suivants sont retrouvés dans la littérature récente : endométriose, grossesse extra-utérine, salpingite, occlusion intestinale, pancréatite aiguë, lumbago et sciatique [6], appendicite et prostatite, infarctus rénal (Tableau 1). . .
Tableau 1 Diagnostics différentiels de la colique néphrétique aiguë. Affections urologiques non lithiasiques
Affections non urologiques
Pyélonéphrite aiguë
Fissuration d’anévrisme de l’aorte Diverticulite Nécrose ischémique du cæcum, ischémie mésentérique Torsion d’un kyste ovarien Appendicite, prostatite Colique hépatique Ulcère gastrique Pneumonie Arthrose lombaire
Tumeur des voies urinaires Infarctus rénaux
La colique néphrétique aux urgences Dans 20 à 25 % des cas, l’étiologie n’est pas lithiasique et la nature de l’obstacle peut être une obstruction intrinsèque par caillotage ou une tumeur urothéliale des voies excrétrices, une compression extrinsèque par une adénopathie ou une tumeur pelvienne (gynécologique ou prostatique) ou un envahissement du trigone vésical par un processus néoplasique urothélial (cancer de vessie) ou carcinomateux (adénocarcinome prostatique).
Recommandations pour le bilan biologique initial et l’imagerie Compte tenu de son innocuité et de son coût, la réalisation de la bandelette urinaire reste recommandée (sensibilité variant de 67 à 95 % [7]). De manière systématique, la bandelette urinaire doit être complétée par un ECBU à visée bactériologique et préthérapeutique. Bien qu’aucune étude de fort niveau de preuve n’étaye cette recommandation reprise dans les recommandations de l’European Association of Urology, un dosage de la créatininémie sera réalisé (Grade C) (Tableau 2). Les autres examens biologiques usuels (numération sanguine, ionogramme, dosage de la protéine C-réactive) n’ont pas fait l’objet d’étude mais sont réalisés au cours du bilan initial. Le bilan d’imagerie optimal comporte actuellement une TDM abdomino-pelvienne sans injection selon un protocole faible irradiation « low-doses ». En cas de CN non compliquée et en l’absence de doute diagnostique, la TDM pourra être réalisée hors contexte d’urgence, dans les 24—72 heures. En l’absence de plateau technique, le couple échographie de l’appareil urinaire/ASP sera réalisé malgré sa plus faible sensibilité (la combinaison des deux améliore la performance individuelle des examens pris séparément). Le diagnostic sera confirmé par la visualisation directe de l’obstacle et/ou par des signes indirects : dilatation des cavités pyélocalicielles, absence de jet urétéral, urinome. . .
Tableau 2
31 Facilement disponible, non invasif, peu coûteux et rapide, l’Échographie-doppler est l’examen privilégié de première intention pour la femme enceinte et l’insuffisant rénal. L’échographie est un examen peu performant lorsque le calcul est urétéral (11 à 24 % de sensibilité) mais d’une très bonne spécificité de l’ordre de 97 %. Les calculs sont principalement visibles à la jonction pyélo-urétérale et vésico-urétérale. La dilatation pyélocalicielle est un signe indirect d’obstruction : elle dépend de la taille et de la localisation du calcul, du degré d’obstruction et de son ancienneté. Cette dilatation peut n’apparaître que plusieurs heures après une obstruction complète de l’uretère. Vingt à 30 % des obstructions brutales par un calcul urétéral ne sont ainsi pas détectées. Il existe des diagnostics faussement positifs du fait d’une dilatation hypotonique des cavités excrétrices traduisant la séquelle d’un obstacle ou d’un reflux vésico-urétéral ou du fait d’une distension vésicale au moment de l’examen. De nombreuses études ont montré l’intérêt du Doppler (étude de l’index de résistance en doppler pulsé et analyse du jet urétéral) dans l’exploration de la CN, mais l’utilisation de cet examen aux urgences est actuellement limitée [8]. Excepté en cas de calculs à l’indinavir, la totalité des calculs peut être visualisée sur la TDM hélicoïdale sans injection. La TDM permet de mettre en évidence le calcul et des signes indirects d’obstruction : dilatation des cavités pyélocalicielles, infiltration de la graisse périrénale ou périurétérale, épaississement de la paroi urétérale en regard du calcul formant une couronne hypodense (« rim sign » des auteurs anglo-saxons). Ce signe est important pour distinguer un calcul d’un phlébolithe. La densité du rein du côté de l’obstruction est plus faible que du côté non obstrué. La sensibilité de ce signe est de l’ordre de 95 % en cas d’obstruction aiguë « pale kidney sign ». La sensibilité de la TDM est de l’ordre de 96 % avec une spécificité de l’ordre de 100 % (études antérieures à 1998).
Niveau de preuve et grade de recommandation.
Grade des recommandations Niveau de preuve scientifique fourni par la littérature
Grade des recommandations
Niveau 1 Essais comparatifs randomisés de forte puissance Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés Analyse de décision basée sur des études bien menées Niveau 2 Essais comparatifs randomisés de faible puissance Études comparatives non randomisées bien menées Études de cohortes Niveau 3 Études cas—témoins Niveau 4 Études comparatives comportant des biais importants Études rétrospectives Séries de cas Études épidémiologiques descriptives (transversale, longitudinale)
A Preuve scientifique établie
B Présomption scientifique
C Faible niveau de preuve scientifique
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C. Maurin et al.
Consultation urologique pour réévaluation du traitement selon expulsion ou non du calcul dans les 4 semaines
CN simple/compliquée
Disparition des douleurs sous traitement médical
Retour à domicile avec recommendations : *Ketoprofène + IPP *Antalgiques simples *Alpha bloquant (calcul pelvien)
CN / Grossesse (pas d’ASP)
Echodoppler/ASP
TDM abdominopelvienne sans injection low dose Doute diagnostique
Traitement médical (pas d’AINS) et/ou dérivation urinaire
TDM abdominopelvien avec injection (+/- coupes tardives) Persistance des douleurs
CN compliquée
Avis urologique pour type et délai de dérivation des voies excrétrices
Figure 1.
Organigramme de prise en charge.
La TDM a de multiples avantages : • examen rapide largement indépendant du patient et de l’opérateur ; • en cas de CN sur calcul, pas d’injection intraveineuse nécessaire donc pas de complication allergique ni rénale ; • mise en évidence des calculs de petite taille (de l’ordre de 1 mm) et cartographie complète de la ML : l’ensemble des calculs est visualisable à l’exception des calculs liés à la prise d’indinavir, avec une sensibilité et une fiabilité excellentes ; • correction du diagnostic par la mise en évidence d’un obstacle de nature non lithiasique ou d’un diagnostic différentiel grâce à l’injection de produit de contraste avec réalisation de temps vasculaires et coupes tardives (UroTDM) en cas de doute diagnostique [9] ; • orientation du traitement par mesure de la densité du calcul (unité Hounsfield) permettant de prédire la probabilité d’échec de la lithotripsie extracorporelle en cas de densité supérieure à 1000 UH. En revanche, un calcul de densité inférieure à 300UH est d’origine urique et nécessite un traitement médical exclusif.
Les inconvénients de la TDM sont à prendre en compte : • mise en évidence de calcifications intrarénales sans corrélation clinique (plaques de Randall) ; • absence d’information sur le degré d’obstruction ; • irradiation répétée néfaste sur une population jeune. Les protocoles d’irradiation faible dose sont à privilégier compte tenu de leur performance identique ; • coût élevé de la TDM. Cependant, l’utilisation de la TDM comparativement à l’UIV aux urgences permet
de diminuer le temps de passage de l’ordre de 119 minutes. L’indication des examens dépend de leur accessibilité et du contexte clinique (Fig. 1) : • CN simple : ◦ TDM hélicoïdal abdominopelvien sans injection (Grade A) ; à défaut, couple ASP—échographie (Grade A), ◦ suivi de la ML par ASP (Grade C) ; • CN compliquée : une certitude diagnostique quant à l’existence de l’obstacle est nécessaire en urgence, la TDM spiralée sans injection est indiquée (Grade A) ; • cas particuliers : ◦ femme enceinte : échographie (Grade B), ◦ IRC : TDM spiralée sans injection de préférence (Grade A) ; • doute diagnostique : ◦ TDM sans injection éventuellement complétée par l’injection de produit de contraste en urgence (Grade A). Il convient d’exprimer ce degré d’incertitude au radiologue lors de la demande d’examen afin de permettre la recherche d’autres pathologies en l’absence d’arguments d’imagerie en faveur du diagnostic de CN sur calcul.
La prise en charge médicale initiale Quelle que soit la nature de l’obstacle, la prise en charge comprend le traitement de la douleur et la dérivation des voies excrétrices en cas de CN compliquée.
La colique néphrétique aux urgences
L’accueil L’infirmière organisatrice de l’accueil doit repérer dès l’accueil le tableau de crise de CN et débuter la prise en charge par : • anamnèse sommaire ; • gestion de la douleur ; • explication de l’objectif des soins ; • organisation de la prise en charge médicale du patient dans un délai compatible avec l’intensité de la douleur (compte tenu de l’intensité de la douleur une installation immédiate est souhaitable) ; • évaluation des paramètres importants : évaluation de la douleur par échelles d’autoévaluation (EVA ou échelle numérique [EN], conférence de consensus 1993), pression artérielle, fréquence cardiaque, température, fréquence respiratoire, heure et quantité de la dernière miction ; • éventualité d’une grossesse chez la femme en âge de procréer.
La salle de soins Elle consiste en : • pose rapide d’une voie veineuse périphérique sur prescription ; • recherche d’antécédents allergiques ; • administration des antalgiques ; • réévaluation de la douleur avec signalement rapide au médecin si le résultat est insuffisant ; • surveillance des effets indésirables en cas de titration de morphine ; • recueil des urines pour bandelette urinaire et ECBU et tamisage des urines.
L’orientation, hospitalisation ou sortie En cas d’hospitalisation, la suite de la prise en charge doit être expliquée au patient afin de permettre une compréhension satisfaisante et un traitement optimal. En cas de retour à domicile, des explications et des recommandations simples (si possible en présence de la famille) seront données sur la nature de la crise, la nécessité d’une hydratation normale de fac ¸on à maintenir des urines claires, la filtration des urines (pour analyse morpho-constitutionnelle du calcul par spectrophotométrie infrarouge), la surveillance de la température avec consigne de revenir en urgence en cas de fièvre, sur la possibilité de récidive douloureuse en cas de non évacuation du calcul (Annexe 3). Il existe une relation directe entre la taille du calcul et la probabilité d’expulsion spontanée avec un seuil de 5 mm habituellement reconnu comme discriminant.
Le traitement antalgique Pendant la crise Le traitement antalgique sera adapté en fonction des mesures répétées de l’intensité douloureuse par l’échelle visuelle analogique (EVA).
33 Les AINS sont le traitement antalgique de première intention compte tenu de leur facilité et sécurité d’emploi par rapport aux morphiniques (pas de titration, surveillance moins lourde, bonne tolérance aux doses habituelles, durée d’action prolongée). Ils agissent en bloquant les cyclo-oxygénases impliquées dans la cascade inflammatoire permettant de diminuer l’œdème local et l’inflammation et d’entraîner une relaxation des fibres musculaires lisses de l’uretère et une diminution du péristaltisme. Ils diminuent le débit de filtration glomérulaire sans conséquence sur la fonction rénale des patients non insuffisants rénaux. Le kétoprofène (Profénid® ) est le seul à avoir obtenu l’AMM (07/2001) par voie intraveineuse pour l’indication CN. La voie intraveineuse supplante les autres voies du fait de sa rapidité d’action. La voie intramusculaire ne garantit pas une résorption totale du produit. La voie intrarectale peut être une alternative. L’administration sera de 100 mg en intraveineuse lente, au maximum trois fois par 24 heures (Grade A) en association à un inhibiteur de la pompe a protons et en l’absence de contre indication : • grossesse au-delà de 24 semaines d’aménorrhée ; • antécédent d’asthme déclenché par la prise de kétoprofène ou de substances d’activité proche telles qu’autres AINS, aspirine ; • hémorragie en évolution ; • ulcère gastrique ou intestinal en évolution ; • insuffisance hépatique sévère ; • insuffisance rénale sévère ; • insuffisance cardiaque sévère non contrôlée. En cas de non-réponse au traitement initial (Grade B) ou en cas de contre-indication aux AINS (Grade C), la morphine peut être utilisée avec titration intraveineuse selon les modalités d’administration de la morphine recommandées dans l’actualisation 2007 de la prise en charge de la douleur en urgence [10]. Il n’y a pas de recommandation à utiliser : • l’hyperhydratation ou la prise de diurétiques afin de faciliter l’expulsion du calcul et de réduire les symptômes douloureux de la CN (Grade A) ; • l’application de chaleur. (Cf. travaux réalisés lors de transports non médicalisés : 100 patients transportés pour une suspicion de CN recevaient une application de chaleur en regard de l’abdomen. Le groupe ayant un réchauffement actif avait une nette diminution de la douleur basée sur l’EVA passant de 82,7 à 36,3.) [11]. Chez la femme enceinte : • les AINS ne sont pas recommandés pendant les premier et deuxième trimestres et contre-indiqués au troisième trimestre ; • le paracétamol peut être administré mais son efficacité n’est pas prouvée dans cette indication ; • la morphine en dehors du travail peut être utilisée. Chez l’insuffisant rénal : • les AINS sont contre-indiqués ; • le paracétamol et/ou la morphine sont à utiliser d’emblée en adaptant les posologies.
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En traitement de fond Le traitement médical de fond vise à favoriser l’expulsion spontanée du calcul (thérapie médicale expulsive). L’expulsion du calcul dans les quatre semaines est spontanée dans 68 % des cas (IC à 95 % : 46—86) pour les calculs de taille inférieure à 5 mm et de 47 % (IC à 95 % : 36—59) pour une taille comprise entre 5 et 10 mm. La période d’observation avant un éventuel geste urologique est classiquement d’un mois. La thérapie médicale expulsive utilise les AINS, les inhibiteurs calciques (InCa) et les alpha-bloquants (AB). Les InCa agissent par relaxation des fibres musculaires lisses, alors que les AB inhibent l’action des récepteurs alpha-1 adrénergiques présents en grand nombre dans la partie distale de l’uretère et participant au péristaltisme. Les résultats montrent un effet positif avec un taux d’expulsion du calcul augmenté chez les patients porteurs d’un calcul pelvien traités par AB ou InCa : risque relatif respectivement de 1,59 (IC 95 % : 1,44—1,75) et de 1,50 (IC 95 % : 1,34—1,68) avec un délai d’expulsion diminué par rapport au groupe témoin : gain moyen de deux à six jours pour les AB avec un délai moyen d’expulsion inférieur à 14 jours et un délai moyen d’expulsion inférieur à 28 jours pour les InCa [12]. Les effets secondaires pour les deux traitements sont rares et bénins, avec un avantage pour les AB type tamsulosine (4 % versus 15 % pour les InCa). Au total, la tamsulosine, à la dose de 0,4 mg/j pendant 30 jours et la nifédipine, à la dose de 30 mg/j pendant la même durée peuvent faciliter l’expulsion des calculs distaux de moins de 10 mm et pourraient éviter le recours à des traitements chirurgicaux, des réadmissions pour récidive douloureuse ou des complications de la ML. À noter que la tamsulosine (Josir® ) n’a pas d’AMM dans cette indication en France. Son indication doit être posée après évaluation clinique et radiologique en dehors de l’urgence (Grade A) et après élimination des contreindications suivantes : • hypersensibilité connue au chlorhydrate de tamsulosine, incluant antécédents d’angio-œdème avec la tamsulosine ou à l’un des composants ; • antécédents d’hypotension orthostatique ; • insuffisance hépatique sévère. La prudence s’impose lors de l’administration de tamsulosine chez les insuffisants rénaux sévères (clairance de la créatinine inférieure à 10 mL par minute) en l’absence d’étude clinique chez ces patients. L’administration concomitante avec un autre AB est susceptible de majorer le risque d’hypotension artérielle notamment chez le sujet âgé. Les effets indésirables doivent être soigneusement communiqués au patient avant instauration du traitement : syncope, céphalées, tachycardie, hypotension orthostatique, angio-œdème, prurit, syndrome de l’iris flasque. L’ordonnance de sortie contenant le reste du traitement médical expulsif comporte la poursuite des AINS per os (Diclofénac à la dose de 150 mg/j) pendant cinq à sept jours, associés à un IPP (ce traitement diminue significativement le risque de récidive douloureuse [13]) et/ou un antalgique de niveau II pendant la même période.
C. Maurin et al. Une réévaluation par imagerie (TDM si non réalisée en urgence ou ASP et/ou échographie) doit être réalisée par le médecin traitant ou par l’urologue dans les deux à trois semaines suivant la crise.
Formes compliquées et traitement chirurgical Le recours en urgence à un avis urologique est recommandé dans trois circonstances : • CN compliquée : ◦ fébrile, ◦ hyperalgique, ◦ rupture de la voie excrétrice, ◦ insuffisance rénale aiguë obstructive ou fonctionnelle dans un contexte de sepsis sévère ; • terrain particulier : ◦ grossesse, ◦ insuffisance rénale et uropathies préexistantes, ◦ rein unique fonctionnel ou anatomique, ◦ transplant rénal ; • facteurs de gravité liés au calcul ◦ taille du calcul supérieure ou égale à 6 mm, ◦ calculs bilatéraux, ◦ empierrement des voies excrétrices après LEC. Le principe du traitement urologique consiste à drainer la voie excrétrice en amont du calcul. Le calcul sera traité secondairement à distance de l’urgence. Il existe deux types de dérivations des voies urinaires supérieures : • voie chirurgicale : positionnement d’une sonde urétérale par voie endoscopique rétrograde au bloc opératoire sous anesthésie générale ou locorégionale. Deux types de sondes peuvent être utilisées : sonde simple J (semi-externe temporaire) et sonde double J (interne permanente) ; • voie radiologique : mise en place d’une sonde de néphrostomie par voie antérograde percutanée (contreindications : trouble de la coagulation ou traitement anticoagulant). Elle peut être réalisée sous contrôle échographique et/ou scopique sous anesthésie locale. Les modalités de dérivation spécifique seront discutées au cas par cas par l’urologue et le radiologue : • CN fébrile quelle que soit la nature de l’obstacle : toute CN avec une température supérieure à 38 ◦ C, en hypothermie, corrélée à un syndrome inflammatoire biologique ou présentant des critères de sepsis grave doit être adressée en urgence en milieu urologique en vue d’une dérivation rapide. Une bi-antibiothérapie probabiliste associant C3G et aminosides (en l’absence de contre-indication) après réalisation de prélèvements bactériologiques (hémocultures, ECBU) doit être instaurée le plus rapidement possible ; • CN hyperalgique : toute CN non soulagée par le traitement antalgique bien conduit associant AINS et morphine sera hospitalisée en vue d’une dérivation ; • en cas de rupture de la voie excrétrice supérieure, une dérivation éventuelle dépendra du volume de l’urinome et des éventuelles complications infectieuses associées ;
La colique néphrétique aux urgences • l’IRA sur obstruction du haut appareil ou d’origine fonctionnelle réactionnelle sur obstacle nécessite une dérivation après vérification première et correction éventuelle d’une hyperkaliémie menac ¸ante ou d’une rétention aiguë ou chronique d’urines (sondage vésical ou cathéter sus-pubien). Les données actuelles sur la CN chez la femme enceinte sont proches de celles de 1999 [14]. Les indications et les modalités de dérivation nécessitent un avis spécialisé.
Prise en charge ultérieure Les indications des traitements urologiques de la ML à distance de l’épisode douloureux initial et en dehors du contexte de l’urgence dépendent : • de la nature de l’obstacle ; • de sa localisation dans l’arbre urinaire ; • de la nature et de la taille du calcul ; • de sa probabilité d’expulsion spontanée ; • du terrain. En fonction des caractéristiques, un traitement par lithotripsie extracorporelle, urétéroscopie rigide ou souple (lithotripsie laser in situ) ou néphrolithotomie percutanée pourront être réalisés. Toutes ces techniques nécessitent un bilan de coagulation et un ECBU normaux. En cas d’obstacle non lithiasique, le traitement dépend de la maladie sous-jacente et peut associer divers traitements en plus de la dérivation des voies urinaires supérieures : urétéroscopie souple, chirurgie, chimiothérapie. . .
Conclusion La CN est un motif fréquent de consultation au service d’accueil des urgences (SAU). La CN par obstacle lithiasique est l’étiologie la plus fréquente. Elle fait partie de la ML dont la prise en charge comporte le traitement de la crise et le traitement secondaire de la maladie. La prise en charge de la CN au SAU est standardisée et comporte le traitement de la douleur par AINS et/ou morphine, une imagerie par TDM non injectée éventuellement complétée par injection en cas de doute diagnostique et le recours à un avis spécialisé en cas de CN compliquée fébrile, hyperalgique, sur rein unique ou en cas de terrain particulier. L’initiation du traitement médical avant dérivation doit être débuté rapidement au SAU afin d’optimiser la prise en charge : prélèvements bactériologiques et antibiothérapie probabiliste, correction de troubles ioniques, dérivation du bas appareil urinaire. . . Le passage par le SAU est la première étape d’une prise en charge globale comportant des mesures hygiénodiététiques, une conduite à tenir en cas de récidive et l’instauration d’un suivi urologique complémentaire (Encadré 1 ).
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Encadré 1
Points essentiels.
• La colique néphrétique représente 1 à 2 % des motifs de consultation aux urgences • La prise en charge de la CN nécessite un traitement antalgique rapide et adapté utilisant les AINS et/ou la morphine • Une certitude diagnostique est indispensable car les diagnostics différentiels de la CN peuvent mettre en jeu le pronostic des patients • L’examen d’imagerie de référence est la TDM sans plus ou moins avec injection de produit de contraste • Une CN compliquée de fièvre ou de signes de sepsis sévère, le caractère hyperalgique, une malformation urinaire, la grossesse et les comorbidités imposent une hospitalisation et un avis urologique rapides pour définir les modalités de dérivation des voies urinaires supérieures • La CN simple peut être prise en charge à domicile avec un suivi urologique • Le traitement de la maladie sous-jacente se fait à distance de l’épisode aigu
Annexe 1. Classification des calculs selon leur composition et fréquences A.1. Calculs non calciques : • Liés aux infections urinaires : magnésium—ammonium— phosphate (struvite) : 5 à 10 % • Acide urique, urate d’ammonium, urate de sodium : 5 à 10 % • Cystine : 1 % • Indinavir et autres formes rares : 1 %
A.2. Calculs calciques : • Oxalate de calcium : 60 % • Mixte : oxalate et phosphate de calcium : 10 % • Phosphate de calcium (brushite) : 10 % Le volume urinaire est le plus important facteur inhibant la formation de calculs, un volume urinaire élevé permet de réduire la saturation des composés cristallins à l’origine des calculs. L’alimentation n’est responsable que de 10 à 20 % des calculs d’oxalate de calcium, la voie métabolique étant la cause principale de lithoformation. L’augmentation de l’absorption intestinale d’oxalates, telle qu’on peut la rencontrer dans les résections intestinales ou les maladies inflammatoires du tube digestif, est à l’origine d’une hyperoxalurie favorisant la lithoformation. Les calculs d’acide urique se forment dans une urine acide (pH < 5,5), le traitement en est donc l’alcalinisation par voie orale (consommation de boissons alcalines type Vichy). Klebsielle, Proteus, Serratia et Mycoplasme concourent à l’acidification des urines et favorisent de ce fait la formation de calculs de struvite.
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C. Maurin et al.
Annexe 2. Facteurs favorisant la formation de lithiase rénale B.1. Facteurs métaboliques : • • • • • • • • • • •
Hyperparathyroïdie primaire Acidose tubulaire Cystinurie Hyperoxalurie primaire Goutte Diabète Maladie de Crohn, Rectocolite hémorragique Shunt jéjuno-iléal, résection intestinale Insuffisance rénale Sarcoïdose Maladie de Cacchi-Ricci (rein en éponge)
B.2. Facteurs anatomiques : • • • • •
Rein en fer à cheval Malformation de la jonction urétéro-vésicale Rein unique Antécédents d’intervention sur le rein ou l’uretère Urétérocèle
B.3. Antécédents néphrologiques : • Infections urinaires basses ou hautes • Antécédents familiaux de maladie lithiasique • Antécédents personnels de maladie lithiasique
B.4. Médicaments favorisant la formation de lithiase : • • • • • • •
Indinavir Triamtérène Calcium et vitamine D Éphédrine Topiramate Acétazolamide Acide ascorbique à haute doses (> 4 g/j)
B.5. Facteurs favorisants d’origine nutritionnelle : • Volume de boissons insuffisant • Apport calcique insuffisant < 600 mg/j favorise l’absorption intestinale de l’oxalate et la déminéralisation des os • Apport calcique excessif >1200 mg/j augmente l’absorption intestinale du calcium et le calcium urinaire • Apport élevé en protéines animales augmente le calcium et l’oxalate urinaire • Apport élevé en sel augmente le calcium urinaire • Consommation d’aliments riches en oxalate (épinards, oseille, rhubarbe thé et, surtout, chocolat) augmente l’oxalate urinaire • Consommer trop peu de fruits et de légumes. La consommation de fruits et de végétaux est associée à un risque faible d’avoir des calculs, car elle augmente l’excrétion de citrate, un important inhibiteur de la cristallisation des
sels dans les voies urinaires. Un verre de jus d’orange le matin est conseillé • Consommer régulièrement du jus de pamplemousse • Climat chaud et sec ou environnement professionnel chaud (cuisine industrielle. . .) • Immobilisation prolongée (par modification du métabolisme calcique)
Annexe 3. Recommandations à remettre par écrit, en les ayant expliquées, aux patients non hospitalisés (proposition) • Poursuivez le traitement tel qu’il vous a été prescrit. Ne modifiez pas les doses sans avis médical ; • Tamisez vos urines au travers d’un filtre à café et apporterez à la consultation. tous les calculs expulsés en vue d’une analyse chimique ; • Buvez et mangez normalement ; • Mesurez votre température tous les matins ; • Contacter immédiatement le service d’urologie en cas de : ◦ fièvre > 38 ◦ C, ◦ frissons, ◦ vomissements associés à la reprise de la crise douloureuse, ◦ réapparition ou modification de la douleur, ◦ malaise, ◦ urines rouges (hématurie), ◦ interruption de votre diurèse pendant 24 heures ; • Faites les examens prescrits comme prévu et apportez les à la consultation de suivi urologique dans les 3 semaines ; • Attention ! la disparition de la douleur ne signifie pas que vous soyez guéri. Il faut impérativement être revu comme prévu en consultation par un urologue muni des examens qui vous ont été prescrits.
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