L’actine et la symétrie de la première division cellulaire La symétrie de la division est un élémentclé de la destinée d’une cellule souche. En effet, la division symétrique génère deux cellules souches de même nature et de taille similaire, alors que leur division asymétrique produit deux cellules de nature et de taille différentes. L’équilibre entre ces deux types de division permet de générer des cellules différenciées/spécialisées tout en gardant constant le réservoir de cellules souches tout au long de la vie. Mais que se passe-t-il lors de la première division de la cellule souche initiale, l’œuf fécondé, ou zygote, après la fusion des gamètes mâles et femelles ? En effet, alors que l’ovule se divise de façon asymétrique, permettant la formation d’un énorme ovule unique et d’un petit globule polaire, une fois fécondé, la toute première division du zygote est symétrique et donne naissance à deux cellules de taille identique. Une équipe française du Centre interdisciplinaire de recherche en biologie du Collège de France à Paris (A Chaigne, ME Terret et MH Verlhac) vient de démontrer que l’actine est un élément-clé dans le changement de symétrie de cette première division cellulaire essentielle à la vie. L’actine est une protéine nécessaire à l’architecture et aux mouvements cellulaires. Polymérisée sous la forme de filaments, l’actine-F est un des constituants majeurs du cytosquelette des cellules eucaryotes. Ce dernier comporte également des filaments intermédiaires, les microtubules et les protéines accessoires qui leurs sont associées. Alors que les microfilaments d’actine sont majoritairement situés à la périphérie de la cellule sous la membrane plasmique, les microtubules astraux se polymérisent sous la forme d’une étoile à partir du centrosome, qui les organise au centre de la cellule. Ces microtubules jouent un rôle essentiel lors de la mitose car ils participent à la formation de la plaque équatoriale et au guidage des chromosomes vers les pôles opposés de la cellule. Comme le positionnement du fuseau mitotique
fait intervenir les microtubules assemblés au niveau des centrosomes, que se passe-t-il quand l’ovule et le zygote sont dépourvus de centrosomes et de microtubules astraux, comme chez la souris ? Les travaux de l’équipe du Collège de France avaient précédemment montré qu’en l’absence de centrosome et de microtubules astraux, le fuseau de division de l’ovule s’ancrait au niveau des fibres d’actine présentes à proximité de la membrane cellulaire grâce à un
Une approche pluridisciplinaire qui aborde un processus biologique fondamental et essentiel conduisant d’un ovule fécondé à un embryon. ramollissement du cortex cellulaire. Cet ancrage, excentré, conduisait alors à une division asymétrique. Il devrait donc en être de même au niveau du zygote, également dépourvu de centromère et de microtubules astraux, mais il n’en est rien… Car c’était sans compter sur la découverte d’une autre équipe française (M. Théry et coll., CytomorphoLab, Grenoble/Paris), établissant que l’actine pouvait non seulement se polymériser sous la membrane plasmique mais également près du centrosome, au centre de la cellule, sous une forme étoilée. Une telle organisation favorisait alors le centrage du fuseau mitotique grâce à des protéines dénommées moteurs moléculaires, dont la myosine-Vb. L’originalité du travail de MH Verlhac et coll. a été de montrer qu’en absence de centrosome, le réseau d’actine organise la position du fuseau de façon différente dans l’ovule et chez le zygote, changeant
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ainsi la géométrie de la division cellulaire. En effet, en combinant des techniques de biologie, de physique et de mathématiques, ils ont mis en évidence que, chez le zygote, le centrage grossier du fuseau mitotique faisait intervenir une modification de la mécanique des réseaux d’actine-F et de myosine-II, qu’une rigidité accrue du cortex cellulaire affinait ensuite ce centrage et enfin qu’une modification de la viscosité du cytoplasme favorisait le maintien de cette position centrale. Ainsi, le positionnement des pronoyaux ne dépendrait plus des microtubules et de la tension qu’ils imposent, mais d’une modification des caractéristiques physiques de la cellule. Les auteurs notent avec intérêt qu’un tel mécanisme de positionnement des pronoyaux (dépendant du réseau actine/myosine) pourrait être commun aux cellules dépourvues de centrioles puisqu’il en est de même chez Arabidopsis thaliana, une plante de la famille des Brassicacées. Bien que le mécanisme intime de ce processus reste à déterminer, en particulier le rôle de la kinase Mos, régulateur de la méiose dont l’expression disparaît très rapidement après la fertilisation, ces travaux sont particulièrement intéressants sur le plan conceptuel. En effet, ils participent à la compréhension de la régulation de la transition entre division symétrique et asymétrique, dont l’équilibre est un élément essentiel de la destinée cellulaire. Ils mettent également en évidence l’intérêt d’une approche pluridisciplinaire pour aborder un processus biologique aussi fondamental et essentiel que celui la première division cellulaire conduisant d’un ovule fécondé à un embryon.
Chaigne A, et coll. Nat Commun. 2016 Jan 4;7:10253. doi: 10.1038/ncomms10253 Farina F, et coll. Nat Cell Biol. 2016 Jan;18(1):65-75. doi: 10.1038/ncb3285. Epub 2015 Dec 14