La maladie de Parkinson est aussi une maladie du tube digestif

La maladie de Parkinson est aussi une maladie du tube digestif

Bull Acad Natl Med (2020) 204, 66—71 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com REVUE GÉNÉRALE La maladie de Parkinson est aussi ...

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Bull Acad Natl Med (2020) 204, 66—71

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

REVUE GÉNÉRALE

La maladie de Parkinson est aussi une maladie du tube digestif夽 Parkinson’s disease is also a gastrointestinal tract disorder

P. Derkinderen a,∗,b,c a

Service de neurologie, hôpital Nord Laennec, CHU de Nantes, boulevard Jacques-Monod, Saint-Herblain, 44093 Nantes cedex 1, France b Faculté de médecine, université de Nantes, 1, rue Gaston-Veil, 44035 Nantes cedex 1, France c Inserm U1235, 1, rue Gaston-Veil, 44035 Nantes cedex 1, France Rec ¸u le 18 juin 2019 ; accepté le 13 novembre 2019 Disponible sur Internet le 16 novembre 2019

MOTS CLÉS Maladie de Parkinson ; Système nerveux entérique ; Gastroparésie

KEYWORDS Parkinson disease; Enteric nervous system; Gastroparesis

夽 ∗

Résumé Il est désormais bien établi que la maladie de Parkinson est non seulement une maladie du système nerveux central et du mouvement mais aussi une maladie du système nerveux entérique et du tube digestif. Les troubles digestifs sont parmi les signes non-moteurs les plus fréquents et la quasi-totalité des patients atteints de Parkinson a une atteinte du système nerveux entérique. Nous discutons ces aspects dans cette brève revue et évoquons le rôle possible du système nerveux entérique dans le développement de la maladie et comme source de biomarqueurs. © 2019 l’Acad´ emie nationale de m´ edecine. Publi´ e par Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es. Summary It is now well established that Parkinson’s disease is not only a CNS disorder of movement but also a gastrointestinal disorder that affects the enteric nervous system. Gastrointestinal symptoms occur in almost every patient at some point. At autopsy, characteristic neuropathological features are found in the enteric nervous system in nearly all cases. In this review, we present the clinical and pathological evidences showing that Parkinson’s disease is a gastrointestinal tract disorder and discuss the role of the enteric nervous system in the development of the disease and as a possible source of biomarker. © 2019 l’Acad´ emie nationale de m´ edecine. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Séance du 29 octobre 2019. Correspondance. Adresses e-mail : [email protected], [email protected]

https://doi.org/10.1016/j.banm.2019.11.013 0001-4079/© 2019 l’Acad´ emie nationale de m´ edecine. Publi´ e par Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

La maladie de Parkinson est aussi une maladie du tube digestif En 1817, dans sa description de la maladie qui porte désormais son nom, James Parkinson mentionnait à plusieurs reprises l’existence de troubles digestifs en particulier la survenue d’une dysphagie, d’une constipation et des difficultés de défécation [1]. Curieusement, cette atteinte digestive n’a suscité que peu d’intérêt et il a fallu attendre ces trente dernières années pour que le tube digestif soit considéré comme un organe de premier plan dans la maladie de Parkinson (revue dans [2]). Outre le fait que les troubles digestifs font partie des signes non-moteurs les plus fréquents et les plus invalidants, le tube digestif (et plus précisément le système nerveux entérique) est touché par le processus pathologique chez la quasi-totalité des patients parkinsoniens [3]. Cette atteinte digestive pourrait être impliquée dans la progression de la maladie et serait une source potentielle de marqueurs diagnostic et d’évolution de la maladie [2].

Signes digestifs de la maladie de Parkinson L’atteinte digestive fait partie de l’atteinte des systèmes nerveux autonomes périphériques qui est particulièrement fréquente au cours de la maladie de Parkinson [4]. L’ensemble du tractus digestif est touché dans la maladie de Parkinson, de l’œsophage jusqu’au rectum. L’évaluation subjective par questionnaire donne le plus souvent une sous-estimation de cette atteinte digestive et seules les évaluations objectives permettent de rendre compte de la fréquence et de la sévérité de cette atteinte. La dysphagie lorsqu’elle est mesurée par des moyens objectifs est quasi-constante, seulement 6 patients sur 119 avaient une déglutition normale dans une étude récente réalisée en endoscopie [5]. L’atteinte peut être aussi bien orale, pharyngée qu’œsophagienne et peut survenir très précocement dans l’évolution de la maladie [5]. Pour ce qui est de l’estomac, la gastroparésie est elle aussi très fréquente lorsqu’elle est évaluée par la technique de référence à savoir une scintigraphie de vidange gastrique [6]. Cliniquement, elle peut se traduire par des nausées mais aussi par une perte d’appétit, une sensation de satiété précoce, des ballonnements et une perte de poids. Elle peut survenir dès le début de la maladie mais à tendance à s’aggraver avec l’évolution [6] et participerait aux fluctuations d’efficacité motrice [7]. L’intestin grêle est la partie du tube digestif qui a été la moins étudiée au cours de la maladie de Parkinson, probablement en raison de sa relative inaccessibilité et la seule anomalie décrite est une colonisation bactérienne chronique (ou SIBO pour small intestinal bacterial overgrowth) dont les conséquences cliniques sont encore à élucider [8]. Ce n’est pas le cas du colon et de la constipation qui ont fait l’objet de nombreuses études (revue dans [9]). Tout comme la dysphagie, il est important d’avoir recours à une évaluation objective de la constipation. Ainsi, dans une étude danoise publiée récemment et réalisée chez 32 patients parkinsoniens et 26 témoins, un ralentissement significatif du temps de transit colique (évaluée par marqueurs radio-opaque) était observé chez 22 des patients parkinsoniens alors que les questionnaires Rome III et nonmotor symptom questionnaire ne permettaient de détecter

67 une constipation que chez 1 et 12 patients respectivement [10]. Le traitement des troubles digestifs de la maladie de Parkinson reste délicat et souffre de l’absence de traitements spécifiques. Les traitements dopaminergiques classiques de la maladie (levodopa ; agonistes dopaminergiques) n’ont en effet que peu d’effets sur la motricité digestive et pourraient même l’aggraver ; ceci s’expliquerait par le rôle inhibiteur des neurones dopaminergiques entériques sur la motricité digestive [11].

Le noyau dorsal moteur du vague et le système nerveux entérique sont touchés par le processus neuropathologique au cours de la maladie de Parkinson Les signes digestifs observés dans la maladie de Parkinson seraient la conséquence de l’atteinte de deux structures clés pour la motricité du tube digestif, le noyau dorsal moteur du vague et le système nerveux entérique (SNE). Le noyau dorsal moteur du vague est une petite structure située dans le bulbe rachidien qui utilise principalement l’acétylcholine pour neurotransmetteur. Les fibres nerveuses issues de ce noyau empruntent un trajet cervical et thoracique pour gagner l’abdomen et faire synapse avec les neurones du système nerveux entérique pour venir activer la motricité digestive et donc favoriser le transit dans son ensemble [12] (Fig. 1a). Le SNE quant à lui est un réseau neuronal enchâssé dans le tube digestif, du tiers inférieur de l’œsophage au rectum. Bien qu’il subisse les influences du SNC via les afférences sympathiques et parasympathiques (dont le nerf vague), le SNE est capable de réguler de fac ¸on autonome les fonctions digestives [13]. Il est organisé en deux plexus principaux : le plexus myentérique, qui contrôle essentiellement la motilité, et le plexus sous-muqueux qui est principalement impliqué dans la régulation de la sécrétion [13] (Fig. 1b). Les corps et prolongements de Lewy, qui sont les lésions neuropathologiques caractéristiques de la maladie de Parkinson, ont été observés pour la première fois en 1912 (revue dans [14]). Leur composition précise est encore sujette à débat mais l’on sait depuis 1997 que l’alpha-synucléine, une protéine neuronale, est un composant important de ces inclusions [15]. Depuis, l’immunohistochimie alphasynucléine est devenue la technique de référence pour la détection des corps et prolongements de Lewy [16]. En utilisant cette approche, plusieurs laboratoires de neuropathologie ont montré qu’en dehors de la substance noire, certaines structures du système nerveux central (en particulier le bulbe olfactif, le noyau dorsal moteur du vague, le complexe locus coeruleus-subcoeruleus et le faisceau intermédio-latéral de la moelle épinière) ainsi que le SNE sont touchés par le processus pathologique chez la quasitotalité des patients parkinsoniens [17,18] (Fig. 2). Ces corps de Lewy s’accompagnent d’une perte de neurones dans le noyau dorsal moteur du vague [19] mais pas dans le SNE [20,21]. La part respective de ces deux structures dans la survenue des troubles digestifs au cours de la maladie de Parkinson reste toutefois à préciser.

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Figure 1 (a) innervation vagale efférente permettant de réguler la motricité digestive (NDMV : noyau dorsal moteur du vague) (b) coupe transversale de colon permettant de mettre en évidence les ganglions sous-muqueux et myentériques.

Figure 2 Atteinte diffuse par la pathologie de Lewy au cours de la maladie de Parkinson. En dehors de la substance noire, plusieurs structures du système nerveux central et le système nerveux entérique sont touchés par la pathologie de Lewy. Le chiffre entre parenthèse est la fréquence d’atteinte dans les grandes séries autopsiques. IML : faisceau intermédio-latéral ; NDMV : noyau dorsal moteur du vague Les microphotographies montrent un corps et un prolongement de Lewy du système nerveux entérique (immunohistochimie alpha-synucléine). La barre d’échelle est de 20 ␮M. Illustrations réalisées à partir de Servier Medical Art (http ://smart.servier.fr/servier-medical-art).

Le tube digestif, un point de départ pour la maladie de Parkinson ? Heiko Braak est un anatomiste et neuropathologiste allemand qui a décrit de fac ¸on très précise la progression des lésions de la maladie d’Alzheimer. Il a utilisé la même approche pour la maladie de Parkinson en étudiant les cerveaux de 41 patients parkinsoniens. Il a montré que la totalité des cerveaux étudiés, sans exception, avaient des

corps de Lewy dans le noyau dorsal moteur du vague ce qui l’a amené à conclure que cette petite structure était un passage obligé du processus pathologique. La connexion entre le SNE et le noyau dorsal moteur du vague ainsi que la description de quelques cas anatomiques supplémentaires [22] l’ont conduit à proposer l’hypothèse qui porte désormais son nom et qui suggère que le SNE serait le premier touché par le processus pathologique qui progresserait ensuite de fac ¸on rétrograde via le nerf vague jusqu’au noyau dorsal moteur

La maladie de Parkinson est aussi une maladie du tube digestif Tableau 1

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Arguments en faveur et contre l’hypothèse de Braak.

En faveur

Contre

Le NDMV est touché chez tous les patients [18] Le SNE est une des premières structures touchées par la pathologie de Lewy [22] La vagotomie tronculaire diminue le risque ultérieur de MP [34] Les patients parkinsoniens ont un tube digestif hyperperméant [36] Les patients parkinsoniens ont une dysbiose intestinale [38] Le gavage de souris avec de la roténone reproduit la progression de la MP de l’intestin vers le SNC [39] De l’alpha-synucléine pathologique injectée dans l’estomac de rats est transportée de l’intestin vers le SNC via le nerf vague [41] Le microbiote de patients parkinsonien augmente le déficit moteur dans un modèle de souris transgéniques parkinsoniennes [43]

Il existe des exceptions [33] Non confirmé dans des séries autopsiques plus importantes [17] Non confirmé après ré analyse des données [35] Non confirmé dans une étude avec un nombre de patients + important [37] Cela peut-être un simple reflet de l’atteinte du SNE Non reproduit dans une étude ultérieure [40] L’alpha-synucléine peut aussi être transportée en direction inverse [42] Doit être confirmé de fac ¸on indépendante dans d’autres modèles

NDMV : noyau dorsal moteur du vague ; SNE : système nerveux entérique.

du vague pour gagner le SNC [22] (Fig. 1a). Pour séduisante qu’elle soit, cette hypothèse centrée sur le SNE est largement débattue et a été remise en question par plusieurs autres études (voir [23,24] pour deux revues récentes sur le sujet). Le Tableau 1 reprend les arguments en faveur et en défaveur de l’hypothèse de Braak. Même si l’hypothèse de Braak en tant que telle n’est pas vérifiée, cela n’exclut pas un rôle potentiel du tube digestif et plus particulièrement de l’inflammation digestive dans le développement de la maladie. Des données épidémiologiques récentes ont en effet montré qu’il existait un lien épidémiologique et génétique entre maladie de Crohn et maladie de Parkinson (revue dans [25,26]). Ces observations sont renforcées par une de nos études récentes qui montre que l’expression de l’alpha-synucléine est augmentée dans le colon des patients atteints de maladie de Crohn [27].

Des biopsies digestives pour faire le diagnostic de maladie de Parkinson ? Malgré les progrès réalisés dans les domaines de la neuroimagerie et de la biochimie, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de biomarqueur validé permettant de faire un diagnostic précoce ou de sévérité de la maladie de Parkinson. La présence de corps et de prolongements de Lewy dans le SNE, qui est accessible par simple biopsie digestive obtenue au cours d’une endoscopie, a donc suscité un grand intérêt en vue du développement de biomarqueurs histopathologiques de la maladie [28]. Dans une étude pilote réalisée au laboratoire, nous avons montré que l’analyse de biopsies coliques permettait de détecter la présence de prolongements de Lewy chez près de trois quarts des patients atteints de maladie de Parkinson [21]. Ces anomalies n’étaient pas présentes chez des sujets indemnes de maladie neurologique ni chez des patients qui souffraient d’autres syndromes parkinsoniens (atrophie multi-système) [29]. Dans une étude complémentaire, nous venons de montrer qu’il était possible

de sensibiliser cette approche en utilisant une technique d’amplification des inclusions pathologiques présentes dans la pathologie de Lewy. Ces résultats encourageants ne sont toutefois que préliminaires et nécessitent d’être confirmés dans d’autres études indépendantes [30].

Conclusion et perspectives L’atteinte du tube digestif et du SNE dans la maladie de Parkinson n’est plus à démontrer. Toutefois, de nombreuses questions restent en suspens. Il reste à déterminer l’origine des troubles digestifs de la maladie et en particulier à savoir s’ils sont la conséquence de l’atteinte du SNE et/ou du noyau dorsal moteur du vague. Ceci devrait permettre de proposer à terme des traitements spécifiques de ces troubles digestifs. Le rôle du tube digestif et en particulier du microbiote intestinal dans le développement de la maladie est un sujet particulièrement en vogue mais qui n’en est qu’à ses balbutiements [31]. Si cela est possible, la mise au point de traceurs spécifiques capable de détecter les corps de Lewy in vivo devrait permettre d’avancer sur le rôle du tube digestif dans la physiopathologie de la maladie [32].

Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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