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Cas clinique
Le typage du diabète est-il utile au patient ? Is etiologic diagnosis useful for the patients with diabetes?
R. Ducloux, J.-J. Altman
Résumé
Service de diabétologieendocrinologie-nutrition, Hôpital Européen Georges-Pompidou, AP-HP, Paris ; Université Paris V Descartes.
Le typage du diabète est important pour une prise en charge adéquate du patient : adaptation du traitement et de la surveillance, recherche de comorbidités, dépistage familial. Le bilan étiologique doit toujours être guidé par l’histoire clinique et un examen attentif du patient, afin d’utiliser à bon escient, s’ils s’avèrent nécessaires, des examens paracliniques souvent coûteux : biologie, imagerie, génétique… Le diabétologue doit avoir à l’esprit les différentes étiologies du diabète, qu’elles soient fréquentes (diabètes de type 2, de type 1, pancréatopathies), ou plus rares (diabètes monogéniques ou mitochondriaux, diabètes endocriniens ou syndromiques…). Le cas clinique présenté ci-dessous vous permettra un exercice pratique de diagnostic étiologique du diabète sucré. Mots-clés : Diabète sucré – étiologie – typage – diabète MELAS.
Summary The etiologic diagnosis of diabetes is important to provide better care to our patients: it allows to tailor the antidiabetic treatment, to search for associated diseases, and also to estimate the risk of relatives. A targeted interview and clinical examination of patients diagnosed with diabetes mellitus will help to prescribe, if necessary, adequate paraclinical investigations without excessive additional cost (biology, imaging, genetic testing…). Diabetologists must remember the WHO’s classification of diabetes: frequent etiologies such as type 2, type 1, or pancreatic diabetes, but also less frequent causes (monogenic mutations, mitochondrial diabetes, endocrinopathies, genetic syndromes…). We present a case-report, as a pragmatic exercise to discover our patient’s type of diabetes. Keys-words: Diabetes mellitus – etiology – diagnosis – MELAS diabetes.
Chapitre 1 Arrivée aux urgences, transfert en médecine interne Correspondance Roxane Ducloux Service de diabétologieendocrinologie-nutrition Hôpital Européen Georges-Pompidou 20, rue Leblanc 75908 Paris cedex 15
[email protected] © 2015 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.
• Homme de 52 ans, d’origine marocaine, adressé aux urgences pour syndrome polyuro-polydipsique avec asthénie, douleurs abdominales et vomissements, perte pondérale de 5 kg (59 kg ; taille : 1,76 m ; indice de masse corporelle [IMC] : 19 kg/m2). Découverte
de diabète (glycémie : 9,1 g/l ; HbA1c : 17 %) avec décompensation cétosique sans acidose (cétonurie : 1,5 mmol/l ; pH 7,41), hyponatrémie (Na corrigé : 131 mmol/l) et insuffisance rénale (créatininémie : 166 μmol/l). • Antécédents : • d’hypertension artérielle (HTA), sous inhibiteur de l’enzyme de conversion et inhibiteur calcique ; • de dyslipidémie mixte, sous statine ; • d’accidents ischémiques transitoires (AIT), avec deux épisodes à
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30 ans, quatre épisodes à 39 ans, avec bilans étiologiques négatifs et mise sous antiagrégant plaquettaire ; • d’accident vasculaire cérébral (AVC) à 46 ans, avec hémiparésie gauche séquellaire, bilan étiologique négatif ; • d’ostéosynthèse du fémur gauche à 27 ans, pour une fracture traumatique ; • de tabagisme à 35 paquets-années ; • de diabète chez un frère cadet, déclaré vers 45 ans, sous antidiabétique oraux (fratrie de 8). • Aux urgences, réhydratation et insulinothérapie intraveineuses durant une journée, puis transfert en médecine interne, où un relais par insulinothérapie sous-cutanée et mis en place sous forme de schéma basal-bolus (0,8 U/kg/ jour), avec début d’éducation à la diététique, à l’autosurveillance glycémique (ASG) et à l’auto-injection d’insuline. • À quel type de diabète pensezvous ? R diabète de type 2 R diabète de type 2 cétosique R diabète de type 1 R autre …....... Commentaires En faveur du diabète de type 2 (DT2), on retrouve l’âge, l’HTA, la dyslipidémie, l’hérédité familiale ; il n’y a cependant pas de surcharge pondérale. La symptomatologie bruyante au diagnostic avec cétose mais sans acidose, ainsi que l’origine géographique, font évoquer un DT2 cétosique. Les arguments en faveur du diabète de type 1 (DT1) sont l’absence de surcharge pondérale, le syndrome cardinal, et la cétose. La sévérité du tableau clinique et les symptômes digestifs peuvent inciter à rechercher un cancer pancréatique, même s’il n’y a pas d’anomalie du bilan hépatique. • Quel bilan étiologique demandezvous ? R échographie abdominale R scanner thoraco-abdominal R auto-anticorps anti-glutamic acid decarboxylase (anti-GAD) et anti-insulinoma antigen-2 (anti-IA-2) R autre ..........
Commentaires Les internistes ont prescrit un scanner abdominal en externe à la recherche d’une pancréatopathie, et les auto-anticorps du DT1 au vu de l’âge du patient. Aucun bilan biologique antérieur n’est disponible chez ce patient n’ayant consulté qu’une fois son médecin traitant au cours des dernières années. • Le patient sort d’hospitalisation après 6 jours, avec infirmier(ère) à domicile pour 8 jours, consultation diabétologique à 1 mois, et hospitalisation programmée à 2 mois en diabétologie pour éducation thérapeutique. • Lors de la consultation diabétologique, le schéma insulinique basal-bolus est ajusté en fonction des résultats d’autosurveillance glycémique, avec toujours une dose quotidienne d’insuline de 0,9 U/kg/jour.
Chapitre 2 Hospitalisation programmée en diabétologie • Le patient est hospitalisé pour 5 jours en diabétologie, dans l’objectif de finaliser le bilan étiologique, de réaliser le bilan de retentissement et de poursuivre l’éducation thérapeutique. À l’entrée, le patient nous informe avoir arrêté de luimême tout son traitement insulinique depuis 3 semaines du fait de nombreuses hypoglycémies. • Le poids est de 64 kg (IMC : 21 kg/m2), l’HbA1c à 8,4 %. Les examens prescrits en médecine interne sont récupérés : le scanner abdominal ne montre pas d’anomalie, et les auto-anticorps sont négatifs. L’examen clinique retrouve uniquement une diminution de la force musculaire de l’hémicorps gauche et des paresthésies du membre supérieur gauche, séquellaires de l’AVC. Il n’y a ni rétinopathie, ni neuropathie, mais une insuffisance rénale chronique modérée (créatininémie : 148 μmol/l ; DFG estimé par l’équation de la MDRD [Modification of Diet in Renal Disease] : 43 ml/min/1,73 m2) avec macroprotéinurie à 0,5 g/24h. L’ECG de repos est sans anomalie, la scintigraphie myocardique (demandée dans l’hypothèse d’un diabète ancien négligé, avec
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antécédents cérébraux et nombreux facteurs de risque cardiovasculaire) est négative. Il existe un retentissement cardiaque de l’HTA, avec hypertrophie ventriculaire gauche à l’échocardiographie, et rétinopathie hypertensive au fond d’œil. Les chiffres tensionnels sont équilibrés sous traitement, le LDL-cholestérol est à l’objectif, avec un HDL-cholestérol bas (0,30 g/l), et des triglycérides non optimaux (1,9 g/l). • Les glycémies sont correctes durant le séjour sous diététique seule : moyenne préprandiale 1,08 ± 0,20 g/l, moyenne postprandiale 1,51 ± 0,41 g/l, moyenne nocturne 1,17 ± 0,04 g/l, permettant de surseoir à un traitement médicamenteux malgré l’HbA1c au-delà de l’objectif. • À quel type de diabète pensezvous ? R diabète de type 2 R diabète de type 2 cétosique R diabète de type 1 R autre .......... Commentaire L’hypothèse d’un DT2 cétosique semble se confirmer au vu du contexte métabolique et de l’évolution clinique avec retour rapide à une insulinosécrétion normale. • Quel bilan étiologique demandezvous ? R aucun examen supplémentaire R dosage des lactates R autre .......... Commentaires L’hypothèse d’un diabète mitochondrial de type MELAS (Myopathy Encephalopathy Lactic Acidosis Syndrome, voir encadré) [1, 2] est évoquée par les diabétologues devant les antécédents nombreux d’AIT et d’AVC survenus dès l’âge de 30 ans, sans cause retrouvée lors des explorations neuro-vasculaires. L’arbre généalogique est cependant en défaveur, puisque qu’il n’y a pas de transmission maternelle, pas de surdité ou de cardiopathie retrouvée dans la famille. De plus, la macroangiopathie peut être expliquée par une HTA ancienne avec retentissement cardiaque et rénal. Avant d’effectuer une recherche génétique, il est décidé de rechercher des arguments supplémentaires pour un
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diabète MELAS en effectuant un dosage des lactates.
Chapitre 3 Suivi en consultation diabétologique • Cinq mois après l’hospitalisation en diabétologie, le patient est revu avec une perte de 2 kilos attribuée au suivi des mesures hygiéno-diététiques (62 kg, IMC : 20 kg/m2), une glycémie à jeun à 1,45 g/l, une HbA1c à 7,1 % sous diététique seule, une fonction rénale stable, des lactates dosés à 3,3 mmol/l (N < 2,2) et 2,1 mmol/l (N = 0,5-1,6). • Que prescrivez-vous ? R aucun autre examen R recherche génétique du diabète MELAS R recherche génétique de diabète MODY (Maturity onset diabetes of the young) R autre .......... Commentaire L’objectif d’HbA1c est établi ≤ 6,5 % au vu du caractère récent du diabète : 500 mg de metformine sont introduits. Après consentement éclairé du patient, des échantillons sanguins et urinaires sont adressés en laboratoire de génétique à la recherche de mutation ou de délétion de l’ADN mitochondrial. • L’étude du gène de l’ARN de transfert de la leucine retrouve une mutation MELAS à l’état hétéroplasmique, minoritaire dans l’ADN leucocytaire, mais majoritaire dans les cellules du culot urinaire, avec un pourcentage de mutation d’environ 70 %. Une consultation d’annonce est programmée. • Que proposez-vous au patient ? R un audiogramme R une échocardiographie R une modification du traitement, sachant que l’HbA1c est à 6,3 % sous metformine 500 mg/jour R des mesures hygiéno-diététiques spécifiques R un dépistage familial R autre .......... Commentaires – Comme dans la plupart des maladies génétiques, la recherche des différentes composantes du syndrome doit être
effectuée. Chez ce patient, le bilan cardiologique a déjà été réalisé : un suivi spécialisé est mis en place. Un audiogramme est prescrit, qui montre une hypoacousie sans nécessité d’appareillage. – Le traitement doit être modifié car la metformine est contre-indiquée chez les patients présentant un MELAS, du fait de leur risque génétique à l’hyperlactacidémie et à l’acidose lactique [3] : la contre-indication est notifiée au patient et au médecin traitant, un relais pris par sulfamide hypoglycémiant devant une HbA1c remontée à 7,8 % sous diététique seule. – Des mesures diététiques spécifiques sont également nécessaires, car les
patients avec un MELAS sont à risque d’AIT et d’AVC lors des périodes de jeune. Il faut donc éviter les jeunes glucidiques, qu’ils soient médicaux ou religieux. En ce qui concerne l’activité physique, les efforts d’endurance en aérobie sont privilégiés, d’intensité modérée pour diminuer le risque d’hyperlactacidémie. Le sevrage tabagique est, bien sûr, essentiel au vu du risque vasculaire. – Enfin, le dépistage familial doit être proposé, a minima par un dépistage du diabète, une évaluation cardiologique, et un audiogramme. Si une anomalie était retrouvée, ou de façon systématique, le dépistage génétique
Encadré Le diabète MELAS : Myopathy Encephalopathy Lactic Acidosis Syndrome • Ce diabète fait partie des diabètes mitochondriaux, transmis par les mitochondries maternelles selon une proportion imprévisible. En effet, toutes les mitochondries ne présentent pas la mutation, ni dans la même proportion : c’est l’hétéroplasmie. Il est donc utile que la recherche génétique s’effectue, non seulement sur les leucocytes (prélèvement sanguin sur tube EDTA), mais aussi sur les cellules du culot urinaire. • À côté du diabète MELAS, les autres diabètes mitochondriaux sont le MIDD (Maternally inherited diabetes and deafness : dystrophie maculaire réticulée, hypoacousie, faiblesse musculaire, myalgies à l’effort) [4], et le syndrome de Wolfram (atrophie optique, diabète insipide) [5]. • Le diabète MELAS, dont la prévalence est évaluée à 1/6 250 en Europe, est un acronyme reprenant les composantes principales du syndrome, dont la pénétrance est variable : Myopathy • myocardiopathie, insuffisance cardiaque ; • faiblesse et fatigabilité musculaire. Encephalopathy • troubles cognitifs (troubles de l’apprentissage, de la mémoire, de la concentration) ; • retard mental ; • détérioration mentale graduelle. Lactic Acidosis • acidose lactique pouvant être déclenchée l’effort physique ; • l’hyperlactacidémie n’est pas toujours retrouvée dans le sang, presque toujours dans le liquide céphalo-rachidien, elle peut être recherchée à l’effort [6]. (Stroke-like) Syndrome • tableaux neurologiques aigus ressemblant à des accidents ischémiques cérébraux ; • peuvent être déclenchés par un jeûne, un sepsis, l’effort physique. Peuvent aussi être retrouvés : • diabète ; • hypoacousie et surdité ; • petite taille.
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pourra être demandé. C’est au patient d’informer les membres de sa famille concernés, même s’il peut, sous certaines conditions, déléguer cette tâche au médecin.
Déclaration d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article.
Références [1] Lombes A. MELAS. Orphanet. Juillet 2006. www.orpha.net/consor/cgi-bin/OC_Exp. php?Lng=FR&Expert=550 [2] Pavlakis SG, Phillips PC, DiMauro S, et al. Mitochondrial myopathy, encephalopathy, lactic acidosis, and stroke-like episodes (MELAS): a distinctive clinical syndrome. Ann Neurol 1984;16:481-8.
Conclusion • Le typage du diabète est important pour une prise en charge adéquate du patient : adaptation du traitement et de la surveillance, recherche de comorbidités, dépistage familial. • Ce typage doit toujours être guidé par la clinique, afin d’utiliser à bon escient les examens paracliniques, coûteux (imagerie, biologie, génétique). • Même si l’immense majorité des patients présente un diabète de type 2, et que la plupart des diabètes de type 1 ont une présentation clinique rendant le diagnostic aisé, le diabétologue doit garder en mémoire les types de diabète plus rares, leurs signes et leurs symptômes : type 2 cétosique, type 1 lent, diabète monogénique, diabète mitochondrial, diabète secondaire.
[3] Maassen JA, ‘T Hart LM, van Essen E, et al. Mitochondrial diabetes: molecular mechanisms and clinical presentation. Diabetes 2004;53(Suppl.1):S103-9. [4] Li HZ, Li RY, Li M. A review of maternally inherited diabetes and deafness. Front Biosci (Landmark Ed) 2014;19:777-82.
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[5] Vialettes B, Dubois-Léonardon N. Le syndrome de Wolfram : une maladie « orpheline » que les diabétologues ne peuvent pas ignorer. Médecine des maladies Métaboliques 2013;7:513-9. [6] Duong M, Buisson M, Dumas JP, et al. Limitation of exercice capacity in nucleoside-treated HIVinfected patients with hyperlactataemia. HIV Med 2007;8:105-11.
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