L’Encéphale (2009) Supplément 4, S137–S139
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L’Électroconvulsivothérapie (ECT) aujourd’hui W. de Carvalho Psychiatre libéral, Paris
Introduction Les ECT ont fait l’objet de multiples évaluations, conférences de consensus, recommandations d’académies, d’experts [1, 2] qui s’accordent à reconnaître son effet puissant et rapide sur les syndromes dépressifs sévères de tonalité mélancolique non grevés de comorbidités, en particulier organiques. Leur efficacité à court terme est supérieure à celle de tous les antidépresseurs [6, 9] et leur délai d’action plus court.
Indication des ECT dans les troubles dépressifs Une méta analyse a regroupé les études ECT versus ECT simulée, placebo, tricycliques, IMAO : Elle conclut à une supériorité de l’ECT versus ces 4 cas comparateurs. Le différentiel d’efficacité est de 20 % en faveur de l’ECT par rapport aux tricycliques, encore plus important avec les IMAO.
Indication par groupe de dépression • Épisode dépressif majeur : les études concluent à un taux d’efficacité de l’ECT de l’ordre de 80 à 90 %. • Dépressions résistantes : une efficacité de l’ECT est retrouvée dans les formes les plus résistantes de dépression [1] : le délai d’action antidépressive (10 à 12 séances) peut être supérieur à ce qu’il est lors d’un épisode dépressif simple (6 à 8 ECT) ; dans les dépressions résistantes l’efficacité des ECT est estimée entre 50 à 60 %
* Auteur correspondant. E-mail :
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avec une forte probabilité de rechute précoce à l’arrêt du traitement par ECT. • Dépressions psychotiques : l’analyse de 35 études portant sur des épisodes dépressifs avec caractéristiques psychotiques permet d’affirmer l’efficacité de l’ECT dans plus de 80 % des cas [2, 6]. En pratique, ces dépressions peuvent être traitées par ECT soit d’emblée, soit après échec d’une chimiothérapie mixte (neuroleptique + antidépresseur) : les résultats sont alors favorables dans 50 à 60 % des cas après 6 à 12 séances d’ECT, avec un taux de rechute précoce élevé (80 % des cas à un an) [8]. Ceci pose la question du traitement relais : antidépresseur + neuroleptique ? ECT de maintenance ? • Dépressions avec substratum organique : les patients présentant un syndrome dépressif comorbide d’une pathologie organique avérée peuvent répondre à l’ECT tant pour les symptômes thymiques que cognitifs [9]. Davantage que les médicaments antidépresseurs parfois mal tolérés, les ECT peuvent améliorer les symptômes cognitifs à moyen terme. L’ECT est notamment utilisée dans des dépressions secondaires à la maladie de Parkinson, de Creutzfeld Jakob, aux pathologies HIV, néoplasiques, démences vasculaires… • Dépressions bipolaires et unipolaires : l’ECT est efficace dans les troubles bipolaires et unipolaires. On ne dispose d’aucune donnée permettant de situer les niveaux comparés d’efficacité, ni de délai d’action. • Autres entités dépressives : les dépressions atypiques (avec hypersomnie, hyperphagie, hyperréactivité) et le trouble dysthymique n’ont pas été systématiquement
S138 évaluées. Une comorbidité avec un trouble de la personnalité est considérée comme un facteur de résistance aux antidépresseurs : l’utilisation de l’ECT dans ce sousgroupe peut être pertinente avec une réserve liée au risque de réapparition rapide de la symptomatologie dépressive après le traitement par ECT. • Épisodes dépressifs du sujet âgé : le sujet âgé réunit volontiers des facteurs de résistance (comorbidités, effets indésirables dus aux associations médicamenteuses…). Les ECT ont apporté la preuve de leur supériorité sur les antidépresseurs dans le traitement des épisodes dépressifs du sujet de plus de 60 ans [9]. • Épisodes dépressifs des enfants et adolescents : on ne dispose pas d’études systématisées évaluant l’efficacité et les inconvénients de l’ECT dans cette population. Des rapports de cas ont signalé l’utilité de l’ECT dans des situations spécifiques. L’étude rétrospective de Cohen [13] sur 21 sujets entre 13 et 20 ans confirme l’efficacité de l’ECT sur les troubles de l’humeur de l’adolescent tout en soulignant le taux élevé de rechutes à 1 an (40 %). • Épisodes dépressifs et grossesse : de nombreux cas de femmes enceintes ayant reçu un ECT ont été rapportés dans la littérature (13,16). On retrouve des complications dans 9 % de cas qui, dans la majorité des cas, sont bénignes (modifications du rythme cardiaque fœtal, faibles saignements vaginaux, douleurs abdominales, contractions utérines passagères, déclenchement prématuré du travail dans moins de 2 % des cas). Un cas d’avortement spontané à la 8e semaine a été rapporté après 3 ECT dans une cohorte situant le niveau d’incidence à 1,7 %. Il est à noter que le nombre de malformations néonatales post ECT a été constaté inférieur à celui d’un groupe de référence. Les ECT n’ont pas d’effet tératogène. De plus, il ne faut pas méconnaître le risque de ne pas traiter (risque suicidaire, altération de la qualité des liens mère-enfant…). L’ensemble de ces rapports de cas confirme la possibilité d’utiliser l’ECT à la condition d’une surveillance gynéco obstétricale rapprochée dans le cas où l’ECT serait utilisé au cours du 3e trimestre de grossesse.
En synthèse L’ECT est recommandé en première intention quand : • on vise une action rapide sur une symptomatologie psychiatrique sévère ; • l’utilisation d’autres traitements peut induire des risques supérieurs à ceux de l’ECT ; • il y a des antécédents de chimiorésistance ou de bonne réponse aux ECT ; • c’est le choix du patient dans une indication valide. En pratique la non-réponse à une chimiothérapie adaptée bien conduite est le plus souvent l’argument qui fait décider la mise en œuvre d’une ECT. À côté de ses indications antidépressives, l’ECT trouve une place dans le traitement de certaines modalités évolutives de la schizophrénie. Cette place reste marginale mais
W. de Carvalho parfois bien utile. L’ECT est également indiquée dans les formes de bouffées délirantes aiguës résistantes aux neuroleptiques.
L’ECT en pratique Pratique clinique La pratique consiste à administrer 2 à 3 ECT par semaine. Le délai d’apparition d’une amélioration significative ressentie par le patient est très habituellement aux alentours de la 7e ECT. Une fois la rémission clinique obtenue, il convient d’administrer au minimum 2 à 3 ECT supplémentaires pour consolider le résultat. L’ECT n’a qu’un effet transitoire : un relais doit impérativement être pris soit par une chimiothérapie antidépressive en ne méconnaissant pas le délai minimum de 3 semaines pour que celle-ci soit active, soit par la poursuite de séances de consolidation (environ 4 mois) pour éviter les rechutes précoces dont la probabilité de survenue est maximale dans les 2 mois qui suivent les ECT. En cas de pathologies récurrentes et d’absence d’efficacité des médicaments de référence, il faut envisager les ECT d’entretien ou de maintenance (ECT-M), au-delà de la période de consolidation [10].
Modalités d’administration La question n’est plus aujourd’hui de s’interroger sur la puissance d’action des ECT mais plutôt de garantir l’excellence des conditions de leur pratique [1] et le maintien de leurs résultats. La disparition du courant sinusoïdal et son remplacement par un courant de trains d’ondes brèves pulsées voire ultra-brèves, se sont aujourd’hui imposés. C’est du degré de dépassement du seuil épileptogène que la crise convulsive tirera sa robustesse, objectivable par l’EEG perictal avec notamment une rapide suppression de l’activité bioélectrique corticale (SABC) objectivée par une ligne d’EEG « plate » très nette en fin de crise. Cette séquence est la plus corrélée à l’efficacité clinique [10, 12, 14]. Il est impératif de réunir les conditions d’obtention de cette SABC. Ceci impose de disposer d’appareils ECT délivrant un courant bref pulsé à ondes carrées délivré par trains. Somatics et Mecta Corporation offrent la possibilité désormais indispensable d’un enregistrement EEG perictal contemporain de l’administration du stimulus. L’utilisation du courant ultra-bref (impulsion minimale de 0,3 milliseconde) permet de diminuer très sensiblement l’amnésie. L’ECT d’entretien (ECT-M) reste sous utilisée eu égard à la proportion de troubles qui ne répondent qu’aux ECT [6, 7, 11]. L’ECT unilatérale permet d’induire moins d’effets indésirables cognitifs ; cependant la règle était encore jusqu’il y a peu de temps de recourir à l’ECT bilatérale plus facile à mettre en place et moins sujette aux interrogations sur la question du dépassement du seuil épileptogène. Plus récemment le recours à l’ECT unilatérale semble recueillir l’assentiment d’équipes rodées qui constatent une efficacité similaire avec une meilleure tolérance cognitive.
L’Électroconvulsivothérapie (ECT) aujourd’hui
Perspectives d’avenir En ce qui concerne l’ECT, l’objectif prioritaire est désormais l’élucidation de ses mécanismes d’action. Nous ne savons toujours pas comment agit le traitement le plus puissant pour traiter les dépressions les plus sévères. La théorie dite « anticonvulsivante » des ECT [5] est probablement celle qui a le mérite d’être la plus intégrative. Elle est de plus compatible avec la connaissance des facteurs neurotrophiques et neuroprotecteurs dont la sécrétion est activée par les ECT et les antidépresseurs [3, 4].
Références [1] Agence Nationale pour l’Accréditation et l’Évaluation en Santé (ANAES). Les recommandations pour la pratique clinique. Indications et Modalités de l’électroconvulsivothérapie/ Recommandations Professionnelles/Avril 1997, 95 pages. [2] American Psychiatric Association Commitee on ECT. The practice of ECT. Recommendations for Treatment, Training and Privileging, 2nd ed. Washington DC. : American Psychiatric Association ; 2001. [3] Aydemir C, Yalcin ES, Aksaray S et al. Brain-derived neurotrophic factor (BDNF) changes in the serum of depressed women. Prog Neuropsychopharmacol Biol Psychiatry ; 30 (7) : 1256-60. Epub 2006 May 2. [4] Bolwig TG, Madsen TM. ECT in melancholia : the role of hippocampal neurogenesis. Acta Psychiatr Scand 2007 ; 115(Suppl 433) : 130-135.
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