La médecine physique et de réadaptation de la CIH à la CIF

La médecine physique et de réadaptation de la CIH à la CIF

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Annales de réadaptation et de médecine physique 46 (2003) 249–250 www.elsevier.com/locate/annrmp

Point de vue La médecine physique et de réadaptation de la CIH à la CIF

La livraison par l’Organisation mondiale de la santé de la CIF (classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé) [1] en mai 2001 rend caduque la CIH (classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités, désavantages) introduite en 1980. L’usage de la CIF s’impose désormais à toute la communauté onusienne. Deux articles de ce numéro nous y engage [5,6]. La CIF résulte de compromis multiples issus de confrontations culturelles, politiques, catégorielles et d’enjeux divers d’intérêts quelquefois opposés. Ainsi tirée entre un modèle médical et un modèle social du handicap, la CIF retient un modèle synthétique « biopsychosocial » plus conforme aux représentations actuelles du handicap. Au fil des révisions successives, la CIF n’a jamais renoncé à une extrême ambition : elle se veut une base conceptuelle pour la définition, la mesure et l’élaboration de politiques de santé et du handicap, soit rien moins qu’une « classification universelle du handicap et de la santé ». Elle a pour vocation de devenir l’outil scientifique international commun de tous les acteurs impliqués dans la santé et de toutes les disciplines auxquelles ils se rattachent (sociologues, médecins, épidémiologistes, économistes, politiques, éducateurs) et de s’appliquer aux individus comme aux institutions. Le handicap envisagé jusqu’ici comme « conséquence des maladies » et à ce titre nettement médicalisé, s’ancre désormais dans le vaste champ de la santé1 : le handicap2 est l’expression « un problème de santé » particulier dont elle constitue une expérience et qui doit être abordé en toute neutralité, sans différenciation étiologique pour éviter toute discrimination. La dimension sociale du handicap, définie comme le résultat de « l’interaction entre la personne et son environnement » se trouve ainsi très largement renforcée : l’aspect environnemental ajouté doit permettre d’apprécier l’impact de l’environnement sur l’état fonctionnel de la personne et sur sa participation sociale et de trouver des solutions dans un traitement social de la santé. 1 Santé : « état du complet bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». 2

Handicap : « terme générique désignant les déficiences, les limitations d’activité et les restrictions de participation. Il désigne les aspects négatifs de l’interaction entre un individu (ayant un problème de santé) et les facteurs contextuels face auxquels il évolue (facteurs personnels et environnementaux) ».

Telle quelle, dans son aboutissement actuel, la CIF est à l’origine de nombreuses polémiques aux motifs différents, comme C. Rossignol qui, s’interrogeant de savoir si la CIF peut avoir une portée scientifique, « en déconseille l’usage » et la qualifie de « rhétorique » au terme d’une critique rigoureusement et amplement argumentée [7]. Il ne fait aucun doute que la CIF dérange. Dans le milieu médical elle arrive à un moment où les concepts de la CIH, après beaucoup de difficultés didactiques, commençaient à s’imposer. La compréhension de la CIF et plus encore son assimilation réclament un effort important. Sa validité n’est pas assurée par une expérimentation préalable suffisante. Les usages qui en seront faits tout comme les alibis qui risquent d’en être tirés sont incertains. L’appropriation de la CIF par les médecins de médecine physique et de réadaptation (MPR) n’échappe pas à ces difficultés. Certaines devraient être assez facilement dépassées. C’est d’abord le cas des obstacles d’ordre linguistique et sémantique comme les mots de la CIH qui changent de sens3, le contenu de certains termes différent de celui réservé par l’usage commun ou encore l’abandon du « désavantage » en l’occurrence plutôt heureux. La CIH et sa structure tridimensionnelle, à laquelle la MPR a largement adhéré, se retrouvent au total assez bien au travers des composantes : fonctions et structures corporelles, activités et participation4. La dimension sociale, qu’il s’agisse de l’aspect environnemental venant combler une insuffisance évidente que la MPR avait anticipée et implicite dans l’intitulé même de la discipline ou qu’il s’agisse de centrer la personne handicapée et ses projets au cœur du modèle [3] (« rien pour nous sans nous ») nécessite simplement quelques recadrages ou reformulations. Les médecins de MPR se sont toujours résolument engagés, et à leurs corps défendant bien isolément, dans un vaste processus transdisciplinaire malheureusement longtemps étriqué par une détermination politique minimale. D’autres difficultés sont plus délicates. Beaucoup de définitions fournies restent très générales et pour certaines floues voire fluctuantes. Techniquement, la complexité du recueil des données risque de réduire le caractère opérant et généralisé de la CIF, de limiter son utilisation en amplifiant les problèmes déjà rencontrés pour la CIH. L’ambition extrême d’une classification convoitant de caractériser l’ensemble du 3 Les déficiences désignent « les problèmes de la fonction organique ou la structure anatomique tels un écart ou une perte importante ». 4

L’activité désigne « l’exécution d’une tâche ou d’une action par une personne ». La participation est « l’implication d’une personne dans une situation de vie réelle ».

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« fonctionnement humain », se voulant à la fois un outil individuel, institutionnel et social à même de permettre l’évolution des politiques publiques, l’établissement d’analyses économiques, d’outils pour la recherche, l’étude d’interventions sur les populations, la gestion des facteurs environnementaux, encourent le risque de décevoir largement. Pour le moins la CIF doit être envisagée comme le plus petit dénominateur commun indispensable à une approche multidisciplinaire harmonisée. Chacun des acteurs de santé, doit probablement dans cette perspective prioritaire, adapter et moduler ses exigences propres. Les soupçons pesant sur la valeur scientifique de l’outil sont plus graves. La question est de savoir ce qui est utile, ce qui est améliorable et ce qui est rédhibitoire. Pour la part qui lui revient, la médecine physique et de réadaptation doit valider les différents domaines, tout particulièrement ceux qui la concernent directement, et établir des liens avec les échelles et systèmes, a priori mieux adaptés, sur lesquels elle s’appuie. La tâche est gigantesque mais essentielle. Les publications, à l’instar de celles présentées dans ce numéro [5,6], se multiplient, partagées entre l’estimation de l’intérêt clinique et l’appréciation de la validité de la CIF [4,8,9]. Qu’elles soient le fait des plus enthousiastes ou des plus disciplinés, et pourquoi pas des plus clairvoyants, ne doit pas estomper les encouragements que portent ces travaux. Ils incitent à engager de nouvelles réflexions, de nouvelles études et poussent à dégager les rôles nouveaux de la MPR dans ce nouveau contexte. Il n’en demeure pas moins vrai que pour rendre l’ensemble réellement opératoire il est nécessaire entre autres, pour éviter toute confusion, par exemple de préciser les définitions des principaux concepts organisateurs « fortement marquées par la volonté de positiver l’approche du handicap, voire concédées au politiquement correct, au détriment d’une nécessaire objectivité » (P. Gilbert [2]). Par exemple encore, et c’est primordial pour la discipline, il est indispensable que pour les dimensions « activité » et « participation », en chevauchement, soient énoncées les distinctions « laissées à l’usage » aussi bien que les modalités d’appréciations « en environnements uniformes »non précisés. La CIF reste en chantier. Des outils dérivés sont nécessaires. Le changement de paradigme du handicap correspond avant tout à une volonté politique : le handicap créé par un environnement inadapté exige une réponse politique. La CIF doit en être l’outil au service des décideurs plus enclins au pragmatisme qu’à la théorie [2]. Nul doute qu’en France la CIF sera propulsée par la réforme de la loi de 1975. Une volonté d’approche globale, coordonnée, continue du handicap dans toutes ses dimensions, initiée par la MPR et

aujourd’hui étendue, ne doit pas être vécue comme une dépossession mais bien comme l’aboutissement d’une démarche dont les moyens, faute d’écho et surtout d’ambition politique demeuraient incomplets et qui trouve aujourd’hui une forme de consécration. Dans le modèle « biopsychosocial », la MPR garde une place originale et irremplaçable pour la personne handicapée citoyenne ordinaire. La médecine physique et de réadaptation, forte de son expérience de terrain, doit poursuivre, adapter et renforcer sa contribution à la réduction du handicap par une triple participation : scientifique, technique et politique. La CIF en est le passage obligé. Références [1] [2]

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Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève: Organisation mondiale de la santé; 2001. La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Handicap - revue de sciences humaines et sociales 2002 1994–1995 avril-septembre;1:164. André J. Fondements, stratégies et méthodes en médecine de rééducation. In: Held J-P, Dizien O, editors. Traité de médecine physique et de réadaptation. Paris: Flammarion; 1998. p. 3–13. Beckung E, Hagberg G. Neuro-impairments, activity limitations, and participation restrictions in children with cerebral palsy. Dev Med Child Neurol 2002;44(5):309–16. Calmels P, Bethoux F, Roche G, Fayolle-Minon I, Picano-Gonard C. Évaluation du handicap et de la qualité de vie chez les blessés médullaires : étude d’un échantillon de population de 58 sujets vivant à domicile. Ann Réadaptation Méd Phys 2003;46(5):233–40. Guermazi M, Poiraudeau S, Lefevre-Colau MM, Revel M. Élaboration d’un questionnaire pour évaluer le handicap dans la polyarthrite rhumatoïde : étude préliminaire. Ann Réadaptation Méd Phys 2003; 46(5):241–8. Rossignol C. La « Classification » dite CIF proposée par l’OMS peut-elle avoir une portée scientifique ? Handicap - revue de sciences humaines et sociales 2002 1994-1995 avril-septembre:51–93. Steiner WA, Ryser L, Huber E, Uebelhart D, Aeschlimann A, Stucki G. Use of the ICF model as a clinical problem-solving tool in physical therapy and rehabilitation medicine. Phys Ther 2002;82(11): 1098–107. Stucki G, Ewert T, Cieza A. Value and application of the ICF in rehabilitation medicine. Disabil Rehabil 2002;24(17):932–8.

J.M. André * Institut régional de réadaptation, 35, rue Lionnois, 54042 Nancy cedex, France Adresse e-mail : [email protected]. * Auteur correspondant. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0168-6054(03)00086-2