Le fibroélastome papillaire : une cause rare mais curable d’infarctus cérébral

Le fibroélastome papillaire : une cause rare mais curable d’infarctus cérébral

Rev Méd Interne 2001 ; 22 : 745-8 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866301004209/SCO Communication b...

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Rev Méd Interne 2001 ; 22 : 745-8 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866301004209/SCO

Communication brève

Le fibroélastome papillaire : une cause rare mais curable d’infarctus cérébral Y. Boukriche1*, C. Guiti2, D. Logeart2, C. Vissuzaine3, C. Masson1 1 Service de neurologie, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France ; 2service de cardiologie, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France ; 3service d’anatomie pathologique, hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France

(Reçu le 9 novembre 2000 ; accepté le 19 février 2001)

Résumé Introduction. – Le fibroélastome papillaire est une tumeur cardiaque bénigne, mais pouvant entraîner de sérieuses complications emboliques. Exégèse. – Nous rapportons le cas d’un homme âgé de 42 ans présentant un accident vasculaire ischémique sylvien gauche. L’échographie cardiaque transœsophagienne permit la découverte d’une tumeur valvulaire mitrale. L’exérèse chirurgicale et l’examen histologique confirmèrent le diagnostic de fibroélastome papillaire. L’évolution clinique fut favorable, sans récidive ischémique. Conclusion. – Nous rappelons le haut potentiel emboligène de cette tumeur dont le traitement chirurgical prévient les récidives ischémiques cérébrales. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS fibroélastome papillaire / tumeur de Lambl / infarctus cérébral

Summary – Papillary fibroelastoma. a rare but treatable cause of ischemic stroke. Introduction. – Papillary fibroelastoma is a benign cardiac tumor which can be associated with serious embolic complications. Exegesis. – We report on a 42-year-old man admitted for an ischemic stroke in the left middle cerebral artery region. Transesophageal echocardiography revealed a mitral valve tumor. Surgical excision and histological examination showed a papillary fibroelastoma. Clinical course was uneventful. Conclusion. – We consider the high embolic potential of this tumor, which represents a surgically treatable cause of ischemic stroke. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS papillary fibroelastoma / giant Lambl’s excrescence / cerebral infarct

Le fibroélastome papillaire est une tumeur cardiaque bénigne rare, habituellement asymptomatique, mais pouvant entraîner des manifestations ischémiques graves. Nous rapportons le cas d’un patient présentant une hémiplégie brutale conduisant à la découverte d’un fibroélastome papillaire de la valve mitrale. *Correspondance et tirés à part.

OBSERVATION Un homme âgé de 42 ans, gaucher, d’origine sénégalaise, était hospitalisé en raison de l’apparition brutale d’une hémiplégie droite. Les facteurs de risque vasculaire se limitaient à un tabagisme chiffré à 25 paquets-années. L’examen neurologique révélait une vigilance normale et une hémiplégie droite flasque touchant la face. Il n’y avait ni trouble sensitif ni

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Y. Boukriche et al.

trouble du langage. Le patient était apyrétique. L’auscultation cardiaque ne révélait pas de souffle. L’électrocardiogramme était en rythme régulier et sinusal. La numération-formule sanguine, l’hormonémie thyroïdienne, les sérologies syphilis et HIV, les taux de protéines C et S, d’antithrombine III et d’antiphospholipides étaient tous normaux ou négatifs. Il n’y avait pas de syndrome inflammatoire. Le scanner cérébral, réalisé quelques heures après le début des troubles, montrait une hypodensité touchant la capsule interne, le noyau lenticulaire et la tête du noyau caudé gauches. L’imagerie et l’angiographie par résonance magnétique retrouvaient ces mêmes lésions (figure 1) et l’absence de lésion vasculaire. L’échodoppler cervical et transcrânien étaient tous deux normaux. En revanche, l’échographie cardiaque par voie trans-œsophagienne permettait la découverte d’une image hyperéchogène mobile sur la face atriale de la petite valve mitrale qui était d’aspect normal par ailleurs (figure 2). Cette image faisait évoquer le diagnostic de fibroélastome papillaire. Un traitement anticoagulant par héparine était instauré et l’indication de chirurgie d’exérèse sous circulation extracorporelle était retenue. En phase peropératoire, la lésion, d’environ 10 mm de diamètre, apparaissait unique, apposée sur le versant auriculaire de la petite valve mitrale et avait l’aspect d’une framboise toute pâle. L’exérèse de cette masse a été simple. L’examen anatomopathologique de la tumeur confirmait le diagnostic de fibroélastome papillaire (figure 3). Le déficit moteur s’améliorait progressivement (score de Rankin à 2 au bout de trois mois). Le contrôle échographique révélait une valve mitrale normale, sans fuite. Le traitement anticoagulant était relayé par aspirine, elle-même arrêtée au bout de trois mois.

Figure 1. IRM cérébrale, coupe axiale en séquence FLAIR. Hypersignal du territoire sylvien profond gauche.

retrouvent 41 fibroélastomes papillaires, ce qui fait de cette tumeur la plus fréquente des tumeurs valvulaires. Avant l’avènement de l’échographie cardiaque, le fibroélastome papillaire était de découverte fortuite à l’autopsie ou lors d’une chirurgie cardiaque pour un autre motif. Depuis la disponibilité et la sensibilité croissante de l’échographie cardiaque, le nombre de fibroélastomes papillaires diagnostiqués

DISCUSSION Les accidents vasculaires cérébraux ischémiques sont habituellement liés à l’athérosclérose ou aux cardiopathies emboligènes. La cause est rarement une tumeur cardiaque primitive. Celles-ci ont une incidence autopsique estimée de 0,0017 à 0,33 % et le fibroélastome papillaire en est le type histologique le plus fréquent, représentant 7 % des cas, après le myxome et le lipome [1-3]. Le fibroélastome papillaire peut siéger n’importe où sur l’endocarde, mais sa localisation préférentielle reste valvulaire dans 80 à 90 % des cas [1, 3]. Dans une série portant sur 56 tumeurs valvulaires primitives, Edwards et al. [3]

Figure 2. Échocardiographie trans-œsophagienne. Masse hyperéchogène sur la face atriale du feuillet antérieur de la valve mitrale (flèche). OG : oreillette gauche ; VG : ventricule gauche ; AO : aorte.

Le fibroélastome papillaire

Figure 3. Histologie du fibroélastome. Les papilles sont constituées d’un stroma hyalin hypocellulaire recouvert d’une couche de cellules endothéliales (coloration hematoxyline éosine safran. G x 200).

du vivant des patients ne cesse de croître. L’incidence et la prévalence de ces tumeurs dans la population générale reste cependant inconnues [4]. Le fibroélastome papillaire a longtemps été considéré comme une lésion sans caractère pathogène, mais de nombreuses observations vont à l’encontre de cette hypothèse. Le fibroélastome papillaire, même s’il est le plus souvent asymptomatique, peut en effet entraîner des manifestations cliniques sévères telles que mort subite et infarctus du myocarde [1, 3, 5, 6], insuffisance cardiaque congestive [3], ischémie mésentérique [6] ou des membres inférieurs [7], syncopes [6] et surtout des accidents vasculaires cérébraux ischémiques transitoires ou constitués [1, 3, 4, 6, 8-13]. Actuellement, le meilleur moyen de diagnostiquer un fibroélastome papillaire est l’échographie cardiaque [1, 4, 8, 10, 11]. Celle-ci peut cependant être normale par voie transthoracique, seule la voie transœsophagienne révélant alors la tumeur [1, 2, 4, 8, 10]. L’aspect échographique typique est celui d’une masse échogène mobile généralement pédiculée, reliée aux feuillets valvulaires [4], mais elle peut parfois être sessile [8]. La taille de ces tumeurs est variable, de 3 mm [9] à 3 cm de diamètre [11] mais reste généralement autour d’un centimètre. La tumeur est typiquement unique [4, 9] mais parfois plusieurs fibroélastomes papillaires sont découverts simultanément [1, 3, 8, 12]. Si le diagnostic de fibroélastome papillaire est le plus souvent évoqué lors de l’examen échocardiographique, il peut être difficile de le différencier d’un thrombus [5] ou d’une végétation [2]. L’aspect macroscopique de cette tumeur

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consiste en une formation arrondie, verruqueuse, blanchâtre ou brunâtre, molle et friable, dont les franges filiformes se déplissent en anémone de mer quand on la plonge dans l’eau [1, 5, 8]. L’aspect histologique est celui d’une tumeur bénigne, papillaire, faite de trois composants concentriques : un axe central conjonctivoélastique, avasculaire, entouré d’une couche de matrice extracellulaire, le tout surmonté d’une couche de cellules endothéliales souvent hyperplasiques [3, 9, 12]. On distingue habituellement ces tumeurs des excroissances de Lambl, qui sont beaucoup plus fréquentes mais plus petites et plus volontiers implantées sur le bord d’affrontement des valves. Cependant, certains auteurs considèrent les excroissances de Lambl géantes comme étant des fibroélastomes papillaires [7]. La pathogenèse des fibroélastomes papillaires est discutée et une des hypothèses est que la prolifération endothéliale soit déclenchée par les flux sanguins turbulents. Bien que les fibroélastomes papillaires puissent être congénitaux, la plupart sont probablement acquis, leur apparition ayant été décrite chez des patients qui n’en étaient pas porteurs lors d’une intervention cardiaque réalisée antérieurement. Le mécanisme par lequel le fibroélastome papillaire entraîne les manifestations ischémiques n’est pas formellement établi. La preuve d’une embolie tumorale est rarement rapportée. Dans un cas d’embolie poplitée [7], la désobstruction a permit de retrouver du matériel tumoral. Zull et al. [14] rapportent le cas d’une patiente présentant une mort subite et dont l’autopsie révéla un embole tumoral artériel cardiaque. Dans quelques cas d’infarctus du myocarde, de mort subite ou de syncope, l’enclavement d’un fibroélastome papillaire sigmoïdien aortique dans un ostium coronaire est le mécanisme suspecté [6]. Cependant, le mécanisme thromboembolique est probablement le plus fréquent. Le réseau de franges du fibroélastome papillaire peut en effet être le siège d’une agrégation fibrinoplaquettaire emboligène [6, 8, 10] mais ceci est inconstant [4]. Dans un cas d’accident vasculaire cérébral ischémique chez un homme âgé de 46 ans porteur d’un fibroélastome papillaire, Muir et al. [10] ont pu démontré le caractère emboligène de celui-ci au doppler transcrânien, par la détection de HITS (high intensity transient signal) qui ont totalement disparu après exérèse chirurgicale du fibroélastome papillaire. L’analyse spectrale de ces HITS ne permettait toutefois pas de savoir s’il s’agissait d’embo

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Y. Boukriche et al.

les tumoraux ou de thrombus. Nous avons revu 74 observations de fibroélastome papillaire. Un accident vasculaire ischémique transitoire ou constitué était l’événement révélateur dans 43 cas (58 %). L’âge moyen des patients était de 47 ans, avec des extrêmes de 23 à 78 ans, sans prédominance de sexe. Les fibroélastomes papillaires en cause dans ces accidents vasculaires cérébraux étaient de localisation mitrale dans 31 cas (72 %), aortique dans neuf cas (21 %), ventriculaire gauche dans un cas et auriculaire gauche dans un cas. Tous les patients ont été traités chirurgicalement. En raison de leur haut potentiel emboligène, le traitement recommandé par la plupart des auteurs est en effet la chirurgie d’exérèse sous circulation extracorporelle, quelle que soit la taille ou la localisation tumorale [1, 2, 5, 8-13]. Les résultats à court et à long termes sont excellents, sans récidive ischémique ni récidive tumorale rapportées [1, 5, 6, 8, 9, 11, 12]. Certains auteurs [4] sont plus nuancés, ne réservant la chirurgie que pour les fibroélastomes papillaires symptomatiques du sujet jeune et proposent initialement un traitement anticoagulant dans les autres cas, avec chirurgie de deuxième intention en cas de récidive ischémique. Ces mêmes auteurs recommandent un traitement médical par anticoagulants et/ou antiplaquettaires pour les fibroélastomes papillaires asymptomatiques de petite taille. L’efficacité préventive du traitement médical n’est toutefois pas prouvée. Diverses observations font d’ailleurs état de récidive thromboembolique cérébrale sous anticoagulants [4, 9, 10]. La fréquence du fibroélastome papillaire comme cause d’accident vasculaire cérébral ne doit pas être surestimée, ces tumeurs restant très rares. Néanmoins, cette cause curable doit être considérée quand aucune autre n’est décelée, et doit conduire à une

échographie trans-œsophagienne si l’échographie par voie transthoracique est normale. RE´ FE´ RENCES 1 Howard RA, Aldea GS, Shapira OM, Kasznica JM, Davidoff R. Papillary fibroelastoma : increasing recognition of a surgical disease. Ann Thorac Surg 1999 ; 68 : 1881-5. 2 Minatoya K, Okabayashi H, Yokota T, Hoover EL. Cardiac papillary fibroelastomas : rationale for excision. Ann Thorac Surg 1996 ; 62 : 1519-21. 3 Edwards FH, Hale D, Cohen A, Thompson L, Pezzella AT, Virmani R. Primary cardiac valve tumors. Ann Thorac Surg 1991 ; 52 : 1127-31. 4 Brown RD, Khandheria BK, Edwards WD. Cardiac papillary fibroelastoma : a treatable cause of the transient ischemic attack and ischemic stroke detected by transoesophageal echocardiography. Mayo Clin Proc 1995 ; 70 : 863-8. 5 Eckstein FS, Schafers HJ, Grote J, Mugge A, Borst HG. Papillary fibroelastoma of the aortic valve presenting with myocardial infarction. Ann Thorac Surg 1995 ; 60 : 206-8. 6 Grinda JM, Couetil JP, Chauvaud JM, D’Attellis N, Berrebi A, Fabiani JN, et al. Cardiac valve papillary fibroelastoma : surgical excision for revealed or potentiel embolization. J Thorac Cardiovasc Surg 1999 ; 117 : 106-10. 7 Fitzgerald D, Gaffney P, Dervan P, Doyle CT, Horgan J, Nelligan M. Giant Lambl’s excrescence presenting as a peripheral embolus. Chest 1982 ; 4 : 516-7. 8 Carmi D, Touati GD, Roux N, Marek A, Cordonnier C, Benamar A, et al. Fibroélastome papillaire. À propos de trois cas. Arch Mal Cœur Vaiss 1999 ; 92 : 331-5. 9 Shahian DM, Labib SB, Chang G. Cardiac papillary fibroelastoma. Ann Thorac Surg 1995 ; 59 : 538-41. 10 Muir KW, Mc Neish I, Grosset DG, Metcalfe M. Visualization of cardiac emboli from mitral valve papillary fibroelastoma. Stroke 1996 ; 27 : 1133-4. 11 Kasarskis E, O’Connor W, Earle G. Embolic stroke from cardiac papillary fibroelastomas. Stroke 1988 ; 19 : 1171-3. 12 Gorton ME, Soltanzadeh H. Mitral valve fibroelastoma. Ann Thorac Surg 1989 ; 47 : 605-7. 13 Giannesini C, Kubis N, N’Guyen A, Wassef M, Mikol J, Woimant F. Cardiac papillary fibroelastoma : a rare cause of ischemic stroke in the young. Cerebrovasc Dis 1999 ; 9 : 45-9. 14 Zull DN, Diamond M, Beringer D. Angina and sudden death resulting from papillary fibroelastoma of the aortic valve. Ann Emerg Med 1985 ; 14 : 470-3.