La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ?

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G Model

ARTICLE IN PRESS

ENCEP-943; No. of Pages 6

L’Encéphale xxx (2016) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Revue de la littérature

La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Follow-up interventions after suicide attempt. What tools, what effects and how to assess them? E. Castaigne a,b,c , P. Hardy a,b,∗,c , F. Mouaffak a,b,c a

Service de psychiatrie de Bicêtre, université Paris-Sud, 94276 le Kremlin-Bicêtre, France Université Paris-Sud, U1178, 78, rue du Pr-Leclerc, 94276 le Kremlin-Bicêtre cedex, France c INSERM, 75679 Paris, France b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : ´ 2015 Rec¸u le 12 fevrier Accepté le 18 janvier 2016 Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Tentative de suicide Veille sanitaire Rappels téléphoniques Prévention Engagement dans les soins

r é s u m é La majorité (60 à 70 %) des suicidants pris en charge en milieu hospitalier est orientée vers un retour à domicile. La prise en charge posthospitalière vise à prévenir les récidives suicidaires en réduisant les facteurs de risque suicidogènes, tels que les troubles psychiatriques et les facteurs de risque psychosociaux. Le faible engagement des suicidants dans les soins proposés (effectif dans 10 à 50 % des cas) représente toutefois un facteur limitant pour l’efficacité de ces prises en charge. Depuis plus de 20 ans, celles-ci font l’objet d’études centrées sur des dispositifs ditS de « de veille sanitaire », qui incluent des dispositifs tels que les services d’accueil téléphonique, les adressages de courriers, les rappels téléphoniques programmés et les visites à domicile. Les difficultés méthodologiques soulevées par de telles études expliquent pour une bonne part l’hétérogénéité des résultats observés. L’efficacité de ces dispositifs sur la récidive suicidaire à moyen terme (12 à 18 mois) n’a ainsi pas été confirmée. Leur efficacité, en termes, d’engagement des patients dans les soins posthospitaliers, n’a fait l’objet que de peu de travaux, ce qui explique en partie l’absence de résultats concluants en la matière. Faciles à mettre en œuvre, relativement peu coûteux, très bien acceptés par les usagers, ces dispositifs devraient connaître un développement de leur utilisation et faire l’objet de nouvelles recherches focalisées sur l’engagement dans les soins. ´ Paris. © 2016 L’Encephale,

a b s t r a c t Keywords: Suicide attempt Follow-up intervention Telephone contact Prevention Treatment engagement

After attempting suicide, 60 to 70% of patients are discharged from emergency departments and referred to outpatient treatment which entails psychosocial strategies, pharmacological strategies or a combination. The main objective of outpatient care consists in preventing recurrent suicidal behavior. Yet suicide attempters have been found to be very difficult to engage in treatment. Between 11% and 50% of attempters refuse outpatient treatment or drop out of outpatient therapy very quickly. In order to address this extremely serious issue, for the past 20 years monitoring or follow up interventions has been presented as a promising approach. Follow-up intervention is defined as a service that aims at both increased access to and engagement in care as well as to prevent suicide and related behaviors. This approach consists in “stay in contact” or “connectedness” protocols using phone calls or tele-assistance, sending letters, email or mobile phone messages and medical visits or nursing at home. From one study to another these tools have been used separately, associated to one another or reinforced by motivational interviewing or brief psychotherapy. To our knowledge, since 1993 16 controlled and randomized controlled studies assessed the effectiveness of diverse follow-up. Four studies assessing telephone follow up reported a significant decrease in suicide reattempt while one study evaluating a sending letters strategy reported positive results. Among five studies assessing engagement in healthcare, only two (one using phone follow up

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Hardy). http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004 ´ 0013-7006/© 2016 L’Encephale, Paris.

Pour citer cet article : Castaigne E, et al. La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004

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and the other sending letters reported significantly positive results. The refusal rate of monitoring strategies has not exceeded 11% attesting to the high applicability of these methods. Despite several positive results, we cannot draw firm conclusions on replicability of these results. This is largely due to methodological issues: lack of standardization of interventions, lack of consensus on definition of the main measured variables (recurrent suicidal behavior, engagement in healthcare) but also to the confounding effect of other care approaches frequently associated with follow up intervention services. Further studies and research should be conducted as follow-up intervention services are increasingly used in suicide prevention because of their good acceptability and usefulness. ´ Paris. © 2016 L’Encephale,

1. Introduction En France, on estime à 220 000 le nombre de passages aux urgences pour tentative de suicide (TS) [1]. Ces patients présentent dans 80 % des cas un trouble clinique psychiatrique et dans 25 % des cas un trouble de la personnalité [2]. Les récidives suicidaires sont fréquentes : 10 publications récentes [3–13] rapportent un taux de récidive à un an compris entre 5,1 % et 27,2 % pour les groupes témoins, avec une médiane à 17,3 %. Les TS représentent, enfin, l’un des principaux facteurs de risque suicidaire : 40 % des suicides ont été précédés d’une TS, tandis que 1 à 6 % des suicidants se suicident au cours de l’année qui suit leur acte [14]. Le risque de suicide « vie entière » est évalué à 12 % par Runeson et al. [15]. La prise en charge des suicidants a pour objectif de réduire les facteurs de risque suicidogènes en vue d’améliorer la santé mentale des patients et de prévenir les récidives. Elle est particulièrement complexe chez les suicidants orientés vers un retour à domicile qui représentent 2/3 de cette population [16]. Les facteurs de risque suicidogènes sont en effet très divers, ce qui implique des stratégies de soins multimodales et adaptées à chaque sujet. L’offre de soins est, par ailleurs, très hétérogène selon les pays et les régions. L’engagement des suicidants dans les soins se heurte, enfin, à d’importants obstacles, surtout s’il s’agit d’une première prise en charge : seuls 10 à 50 % des suicidants suivent ainsi l’orientation thérapeutique proposée [17]. Les soins ambulatoires représentent de ce fait l’un des principaux enjeux de la prise en charge des suicidants. Depuis une quinzaine d’années, un certain nombre de dispositifs regroupés sous le terme d’« outils de veille sanitaire » (OVS) ont été proposés à cette fin et ont fait l’objet d’études scientifiques. Ce travail a pour objectif de présenter ces outils, leur intérêt potentiel, le résultat des études qui leur ont été consacrées, ainsi que les problèmes méthodologiques que soulève leur évaluation. Il s’appuie sur les résultats de 16 études prospectives contrôlées. La recherche bibliographique a été initiée par PubMed, sur la base de données Medline, à partir du descripteur « suicide attempted » et du qualificatif « prevention and control », avec une limitation par le terme « clinical trial ». Elle a été complétée par l’analyse des citations liées (« related citations ») et des références bibliographiques des articles sélectionnés. Seules les études incluant des populations adultes ont été retenues, du fait de la spécificité des problématiques adolescentes. Ces 16 études ont donné lieu à 18 publications entre 1993 et 2012. Quinze de ces études [3–13,18–23] sont des études randomisées. Pour une d’entre elles [24], le groupe contrôle est une population préinterventionnelle. Notre travail s’est également appuyé sur trois revues de la littérature récentes [25–27], deux articles méthodologiques [28–29] et une récente étude contrôlée publiée par notre équipe [30]. 2. Les outils de veille sanitaire (OVS) Il s’agit de programmes applicables à l’ensemble des suicidants, compatibles avec un faible engagement initial du patient dans les

soins et qui ont en commun d’établir avec le patient un contact régulier (une « veille ») au décours de la phase hospitalière. On peut distinguer cinq types d’outils. Les services d’accueil téléphonique : ils mettent à la disposition des patients un numéro de téléphone que ces derniers peuvent appeler à tout moment en cas de besoin. Les répondants sont, soit des professionnels (appartenant parfois à un centre de suicidologie), soit des bénévoles. Les adressages de courrier : des courriers sont adressés à intervalle régulier par l’équipe qui a pris en charge le patient aux urgences. Ils contiennent un message s’inquiétant du devenir du patient et rappellent parfois le numéro de téléphone à contacter en cas d’urgence. Les rappels téléphoniques : ils comportent une série d’appels téléphoniques programmés, habituellement répétés, initiés par un professionnel appelant (le plus souvent psychologue ou infirmier). Réalisés au nom du service d’accueil du suicidant, ils sont présentés comme un moyen de se préoccuper du devenir du patient. Les visites à domicile : elles sont relativement brèves, le plus souvent réalisées par une infirmière. L’objectif est le même que celui des rappels téléphoniques : manifester un intérêt pour le devenir du patient, prendre de ses nouvelles et apporter un soutien. Les outils de communication électronique, SMS et courriels : leur utilisation a été facilitée par le développement des moyens de communication électronique (téléphones portables, Internet).

2.1. Modes d’utilisation des outils de veille sanitaire La veille sanitaire peut être précédée par des interventions psychologiques réalisées en phase hospitalière. Six publications rapportent l’utilisation d’entretiens psychoéducatifs [9,11,19–22], deux d’entre elles celle d’entretiens motivationnels [9,11]. Les OVS sont parfois utilisés de fac¸on isolée, plus souvent en association à d’autres interventions ou combinés entre eux (en association ou sous forme d’alternatives). Les adressages de courriers et les rappels téléphoniques sont les modalités de veille les plus étudiées (Tableau 1) sachant que, lorsque ces deux outils sont associés, les rappels téléphoniques représentent l’élément central du dispositif [9,11,28,30]. Tout d’abord utilisés isolement [6,7,10], les services d’accueil téléphonique sont actuellement plus souvent associés aux rappels téléphoniques [28,30]. Les visites sont rarement utilisées isolément [19,23]. Elles représentent le plus souvent une alternative aux rappels téléphoniques lorsque ceux-ci ne sont pas possibles [20–22,29], mais certains protocoles les utilisent systématiquement en association avec ces rappels [9,11,24]. Les SMS et/ou courriels ont été systématiquement associés aux rappels téléphoniques dans trois études [9,11,22]. Vaiva et al. [28] ont proposé avec l’algorithme ALGOS une utilisation différentielle de ces outils. Un service d’accueil téléphonique est ainsi proposé aux primosuicidants, les récidivistes étant orientés vers un protocole de rappels téléphoniques.

Pour citer cet article : Castaigne E, et al. La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004

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2.2. Place et fonctions des outils de veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants Les OVS ont tendance à être de plus en plus souvent inclus dans des stratégies de prise en charge globale des suicidants. Certains protocoles s’inspirent ainsi du concept de « gestion globale de la maladie » (« disease management »), dont l’objectif est de favoriser une meilleure prise en charge de la maladie par les patients eux-mêmes. Le programme SUPRE-MISS promu par l’OMS [20–22] s’inspire ainsi de cette démarche. D’autres interventions sont centrées vers la personne plus que sur la maladie : elles s’appuient sur des protocoles de « gestion de cas » utilisant les différents OVS selon les besoins du patient [9,11,24]. Dans une telle perspective globalisante et dans notre expérience [30], les fonctions des OVS sont multiples et complémentaires. On peut ainsi identifier au moins quatre fonctions pour les rappels téléphoniques, dont certaines ont été soulignées par Luxton et al. [26] : • fonction d’évaluation : évaluation répétée de l’état psychique du patient et du risque suicidaire, mais aussi de l’adhésion du patient au projet de soins et de l’adaptation de ce projet au patient ; • fonction psychothérapique : fondée sur un renforcement du lien social et un soutien psychologique direct, elle peut être complétée par des entretiens motivationnels, visant à promouvoir l’engagement des patients dans le changement et dans les soins, par exemple ; • fonction interventionnelle : rappel des traitements et des aides possibles, mais aussi interventions plus directes, lorsque le projet de soin initial ne paraît plus adapté (aide à la réorientation thérapeutique) ou lors des situations de crises, notamment suicidaires ; • fonction d’articulation du réseau de soins : l’appelant peut contacter les professionnels assurant la prise en charge du patient, les services d’urgence ou les personnes de confiance pour transmettre des informations ou pour faire face aux périodes de crise. Plusieurs types de questions se posent, néanmoins, à propos des outils de veille sanitaire : quelle est leur efficacité ? Quelle est leur acceptabilité ? Comment les évaluer ? 3. Effets des outils de veille sanitaire 3.1. Outils de veille sanitaire et prévention des récidives suicidaires 3.1.1. Caractérisation et identification de la variable principale Il s’agit principalement de la survenue/non-survenue d’une récidive suicidaire durant la période d’observation, plus rarement du nombre de récidives constatées durant cette période [3,4,8,9,30]. Les récidives incluent les actes létaux et non létaux, deux publications se limitant aux cas de suicide [16,19]. L’identification des cas utilise des méthodes très différentes, parfois associées : auto-rapport du patient, le plus souvent, mais aussi déclaration de l’entourage, déclaration des médecins traitants, registres des hôpitaux, registres régionaux, registres nationaux (Tableau 1). La période d’observation est habituellement d’un an. Elle peut être de 6 mois [22] ou aller jusqu’à 18 mois [12,19–21], voire 10 ans pour une étude [18]. 3.1.2. Résultats 3.1.2.1. Les services d’accueil téléphonique (deux études) Les résultats prometteurs retrouvés chez les primo-suicidants par Morgan et al. [10] sont demeurés non significatifs dans l’étude d’Evans et al. [6,7].

3

3.1.2.2. Les adressages de courriers (cinq études) Deux études ont rapporté des résultats positifs significatifs après 1 à 2 ans de suivi : réduction du taux de suicide à 2 ans [18] et réduction du taux de récidive à 1 an [8]. Trois études n’ont toutefois pas confirmé ces résultats [3,4,12]. 3.1.2.3. Les protocoles de rappels téléphoniques Huit études ont porté sur les rappels téléphoniques. Deux éléments varient selon les études et complexifient leur analyse et leur comparaison : la précocité et la fréquence des rappels téléphonique, d’une part ; l’utilisation des rappels de fac¸on isolée ou en association à d’autres procédures, d’autre part. Trois études randomisées ont évalué l’utilisation isolée des rappels [5,13,30]. En dépit d’un résultat probant [13], elles ne permettent pas de conclure à leur efficacité, même en cas de rappel précoce. Six études ont utilisé les rappels téléphoniques dans le cadre d’une prise en charge globale : programme SUPRE-MISS de l’OMS [20–22] ou programmes de « gestion de cas » [9,11,24]. Leurs résultats apparaissent contrastés et peu décisifs. Cinq études ont porté sur les récidives suicidaires : seules deux d’entre elles rapportent des résultats significatifs à un an [9,24], sachant que l’une n’est pas randomisée [24] et l’autre [9] n’a pas été confirmée sur une population plus étendue [18]. Une étude a porté sur le risque de suicide : elle rapporte un effet préventif significatif à 18 mois [7]. 3.1.2.4. Les visites à domicile Deux études ont testé l’impact des visites à domicile en l’absence de rappels téléphoniques [19,23]. Van Heeringen et al. [23] ne proposent une visite qu’aux patients non adhérant au projet de suivi et ne retrouvent pas d’effet significatif sur la récidive suicidaire à un an. Vijayakumar et al. [19] proposent neufs visites systématiques dans le cadre du programme SUPRE-MISS et rapportent une réduction significative des tentatives de suicide et des suicides dans le groupe interventionnel à 18 mois. En conclusion, les outils de veille sanitaire, notamment les rappels téléphoniques, n’ont pas d’effet significatif reproductible sur les récidives suicidaires à moyen terme (1 à 1,5 ans). Une récente méta-analyse de Milner et al. [31] confirme ce résultat en montrant l’absence d’effet significatif de ce type d’intervention sur la survenue de nouvelle tentative de suicide ou de suicide. Seule une réduction significative du nombre de tentatives de suicide est observée par les auteurs. 3.2. Outils de veille sanitaire et engagement dans les soins Lizardi et Stanley [32] estiment que plus de 50 % des suicidants n’adhèrent pas au projet de soins proposé initialement, tandis que plus de 60 % interrompent tout suivi après la première session. Partant de ce constat, la question des effets de la veille sanitaire sur l’engagement des suicidants dans les soins mérite d’être posée. Quatre études contrôlées [5,8,11,13,21] ont évalué l’impact rappels téléphoniques sur l’engagement dans les soins (Tableau 1). Trois d’entre elles rapportent un résultat négatif [5,11,21]. Seule, l’étude de Vaiva et al. [13] rapporte un résultat significatif en montrant qu’un appel téléphonique effectué un mois ou trois mois après un geste suicidaire, permet d’augmenter significativement la fréquence de consultation du suicidant auprès de son médecin généraliste pour parler de son geste suicidaire. Une étude a testé l’effet des visites à domicile [23]. Elle montre que la réalisation d’une visite chez des suicidants non compliants se traduit par une augmentation significative de leur engagement dans les soins au terme du suivi (1 an). En conclusion, les données actuelles sont insuffisantes pour apprécier l’impact des OVS sur l’engagement dans les soins. Il s’agit toutefois d’une question émergente qui doit être clarifiée,

Pour citer cet article : Castaigne E, et al. La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004

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Tableau 1 Impact des interventions de veille sanitaire sur la récidive suicidaire. Auteurs Pays

n de sujets ( % refus)

Types d’interventions

Durée de suivi (mois)

Variable étudiée (mode de recueil)

Résultats et significativité (p) (groupe interventionnel vs groupe contrôle)

Morgan et al. [10] Angleterre Evans et al. [6,7] Angleterre Motto et Bostrom [18]a États-Unis

222

AT + Co

12

TS (médecins traitants)

5,0 % vs 10,8 % (ns)

827 (0 %)

AT

12

843 (6 %)

AT + Co

120

TS (registres hospitaliers) Suicide (registres + entourage)

Carter et al. [4] Australie Beautrais et al. [3] Nouvelle-Zélande Hassanian-Mogha ddam et al. [8] Iran Robinson et al. [12] Australie Cedereke et al. [5] Suède

772 (25 %)

AT + Co

12

M6 : 16,8 % vs 14,4 % (ns) M12 : 21,6 % vs18,8 % (ns) M24 : 1,8 % vs 3,52 % (p = 0,04) M60 : 3,9 % vs 4,6 % (ns) M120 : 6,4 % vs 5,7 % (ns) TS : 15,1 % vs 17,3 % (ns)

327 (27 %)

Co

12

2300 (2,5 %)

Co

12

165 (29,6 %) 216 (11 %)

Co

18

TS (auto-rapporté)

Résultats ns

RT

12

TS (auto-rapporté)

17 % vs 17 % (ns)

Suivi médical-psychiatrique TS (autorapporté + registre des urgences) Suivi médical pour la TS

M12 : 72 % vs 65 % (ns)

Vaiva et al. [13] France

605 (28 %)

RT (M1 ou M3)

TS + N. de TS (registre régional) TS + N de TS (registres hospitaliers) TS + N. de TS (auto-rapporté)

12

320 (9,3%)

AT + Co + RT

12

1867 (4 %)

RT ou Vi + PE

18

Bertolote et al. [20] 5 pays Marasinghe et al. [22] Sri-Lanka Hvid et al. [9] Danemark Morthorst et al. [11] Danemark

1867 (4 %)

133 (33,5 %) 243 (4 %)

18 Idem Fleishman et al. 6 RT ou Vi + PE + SMS RT ou 12 Vi + Co + SMS + Mails + PE + EM Idem Hvid et al. 12

Cebrià et al. [24] Espagne

991 (7,2 %)

RT + Vi

12

TS (auto-rapporté)

Van Heeringen et al. [23] Belgique Vijayakumar et al. [19] Inde

508

Vi

12

TS (auto-rapporté)

680

Vi + PE

18

TS + suicide (autorapporté + entourage)

Mouaffak et al. [30] France Fleischman et al. [21] 5 pays

68

TS + N. de TS (autorapporté + entourage + registres) Suicide (entourage)

TS : 26,6 % vs 27,2 % (ns) TS : 3,0 % vs 5,1 %. RR = 0,42 (IC : 0,11–0,63)

M1 : 12 % vs 22 % (p = 0,03b ) M3 : 17 % vs 22 % (ns) RT à M1 : 87 % vs 73 % (p = 0,04) RT à M3 : 88 % vs 73 % (p = 0,04) TS : 14,5 % vs 14,0 % (ns) 0,2 % vs 2,2 % (p < 0,001)

Suivi psychiatrique TS (auto-rapporté)

5,7 % vs 5,0 % 7,6 % vs 7,5 % (ns)

TS (auto-rapporté)

Pas de données chiffrées (ns)

TS + n de TS (registres)

TS : 8,7 % vs 21,9 % (p = 0,04)

TS (autorapporté + registre)

Auto-report : 16 % vs 11 % (ns) Registre : 12 % vs 19 % (ns) Variations 2007–2008 : GI : 14 % vs 6 % (p = 0,005) GC : 21 % vs 14 % (ns) 10,7 % vs 17,4 % (ns) TS : OR = 17,3 (IC 10,8–29,7) Suicide : OR = 35,4 (IC 18,4–78,0)

AT : accueil téléphonique; Co : courriers; RT : rappels téléphoniques; Vi : visites; PE : psychoéducation; EM : entretiens motivationnels; TS : tentatives de suicide. a Critère d’inclusion : dépression ou idées suicidaires avec refus des soins. b Résultats à M1 significatifs en per protocole, non significatifs en intention de traiter.

notamment sur le plan méthodologique (voir § 4.). Cette question est d’autant plus importante que l’objectif des soins est de réduire les facteurs de risque psychiatriques et psychosociaux qui - plus que les caractéristiques de l’épisode index–déterminent le risque de récidive suicidaire [33]. Soutenu par une récente publication [34], cet effet préventif de l’engagement dans les soins mérite toutefois d’être étayé par de nouvelles études. 3.3. Adhésion des suicidants aux protocoles de veille sanitaire (rappels téléphoniques) Tous les suicidants orientés vers un retour à domicile, c’està-dire 60 à 70 % des suicidants pris en charge à l’hôpital, sont potentiellement concernés par la veille sanitaire. Une bonne applicabilité des protocoles de veille sanitaire dans cette population est

d’autant plus importante qu’elle conditionne l’impact populationnel recherché : réduction des récidives suicidaires et augmentation de l’engagement dans les soins, en particulier. Sept études fondées sur les rappels téléphoniques [5,9,11,13,20,21,24] ont évalué cette applicabilité à partir du taux de consentement au protocole de soins et du taux d’effectuation du protocole. Le taux de consentement est élevé. Cinq des sept études retrouvent en effet un taux de refus compris entre 4 et 11 % [5,11,21,24,30], ce taux étant de 28 et 33,5 % dans les deux autres [9,13]. Le taux d’effectuation est plus complexe à définir et à mesurer. On peut considérer que le protocole n’est pas réalisé dès lors que le patient l’interrompt ou ne l’observe pas avec une rigueur suffisante. L’effectuation de la remise d’un numéro d’appel, d’un adressage de courrier, voire d’une visite à domicile, est facilement contrôlable. Il n’en va pas de même pour les rappels

Pour citer cet article : Castaigne E, et al. La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004

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téléphoniques, dont la réussite et loin d’être constante. Lors d’un rappel téléphonique programmé, le contact est en effet établi 64 à 96 % des cas [5,13,24,30]. Ce taux n’est pas indiqué dans les études fondées sur des programmes de gestion globale de la maladie ou de gestion de cas [9,11,20,21] : le taux d’effectuation de l’ensemble du protocole serait toutefois de 94–96 %. Le taux de perdu de vue est difficile à apprécier du fait des modalités de recueil final de l’information différentes selon les études : analyse de registre ou contact téléphonique. Il est compris entre 4 et 31 % dans ce dernier cas [11,13,24,30]. L’adhésion des patients aux protocoles de veille sanitaire est étroitement liée à leur niveau de satisfaction. D’après Robinson et al. [12], l’adressage de courriers a été positivement apprécié par 75 % des patients qui en ont bénéficié et qui ont répondu à l’enquête de satisfaction à un an (70 % de la population incluse) ; 63 % disent, par ailleurs, avoir utilisé les messages d’aide figurant sur les cartes. Les rappels téléphoniques sont également positivement appréciés par les patients. À partir des réponses fournies par 37 % des patients concernés, Gruat et al. [35] montrent que 79 % d’entre eux considèrent ces rappels comme bénéfiques et que la procédure de rappel est adaptée, malgré sa nature intrusive.

4. Peut-on évaluer les outils de veille sanitaire ? L’évaluation de l’impact des OVS et leur comparaison se heurtent à de multiples difficultés qui rendent aujourd’hui difficile toute synthèse à ce sujet. Comme le soulignent Daigle et al. [25], ces difficultés concernent tout aussi bien la caractérisation de ces outils et le contexte de leur utilisation que les modalités d’évaluation de leurs effets.

4.1. Caractéristiques des outils de veille, contexte de leur utilisation et groupe contrôle L’analyse et la comparaison des études se heurtent à trois types de difficultés : • un même outil peut être utilisé de fac¸on très différente. Le nombre de rappels téléphoniques peut ainsi varier entre un seul rappel en un an [13] et huit rappels en 18 mois [20]. La précocité du premier rappel varie également, entre huit jours après le début de la prise en charge ambulatoire [20,24,30] et le quatrième mois [5]. Le contenu et la finalité des rappels peuvent, enfin, beaucoup varier selon les protocoles, sachant en outre que leur effet thérapeutique est en outre probablement très dépendant des qualités de l’appelant et du contexte de leur emploi (culture, offre de soins) ; • les OVS peuvent être utilisés de fac¸on isolée ou combinée, mais aussi s’insérer dans un ensemble de procédures complexes associant outils de veille et interventions psychothérapiques. Leur effet ne peut alors être détaché de l’effet produit par l’ensemble du dispositif. La proposition de Kapur et al. [27] visant à réaliser des études qualitatives pour identifier et caractériser les principes actifs des outils de veille est de ce fait difficilement envisageable ; • dans les études contrôlées, les modalités de prise en charge « habituelles » varient considérablement d’un pays et d’une étude à l’autre. Certaines prises en charge, hospitalières [36–38] ou ambulatoires [11], peuvent, ainsi, avoir un effet suffisamment marqué pour masquer les effets de la veille sanitaire elle-même.

4.2. Modalités d’évaluation des effets Elles représentent un deuxième niveau de difficultés.

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4.2.1. Effet sur les récidives suicidaires La définition du concept de récidive ainsi que les méthodes d’identification des récidives conditionnent étroitement les mesures d’impact des OVS [23]. Le concept de tentative de suicide est aujourd’hui assez extensif et tend à inclure les comportements identifiés en langue anglaise sous les termes de « self-harm », « deliberate self-harm » et de « parasuicide » [40]. L’OMS [39], définit ainsi les TS comme l’ensemble des actes volontaires d’atteinte à sa propre intégrité physique, notamment lorsque cet acte a nécessité une prise en charge hospitalière, tandis que, dans notre revue, une seule des 16 études s’intéressant aux récidives suicidaires fait appel au critère d’intentionnalité suicidaire [22]. Comme le soulignent Bertolote et al. [20], cette conception étendue est source d’une hétérogénéité qui perturbe l’interprétation des résultats. L’identification des récidives suicidaires non létales fait appel soit à l’auto-rapport par le patient lui-même, soit aux analyses de registres. L’auto-rapport est la méthode la plus utilisée, le plus souvent au cours d’un rappel téléphonique. Il comporte un risque de perte d’information, soit en raison d’une perte de contact du patient (qui est « perdu de vue »), soit en raison d’un biais de remémoration. Christl et al. [41] montrent, ainsi, qu’un tiers des adolescents–jeunes adultes ayant effectué une TS ne rapportent pas cet événement lors d’une enquête effectuée 4 ans plus tard. Dans notre expérience, la perte d’information peut atteindre 25 % au cours de la même année [30]. D’après Hart et al. [42], l’importance de ce biais ne paraît pas liée aux caractéristiques de la TS, à l’âge du patient ou à la mise en œuvre de soins médicaux pour la TS. Du fait de son ampleur potentielle et de sa variabilité, le biais de remémoration augmente le risque (« bêta ») de conclure à des différences non significatives entre les groupes interventionnels et les groupes contrôles. Plusieurs auteurs soulignent l’importance de structurer au maximum l’entretien d’auto-rapport. Barber et al. [43] montrent, ainsi, que 44 % des sujets ayant rapporté une TS à la suite d’un entretien structuré, ne l’avaient pas signalée en réponse à une simple question. Muehlenkamp et al. [44], estiment qu’un entretien structuré permet de doubler la prévalence estimée des automutilations et de tripler celle des tentatives de suicide en population adolescente. Les analyses de registre excluent le risque de perdu de vue et le biais de remémoration. Elles ne sont utilisables que dans les rares pays qui disposent de ce type de bases de données et suscitent des questions spécifiques. D’après Morthorst et al. [11], si les registres permettent d’identifier un plus grand nombre de cas de récidive suicidaire que les auto-rapports (33 cas vs 24 cas), il existe des cas auto-rapportés non repérés par les registres. Dans leur étude, 37,5 % des récidives auto-rapportées (9/24) ne figuraient pas dans les registres, tandis que sept récidives mentionnées sur les registres n’avaient pas été auto-rapportées.

4.2.2. Effet sur l’engagement dans les soins L’engagement dans les soins dépend de la nature et de la densité de l’offre de soins. L’impact des OVS sur l’engagement doit donc tenir compte de ce dernier facteur et ne peut être apprécié de la même manière dans les pays occidentaux [5,11,13] et dans les pays en cours de développement [21]. On peut en outre souligner que les études sur le sujet [5,11,13,21] évaluent l’engagement dans les soins au terme du suivi, sans indiquer si celui-ci a été effectif dès sa phase initiale, que l’on sait déterminante pour la continuité des soins et particulièrement critique en termes de récidive suicidaire. Lizardi et Stanley [32] proposent deux modalités d’évaluation : en vérifiant si le patient s’est rendu au premier rendez-vous prévu, d’une part, en comptabilisant le nombre de consultations effectuées par le patient, d’autre part.

Pour citer cet article : Castaigne E, et al. La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004

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ARTICLE IN PRESS E. Castaigne et al. / L’Encéphale xxx (2016) xxx–xxx

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5. Conclusion En dépit de plusieurs résultats positifs, les recherches conduites depuis plus de 20 ans sur l’utilisation des outils de veille sanitaire en suicidologie ne permettent pas de conclure à une efficacité reproductible, que ce soit en termes de prévention des récidives suicidaires ou d’engagement dans les soins. Les difficultés méthodologiques soulevées par de telles études expliquent pour une bonne part l’hétérogénéité des résultats. L’absence de consensus sur les protocoles de mise en œuvre des outils de veille, mais aussi sur la définition et l’identification des variables mesurées (récidives suicidaires, engagement dans les soins. . .) représente un premier niveau de difficulté. Un deuxième niveau de difficulté tient au fait que les OVS sont de plus en plus utilisés en association avec d’autres interventions, dans le cadre de prises en charges globales dont la mise en œuvre ne permet pas de distinguer l’effet spécifique de ces outils de celui de l’ensemble du dispositif. Ces difficultés, notamment celles de premier niveau, ne sont pas insurmontables et les études à venir devraient contribuer à les réduire. Faciles à mettre en œuvre et relativement peu coûteux, très bien acceptés et même attendus par les usagers, très utiles pour la continuité et la trac¸abilité de certains parcours de soins, les OVS pourraient de ce fait voir leur usage se diffuser sans que les recommandations d’emploi les concernant puissent s’appuyer sur un niveau de preuve élevé. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Chan-Cee C, Jezewski-Serra D. Hospitalisations pour tentatives de suicide entre 2004 et 2007 en France métropolitaine. Analyse du PMSI-MCO. Bull Epidemiol Hebd 2011;47–48:492–6. [2] Hawton K, Saunders K, Topiwala A, et al. Psychiatric disorders in patients presenting to hospital following self-harm: a systematic review. J Affect Disord 2013;151:821–30. [3] Beautrais AL, Gibb SJ, Faulkner A, et al. Postcard intervention for repeat selfharm: randomised controlled trial. Br J Psychiatry 2010;13:55–60. [4] Carter GL, Clover K, Whyte IM, et al. Postcards from the EDge project: randomised controlled trial of an intervention using postcards to reduce repetition of hospital treated deliberate self poisoning. BMJ 2005;331:805. [5] Cedereke M, Monti K, Ojehagen A. Telephone contact with patients in the year after a suicide attempt: does it affect treatment attendance and outcome? A randomised controlled study. Eur Psychiatry 2002;17:82–91. [6] Evans MO, Morgan HG, Hayward A, et al. Crisis telephone consultation for deliberate self-harm patients: effects on repetition. Br J Psychiatry 1999;175:23–7. [7] Evans J, Evans M, Morgan HG, et al. Crisis card following self-harm: 12-month follow-up of a randomised controlled trial. Br J Psychiatry 2005;187:186–7. [8] Hassanian-Moghaddam H, Sarjami S, Kolahi AA, et al. Postcards in Persia: randomised controlled trial to reduce suicidal behaviours 12 months after hospital-treated self-poisoning. Br J Psychiatry 2011;198:309–16. [9] Hvid M, Vangborg K, Sørensen HJ, et al. Preventing repetition of attempted suicide–II. The Amager project, a randomized controlled trial. Nord J Psychiatry 2011;65(5):292–8. [10] Morgan HG, Jones EM, Owen JH. Secondary prevention of non-fatal deliberate self-harm: the green card study. Br J Psychiatry 1993;163:111–2. [11] Morthorst B, Krogh J, Erlangsen A, et al. Effect of assertive outreach after suicide attempt in the AID (assertive intervention for deliberate self harm) trial: randomised controlled trial. BMJ 2012;345:e4972. [12] Robinson J, Yuen HP, Gook S, et al. Can receipt of a regular postcard reduce suicide-related behaviour in young help seekers? A randomized controlled trial. Early Interv Psychiatry 2012;6:145–52. [13] Vaiva G, Ducrocq F, Meyer P, et al. Effect of telephone contact on further suicide attempts in patients discharged from an emergency department: randomised controlled study. BMJ 2006;332:1241–5. [14] Hawton K, van Heeringen K. Suicide. Lancet 2009;373:1372–81. [15] Runeson B, Tidemalm D, Dahlin M, et al. Method of attempted suicide as predictor of subsequent successful suicide: national long term cohort study. BMJ 2010;13(341):c3222.

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Pour citer cet article : Castaigne E, et al. La veille sanitaire dans la prise en charge des suicidants. Quels outils, quels effets, comment les évaluer ? Encéphale (2016), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2016.08.004