La personne de confiance : analyse de sa posture dans notre pratique

La personne de confiance : analyse de sa posture dans notre pratique

Éthique et santé (2015) 12, 171—176 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com DÉMARCHES ET OUTILS : CONCEPTS La personne de confi...

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Éthique et santé (2015) 12, 171—176

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

DÉMARCHES ET OUTILS : CONCEPTS

La personne de confiance : analyse de sa posture dans notre pratique Surrogate decision-makers: Analysis of posture in our practice M. Khetta a,∗, E. Guédon a, D. Martin a, A. Bounacer b, S. Haas a a b

Unité de médecine palliative, CHU de Rouen, 76031 Rouen cedex, France Centre de recherche et d’innovation clinique, CHU de Rouen, 76031 Rouen cedex, France

Disponible sur Internet le 17 juillet 2015

MOTS CLÉS Personne de confiance ; Connaissances des lois ; Droits des patients ; Responsabilité ; Autonomie



Résumé Le cadre législatif franc ¸ais permet à tout patient de désigner une personne de confiance, qui sera amenée à soutenir et à accompagner le malade tout au long de son parcours médical. Elle a également un rôle consultatif majeur si le patient ne peut s’exprimer. Cette fonction soulève la question de l’autonomie du patient inconscient, et implique des responsabilités potentiellement importantes, que les personnes désignées sous-estiment. Ce travail a pour but de comparer les rôles théoriques aux rôles exercés en pratique quotidienne par les personnes désignées, au sein de plusieurs services hospitaliers et à domicile. Les objectifs secondaires sont d’évaluer les connaissances des textes par les patients et leurs personnes de confiance, et de faire le point sur le vécu de la personne désignée. Les résultats des 129 questionnaires révèlent une grande discordance entre la loi et la pratique, en lien avec une mauvaise connaissance des textes législatifs, aussi bien par les malades que par les personnes désignées. Cette carence est probablement en partie due à un manque d’informations de la part des soignants (61 % des patients et 56 % des personnes de confiance disent ne pas avoir rec ¸u d’information). Les conditions de désignation ne sont peut-être pas propices à un choix éclairé, beaucoup d’informations médicales et administratives étant demandées à l’arrivée du patient, fragilisé par une situation imposant une hospitalisation. Les personnes désignées semblent plus souvent correspondre aux personnes « à prévenir », et en qui les malades « ont confiance », plus qu’aux personnes de confiance telle que la loi le propose. Soixante et onze pour cent d’entre elles ont déjà aidé leur proche à prendre une décision médicale, et 69 % ont déjà accompagné leur proche plus de trois fois à des entretiens médicaux lors d’annonce diagnostique, de suivi et/ou d’aggravation. Ces chiffres montrent une certaine implication dans le parcours de santé de leur proche. La plupart des personnes désignées ont accepté d’emblée ce rôle, qu’elles vivent

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Khetta).

http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2015.04.001 1765-4629/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

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M. Khetta et al. de fac ¸on légitime, naturelle, évidente. Cependant, seules 8 personnes de confiance évoquent spontanément la notion de responsabilité à propos de leur ressenti sur leur statut. Pourtant, devant les progrès incessants de la médecine, provoquant parfois des situations complexes sur le plan éthique, la mission de la personne de confiance est renforcée. Des améliorations sont à envisager afin de faire appliquer cette loi, au service des patients. Il en est de même pour faire connaître la notion de directives anticipées, rédigées par seulement 3 des patients interrogés. . . © 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Surrogate; Knowledge of laws; Patients’ rights; Responsibility; Autonomy

Summary French law allows all patients to choose a surrogate decision-maker, who will support and accompany him/her throughout his/her medical pathway. The surrogate decisionmaker plays a very important consultative role when a patient is unable to communicate directly. This function raises the question of an unconscious patient’s autonomy and implies potentially important responsibilities that appointed persons underestimate. The aim of this study was to compare theory with practice in a context of different hospital departments and in a home environment. Secondary aims were to evaluate the patient’s and surrogate decision maker’s knowledge of laws, and to analyze their real-life experience. The results of the 129 questionnaires revealed important discrepancies between the law and reality, due to patients’ and surrogate decision-makers’ unfamiliarity with the legal text. This is probably in part attributable to the lack of knowledge of medical staff, patients and surrogate decisionmakers. Conditions for designation may not be suitable for making the right choice: patients weakened by disease are asked many administrative and medical questions at the beginning of hospitalisation. The person appointed as surrogate decision-maker is often considered as the ‘‘person to be informed’’ or ‘‘the person the patient trusts’’, rather than the surrogate decision-maker as intented by law. In practice, 71% of surrogate decision-makers have already helped their close relatives to make a medical decision. Furthermore, 69% have already accompanied their close relatives to outpatient consultation more than 3 times. Even though they are directly and willingly involved in the patient’s healthcare, the notion of responsibility regarding surrogate decision-maker status remains unclear. Yet, advances in medicine create complex situations and reinforce their role. Improved application of the law is necessary to better accompany and support all patients in need of a surrogate decision-maker. Finally, the problem remains the same with advance directives as only three of the patients interviewed had written down these advance directives. © 2015 Published by Elsevier Masson SAS.

Introduction L’évolution de la société a modifié les relations entre le médecin et le patient. Il existait avant un lien hiérarchique entre le premier, détenteur du savoir médical, et ayant donc une certaine « supériorité » scientifique et un certain pouvoir sur le second. Il est, en effet, relativement récent d’évoquer les droits du patient. Parmi ces derniers figurent le droit à l’information médicale, le consentement de la personne malade, et la possibilité de désigner une personne de confiance, dont les rôles sont clairement définis dans la loi du 4 mars 2002. Cette personne est désignée par écrit, et est révocable à tout moment. La loi du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, renforce la place de la personne de confiance, en précisant que son avis prévaut sur tout avis non médical, après consultation d’éventuelles directives anticipées. Ses rôles sont mentionnés dans plusieurs articles du Code de la santé publique. Deux situations sont distinguées, selon la capacité ou non du patient à exprimer sa

volonté. Dans le premier cas, la personne de confiance a un rôle d’accompagnement lors des démarches médicales, elle peut assister aux entretiens médicaux pour l’aider à comprendre la situation, évoquer avec le patient ses souhaits à propos de sa fin de vie, éventuellement sous forme de directives anticipées qui lui auraient été confiées. Dans le second cas, la personne de confiance a un rôle consultatif majeur. Elle doit être obligatoirement consultée en cas de décision de limitation ou d’arrêt de thérapeutique active, et son avis est le premier à être pris en compte (hors avis médical). Elle doit également être consultée en cas de risque de double effet (« si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne (. . .) qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir comme effet secondaire d’abréger sa vie »). Elle peut demander la réalisation d’une procédure collégiale, et a une place privilégiée afin de transmettre ce qu’étaient les souhaits du patient. Elle peut notamment en être témoin en possédant les éventuelles directives anticipées de son proche.

La personne de confiance : analyse de sa posture dans notre pratique Lesquels de ces rôles jouent dans notre pratique les personnes désignées ? La situation est-elle différente selon que le patient est hospitalisé en secteur de médecine, de chirurgie, ou est à domicile, et selon la gravité de la situation médicale ? L’objectif principal de cette étude est d’analyser les rôles qu’ont en pratique quotidienne les personnes de confiance désignées par des patients hospitalisés dans différents services et pris en charge par un réseau de soins palliatifs à domicile, et de comparer avec les rôles théoriques prévus par la loi. Les objectifs secondaires sont d’évaluer les connaissances des textes par les patients et leurs personnes de confiance, et de faire le point sur le vécu de la personne désignée : ce statut implique-t-il une trop grande responsabilité ? Est-il au contraire assumé de fac ¸on quasi « évidente » ? En effet, s’il est indispensable de respecter les principes d’autonomie, de bienfaisance et de nonmalfaisance à l’égard des patients, et si leurs droits doivent bien sûr être respectés, il importe de se préoccuper des conséquences psychologiques d’une telle désignation pour les personnes concernées.

Matériel et méthode Les données de cet article ont été recueillies à travers deux types de questionnaires, proposés pour l’un au patient, pour l’autre à sa personne de confiance, et remplis en face à face avec le chercheur. Les patients ont été au préalable informés du cadre et des objectifs de l’étude. Seuls ceux pour lesquels une désignation officielle de personne de confiance était présente dans le dossier médical ont été inclus. Les personnes de confiance ont été contactées uniquement après accord du patient. Les questionnaires ont été réalisés dans les services hospitaliers de pneumologie, d’oncologie digestive, de chirurgie orthopédique, de soins palliatifs et à domicile dans le cadre d’un réseau de soins palliatifs. La première partie du questionnaire est destinée à évaluer les connaissances des textes législatifs relatifs aux missions théoriques de la personne de confiance. La deuxième permet de décrire en pratique ce que font les personnes de confiance auprès de leurs proches dans le cadre de certaines décisions médicales.

Résultats Au total, 129 questionnaires ont été remplis (66 avec les patients, et 63 avec les personnes de confiance), dans les 4 services hospitaliers et au sein du réseau de soins palliatifs. L’étude a bien été acceptée puisque seule une dizaine de patients a refusé de répondre.

Rôles en pratique quotidienne Soixante-neuf pour cent des personnes de confiance ont déjà accompagné leurs proches plus de trois fois à des entretiens médicaux lors d’annonce diagnostique, de suivi et/ou d’aggravation. Dans le cas du patient conscient, 71 % des personnes de confiance interrogées ont déjà aidé le patient à prendre

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une décision médicale, quelle que soit l’importance (subjective !) de la décision. Parmi les 17 patients ayant déjà été hors d’état d’exprimer leur volonté, seulement 6 de leurs personnes de confiance ont été consultées dans le cadre d’une décision médicale. Les directives anticipées sont, elles, très peu connues puisque seulement 3 patients les ont écrites, et seulement 2 personnes de confiance les possèdent. . .

Connaissances de la loi Soixante et un pour cent des patients disent ne pas avoir rec ¸u d’explications sur la désignation, et 56 % des personnes de confiance déclarent ne pas connaître les rôles que ce statut leur donne, ce qui d’emblée met en avant le manque d’information. Parmi les 28 personnes de confiance qui déclarent au contraire connaître leurs missions, 26 (soit 92,6 %) pensent être également la « personne à prévenir », ce rôle semblant même « évident »à la fac ¸on dont la majorité a répondu. Ces dernières font très souvent un amalgame entre « personne de confiance » et « personne en qui on a confiance », et en déduisent leurs rôles. Les notions de directives anticipées, de procédure collégiale, sont très largement méconnues et ont suscité de nombreuses questions lors des entretiens, ce qui suggère un réel intérêt, et laisse à penser que plus d’informations inciteraient de nombreuses personnes à rédiger leurs directives.

Vécu Cinquante personnes de confiance (soit 79 %) ont accepté d’emblée d’être désignées, et 51 vivent ce rôle de fac ¸on légitime, naturelle, évidente. À la question « qu’avez-vous ressenti au moment d’apprendre votre désignation en tant que personne de confiance ? », 26 ont répondu que c’était « normal » ou « logique », 8 disent n’avoir « rien » ressenti, et seulement 2 évoquent la notion de « responsabilité ». Peu ont rencontré des difficultés à remplir leur rôle (9 lors de l’annonce, 8 lors du suivi, et 10 lors d’une aggravation). Lorsqu’elles aident leur proche à prendre une décision médicale, elles se sentent globalement mieux informées par le corps médical que par le patient. Le thème de la mort reste relativement tabou à l’échelle de la société. Il en est de même à l’échelle individuelle, y compris entre le patient et sa personne de confiance : seules 44 % des personnes désignées disent avoir évoqué avec leur proche les problématiques d’acharnement thérapeutique, de réanimation, d’alimentation artificielle, etc. . .

Discussion Ces résultats mettent en avant de nombreuses discordances entre les rôles théoriques et pratiques des personnes de confiance, en lien avec une mauvaise connaissance de la loi. Les résultats de cette étude majorent probablement le nombre de personnes interrogées connaissant la loi : en effet, d’une part, de nombreux patients et personnes de confiance semblent avoir répondu intuitivement, par déduction et non par connaissance. Cette impression a été forte lors de la réalisation des questionnaires, les interrogés

174 cherchant les réponses logiques, évidentes, en se basant davantage sur la notion de « confiance » que sur celle de « personne de confiance ». D’autre part, les questions évoquant les rôles de la personne de confiance étaient des questions fermées, limitant l’évaluation des connaissances réelles des participants. Ces rôles nécessitent donc une bonne connaissance des textes législatifs de la part du patient, mais également de sa personne de confiance, ce qui ne semble pas être le cas dans des études antérieures. Par exemple, dans l’étude de Zamith et al., bien que 84 % des patients et 84 % des personnes de confiance interrogées sachent que cette dernière est consultée si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, seuls 49 % des patients et 35 % des personnes de confiance ont la notion de la primauté de leur avis sur celui de la famille [1]. D’autre part, seuls 60 % des médecins interrogés lors de l’enquête préliminaire sur la loi du 4 mars 2002 savent qu’ils peuvent être désignés comme personne de confiance (alors que 80 % disent connaître la notion de personne de confiance) [2]. Pourtant il existe un réel besoin, comme l’a montré le groupe de recherche FAMIREA, après avoir sondé 8000 personnes : 90 % sont favorables à la désignation d’un « représentant »si elles étaient hospitalisées en réanimation, et 85 % souhaiteraient que ce représentant participe aux décisions médicales [3]. D’autre part, 83 % des patients interrogés dans l’étude de Clément et al. [4] accepteraient que la personne de confiance soit « porteuse de leurs dernières volontés ». Pour les patients, la proposition de désignation, lorsqu’elle est faite au début d’une hospitalisation, est « noyée » dans une masse d’informations administratives et médicales demandées en même temps, à un moment où le patient est fragilisé par une situation médicale aiguë. L’idéal serait une réflexion en amont à cette désignation, à distance d’un événement suffisamment conséquent pour engendrer une hospitalisation, et après avoir rec ¸u les informations nécessaires primordiales au choix de la « bonne » personne. Par exemple, suite à une discussion après la réalisation du questionnaire, l’une des patientes interrogées a souhaité changer la personne qu’elle avait désignée, et qui correspondait en réalité à la personne « à prévenir ». Afin d’assurer une meilleure qualité et une meilleure fiabilité dans la désignation de la personne de confiance, peut être serait-il intéressant d’impliquer un psychologue autour de cette question. Ce dernier, formé à l’écoute et à l’accompagnement de situations douloureuses, n’aurait bien évidemment pas la responsabilité du choix de telle ou telle personne, mais pourrait guider le patient et le soutenir lors de cette « projection » dans un avenir potentiellement difficile, marqué par l’impossibilité de prendre lui-même les décisions le concernant. Dans ce même objectif d’une désignation plus conforme à celle prévue par la loi, il semblerait utile de mettre en place dans chaque service, une personne « référente » pour cette question, à l’image des référents douleur, référents pansements, etc. . . Ce membre de l’équipe médicale ou para-médicale serait disponible aussi bien pour les patients que pour leurs proches, leur personne de confiance, et pour les professionnels du service. Les informations sur les rôles de la personne désignée pourraient ainsi être rappelées, permettant de mieux distinguer la personne de confiance

M. Khetta et al. d’un aidant plus centré sur le soutien logistique, administratif ou matériel. Le membre référent permettrait au patient de prendre le temps d’une réflexion, la désignation de la personne de confiance ne faisant plus partie de la liste d’informations à fournir lors de l’arrivée dans le service. Selon la situation, la possibilité de rédiger des directives anticipées et leurs modalités pourraient faire partie des informations données par le personnel référent. On peut penser que les personnes de confiance, quant à elles, n’ont pas conscience de l’importance potentielle de leurs rôles. Ces dernières décennies, l’implication des proches a évolué, comme le décrit Orfali : après une phase de toute puissance thérapeutique, au cours de laquelle « le monde objectif et rationnel de la médecine ne peut que se dissocier du monde subjectif de la famille caractérisé par les émotions et l’affectif » [5], l’évolution actuelle se fait vers la participation maximale du patient lorsqu’il est conscient, au nom du principe d’autonomie. En cas d’incapacité pour lui de s’exprimer, c’est la participation de ses proches, notamment de sa personne de confiance, qui est sollicitée. Ceci conduit à la présence d’un partenaire supplémentaire dans la relation entre le médecin et le malade, ce qui « dissout au cas par cas le fossé entre profanes et médical, permettant cette socialisation du médical si souvent défendue dans la rhétorique médicale et si peu achevée dans la pratique » [5]. Le problème de la méconnaissance de la loi est probablement dû en partie au personnel médical, qui ne prend pas assez en compte l’ensemble des missions de la personne de confiance [6], et dont le rôle majeur de sensibilisation semble insuffisamment appliqué. Cinquante-six pour cent des soignants disent ne jamais ou rarement savoir qui est la personne de confiance du patient dont ils s’occupent, seuls 5 % disent le savoir toujours [1]. À ce propos, Manaouil et al. se posent la question de savoir s’il existe « un manque d’implication ou d’adhésion des soignants au principe même de la personne de confiance », et s’il faut rechercher une « défiance face à une éventuelle » concurrence « de la famille » [7]. Presqu’un tiers (32 %) des personnes de confiance estimant connaître leurs rôles, pensent que c’est leur propre avis qui est demandé en cas d’incapacité pour le patient de s’exprimer. Ce chiffre montre la méconnaissance de la loi, mais également les limites de la personne de confiance. Des études aux États-Unis avaient déjà montré que plus des 2/3 des « surrogates » n’étaient pas certains de rapporter les souhaits du patient. De plus, même après avoir échangé entre eux, dans plus d’un tiers des cas, patient et personne de confiance prendraient des décisions différentes dans des situations décrites [8,9]. Ces résultats concordent avec ceux de Suhl et al. : seuls 59 % des binômes patient/personnes de confiance partageaient le même avis à propos de situations fictives [10]. Sur le plan éthique, ces chiffres soulèvent des interrogations sur le principe d’autonomie du patient : que devient-il lorsque le malade ne peut s’exprimer ? À noter que le concept d’autonomie peut prendre différentes significations : de l’autonomie kantienne, qui s’oppose à l’héréronomie, et renvoie à la dignité de la personne, à l’autonomie au sens plus « libéral » d’auto détermination, qui renvoie lui au consentement libre et éclairé du malade et à sa responsabilité. La personne de confiance permet au patient, par son intermédiaire, de

La personne de confiance : analyse de sa posture dans notre pratique continuer d’exercer, « d’une certaine manière », son autonomie en étant le porte parole de ses choix et volontés. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer les questionnements suivants : comment notre autonomie peut-elle s’exercer à travers un autre ? À quel point la personne de confiance peutelle participer à « maintenir » cette autonomie, sachant que ces différentes études révèlent une certaine fragilité dans la qualité de la transmission des souhaits des patients ? Comment obtenir un reflet plus exact des idées du patient qui ne peut participer aux décisions le concernant ? À noter que les questionnaires de l’étude n’abordaient pas la problématique du prélèvement d’organe en vue d’un don. La fiabilité de la personne de confiance dans ce domaine n’a donc pas été évaluée, mais la question est réellement légitime au vu des résultats de notre enquête et des trois études citées précédemment, qui mettent en lumière des points des discordants entre patients et personnes de confiance, pour une même situation. . . Ceci soulève l’importance de la communication entre le patient et ses proches, du fait de leur interdépendance. Si la personne de confiance ne peut se substituer complètement à l’autonomie du patient, peut-être est-elle davantage en mesure de se rapprocher du principe de « konomie », c’està-dire « celui qui permet de » donner sa loi, « dire son choix en acceptant le processus d’interaction si riche et si propre à la décision humaine » [11]. Cependant, il ne peut s’agir strictement du principe de konomie, qui nécessite la participation active du patient, responsable d’une décision qui doit faire sens pour tous (notamment pour sa personne de confiance), mais pour chacun différemment. Aucune parole n’est susceptible de remplacer celle du patient, même s’il a beaucoup échangé auparavant avec sa personne de confiance et ses autres proches. Il n’est pas possible d’évoquer tous les cas de figure, de savoir ce que penserait le patient dans la situation précise où il se trouve, puisque le point de vue de chacun évolue en fonction du contexte. De plus, si une parole est portée par une personne ayant un lien affectif avec le patient, il lui sera très difficile de ne pas faire remonter ses propres questionnements et positionnements. On peut se demander si l’avis des médecins est plus « raisonnable » à prendre en compte que celui de la personne de confiance lorsque le patient ne peut s’exprimer. Mais le risque est alors de faire preuve de paternalisme médical. Barazzetti évoque cette situation, estimant qu’« interférer dans l’exercice de cette capacité de faire des choix autonomes grâce auxquels la personne donne sens à sa vie, relèverait d’une forme inacceptable de paternalisme » [12].

Fin de vie Le sujet de la fin de vie reste un sujet très tabou entre les patients et leurs proches, la réalisation du questionnaire ayant parfois permis d’aborder de fac ¸on indirecte ce sujet, sujet qui provoque angoisse, émotion, comme évoqué dans une étude réalisée en 2005 en réanimation [13]. Le fait d’aborder les directives anticipées avec les patients, et donc de se projeter dans une phase d’aggravation de la maladie et dans l’approche de la mort, peut engendrer un malaise, réveiller des angoisses, aussi bien de la part du soigné que du soignant, ces émotions empêchant de réfléchir sereinement, d’avoir du recul pour

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évoquer ce sujet délicat. L’hospitalisation signe un état de santé fragilisé au moins de fac ¸on temporaire, est-ce le moment d’évoquer une aggravation de l’état de santé allant jusqu’à ne pas pouvoir exprimer sa volonté ? Il peut sembler plus aisé d’en parler à distance d’un épisode aigu, au calme, mais l’avis émis à ce moment peut, et risque, d’être différent de l’avis exprimé en situation critique. . . Quel est alors le meilleur moment pour y penser ? Probablement, ce moment est propre à chaque patient, d’où l’importance pour les acteurs de santé référents (infirmière à domicile, médecin traitant, spécialistes. . .) de se coordonner autour du patient afin de dépister le moment opportun pour chacun. Aborder ce sujet peut parfois, au contraire, libérer la parole du patient, le soulager d’un poids, permettant de servir la confiance entre les deux protagonistes, de renforcer positivement la relation avec le professionnel de santé, relation qui a en elle-même des bénéfices thérapeutiques.

Responsabilité Le rôle de la personne de confiance tel qu’il est décrit dans la loi implique une grande responsabilité de celle-ci, pouvant avoir un retentissement psychologique non négligeable sur la personne désignée, d’où l’importance de l’encadrer, de lui expliquer précisément son rôle. Ceci est particulièrement vrai lors de son implication dans une décision de limitation ou d’arrêt de thérapeutique active. Une étude a montré que 80 % des proches de patients impliqués dans une telle décision présentaient un syndrome de stress posttraumatique 6 mois plus tard [14]. Il s’avère que dans notre étude, seules 2 personnes de confiance évoquent spontanément cette notion de responsabilité dans la question sur le ressenti lors de la désignation, et seules 4 estiment que ce rôle engendre « trop de responsabilité ». Ces faibles chiffres s’expliquent peut-être par le fait que, ne connaissant pas le cadre législatif, elles ne réalisent pas les responsabilités suggérées par le fait d’être désignées, et sous-estiment leurs rôles. De plus, seules 6 personnes de confiance avaient déjà été amenées à prendre une décision alors que le patient ne pouvait pas s’exprimer lui-même, ce qui est insuffisant pour être représentatif de la population. En termes de responsabilité, le rôle des personnes de confiance tend à prendre de l’ampleur : par exemple, dans le cadre de la sédation des personnes en phase terminale incapables d’exprimer leur volonté, l’avis 121 du Comité consultatif national d’éthique estime que « l’avis de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches, sera évidemment à prendre en compte » [15]. La médecine actuelle, du fait des admirables progrès scientifiques, repousse toujours plus loin les possibilités de suppléer les défaillances d’organes, permettant une survie « artificielle » à de nombreux patients. En contrepartie, ces techniques ultra spécialisées engendrent des situations extrêmement complexes d’un point de vue éthique, avec nécessité de prendre des décisions parfois douloureuses. D’une part, les médecins sont confrontés à de nouvelles responsabilités, non seulement sur le plan technique, médical, mais aussi sur le plan social et sur le plan humain. Jonas développe cette notion de responsabilité et se pose d’ailleurs la question de savoir « jusqu’à quel point l’art médical doit-il aspirer à différer la mort prématurée, ce qui est depuis toujours sa tâche ? » [16].

176 D’autre part, par la même occasion, les personnes de confiance ont, elles aussi, de nouvelles responsabilités liées à ces progrès. Or selon le dictionnaire Lalande, la responsabilité est l’« acceptation des suites naturelles de ses actes, en soi-même et dans les autres, — ou l’attitude de l’agent qui accepte les conséquences de ses actes » [17]. La médecine a une part d’imprévisible, d’inconnu, qui rend complexe la responsabilité d’un choix dont les conséquences sont, justement, imparfaitement connues. . .

Conclusion Cette étude montre donc de nombreuses discordances entre les rôles de la personne prévus par la loi et leurs rôles en pratique quotidienne, en lien avec une méconnaissance des textes législatifs. L’importance et les implications de la désignation en termes de responsabilité semblent sous-estimées aussi bien par les patients que par les proches. D’un point de vue éthique, devant les conséquences psychologiques potentielles que fait porter la responsabilité d’être personne de confiance, il est intéressant d’évoquer la place des psychologues lors de ces démarches. Ces professionnels pourraient par exemple former les autres acteurs de santé à accueillir les émotions du patient et de ses proches, lors de l’évocation de sujets sensibles. De même, il pourrait être intéressant que chaque service ait un membre « référent » en termes de personne de confiance, un professionnel de santé sensibilisé à cette notion, disponible tant pour les patients, que pour les proches et pour l’équipe médicale et para-médicale. En effet, cette loi répond aux attentes de la société, et mérite d’être mieux connue et appliquée, dans l’intérêt des patients.

Remerciements Nous remercions chaleureusement Mme Nikki SabourinGibbs, CHU de Rouen, pour son aide concernant la traduction du résumé en anglais.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

M. Khetta et al.

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