Le scanner post-mortem : état des lieux des pratiques en France en 2013

Le scanner post-mortem : état des lieux des pratiques en France en 2013

La revue de médecine légale (2015) 6, 47—52 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Le scanner post-mortem : ...

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La revue de médecine légale (2015) 6, 47—52

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

Le scanner post-mortem : état des lieux des pratiques en France en 2013 The post-mortem scanner: An inventory on French practices in 2013 A. Delbreil a,*,b, A. Gambier a, M. Lebeau a, M. Voyer a, T. Houpert a, M. Sapanet a,b a

´ decine le ´ gale, CHU de Poitiers, CS 90577, 86020 Poitiers cedex, France Service de me ´ de me ´ decine et de pharmacie, universite ´ Poitiers, 6, rue de la Mile ´ trie, TSA 51115, Faculte 86073 Poitiers cedex 9, France

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Disponible sur Internet le 17 juillet 2015

MOTS CLÉS Scanner ; Imagerie ; Décès ; Thanatologie ; Post-mortem ; Autopsie

KEYWORDS Scanner; Imagery;

Résumé Le scanner post-mortem est un examen d’imagerie de plus en plus utilisé dans le domaine médico-légal, avant autopsie ou examen externe. De nombreux instituts médico-légaux ont depuis quelques années la possibilité d’en effectuer régulièrement. Cependant, nous avons pu remarquer au cours des rencontres scientifiques de la Société française de médecine légale, qu’il existe de nombreuses disparités sur le territoire portant notamment sur le coût du scanner, ses indications, son mode d’obtention ou sa réalisation. De plus, pour la plupart d’entre nous, de longues négociations ont été nécessaires auprès des magistrats pour montrer l’intérêt et l’apport scientifique du scanner pré-autopsique ; mais également avec les services de radiologie pour faire accepter la présence des cadavres dans leurs locaux. L’évolution des pratiques doit faire face à de multiples obstacles. Toutefois, ces discussions ont parfois abouti à la mise en place de protocoles précis pouvant servir d’exemple. Par l’intermédiaire d’un questionnaire envoyé aux responsables de chaque institut médico-légal en France (Métropole et Outre-mer), nous avons cherché à établir un état des lieux des pratiques en imagerie post-mortem sur notre territoire. Ce recueil a permis de pointer les difficultés que peuvent rencontrer certains d’entre nous dans l’obtention de ce type d’examen, d’échanger et partager nos expériences et ainsi de bénéficier de nouveaux arguments dans les prises de décision avec nos juridictions respectives. # 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Post-mortem scanning is an imaging test that is increasingly prevalent in forensics, prior to autopsy or external examination. Numerous legal and forensic medicine institutes are now in a position to ensure its routine use. However, during several scientific meetings, particularly at the Socie ´te´ franc¸aise de me´decine le´gale, we have noted that in France, there

* Auteur correspondant. E-mail address: [email protected] (A. Delbreil). http://dx.doi.org/10.1016/j.medleg.2015.06.002 1878-6529/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

48 Death; Thanatology; Post-mortem; Autopsy

A. Delbreil et al. exist numerous disparities as regards the apparatus’s cost, its indications and the means of acquiring and putting it to use. Furthermore, most of us have had to engage in lengthy negotiations with magistrates so as to demonstrate the interest and the scientific value of a pre-autopsy scanner, and we have also had to try to persuade radiology services to accept the presence of corpses on their premises. Evolving practices are confronted with multiple roadblocks. That much said, negotiations have at times concluded with the establishment of precise protocols that may serve as examples. By means of a questionnaire sent to the persons in charge of the legal and forensic medicine institutes in mainland and overseas France, we have attempted to carry out an inventory of the country’s currently existing post-mortem imagery practices. This survey has enabled us to pinpoint the difficulties many of us have encountered when attempting to proceed to this type of examination; it has also allowed us to exchange and share our experiences and to develop new arguments with regard to decision-making in our respective jurisdictions. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

Matériel et méthode

Le scanner post-mortem est un examen d’imagerie aujourd’hui parfaitement reconnu dans le domaine médico-légal, très fréquemment utilisé avant autopsie ou examen externe [1—4]. Il présente l’avantage d’être un examen rapide, non invasif, reproductible, qui apporte dans certains dossiers judiciaires des réponses précises aux différentes questions des magistrats et qui permet également de mieux préparer l’autopsie. Il offre la possibilité de combiner les images à partir des différents plans de coupe et ainsi d’obtenir des représentations en deux ou trois dimensions de différentes parties du corps ; images particulièrement utiles pour la détermination d’une trajectoire de tir ou l’orientation d’une plaie profonde par exemple. L’imagerie post-mortem présente un triple avantage : celui de figer et conserver une image du corps la plus complète possible avant tout geste technique, celui de pouvoir partager les images avec d’autres professionnels et enfin de pouvoir les intégrer dans des rapports ou de les présenter à des jurés au cours d’un procès. Ces images sont très appréciées des magistrats car elles montrent des représentations internes du corps humain moins choquantes que les photographies prises en cours d’autopsie [2]. Depuis plusieurs années, de nombreux instituts médicolégaux (IML) ont la possibilité d’effectuer régulièrement des scanners post-mortem. Cependant, nous avons pu remarquer au cours des rencontres scientifiques de la Société française de médecine légale, qu’il existe de nombreuses disparités sur le territoire français, portant notamment sur le coût du scanner, ses indications, sa facilité d’obtention ou sa réalisation. Dans certaines indications, ce type d’imagerie est considéré par la littérature scientifique comme un examen thanatologique de routine, en association avec un examen externe ou une autopsie. Il est particulièrement recommandé en cas d’identification d’un corps putréfié ou carbonisé, de mort inattendue du nourrisson, de recherche du trajet d’une plaie perforante, de traumatisme crânien ou de polytraumatisme [3,4,5,6]. Toutefois, l’évolution des pratiques doit faire face à de multiples obstacles et cet article propose de regrouper et d’exposer les différentes pratiques des IML français.

Nous avons référencé l’ensemble des IML pratiquant des autopsies médico-légales en France (France métropolitaine et départements d’outre-mer), à l’aide du site internet de l’Observatoire national de la médecine légale et de la circulaire interministérielle des 27 et 28 décembre 2010 relative à la réforme de la médecine légale [7,8]. Un questionnaire standardisé a été adressé en mars 2013, par mail, aux 31 IML concernés. Deux mails de relance ont été envoyés en mai 2013 aux IML n’ayant pas répondu. Le questionnaire abordait les thématiques suivantes :  identification de l’IML ;  réalisation de scanner post-mortem (systématique/selon indications à préciser, scanner corps entier, épaisseur des coupes ?) ;  relations avec le parquet (réflexion menée avec le parquet, protocole mis en place, obtention de l’examen à chaque demande, coût facturé à la justice ?) ;  relations avec le service de radiologie (protocole mis en place, obtention de l’examen à chaque demande, réticences à recevoir des cadavres ?) ;  organisation (horaires ou jours spécifiques pour réaliser l’examen, scanner dans le même bâtiment que l’IML, mode de transport du corps ?) ;  interprétation des images (par un radiologue, si oui a-t-il une qualification particulière en médecine légale, est-il requis nominativement ?) ;  réalisation d’autres types d’imageries (lesquels ?) ;  commentaires libres. Le coût du scanner post-mortem est généralement calculé en fonction de la cotation sécurité sociale des scanners pratiqués sur une personne vivante. Cependant, plusieurs types de cotation sont applicables pour calculer le coût d’un scanner corps entier correspondant aux honoraires de l’interprétation du scanner et à ceci s’ajoutent des forfaits techniques rémunérant la réalisation de l’examen. Chaque centre hospitalier a donc la possibilité de négocier de manière différente le coût du scanner post-mortem avec les parquets référents. Pour permettre une comparaison des coûts entre IML, nous avons choisi de prendre comme base le tarif appliqué au centre hospitalier universitaire de Poitiers

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depuis 2013 qui est de 207,92 s par scanner post-mortem [9]. Ce montant a été calculé de la façon suivante :  scanner de 3 régions anatomiques ou plus avec injection de produit de contraste (acte CCAM ZZQH033 avec modificateur Z) : 75,81 s + 21,8 % = 92,34 s [10] ;  forfait technique à 100 % : 100,51 s ;  forfait technique à 15 % : 15,07 s. Les données ont été recueillies dans un tableau Excel, permettant leur exploitation aux fins de produire des statistiques descriptives.

Figure 2

Répartition des IML selon le tarif de facturation du scanner post-mortem.

Résultats Nous avons obtenu 23 réponses (74,2 %) sur les 31 IML ayant reçu le questionnaire. Parmi les réponses, 21 IML se trouvent en France métropolitaine et 2 dans les départements d’outre-mer. La quasi-totalité des instituts ayant répondu réalisent des scanners post-mortem de manière régulière (95,7 %, n = 22). Un centre n’en pratique pas encore mais est en train de mettre cette pratique en place. Les résultats ont donc été calculés sur un total de 22 centres. Ce sont toujours des scanners corps entier, avec une épaisseur de coupe de 1 mm dans la moitié des cas (n = 11) [2 centres pratiquent des coupes plus épaisses et 9 centres n’ont pas su répondre à cette question]. Le scanner n’est pratiqué à titre systématique avant chaque autopsie que par 5 IML (22,7 %), avec une exception pour l’un d’entre eux que constituent les corps dégageant une odeur putride. Ainsi, 17 IML (77,3 %) posent des indications préalables pour la réalisation de cet examen (Fig. 1). À ce jour, les examens d’imagerie post-mortem ne font pas partie de l’enveloppe financière allouée aux IML par la réforme de la médecine légale. Lorsqu’ils sont effectués, ils sont donc facturés de manière indépendante aux parquets des départements concernés, constituant alors un coût supplémentaire pour la justice. Dans ce contexte, la réalisation plus régulière des scanners post-mortem a fait l’objet d’une réflexion avec le parquet de la juridiction locale pour 10 IML (45,5 %). À l’issue, 4 IML (18,2 %) ont signé un protocole spécifique avec le parquet. Malgré l’absence de protocole dans la plupart des IML, lorsqu’un scanner post-mortem est demandé par le médecin

légiste, celui-ci est accordé par le parquet dans 72,7 % des IML (n = 16). La Fig. 2 montre une répartition des IML en fonction du coût facturé pour un scanner post-mortem. Dans la majorité des cas, les services de radiologie acceptent toutes les demandes de scanners post-mortem (86,4 % des IML, n = 19), à condition que les IML s’adaptent aux horaires proposés. Un protocole interne (entre service de radiologie et IML) a été signé dans la moitié des centres hospitaliers interrogés. Il existe toutefois des réticences à recevoir des cadavres de la part du personnel des services de radiologie dans 40,9 % des IML (n = 9). Le programme des services de radiologie est habituellement complet et il semble difficile de transporter des cadavres devant les patients en attente de leur examen. Ces deux contraintes organisationnelles se retrouvent dans tous les centres hospitaliers. Des horaires spécifiques pour la réalisation des scanners post-mortem ont alors été aménagés dans 17 IML (77,3 %). Ainsi, les plages horaires privilégiées sont le matin avant 8 h (n = 10), le soir après 18 h (n = 8) et parfois entre 12 h et 14 h (n = 3), voire la nuit (n = 1). Le scanner se trouve dans le même bâtiment que l’IML pour 8 centres (36,4 %). Le transport du corps est fait par des agents de la morgue dans la majorité des cas (54,5 %, n = 12), ou des brancardiers (13,6 %, n = 3), du personnel des pompes funèbres (13,6 %, n = 3), enfin des internes (9,1 %, n = 2) ou des ambulanciers de l’hôpital (9,1 %, n = 2). De plus, un membre du personnel médical (interne ou médecin) est présent pendant le transport de corps au scanner dans 4 IML (18,2 %). L’interprétation du scanner post-mortem est faite par un radiologue dans 90,9 % des IML (n = 20). Ce dernier est requis

14 12

Nb d'IML

10 8 6 4 2 0

Arme à feu

Figure 1

Traumasme

Putréfié, non idenfié

Carbonisé

Arme blanche

Immersion

MIN

Indications les plus fréquentes motivant la réalisation d’un scanner post-mortem.

50

A. Delbreil et al. 25

Nombre d'IML

20 15 10 5 0 Scanner

Figure 3

Radiographie

Radioscopie

IRM

Angioscanner

Types d’examens d’imagerie utilisés en thanatologie en France.

nominativement dans 40 % des IML (n = 8) et possèderait une compétence médico-légale dans 20 % des cas (n = 4), celle-ci n’ayant pas été précisée dans les réponses au questionnaire. La plupart des IML (86,4 %, n = 19) ont également recours à d’autres examens d’imagerie que le scanner en pratique thanatologique, certaines pratiques restant expérimentales et l’apanage de quelques IML en France (Fig. 3). Dans l’analyse des questionnaires, les commentaires libres révèlent essentiellement un coût élevé du scanner post-mortem, souvent difficile à faire accepter à la justice. Certains centres évoquent des réticences accrues à l’examen de la part du service de radiologie, en raison notamment des odeurs nauséabondes de certains corps. Un IML, localisé dans un département d’outre-mer, rapporte des réticences globales à la pratique thanatologique, liées aux croyances locales toujours très présentes. Un IML relate quant à lui avoir pris l’initiative de mettre en place un staff de radiologie mensuel, pour comparer le résultat de l’autopsie à l’interprétation du scanner faite par le radiologue, dans l’objectif d’améliorer la qualité de l’interprétation. Enfin, l’ensemble des centres témoignent d’une pratique qui, lorsqu’elle n’est pas courante, est actuellement en plein développement.

Discussion Depuis quelques années, la réalisation de scanners postmortem en pratique médico-légale est en pleine expansion en France et dans de nombreux pays [1,3,4,11]. Cet examen peut permettre de déterminer la cause médicale et le mode du décès dans différentes situations, de détecter des lésions évocatrices de l’intervention suspecte d’un tiers ou de diagnostiquer un éventuel état antérieur [1]. Il peut favoriser la découverte de lésions susceptibles d’être plus difficilement visibles à l’autopsie en raison de la dissection non systématique de certaines régions anatomiques [5]. Il peut également mettre en évidence des lésions complexes (fractures par exemple) permettant alors d’adapter l’abord ou la technique de dissection [12]. Il fige l’image tridimensionnelle du corps avant l’acte d’autopsie et les modifications des rapports anatomiques qui en découlent. Il offre des images acceptables du corps, moins violentes que des photographies d’autopsie pour des personnes non issues du milieu médical, qui peuvent se révéler précieuses au cours d’un procès [13]. Devant un corps en état de putréfaction avancée ou non identifié, il peut participer à l’identification du corps

(recherche de matériel chirurgical par exemple), mais permet également de rechercher des éléments évocateurs de l’intervention d’un tiers pouvant potentiellement passer inaperçus à l’examen en salle d’autopsie à cause de l’état de dégradation du corps [14]. En outre, les images peuvent être traitées de manière à réaliser des reconstructions en trois dimensions du corps ou à reconstituer une trajectoire à partir d’un(e) ou plusieurs orifice(s) ou plaie(s), avec l’avantage de ne pas modifier les rapports des organes entre eux contrairement à l’autopsie [4,15]. Enfin, cet examen peut facilement être archivé pour exploitation ultérieure (nouvelle interprétation, expert balisticien, enseignement et recherche scientifique. . .) et constitue une banque de données thanatologiques importante. Nous avons réalisé cette enquête dans le but de décrire les pratiques de scanner post-mortem dans les différents services de médecine légale sur le territoire français, en termes de relation avec le milieu judiciaire (le parquet), les services de radiologie, et de facilité l’obtention de l’examen demandé. Ce recueil d’informations a permis de prendre connaissance de la diversité des situations existantes actuellement, dans l’objectif de tenter d’harmoniser les pratiques dans ce domaine et de bénéficier de nouveaux arguments de nature à convaincre plus facilement nos juridictions respectives de l’intérêt de cet examen. Nous avons contacté par mail les 31 centres de médecine légale référencés en France. Les mails étaient adressés aux différents chefs de service dans un souci de clarification et de volonté de n’obtenir qu’une seule et unique réponse validée par institut, compte tenu de la nature relativement ouverte de certaines questions posées. Le taux de retour est bon (23/31), après deux relances par courrier électronique. Le seul centre ne pratiquant pas le scanner post-mortem au moment de notre recueil de données élaborait un protocole avec le parquet et le service de radiologie local. Les résultats mettent en évidence que malgré une utilisation grandissante du scanner post-mortem, peu d’IML en effectuent de manière systématique avant autopsie ou examen externe de corps. En revanche, bon nombre d’entre eux posent des indications pertinentes (essentiellement décès par arme à feu, décès traumatique, corps en état de putréfaction ou carbonisé), conformément aux recommandations de la littérature médico-légale nationale et internationale [3,6,12,13]. La réalisation des scanners post-mortem a souvent fait l’objet de discussions avec le parquet, notamment en ce qui concerne son intérêt scientifique, mais aussi judiciaire et son

Le scanner post-mortem : état des lieux des pratiques en France en 2013 coût. À ce titre, il apparaît primordial que l’indication du scanner demeure à la charge du médecin, plus à même d’en déterminer l’apport précis en fonction des circonstances d’enquête, sans qu’interfère la question du financement de l’acte dans sa décision. En effet, la question du coût des examens est cruciale en médecine légale, car les scanners et autres examens complémentaires d’imagerie n’entrent pas dans l’enveloppe allouée annuellement par le ministère de la Justice pour le fonctionnement du service. Ce surcoût, supporté entièrement par les juridictions, est le principal frein à la réalisation de l’examen dans les différents instituts. Ainsi, sauf cas particulier de protocole établi avec le parquet local, chaque examen doit souvent être discuté avant d’être accordé par le magistrat, qui parfois persiste à le refuser malgré des indications évidentes. Il ressort de notre étude que ce coût est très disparate sur le territoire français et ne fait pas encore l’objet d’un consensus national. Le tarif de 207,92 s que nous avons choisi comme référence ici, est basé sur une cotation sécurité sociale à laquelle s’ajoutent des forfaits techniques. Nous retrouvons dans notre étude 11 IML pratiquant un tarif supérieur à celuici. Ceci peut s’expliquer par le fait que l’hôpital facture au parquet une autre cotation sécurité sociale. Deux IML ne facturent pas les examens réalisés à la justice. Il s’agit là de pratiques en lien avec un faible nombre d’examen (quelques corps par an), qui soit s’avèrent négligeables sur le plan du budget de l’hôpital, soit résultent d’une « stratégie » visant à faire admettre aux juridictions locales l’intérêt d’un tel examen, avant d’en augmenter progressivement le nombre et de le facturer au parquet. Concernant les relations entre les services de médecine légale et ceux de radiologie, il ressort de cette étude que, si les premiers contacts n’ont pas toujours été évidents du fait de la présence de cadavres (relation complexe à la mort), des odeurs associées, des inquiétudes liées à l’hygiène ou des réticences de certains manipulateurs en radiologie, la plupart des centres se sont adaptés et les relations sont progressivement devenues cordiales. Un institut des DOM évoque cependant des croyances locales entourant le respect du corps des défunts souvent sources de réticences voire de refus des examens de la part des manipulateurs en radiologie. Ainsi, de rares IML ont recours à des cliniques libérales pour la réalisation de leurs scanners devant les difficultés posées par certains services de radiologie, et d’autres rapportent avoir dû faire des concessions pratiques (les corps putréfiés ou noyés sont radiographiés et non scannés). La plupart d’entre nous réalisent les scanners le matin ou le soir, c’est-à-dire avant ou après le programme de la journée du service de radiologie. Ces horaires se justifient par la nature même de notre spécialité dans laquelle il est quasiment impossible d’avoir une activité planifiée sur plusieurs jours. Par ailleurs, il apparaît peu éthique — et les manipulateurs en radiologie se montrent souvent réservés — de pratiquer un scanner à visée thanatologique en pleine journée, entre des examens s’inscrivant dans une activité de soin chez des patients vivants. Enfin, la question du brancardage d’un corps entre la morgue et le service de radiologie, en pleine journée, dans des couloirs où circulent de nombreux patients et leur famille, est bien complexe et parfois non souhaité par les gestionnaires des centres hospitaliers.

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Pour que l’examen soit le plus contributif possible, il semble nécessaire de fournir aux manipulateurs quelques informations concernant les circonstances de décès. De ce fait, ils peuvent approfondir leur travail de reconstruction d’images sur des zones spécifiques du corps et les adapter au cas par cas. La transmission de ces informations justifie dans certains IML que le transport du corps soit effectué en présence d’un personnel médical (interne ou médecin), toujours présent pour répondre aux éventuelles questions des manipulateurs. Elle peut également se faire oralement lors de la prise de rendez-vous par exemple. L’interprétation des scanners est faite dans la majorité des cas par un radiologue possédant assez rarement une compétence spécifique en médecine légale, ou les médecins légistes eux-mêmes. Devant l’absence fréquente de compétences médico-légales des radiologues, se pose la question de l’interprétation des phénomènes cadavériques, des artéfacts post-mortem, de leur sensibilité à tenir compte de certaines lésions pouvant paraître mineures à leurs yeux (tels des hématomes sous-cutanés par exemple). À l’inverse, le médecin légiste manque souvent de compétence en radiologie pour interpréter correctement certaines images pathologiques [16]. Poulsen et Simonsen apportent leur avis sur ce sujet dans une étude comparant les conclusions de 525 scanners à celles de l’autopsie médico-légale qui a suivi, à l’institut de médecine légale de Copenhague [4]. Ils concluent en insistant sur l’intérêt du scanner en pratique thanatologique, et estiment qu’un médecin légiste sans compétence radiologique particulière serait apte à lire un scanner, à condition qu’il possède une certaine expérience dans sa discipline, qu’il ait accès aux premiers éléments de l’enquête (circonstances du décès) et qu’il dispose d’une épaisseur de coupe satisfaisante. Il apparaît donc nécessaire, pour obtenir une interprétation fiable, qu’il existe une collaboration entre les deux services, dans la lecture ou la relecture des examens, avec éventuellement un retour d’information pour le service de radiologie sur les résultats de l’autopsie. En ce sens, la mise en place d’un staff régulier commun permettant un échange autour des cas complexes, comme le propose l’un des IML interrogés, participe à l’amélioration des relations entre services. Cette compétence médico-légale thanatologique se développe en radiologie depuis quelques années grâce aux formations proposées par la Société française de radiologie et en particulier le Groupe de recherche en autopsie virtuelle et en imagerie thanatologique (GRAVIT) : formations ponctuelles au cours des Journées françaises de radiologie ou autres congrès, DU d’imagerie médico-légale à Paris-Descartes et DU d’imagerie forensique à Toulouse 3. Pour compléter ces formations spécifiques, des recommandations et guides de bonnes pratiques sont en cours de rédaction en France par l’intermédiaire du GRAVIT et sur le plan international par l’intermédiaire de l’International Society of Forensic Radiology and Imaging (ISFRI). Au moyen de ces différentes initiatives, il est possible d’envisager à l’avenir une étroite collaboration entre radiologues et médecins légistes pour l’interprétation des examens d’imagerie post-mortem, devenant ainsi une activité clairement transdisciplinaire. La radiographie reste toutefois un outil encore largement utilisé dans la plupart des IML, notamment par ceux qui ont

52 des difficultés d’accessibilité au scanner ou en remplacement du scanner lorsque celui-ci n’est pas disponible. L’IRM est encore peu utilisée, certainement en raison de son coût élevé, du temps d’acquisition plus long et de conditions d’accès plus difficiles, mais montre un intérêt non négligeable dans certaines circonstances comme la mort inattendue du nourrisson et les traumatismes crâniens. La pratique de l’angioscanner est également encore peu répandue. Cette méthode nécessite un matériel coûteux et une formation spécifique avant sa mise en place et est principalement utilisée, à ce jour, dans un contexte scientifique d’évaluation et de recherche.

Conclusion Cette étude montre la diversité d’utilisation de la tomodensitométrie en thanatologie sur le territoire français. Il semble se dessiner une tendance à recourir de plus en plus fréquemment à ce type d’examen, avec des indications et une mise en pratique globalement homogènes. Les contraintes d’organisation sont plus ou moins inhérentes au mode de fonctionnement des centres hospitaliers auxquels sont rattachés les IML et dépendantes d’une bonne collaboration entre l’administration hospitalière, le service de radiologie et l’IML. Une adaptation locale est donc nécessaire dans tous les IML, pour assurer le bon fonctionnement de cette activité multidisciplinaire. L’élément principal freinant la pleine utilisation du scanner dans notre spécialité est son coût, se rajoutant aux différents frais de justice que doivent supporter les tribunaux de grande instance. Ce coût a jusqu’à présent été décidé de manière indépendante dans chaque IML après discussion et accord entre le procureur de la République et le directeur général de l’hôpital. Notre étude met en évidence sur ce point une hétérogénéité importante, pouvant probablement être réduite par la mise en place d’un tarif commun applicable sur le plan national, voire une prise en compte de ce coût dans l’enveloppe annuelle du budget alloué au fonctionnement de la médecine légale. La poursuite des échanges, des discussions entre IML, mais également entre les instances supérieures de la médecine légale et ministérielles, semble indispensable pour améliorer et harmoniser l’accessibilité à l’imagerie tomodensitométrique dans tous les centres de références en thanatologie.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

A. Delbreil et al.

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