Disponible en ligne sur
ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 278–280
Éditorial/Point de vue
Le regard d’un cadre de santé sur l’organisation des soins le 14 juillet 2016, soir de l’attentat de Nice Reflections of a help-care manager on emergency care provided following the 14 July 2016 attack in Nice
Résumé Un an après l’attentat de Nice, cet éditorial propose de revenir sur le rôle d’un cadre de santé dans l’organisation en urgence des soins pédopsychiatriques à l’attention des enfants et des familles touchées par le camion de la terreur qui a tué 86 personnes et en a blessé plus 400. Il s’agit à la fois d’organiser l’espace de consultations, d’aider à la recherche des personnes disparues, d’accompagner l’équipe des urgences en dirigeant les consultants vers les espaces appropriés, de chercher du matériel (chaussures, biscuits, vêtements) et de renseigner les fichiers administratifs afin de permettre l’enregistrement du statut de victime, indispensable pour le suivi médical et l’accès à d’éventuelles indemnités. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es. Abstract A year after the Nice terrorist attack, this editorial aims to summarize the commitment of a chief nurse in organizing child psychiatric emergency care for children and families who were impacted by the terrorist truck that killed 86 persons and injured more than 400 others. Its role is to simultaneously perform several tasks: offer a space for consultations, help people to look for information about missing individuals, provide material needs (food, shoes, clothing), orient consultants to the appropriate place within the emergency system, and fulfill administrative requirements in order to help victims have their status be recognized which is indispensable for proper medical and insurance follow-up. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction Le dispositif d’urgences médicopsychologique (ou cellule d’urgences médicopsychologique [CUMP]) a été mis en place dans la suite de l’attentat du 25 juillet 1995 à Paris. Depuis, d’autres attentats meurtriers ont frappé la France et ce dispositif a montré son intérêt et son efficacité à court et long terme. Encadrée par la circulaire du 28 mai 1997 et le décret du 7 janvier 2013, l’urgence médicopsychologique s’inscrit dans le Code de la Santé publique. La mission principale d’une CUMP est le soin à apporter aux victimes ou témoins de catastrophes, accidents, attentats impliquant un grand nombre de personnes. Il s’agit d’écouter les victimes, en leur permettant de commencer à penser l’impensable, de reprendre le fil d’un récit de vie brutalement interrompu et de repérer les personnes en état de stress post-traumatique aiguë [1]. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2017.07.001 0222-9617/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´eserv´es.
À Nice, dans la nuit du 14 juillet 2016, le feu d’artifice se déroulant traditionnellement en bord de mer se termine et un camion de 19 tonnes fonce à 90 km/h dans la foule tuant 86 personnes et en blessant plus 400. Le plan blanc est déclenché à l’hôpital pédiatrique Lenval. 2. Les particularités du terrain Revenons sur le positionnement géographique. L’hôpital Lenval se situe en bord de mer, sur la Promenade des anglais. Les premières victimes sont tombées, fauchées par le camion du terroriste à quelques mètres de là. Spontanément et immédiatement, les parents sont venus aux urgences, les enfants dans les bras, dans les coffres des voitures (68 % des enfants et adultes pris en charge à l’hôpital sont venus par leurs propres moyens).
Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 278–280
L’afflux massif de victimes a du être géré sans le passage préparatoire par un poste médical avancé. Les lésions sont de type « tremblements de terre », avec une prédominance des traumatismes craniofaciaux et des membres inférieurs. Cent vingt personnes sont mobilisées dans la cadre du déclenchement plan blanc (médecins, administratifs, logistiques et soignants)1 . 3. Une nuit de CUMP La CUMP pédiatrique a été déclenchée dans l’heure qui a suivi l’attentat. L’équipe CUMP plan blanc (3 médecins/1 cadre/1 psychologue/1 secrétaire) a été rapidement rejointe par des volontaires tous issus des services de pédopsychiatrie de l’établissement, alertés par les réseaux sociaux, la télévision ou des proches. Quatre bureaux, dans un espace calme de l’hôpital, sont dédiés à la CUMP. Dès les premières consultations, l’équipe comprend l’ampleur du traumatisme que vient de vivre la ville : familles hagardes, mères en pleurs « boule de chair que l’on vient d’amputer d’une part d’elles-mêmes » [2]. Des touristes se retrouvent en quelques secondes orphelin, veuf, parents attendant anxieusement le résultat d’une intervention chirurgicale. De 23 h 30 à 5 h 00, c’est un défilé incessant d’êtres humains brisés racontant l’horreur : le choc des corps contre les roues du camion, les enfants écrasées en poussette, la douleur de n’avoir pas pu protéger une fille, un fils, un petit frère, une jeune mère compte inlassablement sur ses doigts les membres de sa famille dispersés pour comprendre lequel manque. . . Loin du chaos extérieur qui va se poursuivre jusqu’au jour sur le bord de mer, dans cet espace clos, comme hors du temps, nous tentons d’organiser un espace contenant permettant au mieux l’attente et le soin. 4. Le rôle du cadre Dans un tel contexte, le rôle d’un cadre de santé est multiple. Il s’agit à la fois : • d’organiser l’espace de consultations, mais aussi de travailler en transversalité pour la recherche des personnes disparues dans les différents services ; • d’accompagner l’équipe des urgences en dirigeant les consultants vers l’espace CUMP ou en proposant un espace de parole sur place ; • de chercher du matériel (allant des chaussures aux biscuits et vêtements chauds) ; • d’obtenir des informations sur l’orientation des victimes dans les autres hôpitaux de la région ; • de renseigner le fichier Orsan2 dès sa mise en place afin de permettre l’enregistrement administratif du statut de victime, indispensable pour le suivi médical et l’accès à d’éventuelles indemnités. 1
Conférence Dr Brézac HPN, CHU Lenval, 8 avril 2017. Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles. 2
279
5. L’organisation de la CUMP post-attentat Dès le lendemain, la CUMP est prolongée, le défi est à la fois de trouver les locaux nous permettant de poursuivre les consultations (nous conserverons durant 15 jours un espace opérationnel avec une ligne téléphonique dédiée) et de mettre en place une équipe de consultations sur une amplitude d’horaire de 9 h à 23 h. En tant que cadre de santé, nous sommes garants de la qualité et de la continuité des soins. Il importe de fixer (au quotidien ou dans une situation exceptionnelle) des objectifs de travail précis : • planifier des intervenants issus (en majorité) de la pédopsychiatrie afin d’apporter une réponse clinique adaptée par leur connaissance de la clinique de l’enfant sur des horaires de consultations allant de 9 h à 23 h chaque jour ; • coordonner les debriefings des personnels de l’hôpital fortement impactés, en tant que soignants mais aussi en tant que citoyen, par l’attentat. Pour Louis Crocq, « le débriefing est un sas intermédiaire entre la fin de l’horreur et le retour à la normale » [3] ; • organiser les espaces de consultations, vérifier le matériel de travail, sans oublier de mettre à disposition tant pour les consultants que les soignants les petits plus bien traitants (eau minérale, café et biscuits, jeux et coloriages facilitant attente et heures de travail) ; • veiller à la remise des certificats médicaux CUMP et mise à jour des documents administratifs (Orsan2 ).
La posture du cadre doit être dans la distance, ne participant pas aux consultations. Il est moins « effracté » sur le plan psychique, que le reste du personnel soignant. Il est donc plus disponible dans une fonction de gestion, mais aussi de contenance vis à vis des intervenants. Face à la difficulté psychique d’accueillir les paroles des victimes, il importe qu’une personne (cadre, psychologue ou IDE coordinateur) puisse être dans une posture « contenante » lui permettant d’être attentif aux ressentis des intervenants, de prendre la décision de modifier le planning en percevant l’épuisement émotionnel face à la lourdeur des consultations (le dimanche 17 juillet, 100 consultations CUMP ont été dispensées). La connaissance de l’institution lui permet aussi d’organiser, en coordination avec la direction des soins et la médecine du travail, des moments de débriefings indispensables pour le personnel tant soignant qu’administratif et logistique. La charge de travail et la lourdeur physique et psychique de cette nuit a profondément marqué les équipes soignantes, en particulier aux urgences, qui ont du affronter des situations de soins particulièrement anxiogènes (six décès dont un en salle de déchoquage). Avec le recul, nous aurions dû mettre en place immédiatement un débriefing en fin de nuit afin que les soignants ne partent pas chez eux sans espace de parole. L’aide des CUMP d’autres départements est indispensable en particulier pour les débriefings car la parole semble plus aisée avec des personnes extérieures à l’institution, elle permet aussi
280
Éditorial/Point de vue / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 65 (2017) 278–280
un moment de répit aux équipes CUMP et l’expression d’une solidarité réconfortante. 6. Se former, se préparer pour faire face La capacité des CUMP à intervenir ne peut se concevoir sans formation, certes nos expériences hospitalières sont un socle qui nous étayent mais face à un évènement tel qu’un attentat ou une catastrophe naturelle, notre préparation est notre force [4]. En effet, elle va nous aider à gérer l’urgence et nous permettre de : • travailler en toutes circonstances et dans des conditions matérielles difficiles (CUMP à l’hôpital ou en pleine rue, la différence matérielle est énorme) ; • disposer des outils de travail selon la nomenclature CUMP ; • répondre au mieux aux besoins d’une population dans l’objectif d’une psychiatrie participative et citoyenne. L’action du cadre de santé, intégré à une CUMP, cible : • les besoins en formation des IDE CUMP afin qu’ils soient au mieux informés des actions de formations dédiées ; • la vérification avec l’équipe de l’intégrité du matériel CUMP ; • la proposition de réunions de travail spécifiques afin que chacun se connaisse pour mieux travailler ensemble dans l’urgence.
7. Conclusion Nous le savons tous, la question n’est pas quand ni même où cela va t’il se passer. Nous devons garder à l’esprit que cela va arriver. La mise en place matérielle et organisationnelle d’un dispositif comme la CUMP constitue est un élément essentiel pour assurer une prise en charge médicopsychologique optimale des victimes de catastrophes et d’attentats. L’expérience de la CUMP pédiatrique montre l’importance de la préparation et la formation des personnels. Elle souligne aussi la nécessité de constituer pour eux un environnement de travail qui dans ce contexte prend en compte les difficultés psychologiques qu’ils
rencontrent dans un tel contexte. D’une part, les personnels soignants des urgences sont confrontés lors d’un événement comme celui de Nice, à un afflux de blessés qui est pour eux source de stress et nécessite une gestion émotionnelle complexe. D’autre part, le personnel CUMP est lui-même soumis à une charge mentale extrêmement lourde, à travers l’écoute de récits comportant la dimension de l’horreur. La prise en charge des enfants, qui doit tenir compte pour chaque cas de leur âge de développement et de leur contexte familial, n’en est que plus complexe. On parle de traumatisme vicariant pour désigner une surcharge émotionnelle qui touche les professionnels confrontés à la souffrance d’autrui, ou placés dans des situations qui leur font éprouver des émotions intenses de fac¸on répétées [5]. Le cadre de santé occupe dans ce dispositif une place importante par la mise en œuvre d’une organisation matérielle et logistique qui se révèle essentielle à la qualité et la continuité des soins psychiques pouvant être proposés aux enfants. Il s’agit pour nous « de transformer une expérience en conscience » [6]. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts. Références [1] Crocq L. La cellule d’urgence médicopsychologique. Sa création, son organisation, ses interventions. Ann Med Psychol 1998;156:48–54. [2] Gaude L. Écouter nos défaites. Paris: Actes Sud; 2016. [3] Ponseti-Gaillochon A, Duchet C, Molenda S. Le débriefing psychologique. Paris: Dunod; 2009. [4] Borgne N. Sensibilisation et préparation des intervenants. In: De Clercq M, Lebigot F, editors. Les traumatismes psychiques. Paris: Masson; 2001. [5] Damiani C. Traumatisme vicariant. In: Les mots du trauma. Savigny-surOrge: Philippe Duval. p. 269–70. [6] Malraux A. L’espoir, 1937, 2. Paris: Gallimard, La Pléiade; 1996.
Cadre de santé E. Guesnier Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, hôpitaux pédiatriques de Nice, CHU Lenval, secteur 06I04, 57, avenue de la Californie, 06200 Nice, France Adresse e-mail :
[email protected]