La lèpre est-elle encore d’actualité ?

La lèpre est-elle encore d’actualité ?

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2013) 140, 421—422 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ÉDITORIAL La lèpre est-elle encore d’...

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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2013) 140, 421—422

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ÉDITORIAL

La lèpre est-elle encore d’actualité ? Does leprosy still pose a threat today?

Les articles sur la lèpre sont devenus rares dans la littérature médicale francophone et il est heureux que les Annales de dermatologie et vénéréologie aient publié, en mai 2013, une enquête épidémiologique sur la lèpre en France métropolitaine, en 2009 et 2010 [1]. En effet, suite aux déclarations démobilisatrices de l’OMS concernant « l’élimination de la lèpre dans le monde, en tant que problème de santé publique », on constate un désintérêt vis-à-vis de cette maladie « historique ». Elle ne figure plus ou si peu dans les modules d’enseignement universitaire : les chercheurs ont trouvé d’autres thèmes plus « porteurs » ; les épidémiologistes orientent leurs travaux sur d’autres endémies plus spectaculaires ; les médecins « de terrain » des pays d’endémie perdent peu à peu le « réflexe » lèpre devant des lésions dermatologiques parfois déroutantes ; les « généreux donateurs » des associations spécialisées dans le soutien de la lutte contre la lèpre se démobilisent aussi peu à peu. Cette évolution est inquiétante. Tout d’abord, parce que la lèpre, dans les pays en développement, est très probablement plus fréquente qu’on ne le pense. En effet, les statistiques publiées par l’OMS (250 000 nouveaux cas par an) proviennent des déclarations qui lui sont adressées par les États et l’on peut douter de la fiabilité des taux de détection, pour différentes raisons : • perte d’efficacité des programmes lèpre nationaux due à une diminution des budgets lèpre au bénéfice de ceux qui sont attribués à d’autres secteurs de santé publique considérés comme prioritaires ; • perte de l’expertise lèpre des personnels de santé ; • conditions socioéconomiques défavorables dans de nombreux pays (guerres, révolutions. . .) ne permettant pas d’obtenir une détection précoce. Dans les pays industrialisés, la lèpre est, certes, devenue rare, mais comme le montre cette enquête épidémiologique en France, on ne peut pas dire qu’avec une vingtaine de cas estimés par an, elle soit véritablement exceptionnelle. Il n’y a plus en France de cas autochtones et il s’agit essentiellement de patients originaires des DOM/TOM ou d’autres pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud, plus rarement de métropolitains qui ont été contaminés à l’occasion d’un séjour dans un pays où la lèpre sévit à l’état endémique. La fréquence des voyages intercontinentaux et les migrations en provenance des pays en développement expliquent cette diffusion.

0151-9638/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.annder.2013.04.099

422 Autre sujet d’inquiétude dans les pays occidentaux où la lèpre est devenue plus rare : la détection des nouveaux cas est le plus souvent tardive, réalisée au stade des lésions neurologiques évoluées, souvent irréversibles, car les médecins (internistes, dermatologues, neurologues) ne pensent plus à la lèpre dans la démarche diagnostique d’une dermatose ou d’une neuropathie périphérique. Comme le préconisent les auteurs de cet article dans leur conclusion, il faut que la lèpre soit enseignée dans le cursus universitaire. Cette démobilisation générale est particulièrement dommageable car la perte d’efficacité des services de santé des pays en développement, vis-à-vis de cette endémie, risque de se traduire par une recrudescence dans les prochaines décennies, comme on a pu le constater pour d’autres grandes endémies (tuberculose, paludisme, trypanosomiase. . .). Par ailleurs, et comme pour d’autres maladies infectieuses, le risque de développement d’une pharmacorésistance est toujours possible. Pour le moment, heureusement, la résistance de Mycobacterium leprae à la rifampicine, reste exceptionnelle. Mais il n’est pas exclu qu’elle puisse ultérieurement se développer, d’autant plus que dans les pays d’endémie, les malades ne sont plus suivis après la fin de leur traitement spécifique et que l’on ne détecte donc pas à temps les rechutes éventuelles. En outre, dans les cas où elles sont détectées, la recherche de sensibilité à la rifampicine et à la dapsone n’est le plus souvent pas pratiquée « sur le terrain ». Le risque de diffusion de souches de M. leprae résistantes à la rifampicine est donc à redouter. Le problème thérapeutique n’est pas envisagé dans cet article sur la lèpre en France car il s’agit d’une étude exclusivement épidémiologique. Nous rappellerons, toutefois, que les modalités thérapeutiques de la lèpre sont très différentes selon la géographie. Dans les pays en développement, le protocole utilisé est celui recommandé par l’OMS, à savoir une polychimiothérapie (PCT) associant la rifampicine, en dose mensuelle de 600 mg, et la dapsone en posologie quotidienne de 100 mg, pendant six mois dans les formes paucibacillaires et associée, en plus, à la clofazimine pendant un an dans les formes multibacillaires. Ce schéma a montré son efficacité (une prise unique de rifampicine tue 99,9 % des M. leprae viables). Mais dans les pays industrialisés, cette posologie mensuelle et de durée relativement courte, de six à 12 mois, n’est pas considérée comme suffisamment efficace et la rifampicine est utilisée, non seulement en posologie quotidienne, mais aussi pendant une durée bien supérieure à celle préconisée par l’OMS, à savoir jusqu’à disparition totale des lésions cutanées dans les formes paucibacillaires et jusqu’à négativation de l’indice bactériologique dans les formes multibacillaires, soit une durée totale de deux à quatre ans. Certains auteurs parlent de « médecine à deux vitesses » arguant que le protocole de posologie quotidienne est d’autant plus surprenant que les rares études comparatives de ces deux

Éditorial protocoles n’ont pas montré une réelle différence en ce qui concerne l’efficacité, estimée en termes de nombre de rechutes. Mais il faut préciser que les arguments de l’OMS concernant ce protocole tiennent compte non seulement de la rareté des rechutes à long terme mais aussi des conditions « de terrain », tant au plan géographique que socioéconomique. Il s’agit donc d’une stratégie de santé publique. Enfin, pour améliorer la maîtrise de la stratégie de lutte contre la lèpre et espérer connaître un jour son élimination, il est indispensable que les chercheurs poursuivent leurs travaux de recherche sur M. leprae. Certes, un grand pas a été franchi avec le décryptage de son génome dont on sait maintenant que seulement la moitié est fonctionnelle, ce qui explique l’extrême lenteur de sa division. Mais on a besoin d’en savoir plus sur la pathogénicité neurologique de cette affection et trouver de nouvelles molécules encore plus efficaces permettant de raccourcir la durée du traitement et avoir un arsenal plus large dont on pourrait disposer en cas de pharmaco-résistance à la PCT actuelle. On doit aussi pouvoir disposer de tests biologiques fiables pour porter un diagnostic précoce au stade purement dermatologique, voire même encore plus tôt, au stade préclinique de « lèpre infection ». En absence d’une vaccination spécifique efficace, une antibiothérapie adaptée de courte durée appliquée précocement pourrait permettre d’envisager à long terme l’élimination réelle de cette maladie. Mais, bien sûr, toutes ces considérations techniques ne pourront avoir d’effet que si parallèlement, des progrès sont réalisés dans la lutte contre le sous-développement permettant d’améliorer l’état nutritionnel, le niveau d’hygiène et l’éducation sanitaire des populations et de développer, par ailleurs, la formation continue des personnels de santé en charge de la lutte contre cette endémie.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Référence [1] Bret S, Flageul B, Girault PY, Lightburne E, Morand JJ. Enquête épidémiologique sur la lèpre en France métropolitaine en 2009 et 2010. Ann Dermatol 2013 http://dx.doi.org/10.1016/ j.annder.2013.02.019

P. Bobin 1 4, rue Jean-Jacques Bel, 33000 Bordeaux, France Adresse e-mail : [email protected] 1

Secrétaire général de l’association des léprologues de langue Franc ¸aise (ALLF). Disponible sur Internet le 31 mai 2013