Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 303—305
HISTOIRE DE LA DERMATOLOGIE
Les Annales de dermatologie en 1908. Des alopécies congénitales et circonscrites The Annales de Dermatologie in 1908. Congenital circumscribed alopecia B. Cribier Faculté de médecine, université Louis-Pasteur, clinique dermatologique, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France Disponible sur Internet le 20 d´ ecembre 2008 Les premiers travaux franc ¸ais sur les alopécies du nouveauné n’ont été publiés que peu avant le début du xxe siècle, une thèse sur ce sujet novateur ayant été soutenue en 1896 par Delabaud de Bordeaux. Une seconde thèse est réalisée l’année suivante dans le même service par Germain et on voit paraître en 1900 un chapitre sur les formes congénitales d’alopécie dans le traité de référence franc ¸ais, la Pratique dermatologique. Les causes de ces alopécies sont très discutées. Pour certains, il s’agit toujours de « nævi plus ou moins frustes », mais les travaux récents du début du xxe siècle apportent des éléments nouveaux à cette conception.
Un cas historique La première observation présentée dans l’article de Dubreuilh et Petges [1] est tirée du livre d’Alibert, que les auteurs illustrent par une reproduction en noir et blanc d’une planche bien connue de ce traité (Fig. 1). Il s’agit de l’histoire du jardinier Delaitre, dit La Taupe, d’après ce qu’il a raconté lui-même. « Le jardinier Delaitre porte au devant de l’œil et sur le nez une espèce d’excroissance qui s’étend sur presque tout le front. La couleur de cette excroissance est tout à fait analogue à celle de la peau d’une taupe. Delaitre est né à Meaux, en 1756, de parents très sains. Sa mère lui Adresse e-mail :
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a, dit-il, souvent raconté que dans les premiers jours de sa grossesse, trois hommes étaient venus dans son jardin et y avaient rencontré le corps d’une taupe morte ; sa mère s’étant retournée pour regarder cet animal fût tellement effrayée qu’elle jeta un cri et porta sa main droite sur son œil et son front du même côté. Elle accoucha à terme et son enfant se trouva marqué de l’excroissance dite taupe, laquelle avait la même situation, la même étendue, le même aspect, proportions gardées, qu’elle a aujourd’hui et offrait les poils dont nous venons de faire mention. Quand La Taupe eut atteint l’âge de six mois, on appliqua sur son excroissance le placenta d’une femme nouvellement accouchée. Plusieurs personnes superstitieuses assuraient que c’était un topique infaillible pour la guérison ; cependant, cette difformité ne changea point, mais il s’y établit une suppuration légère. Jusqu’à l’âge de 15 ans, La Taupe a pu, en soulevant sa tumeur, voir de l’œil droit aussi distinctement que du gauche. Environ 40 taches brunes, plus ou moins foncées, mais ayant toutes quelques analogies avec la partie la moins colorée de celle du front sont disséminées sur tout le corps ». Dubreuilh et Petges discutent l’observation en concluant qu’il s’agit d’un exemple typique d’alopécie nævique. Il n’y a, en revanche, pas de commentaire sur cette physiopathologie superstitieuse des nævus. Les auteurs détaillent ensuite trois autres observations d’alopécies induites par des « nævi pigmentaires » tout à fait similaires à celui de La Taupe, mais en moins spectaculaires.
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Figure 1. Reproduction d’une image du livre d’Alibert, Monographie des dermatoses. Chapitre : « nævi, Paris 1832, page 803 ». Il s’agit manifestement d’un nævus congénital.
Un nævus sébacé avant l’heure Dans l’observation illustrée par la Fig. 2, le diagnostic est « plus difficile » chez cet enfant âgé de dix ans. Il s’agit d’une grande plaque dont la forme irrégulière peut être comparée à un U ouvert en arrière et en bas. Cette longue plaque est glabre, sans aucun duvet. Toute la surface de la plaque présente une teinte jaune « qui tranche sur la blancheur anormale du cuir chevelu. La surface est chagrinée, grenue, faisant une très légère saillie sur la peau normale. L’examen histologique montre une surface de la peau plus crénelée, avec des bourgeons interpapillaires de l’épiderme deux à trois fois plus longs et plus nombreux que sur le cuir chevelu normal. Les follicules pileux sont remplacés par des poils follets très nombreux qui atteignent à peine la profondeur des glandes sébacées. Celles-ci sont beaucoup plus nombreuses et plus développées que dans les parties normales du cuir chevelu ». Il s’agit d’une magnifique description d’un nævus sébacé. Cette entité n’est pas encore bien caractérisée en 1908. L’observation suivante est celle d’un « nævus lipomatoïdes » du cuir chevelu à disposition blashkolinéaire (terme anachronique qui n’est évidemment pas employé par Dubreuilh et Petges), s’associant à des lésions verruqueuses du visage et du cou suivant aussi un trajet linéaire. La photographie illustrant ce cas est remarquable, mais la linéarité n’est pas considérée comme un élément séméiologique particulier par les auteurs.
B. Cribier
Figure 2. Alopécie congénitale circonscrite chez un garc ¸on âgé de dix ans. Notre diagnostic : nævus sébacé.
Les choses se compliquent D’autres observations sont qualifiées de « diagnostic de plus en plus difficile ». Certaines sont probablement des plaques de pelade, d’autres sont des alopécies cicatricielles acquises. Les auteurs ajoutent aussi des cas de « folliculitis decalvans », faisant à chaque fois discuter la syphilis qui est éliminée. Tous ces cas sont classés dans les alopécies næviques, mais, pour la plupart, l’observation histologique manque. On voit bien ici que les auteurs ont du mal à distinguer les maladies inflammatoires des malformations et de la pelade.
Aplasie du vertex La seconde grande partie du travail concerne l’aplasie du vertex, décrite dès 1891. Il s’agit d’une alopécie d’une dimension « d’une pièce de 50 centimes », associée à une pseudo-ulcération, l’examen histologique montrant l’absence d’épiderme et de poils. Ces éléments sont déjà considérés comme des malformations ou « des arrêts de développement liés à une adhérence amniotique rompue pendant la grossesse et tenant une place intermédiaire entre de véritables malformations portant sur la masse encéphalique et la formation de plaques d’alopécie congénitale » (Boissard et Coudert, dans le Bulletin de la société d’obstétrique de Paris en 1903). On conclut, encore avec une comparaison monétaire, ces pseudo-ulcérations « ne dépassant pas la taille d’une pièce de deux francs ».
Des alopécies congénitales et circonscrites
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L’une des observations témoigne des inquiétudes que font naître toutes les alopécies : « cet enfant de cinq ans a été amené à la consultation de la maternité de l’hôpital Lariboisière pour obtenir un certificat constatant la noncontagiosité de son affection, qui, prise pour une plaque de pelade, l’empêchait d’être admis dans une école » ! Il est difficile au dermatologue du xxie siècle d’imaginer combien la syphilis, les autres maladies vénériennes et les teignes sont omniprésentes dans la vision des maladies cutanées de nos ancêtres. Notons au passage que le terme de « pelade » était employé dans un sens beaucoup moins restrictif que le nôtre. Enfin, après ces malformations, les auteurs abordent les traumatismes obstétricaux, puis les alopécies « suturales » siégeant au niveau des sutures du crâne chez un patient hydrocéphale.
• les « alopécies congénitales næviques », avec nævus apparaissant sur la plaque alopécique ou des lésions de voisinage ; • « l’alopécie congénitale circonscrite » par arrêt de développement (type Bonnaire-Garipuy) ; • « l’alopécie obstétricale » (type Brindeau), qui est irrégulière et relativement grande, avec peau amincie ; • « l’alopécie suturale » (type Audry) caractérisée par le siège aux sutures.
Conclusion
Référence
Au total, les variétés d’alopécie congénitale circonscrite sont les suivantes :
[1] Dubreuilh W, Petges G. Des alopécies congénitales circonscrites. Ann Dermatol Syphiligr (Paris) 1908;9:257—79.
Pour les auteurs, ces quatre groupes paraissent suffisants pour déterminer l’origine d’une plaque alopécique : « il ne semble pas qu’il en existe d’autres espèces ». Les deux entités les plus fréquentes sont, selon eux, le nævus et les adhérences amniotiques.