La place du médicament dans la bande dessinée Tintin

La place du médicament dans la bande dessinée Tintin

PHCLIN-475; No of Pages 9 Rec¸u le : 7 novembre 2016 Accepte´ le : 17 janvier 2017 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ...

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PHCLIN-475; No of Pages 9

Rec¸u le : 7 novembre 2016 Accepte´ le : 17 janvier 2017

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com



Article original

La place du me´dicament dans la bande dessine´e Tintin Medication in Tintin’s cartoon B. E´douarda,*, A. Payenb, L.-A. E´douard-Rambautc, L.-G. E´douard-Rambautc, G. Camusa, A. Deldicquea, L. Lefeuvrea, R. Gaveaua, M. Pailleta,d, C. Payena a

Service de pharmacie, HIA Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart cedex, France b Air France-KLM, 45, avenue de Paris, 95747 Roissy CDG cedex, France c Faculte´ des sciences, universite´ Paris-Sud, universite´ Paris-Saclay, 91405 Orsay cedex, France d De´partement de formation continue, faculte´ de pharmacie, universite´ Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cite´, 75270 Paris cedex 06, France

Summary Introduction. Les Aventures de Tintin is a cartoon which has been studied about medical problems but not specifically on medications. Aim. To characterize the interactions between Tintin characters and medications. Methods. All interactions between Tintin characters and medications were recorded. A descriptive analysis was conducted. Results. Forty-eight interactions were recorded in 18 albums. Explicit interactions are often related to Captain Haddock character, classical period albums, administration by non-professionals and intoxications. Industrially manufactured medications include quinine, aspirin, chloroform, oxygen, and GastralgylW. Pharmaceutical formulations include camphorated alcohol. Discussion-conclusion. In Les Aventures de Tintin, the picture of medication is rich but obsolete and disconnected from reality. Its representation is almost a parody and oscillates between a consumer product and an experimental one, between a use as a toxic and a use

Re´sume´ Introduction. La bande dessine´e Tintin a de´ja` e´te´ e´tudie´e sur les proble`mes de sante´, mais pas spe´cifiquement de fac¸on approfondie sur les aspects me´dicamenteux. Objectif. Caracte´riser les interactions, re´elles ou manque´es, entre les personnages de Tintin et le me´dicament. Me´thode. Collationner toutes les interactions entre les personnages de Tintin et le me´dicament dans tous les albums parus. Analyse descriptive des interactions : par anne´es de parution des albums, par personnage interagissant, par type de situation, par type de professionnel interagissant, par classe me´dicamenteuse, par ade´quation. Re´sultats. Quarante-huit interactions explicites ont e´te´ releve´es. Elles concernent 18 des 24 albums. Les interactions explicites les plus fre´quentes concernent le personnage du Capitaine Haddock et les albums de la pe´riode classique. Les circonstances d’apparition les plus fre´quentes sont l’administration par un non-professionnel et les intoxications. Les me´dicaments industriels identifie´s sont la

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (B. E´douard). http://dx.doi.org/10.1016/j.phclin.2017.01.117 Le Pharmacien Hospitalier et Clinicien 2017;xxx:1-9 2211-1042/ß 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

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as an antidote, having only a limited role for the treatment of actual diseases. ß 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Cartoon, Herge´, Medication, Tintin

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quinine, l’aspirine, le chloroforme anesthe´sique, l’oxyge`ne et le GastralgylW, ainsi que des pre´parations (alcool camphre´, alcool iode´). Discussion-conclusion. Les Aventures de Tintin pre´sentent une image riche du me´dicament, mais date´e et de´connecte´e de la re´alite´. Marque´ par l’e´poque coloniale meˆme pour les albums les plus re´cents, le me´dicament semble d’action imme´diate, quasi-magique, et rele`ve davantage d’une invention ge´niale que d’une recherche syste´matise´e. Sa repre´sentation quasi-parodique oscille entre un produit banal et un objet de recherche, entre un emploi de´tourne´ comme toxique et un usage d’antidote, n’ayant au fond qu’un roˆle limite´ dans le traitement des ve´ritables maladies. ß 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Bande dessine´e, Herge´, Me´dicament, Tintin

Introduction Les Aventures de Tintin, parues entre 1930 et 1986 et traduites a` plus de 70 millions d’exemplaires dans presque toutes les langues, refle`tent pleinement les reˆves et les aspirations du 20e sie`cle dans tous les domaines. Formidables albums de voyage, ils nous ouvrent a` la curiosite´ du monde, au gouˆt de l’aventure et de la de´couverte. Herge´ nous donne a` rire, a` penser, a` inventer, selon la formule preˆte´e a` Michel Serres [1]. Le souci du de´tail, les qualite´s graphiques et narratives de cette bande dessine´e portent notre imaginaire et notre envie de savoir, ce qui en fait selon l’expression de Claude Le´viStrauss la bande dessine´e la plus respectueuse des coutumes du monde [2]. La pre´cision ou, au contraire, les invraisemblances des de´tails portant sur certains aspects scientifiques dans la bande dessine´e Tintin ont e´te´ publie´es [3,4]. Les proble`mes de sante´ ont de´ja` fait l’objet d’e´tudes, que ce soient la pathologie traumatique, les addictions ou les troubles psychiques [5–9]. En revanche, la question du me´dicament n’a pas e´te´ aborde´e en tant que telle : une courte note parue en 2005 dans la Revue d’Histoire de la Pharmacie e´voque quelques me´dicaments, substances et toxiques auxquels les personnages de Tintin sont confronte´s [10] et une the`se plus re´cente dresse un inventaire assez exhaustif des me´dicaments et des plantes me´dicinales recense´s au fil de la lecture des albums [11] mais sans qu’une analyse plus approfondie soit re´alise´e. L’objectif de cette e´tude est de caracte´riser les diffe´rentes interactions, re´elles ou « manque´es », entre le me´dicament et les personnages de Tintin et d’en discuter la nature.

Mate´riels et me´thodes Les 24 albums de Tintin signe´s d’Herge´ ont e´te´ inclus (y compris Tintin et l’Alph-Art, album posthume inacheve´). Les albums de´rive´s de films (ex : Tintin et le myste`re de la Toison

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d’or) ou de dessins anime´s (ex : Tintin et le lac aux requins) ont e´te´ exclus. Chaque album a e´te´ lu inde´pendamment par au moins deux auteurs. Toutes les interactions explicites entre un me´dicament, y compris un me´dicament non identifie´, et un personnage de Tintin ont e´te´ releve´es de fac¸on syste´matique et prospective au cours de la lecture. Ont e´galement e´te´ recueillies les interactions « en creux », c’est-a`-dire lors d’absences du me´dicament dans des situations ou` il aurait du ˆ logiquement apparaıˆtre : a` la suite d’une consultation ou visite me´dicale, lors de soins d’urgence ou d’hospitalisation, en pre´sence de signes cliniques dont la gravite´ aurait justifie´ une prise en charge compatible avec le sce´nario. Chaque interaction a fait l’objet d’une fiche de recueil (Cf. annexe 1) qui a e´te´ analyse´e conjointement par les auteurs ayant lu l’album en question. Les divergences e´ventuelles ont e´te´ re´solues par consensus. Il a e´te´ proce´de´ a` un de´nombrement global des interactions ainsi qu’une analyse par date de parution des albums, par personnage implique´, par type de situation (prescription, dispensation, administration par un professionnel, autome´dication, intoxication. . .), par type de professionnel implique´ (me´decin, pharmacien, infirmier, autres), par classe (ATC) de me´dicaments, par ade´quation de l’utilisation (prescription, conditions de prise, conditions de dispensation. . .), par survenue d’e´ve`nements inde´sirables (effets secondaires, inefficacite´, erreurs me´dicamenteuses, contrefac¸on). L’analyse historique a e´te´ conduite en distinguant trois pe´riodes, selon la classification de Numa Sadoul [12] : les albums pre´coces (avant le Lotus bleu), ceux de la pe´riode classique et les derniers albums a` partir de Tintin au Tibet. Ont e´te´ inclus les produits pre´sente´s sous une forme pharmaceutique classique (comprime´s, ge´lules, seringues. . .), les produits pre´sente´s comme posse´dant des proprie´te´s curatives ou pre´ventives a` l’e´gard des maladies humaines ou animales et les produits pre´sente´s comme diminuant l’appe´tence a` un toxique, meˆme en cas de me´susage. Les substances ou compositions ne re´pondant pas a` cette de´finition, notamment

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stupe´fiants a` vise´e re´cre´ative et toxiques sous forme non pharmaceutique, ont e´te´ exclues.

Re´sultats Tous les albums (n = 24) ont e´te´ lus par au moins deux auteurs. Au total, 203 fiches ont e´te´ re´dige´es, dont 40 ont e´te´ exclues

apre`s analyse conjointe (doublons, crite`res d’inclusion non respecte´s. . .) : 163 interactions ont e´te´ releve´es, dont 48 interactions explicites et 115 interactions « en creux ». Les interactions explicites (tableau I) les plus fre´quentes concernent le personnage du Capitaine Haddock (n = 15) et les albums de la pe´riode classique. Les circonstances d’apparition du me´dicament les plus fre´quentes sont l’administration par un non-professionnel (n = 12) et les intoxications (n = 6).

Tableau I Quel me´dicament dans quel album ? Which medicines in which album? Album

Page

Anne´e

Tintin au Congo

10–11

1931

Tintin au Congo Tintin au Congo

20 34

1931 1931

Les cigares du pharaon Les cigares du pharaon Le lotus bleu Le lotus bleu Le lotus bleu

33 34 11 23 49

1934 1934 1936 1936 1936

Le lotus bleu

60

1936

L’oreille casse´e L’ıˆle noire

30 15

1937 1938

L’ıˆle noire

18

1938

Le crabe aux pinces d’or

45

1941

Le Le Le Le Le

20 29 29 54 32

1943 1943 1943 1943 1949

Au pays de l’Or noir Au pays de l’Or noir Au pays de l’Or noir

59–60 61–62 62

1950 1950 1950

Objectif Lune

18

1953

Objectif Lune

22

1953

Objectif Lune

36

1953

Objectif Lune

44

1953

Objectif Lune

53

1953

On a marche´ sur la Lune

12

1954

On a marche´ sur la Lune

26

1954

secret de la Licorne secret de la Licorne secret de la Licorne secret de la Licorne temple du Soleil

Interaction explicite Tintin applique une solution externe sur Milou pour le soulager de piquˆres de moustiques Tintin administre des « cachets » de quinine a` un indige`ne Babaorom Le boa qui a avale´ Milou et qui a des difficulte´s a` le dige´rer envisage de prendre du bicarbonate de soude Tintin rec¸oit une trousse a` pharmacie sur la teˆte Tintin administre de la quinine a` un e´le´phant fie´vreux (tout le tube sans l’ouvrir) Pre´sence d’une solution buvable sur le chevet de policiers hospitalise´s a` Shangaı¨ Mitsuhirato injecte le contenu d’une seringue a` Tintin Tchang applique une solution (antiseptique ?) sur une blessure par balle subie par Tintin Le Pr Fan-Se-Yeng met au point un me´dicament (« reme`de ») qui gue´rit Didi Je Ghie´ de sa maladie mentale Soin de blessure avec un antiseptique de couleur sombre (alcool iode´ ?) Le Dr Mu ¨ller prescrit un traitement pour Tintin (« traitement B », volontairement ne´faste) Tintin intoxique´ par des vapeurs de chloroforme (bris d’un flacon dans un cabinet me´dical) Tintin pre´tend se rendre a` l’Institut Pasteur pour eˆtre soigne´ d’une morsure de chien enrage´ (vaccin antirabique ?) Emploi par Haddock du terme « sinapisme » comme une injure Emploi par Haddock du terme « gargarisme » comme une injure Emploi par Haddock du terme « emplaˆtre » comme une injure Emploi par Haddock du terme « cataplasme » comme une injure Tintin propose de soigner une engelure d’Haddock par une friction alcoolique (en fait, du whisky) Les Dupondt s’autome´diquent (et s’intoxiquent) avec de l’aspirine frelate´e Tournesol analyse les comprime´s d’aspirine frelate´e qui a intoxique´ les Dupondt Tournesol pre´sente les « cachets » qu’il a pre´pare´ pour traiter la maladie capillaire des Dupondt Me´prise auditive de Tournesol qui croit que Baxter lui recommande de prendre des pastilles pour la toux Les Dupondt pre´sentent une rechute de leur intoxication ancienne a` l’aspirine frelate´e Tournesol conseille a` Haddock l’emploi d’alcool camphre´ pour soulager des douleurs rhumatismales Tournesol pre´sente les bonbonnes (rouges) d’oxyge`ne dans le poste de pilotage de la fuse´e Wolff explique a` Haddock que le rhum embarque´ est re´serve´ pour les urgences (de´pendance d’Haddock ?) Les Dupondt s’autome´diquent avec le reme`de de Tournesol pour traiter une rechute d’un syndrome toxique Pre´sence d’un flacon brun sur une tablette dans l’infirmerie de l’usine atomique a` coˆte´ de Tintin blesse´

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Tableau I (Suite )

Album

Page

Anne´e

Interaction explicite

On a marche´ sur la Lune

61

1954

L’affaire L’affaire L’affaire Coke en

Tournesol Tournesol Tournesol stock

10 19 28 58

1956 1956 1956 1958

Tintin au Tibet Tintin au Tibet Les bijoux de la Castafiore

9 27 55

1960 1960 1963

Vol 714 pour Sydney Vol 714 pour Sydney

9 21

1968 1968

Vol 714 pour Sydney

23–24

1968

Vol 714 pour Sydney

25–27

1968

Vol 714 pour Sydney Vol 714 pour Sydney

30–31 61

1968 1968

Tintin Tintin Tintin Tintin Tintin

33 35 42 46 49–50

1976 1976 1976 1976 1976

3

1986

Le Dr Rotule surveille l’administration d’oxyge`ne (bouteilles rouges) a` Haddock en pre´sence de pompiers Pre´sence d’un bain de bouche dans la salle de bains d’Haddock Pre´sence d’un bain de bouche dans la valise d’Haddock Pre´sence d’une solution buvable sur le chevet des Dupondt hospitalise´s Pre´sence d’une seringue sur la couchette d’un plongeur soigne´ pour traumatisme craˆnien Pre´sence d’une trousse a` pharmacie pour un soin sur Haddock par une hoˆtesse de l’air Emploi par Haddock du terme « emplaˆtre » comme une injure Plusieurs me´dicaments e´jecte´s de la trousse du me´decin d’Haddock suite a` une collision avec Tournesol Un steward apporte a` Carreidas du « GastralgylW » avec un grand verre d’eau Rastapopoulos pre´sente le « se´rum de ve´rite´ » que le Dr Krollspell va administrer a` Carreidas Le Dr Krollspell administre un me´dicament a` Carreidas pour qu’il re´ve`le son nume´ro de compte bancaire Le Dr Krollspell administre a` nouveau un me´dicament a` Carreidas pour qu’il re´ve`le son nume´ro de compte Le Dr Krollspell administre accidentellement le « se´rum de ve´rite´ » a` Rastapopoulos Tournesol conseille a` un journaliste l’emploi de magne´sie pour des maux d’estomac (me´prise auditive sur « amne´sie ») Tournesol administre un me´dicament aux Picaros pour les gue´rir de leur alcoolisme Tournesol surveille les effets de son traitement expe´rimental Tournesol pre´sente son me´dicament expe´rimental pour re´duire l’addiction a` l’alcool Haddock de´robe le me´dicament expe´rimental de Tournesol Alcazar pre´sente a` ses combattants le traitement expe´rimental de Tournesol comme des vitamines Dans un cauchemar d’Haddock, Castafiore l’incite a` prendre son me´dicament (flacon de solution buvable)

et et et et et

les les les les les

Picaros Picaros Picaros Picaros Picaros

Tintin et l’Alph-Art

Les me´dicaments industriels identifie´s sont la quinine, l’aspirine, le chloroforme anesthe´sique, l’oxyge`ne et le GastralgylW, ainsi que des pre´parations (alcool camphre´, alcool iode´). Des substances actives sont cite´es : magne´sie, vitamine C et bicarbonate de soude. Des me´dicaments sans composition explicite sont cite´s (des pastilles pour la toux et un me´dicament expe´rimental) ou apparaissent visuellement : une seringue dans un soin prodigue´ a` un blesse´, un me´dicament buvable dans un cauchemar d’Haddock, deux autres sur le chevet de malades hospitalise´s, deux me´dicaments expe´rimentaux, un me´dicament psycholeptique injecte´ a` des fins crapuleuses, une solution antiseptique pour soigner une e´raflure cause´e par une balle de mitraillette, divers me´dicaments dans le ve´hicule d’un me´decin, un bain de bouche dans la salle de bains puis la valise d’Haddock. Des conditionnements non de´taille´s de me´dicaments (trousses a` pharmacie) sont repre´sente´s a` plusieurs reprises. Des me´dicaments sont simplement e´voque´s, parfois meˆme de manie`re indirecte : un vaccin (ou un se´rum) antirabique est sugge´re´ dans Coke en stock. Des noms de formes pharmaceutiques anciennes apparaissent parmi les nombreuses injures profe´re´es par le Capitaine Haddock : cataplasme, gargarisme, emplaˆtre, sinapisme. D’autres sont de simples me´prises dues a` l’hypoacousie de

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Tournesol : pastilles pour la toux a` la place de « vous dire que tout », magne´sie au lieu d’amne´sie. Les voies d’administration les plus employe´es sont :  la voie orale (n = 19) ;  l’injection (n = 7) ;  l’application cutane´e (n = 5). Les classes the´rapeutiques concerne´es sont :  les me´dicaments du syste`me nerveux central (classe ATC N) (n = 8) ;  les antidotes et antitoxiques (classe ATC Z) (n = 8) ;  les me´dicaments a` vise´e dermatologique (classe ATC D) (n = 5) ;  les me´dicaments de la sphe`re digestive (classe ATC A) (n = 5). Les 115 interactions « en creux » concernent 142 me´dicaments (tableau II). Elles sont rencontre´es surtout dans les quatre albums de la pe´riode pre´coce. Elles concernent surtout les personnages « me´chants » et Tintin (donne´es non pre´sente´es). Les circonstances les plus fre´quentes ou` l’absence du me´dicament, pourtant souhaitable, est note´e sont les traumatismes, les plaies, contusions et blessures lie´es a` des bagarres ou des attaques d’animaux. Les me´dicaments attendus mais absents sont surtout des antiseptiques (classe ATC

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Tableau II Me´dicaments manquants. Missing medicines. ATC Me´dicament manquant

Indication

Nombre de cas par pe´riode Pe´riode pre´coce

A B B C C D D D D D J J J J M N N N N N N R R S S X

He´patoprotecteurs (Artichaud, interfe´ron) Antithrombotiques (AVK, HBPM) Solute´s de remplissage Analeptiques cardiaques (heptaminol, nice´tamide)

He´patite Immobilisation prolonge´e Choc hypovole´mique 1 Malaise vagal, perte de 5 conscience Vasodilatateurs (naftidrofuryl, buflome´dil) Gelure, amne´sie, hypoacousie Antiseptiques Plaie, injection 9 Dermocorticoı¨des ou anti-histaminiques locaux Piquˆre d’insectes He´mostatiques locaux E´pistaxis, plaie 5 He´parinoı¨de local, arnica He´matome 4 Topiques antiseptiques, tulles impre´gne´s Bruˆlure 2 Antibiotiques Plaie souille´e, morsure 1 Antiviraux (amantadine, TamifluW, Oscillococinum) Syndrome grippal Antipalude´ens (quinine, chloroquine) Malaria Vaccin te´tanique Plaie souille´e 1 Anti-inflammatoires non ste´roı¨diens Entorse, fracture Ke´tanse´rine Gelure Antalgiques Douleur, traumatisme 3 Antide´presseurs Syndrome de´pressif Anxiolytiques (phytothe´rapie, benzodiaze´pines) Anxie´te´, amne´sie conversive Chloral, neuroleptiques Psychose aigue 6 ¨ Psychostimulants (cafe´ine, modafinil) Narcolepsie Anti-histaminiques Mal de mer Oxyge`ne Noyade, hypoxie, choc 1 Vasoconstricteurs ORL Coryza Lavage oculaire Irritation oculaire Divers ou non identifie´s Total 38

D, n = 30), des analeptiques cardiaques (classe C, n = 25) et des antalgiques (classe N, n = 12).

Discussion A` l’inverse de Bonnemain et Londo pour lesquels la place du me´dicament e´tait tre`s limite´e dans Tintin [10,11], nous relevons de nombreuses interactions entre les diffe´rents personnages et le me´dicament. Au sens strict, le terme « me´dicament » n’apparaıˆt qu’une fois dans le dernier album, a` l’occasion d’un cauchemar, mais on le retrouve indirectement a` plusieurs occasions. Une premie`re fois dans l’emploi par Castafiore de l’abre´viation populaire « Me´dock » pour nommer le Capitaine et a` plusieurs reprises sous le nom « reme`de » de´signant explicitement des traitements me´dicamenteux : ainsi le « reme`de » pris par les Dupondt afin d’atte´nuer les symptoˆmes de leur intoxication chronique au N14 et celui mis au point par le Pr Fan Se-Yeng pour gue´rir de son de´lire le fils de Wang Je-Ghie´.

Pe´riode Pe´riode classique spirituelle 2

Total chrono

3 19

1

2 1 4 25

2

2

4

17 1

4 1

4 6 1 1 1

5 2 1

1

2 1 2

30 2 5 13 10 3 1 2 1 3 1 12 1 2 7 1 1 6 0 1 4 142

1

7 1 2 1 1 1 5

1

1 4 80

24

L’inte´reˆt d’Herge´ pour le me´dicament est ancien et il apparaıˆt dans certaines de ses autres productions. Il a apporte´ sa contribution de dessinateur a` des publicite´s pour des me´dicaments tels que Ve´ramoneW des laboratoires Schering en 1931 [13] et il a travaille´ en 1960 sur un projet d’album qui devait s’appeler Les Pilules [14]. Les 48 interactions explicites que nous retenons entre « me´dicament » et les personnages de Tintin ne sont pas directement comparables aux re´sultats des travaux ante´rieurs. Bonnemain s’inte´resse, lui, aux me´dicaments, substances et poisons [10] et Londo, de son coˆte´, aux me´dicaments, ve´ge´taux et accessoires pharmaceutiques [11]. Quant a` notre e´tude, elle fait davantage re´fe´rence aux me´dicaments et aux produits qui en prennent l’apparence, en excluant les produits stupe´fiants a` usage non the´rapeutique et les poisons qui ne sont pas pre´sente´s sous une forme pharmaceutique. Dans le cas meˆme ou` l’on ne prend en compte que les me´dicaments au sens strict du mot, nos re´sultats divergent : Bonnemain de´nombre seulement 8 produits me´dicamenteux, inde´pendamment des interactions

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avec les personnages [10] et Londo ne retient que 16 me´dicaments a` la lecture des 23 premiers albums [11]. Nous retrouvons plusieurs occurrences supple´mentaires :  l’oxyge`ne administre´ a` Haddock au retour de l’expe´dition sur la Lune ;  le vaccin rabique sugge´re´ par Tintin pour justifier l’urgence de recourir a` un taxi a` Bagghar ;  le me´dicament en seringue utilise´ pour soigner un hommegrenouille dans Coke en stock ;  les me´dications pre´sentes sur les chevets de blesse´s hospitalise´s ;  les me´dicaments e´jecte´s du ve´hicule du me´decin du Capitaine dans les Bijoux ;  les antiseptiques applique´s pour soigner les blessures par balle de Tintin ou bien le GastralgylW pris par le milliardaire Carreidas. La repre´sentation graphique des me´dicaments dans les diffe´rents albums refle`te en ge´ne´ral l’e´poque. La quinine et l’aspirine se pre´sentent en tubes (le logo caracte´ristique de la firme Bayer est d’ailleurs facilement reconnaissable sur le tube d’aspirine), ce qui est compatible avec la date de parution des albums concerne´s (1931, 1934 et 1950 respectivement). Le GastralgylW est contenu dans un e´tui cartonne´ rouge dans Vol 714 paru en 1968. Le me´dicament expe´rimental des Picaros, paru en 1976, est aussi en tube ce qui n’est pas surprenant a` ce stade du de´veloppement du produit. Les meˆmes formes orales sont indiffe´remment de´signe´es « cachets » ou « comprime´s ». L’oxyge`ne, pre´sente´ en obus de faible capacite´ dans les deux albums relatant l’expe´dition lunaire est curieusement de couleur rouge, mais peut-eˆtre est-ce la couleur normative syldave, il est administre´ au moyen d’un masque facial d’un mode`le compatible avec l’anne´e 1954. Le me´dicament administre´ au plongeur traumatise´ et qui pourrait eˆtre un vaccin te´tanique est pre´sente´ en seringue, sans qu’il soit possible de de´terminer si elle est en verre ou en polypropyle`ne. Une solution buvable au chevet de Dupond est en flacon de verre brun avec une e´tiquette rouge, ce qui laisse entrevoir un me´dicament relevant d’un re´gime de substances ve´ne´neuses. Parmi les divers me´dicaments e´jecte´s du ve´hicule du me´decin des Bijoux, on reconnaıˆt des ampoules « deux pointes », ce qui est logique en 1963, une seringue dans un e´tui, un flacon et des comprime´s divers. Le bain de bouche d’Haddock est, logiquement, en conditionnement « fantaisie ». En revanche, le chloroforme anesthe´sique est en grand flacon de verre alors qu’on aurait pu s’attendre, meˆme en 1938, a` le voir en ampoules. Il est frappant de constater que la prescription me´dicamenteuse est pratiquement absente. Les me´decins n’interviennent quasiment pas sur le me´dicament. A` l’exception du Dr Rotule qui assiste a` l’administration d’oxyge`ne a` Haddock et controˆle son pouls au retour de la Lune, les me´decins ont un roˆle limite´. Ils sont simples observateurs sans action the´rapeutique comme le me´decin de bord du Speedoil Star ou des diffe´rents me´decins des arche´ologues envouˆte´s des Sept

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boules de cristal, ou bien n’interviennent que pour des gestes orthope´diques, de la petite chirurgie ve´te´rinaire, des pansements, la prescription d’un re´gime ou d’un repos, la re´daction de courrier a` un confre`re hospitalier ou une de´cision d’internement. Quand les me´decins prescrivent ou administrent des me´dicaments, il s’agit d’une utilisation de´tourne´e a` des fins crapuleuses par des individus se situant sans ambiguı¨te´ dans le camp des « me´chants » comme le Dr Krollspell dans Vol 714 pour Sydney ou le Dr Mu ¨ller dans l’Iˆle noire. Castillo avance d’ailleurs l’hypothe`se que, dans ces deux derniers cas, les me´decins seraient des nazis [8], ce qu’Herge´ lui-meˆme admet pour Krollspell [12]. La dispensation du me´dicament est absente : aucun pharmacien n’apparaıˆt et aucune officine de pharmacie n’est repre´sente´e dans les paysages urbains ou ruraux des diffe´rents pays visite´s (a` l’inverse des bureaux de tabac et des de´bits de boissons). Concernant l’administration, les soignants, fre´quemment pre´sents lors des secours et dans les sce`nes hospitalie`res, ne sont jamais au contact du me´dicament. Dans les hoˆpitaux, Herge´ les montre poussant des chariots vides ou charge´s de linge ou bien encore apportant la soupe aux hospitalise´s. Il les e´voque dans les Cigares du pharaon par l’image du livre Le petit infirmier qui tombe sur la teˆte de Tintin juste apre`s la trousse a` pharmacie. La plupart des prises en charge sur la voie publique se re´sument a` une simple e´vacuation, sans administration de solute´s injectables ou d’oxyge`ne, meˆme pour les albums re´cents comme lors de l’explosion de la maison du Pr Topolino dans l’Affaire Tournesol. Dans Coke en stock, l’homme-grenouille blesse´ be´ne´ficie d’une injection re´alise´e par un officier de l’e´tat-major du sous-marin et non par un soignant ; il est a` noter que dans certaines marines militaires c’est, en effet, le commandant en second qui est le chef du service me´dical sur les baˆtiments de´pourvus de me´decins [15]. Seul l’oxyge`ne rec¸u par Haddock a` la fin de On a marche´ sur la Lune l’est en pre´sence de soignants, sapeurs-pompiers. L’autome´dication est re´duite a` un couple de personnages humains, les Dupondt, a` deux reprises. Souffrant d’une migraine apre`s une e´tape dans le de´sert, ils prennent ce qu’ils pensent eˆtre un comprime´ d’aspirine, ce qui, loin de les gue´rir, les ame`nera a` une intoxication a` signes digestifs et cutane´s. Plus tard, passagers clandestins de la fuse´e lunaire, ils s’administrent le « reme`de » suppose´ les soulager d’une re´currence de ces meˆmes symptoˆmes d’intoxication. On peut aussi noter une curiosite´ dans Tintin au Congo, un boa doue´ de parole qui pre´sente quelques troubles digestifs apre`s avoir avale´ le chien Milou et annonce : « je devrais prendre un peu de bicarbonate de soude » ! Le me´dicament, la plupart du temps ignore´ des professionnels, fait l’objet, en revanche, de l’attention d’autres personnages de Tintin. Ils deviennent ainsi et de manie`re occasionnelle des prescripteurs de me´dicaments ou en conseillent l’usage. Tournesol pre´conise l’emploi de magne´sie a` un journaliste pre´sume´ souffrir de gastralgies ou d’alcool

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camphre´ afin de soulager les douleurs rhumatismales suppose´es d’Haddock. Quelquefois, ils administrent le me´dicament : Tintin et la quinine, Tournesol et ses traitements expe´rimentaux. . . Dans Tintin au Tibet, une hoˆtesse de l’air disposant d’une trousse de secours se propose d’enlever un corps e´tranger pre´sent dans l’œil d’Haddock. Le bon usage du me´dicament, tel qu’on le de´finit actuellement [16,17] est tre`s souvent malmene´, mais ces nonconformite´s doivent toutefois eˆtre relativise´es compte tenu de l’e´poque ou` se situent ces faits. On rele`ve ainsi de l’« aspirine » prise sans eau, de la quinine administre´e sans diagnostic pre´cis ou meˆme sans ouvrir le tube, a` un e´le´phant il est vrai, des me´dicaments expe´rimentaux administre´s par projection « a` la poigne´e » dans l’alimentation collective et contre le gre´ des sujets, une seringue abandonne´e sur la couverture de la couchette du patient, un flacon de me´dicament relevant des substances ve´ne´neuses laisse´ sur le chevet du patient, plusieurs injections sans antisepsie pre´alable de la peau. La seule prescription re´alise´e par un me´decin (celle du traitement B par le Dr Mu ¨ller dans l’Iˆle noire) est non seulement e´tablie a` des fins criminelles contre l’inte´reˆt du patient mais est de plus faite oralement par te´le´phone ! Aucun laboratoire universitaire ou industriel de recherche the´rapeutique n’apparaıˆt mais trois albums e´voquent la conception et l’expe´rimentation de me´dicaments nouveaux. Dans Le lotus bleu, le Pr Fan Se-Yeng, dont on ignore la qualification exacte, meˆme si certains auteurs conside`rent qu’il s’agit d’un neuropharmacologue [3], met au point en quelques jours un me´dicament qui antagoniste avec succe`s les effets d’un toxique. Une de´marche similaire et encore plus rapide est accomplie dans Au pays de l’or noir au profit des de´tectives jumeaux par le Pr Tournesol, qui apparaıˆt dans les Aventures de Tintin comme inventeur en me´canique navale alors de´pourvu de titre universitaire mais dont la profession exacte n’est jamais mentionne´e. Ce savant universel et loufoque poursuivra ses travaux de pharmacodynamie en concevant et produisant dans Tintin et les Picaros le traitement suppose´ gue´rir Haddock de son addiction a` l’alcool. Toutefois, Herge´ ne re´ve`le pas vraiment les laboratoires ou` s’e´laborent ces the´rapeutiques me´dicamenteuses. Certes, on entrevoit celui de Tournesol dans l’Affaire e´ponyme, alors que le Professeur est pre´sente´ comme physicien nucle´aire, spe´cialiste des armes de destruction massive, puis dans les Bijoux alors qu’il s’occupe d’e´lectronique et de recherches sur la te´le´vision en couleur, mais, dans ces deux occurrences, son laboratoire semble de´pourvu d’e´quipements de chimie ou de pharmacologie. La place des intoxications me´dicamenteuses dans cette e´tude est restreinte dans la mesure ou` nous nous sommes cantonne´s aux me´dicaments par pre´sentation. Si certaines sont accidentelles comme celle de Tintin par le chloroforme anesthe´sique et celle des Dupondt par le N14, la plupart sont volontaires, voire meˆme criminelles comme le poison-quirend-fou du Lotus bleu et le se´rum de ve´rite´ de Vol 714.

A` noter que plusieurs e´tudes [10,11,18] avaient releve´ de nombreuses intoxications avec des produits non me´dicamenteux comme le gaz soporifique, le chloroforme-re´actif, le curare ve´ge´tal, l’opium ou diffe´rents spiritueux. . . Les interactions « en creux » sont nombreuses : nous avons e´voque´ les proble`mes de sante´ multiples de Tintin [5,6] ou de ses compagnons [8,18] mais qui ne sont pas pris en charge, la plupart du temps. De plus, des interactions « en creux » peuvent concerner plusieurs me´dicaments (par exemple : antalgiques et antiseptiques pour une plaie traumatique). Si on note la pre´sence de me´dicament lors de certaines hospitalisations, ce n’est pas syste´matique et le me´dicament n’est alors pas repre´sente´ lors de son administration. Les consultations ou visites me´dicales n’aboutissent jamais a` la prescription ou a` l’administration de me´dicament. Lors des soins d’urgences, pour une plaie par exemple, on retrouve dans le dessin d’Herge´ la pre´sence d’un pansement mais il est applique´, a` deux exceptions pre`s, sans antisepsie pre´alable par une solution me´dicamenteuse, meˆme quand la plaie est susceptible d’eˆtre infecte´e : morsure de perroquet, de fe´lin, de chien ou humaine. Lorsque la plaie est souille´e par de la terre, aucun rappel de vaccination antite´tanique n’est envisage´. Les bru ˆ lures, assez fre´quentes, meˆme profondes ou e´tendues, ne sont pas non plus prises en charge par l’application de topiques antiseptiques, tels que la sulfadiazine argentique mais qui n’est disponible que depuis 1968 ou de tulles impre´gne´es (CorticotulleW) [19]. Les gelures ne font pas l’objet d’un traitement me´dicamenteux alors que certains vasodilatateurs e´taient pre´conise´s a` la fin du sie`cle dernier [20]. Les traumatismes craˆniens, nombreux [6], ne font l’objet d’aucun traitement me´dicamenteux, meˆme symptomatique (se´dation, antalgie) : il est toutefois a` noter qu’ils ne sont pas suivis de syndrome postcommotionnel ou d’e´tat de stress posttraumatique, contrairement a` ceux de la litte´rature [21]. Les e´pistaxis ne sont pas traite´es par des he´mostatiques locaux, comme CoalganW qui e´tait depuis 1962 un me´dicament. Les contusions ne font pas l’objet d’application de me´dicaments topiques anti-inflammatoires ou a` vise´e anti-ecchymotique comme la teinture d’Arnica, SyntholW ou He´moclarW, commercialise´ depuis 1962. Plusieurs personnages de Tintin sont victimes de piquˆres d’insectes a` l’e´vidence geˆnantes. Pourtant aucun antihistaminique comme la cre`me Phe´nerganW, commercialise´e en 1948, ou corticoı¨de comme la cre`me Betneval, commercialise´e en 1964, n’est utilise´ [22]. Seul Milou be´ne´ficie au Congo d’une application d’une solution cutane´e qui le gue´rit instantane´ment des œde`mes des piqu ˆ res. Les malaises ou pertes de conscience ne be´ne´ficient pas de traitements suppose´s adapte´s a` l’e´poque comme le SolucamphreW ou le nice´thamide, disponible de`s 1926 [23]. Tintin et ses compagnons voyagent de 1936 a` 1976 en zone impalude´e : Congo, Amazonie, Inde, Chine, Ne´pal, Indone´sie. . . sans chimioprophylaxie antipalustre apparente ce qui peut surprendre dans la mesure ou` cette attitude a e´te´ pratique´e de`s le de´but du 20e sie`cle [24] avant de se ge´ne´raliser apre`s la 1re

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B. E´douard et al.

guerre mondiale. Cette absence peut toutefois s’expliquer par les circonstances de certaines aventures : ni l’expe´dition dans l’archipel indone´sien ni les escapades en foreˆt amazonienne n’e´taient initialement pre´vues pour Tintin et ses compagnons, qui ne devaient rester qu’en zone urbaine ce qui ne justifiait pas force´ment de chimioprophylaxie. Lors de troubles psychiques ave´re´s (de´lire), une hospitalisation dans un service spe´cialise´ est souvent demande´e [9], mais aucun traitement me´dicamenteux n’est entrepris, par le chloral par exemple, connu de`s le 19e sie`cle, ni par les premiers neuroleptiques apre`s 1952 [23]. Les symptoˆmes anxieux et de´pressifs ne sont pas non plus traite´s par des me´dicaments. L’amne´sie posttraumatique, sans doute conversive, de Tournesol dans Objectif Lune est traite´e par des moyens non pharmacologiques alors qu’elle aurait pu be´ne´ficier d’un traitement anxiolytique [25] et que, a` l’e´poque (1954) les extraits de Gingko biloba e´taient prescrits dans les troubles cognitifs du sujet aˆge´ [26]. Les plaies par balle entraıˆnent en ge´ne´ral le recours a` la chirurgie, sans antibioprophylaxie ce qui est logique pour les albums d’avant 1955 mais pas pour les suivants [27]. En cas d’immobilisation orthope´dique, aucun traitement antithrombotique n’est associe´, mais tous les cas sont ante´rieurs aux anne´es 1990 ou` ce sujet a commence´ a` eˆtre de´battu [28]. Le mal de mer n’est traite´ dans l’E´toile myste´rieuse que par des petits moyens comme la position allonge´e. Il est notable qu’en 1942, date de parution de cet album, les antihistaminiques n’avaient pas leur place dans cette situation puisque NautamineW et Phe´nerganW n’apparaissent qu’a` partir de 1949 [23] mais l’alcool de menthe e´tait envisageable. Lors de l’expe´dition de Tintin dans la chaıˆne himalayenne en 1963, l’oxyge`ne n’est pas employe´ pour pre´venir l’hypoxie des alpinistes. Pourtant, les premie`res expe´ditions en tre`s haute montagne employant de l’oxyge`ne ont e´te´ rapporte´es de`s 1922 [29]. Par ailleurs, la question de l’hypoxie et de son traitement est pre´sente dans les deux albums relatant l’expe´dition sur la Lune. Le coryza persistant du milliardaire Carreidas n’est pas soigne´, que ce soit par des antihistaminiques, une de´sensibilisation ou des sympathomime´tiques locaux. Certes, cela correspond aux recommandations actuelles [30] mais en 1968, les gouttes nasales type BalsamorhinolW, sur le marche´ depuis 1934, sont encore utilise´es, en France tout du moins. Enfin deux personnages de Tintin sont affecte´s par des maladies chroniques et ne font l’objet, pendant un temps assez long, d’aucun traitement spe´cifique. Haddock pre´sente une addiction a` l’alcool et Tournesol une forte hypoacousie ou une surdite´. Le traitement de l’hypoacousie de Tournesol n’est envisage´ que par des dispositifs me´dicaux et non par des me´dicaments « anti-ische´miques », indique´s dans cette circonstance au moins dans la deuxie`me partie du 20e sie`cle [31]. L’addiction du Capitaine Haddock qui apparaıˆt dans le Crabe aux pinces d’or ne fait l’objet d’un de´but de traitement me´dicamenteux, et encore « contre son plein gre´ », que dans Les Picaros pre`s de 40 ans plus tard, longtemps apre`s l’arrive´e sur le marche´ du disulfirame [32].

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S’agissant des e´volutions au cours du temps, nous avons repris la distinction de Numa Sadoul [12] en trois pe´riodes (avant le Lotus ou` les planches dessine´es e´taient re´alise´es semaine apre`s semaine sans sce´nario d’ensemble, la se´rie classique du Lotus jusqu’au Tibet non compris et les albums a` porte´e spirituelle ensuite. On rele`ve une augmentation de la pre´sence des me´dicaments : 1,3 me´dicament par album avant le Lotus, 1,9 dans la se´rie classique, 3,0 a` partir du Tibet. Il est inte´ressant de noter la part pre´ponde´rante des albums pre´coces dans les traumatismes craˆniens ainsi que leur manque de re´alisme : dans Au pays des Soviets, l’explosion survenue dans le train vers Berlin entraıˆne la disparition de 218 passagers et la destruction de 14 voitures sans que Tintin en soit affecte´ et, dans Tintin en Ame´rique, le choc violent d’une locomotive contre une charrette de foin n’a pour conse´quences que quelques de´chirures de veˆtements sans atteintes corporelles. . . Tous les personnages principaux, he´ros re´currents, n’ont pas les meˆmes interactions avec le me´dicament. Le Capitaine Haddock, pourtant apparu tardivement dans les Aventures, est le personnage le plus implique´, essentiellement en tant que patient ou sujet d’expe´rimentation, principalement en tant que ressort comique. Tintin et Tournesol, a` l’inverse, interviennent de manie`re plus active, soit en administrant le me´dicament comme Tintin, arche´type du personnage responsable, soit en le concevant, le produisant ou le conseillant comme Tournesol, personnifiant le savoir.

Conclusion Les Aventures de Tintin pre´sentent une image certes riche du me´dicament mais date´e et quelque peu de´connecte´e de la re´alite´. Marque´ par l’e´poque coloniale d’avant la 2e guerre mondiale meˆme pour les albums les plus re´cents, le me´dicament semble d’action imme´diate, quasi-magique, et rele`ve davantage d’une invention ge´niale que d’une recherche syste´matise´e. Sa repre´sentation quasi-parodique oscille entre un produit banal et un objet de recherche, entre un emploi de´tourne´ comme toxique et un usage d’antidote, n’ayant au fond qu’un roˆle limite´ dans le traitement des ve´ritables maladies. De´couvert par des savants isole´s, peu prescrit, jamais dispense´, rarement administre´ par des professionnels, il ne trouve une place clinique que dans les soins de petite urgence et la pharmacie ve´te´rinaire. De´tournements, me´susages, contrefac¸on, vol, pre´sentations errone´es, me´prises. . . abondent, autant de marques du faux. Le me´dicament apparaıˆt moins comme une partie re´aliste du de´cor de l’aventure que comme un outil narratif, partie prenante de l’intrigue imaginaire.

De´claration de liens d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts.

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La place du me´dicament dans la bande dessine´e Tintin [6]

Annexe 1. Fiche de recueil Collecting data sheet P1 : FICHE DE RECUEIL (remplir 1 fiche par interaction, plusieurs si interactions multiples) No Faire une fiche aussi si apparition d’un pharmacien ou d’une pharmacie. Re´dige´e par : Album :

Date : E´dition :

Ve´rifie´e par : Page :

Date :

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Entourer les re´ponses adapte´es : Interaction : Explicite (il y a un me´dicament) En creux (il n’y a pas de me´dicament, il devrait y en avoir). Personnage implique´ : Tintin – Haddock – Tournesol – 1 des Dupondts – Milou – Nestor – Rastapopoulos – Allan – Mu ¨ller – Sponz – Szut – Castafiore – Wagner – Boucher Sanzot – Lampion – Artisan de Moulinsart – Alcazar/Zarate – Emir du Khemed – Abdallah – Capone – Tchang – Autres « gentils » – Autres « me´chants » – Autres

[11]

[12] [13] [14] [15]

Mentionner identite´ si « autres » :

[16]

Type d’interaction (IA) (y compris IA en creux - attendue non pre´sente) : Prescription – Dispensation – Administration par professionnel – Autome´dication – Intoxication accidentelle – Intoxication volontaire – Autre

[17]

Sujet interagissant (ou qui aurait du interagir si IA en creux) : Me´decin – Pharmacien – Infirmier – Patient – Autre

[18] [19] [20]

Me´dicament existant cite´ (mentionner exactement comme il est cite´) :

[21]

Me´dicament existant repre´sente´ mais non cite´ (mentionner le maximum de pre´cisions) :

[22]

Me´dicament ni repre´sente´ ni cite´ mais explicite (mentionner le maximum de pre´cisions) :

[23]

Me´dicament « manquant » (cas d’IA en creux : mentionner le maximum de pre´cisions) :

[24]

Conditions ade´quates : oui / non a` pre´ciser dans tous les cas :

[25]

Y a-t-il une erreur me´dicamenteuse : oui / non Y a-t-il une contrefac¸on de me´dicament : oui / non [26]

Re´fe´rences [1] [2] [3] [4] [5]

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