~LOGIEI
es ioro ots •• des insectes a puces Comment experimenter les theories empiriques sur le fonctionnement cerebral? Au moyen d'outils concus en neurorobotique : apres les « animats »~ robots imitant l'animal, des « biorobots » permettent d'etudier des reseaux neuronaux au travail sur des insectes vivants. • Correspondant pourI'Asie de Biofutur.
(1)R.E. Kohler (1994) Lards of the fly:Drosophila, genetics andtheexperimental fife. University of Chicago Press, 321 p. (2)B.Latour (1989) Lascience enaction, LaDecouverte, Paris, 450 p. Nv<"e ed. 1995, Folio, 663 p.
(i\\ l'origine, la \J:j) implique une
biotechnologie vision utopique du monde : l'idee de developper des techniques pour controler, arneliorer et reproduire des processus, fonctions et systernes biologiques, voire des organismes entiers. Contrairement a la position tres conventionnelle d'une certaine philosophie « realiste » des sciences, prenant la physique comme modele, cette vision « constructiviste . a joue et joue encore un role central dans la recherche en biologie. En effet, la biologie moderne n'a pas suivi la voie traditionneHe qui consiste a partir d'une connaissance pour « appliquer " ou « fabriquer ». C'est plutot en controlant les systemes biologiques - ou certains de leurs cornposants -, en les manipulant ou rneme en les reconstruisant de certaines manieres que nous avons progressivement appris ales comprendre. A present, la recherche en biologie dispose d'une plethore de modeles artificiels, allant des animaux de laboratoire aux simulations par ordinareur, L'ensemble des modeles animaux a contribue de maniere inestimable a l'enorrne succes de la biologie rnoleculaire. Comme I'a souligne l'historien de la biologie Robert
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Kohler (1), les modeles animaux - des mutants artificiels de drosophile a la derniere Iignee de souris transgeniques -, representent a la fois des techniques de laboratoire dans le sens Ie plus courant du terme, certains systernes biologiques construits artificiellement existant seulement en laboratoire, et des «dispositifs d'inscription » (2) aidant a confirmer les resultats experimentaux et les reseaux de chercheurs. De leur cote, les modeles a grande echelle de systerries biologiques, comme Ie projet americain Biosphere, se sont soldes jusqu'a present par des echecs. Merne constat, dans un sens, avec les modeles du vivant, en particulier ceux qui simulent l'activite du cerveau humain ou animal. Malgre les enorrnes investissements dans les neurosciences au cours de ces 10 dernieres annees, on a peu avarice dans la mise au point de systernes experimentaux valides et pertinents, capables d'evaluer les theories cherchant a rendre compte du fonctionnement cerebral. Le paradigme fondateur des sciences cognitives, seIon
lequel le cerveau est un systerne de traitement de l'information, est maintenant largement admis, meme s'il prete toujours a controverse. Si l'histoire de la theorie « orthodoxe » de ce cognitivisme, la theorie computationniste (computo-representationnelle, ou symboliste) - qui se differencie du connexionnisme et d'autres theories de psychologie cognitive - est riche et diverse, c' est a ri'en pas douter Ie devcloppement sans precedent de l'informatique qui lui a donne queIque credit. Cepcndant, les representations cornputationnelles de l'activite cerebrale et de la pen see (ou cognition) presentent
Un robot" renifleur" de pheromone muni de ventables antennes pour capter les molecules odorantes.
Le papillon du ver a soie (Bombyx mori) affuble d'un appareil de neurophysiologiques.
un inconvenient majeur : il n'y a aucun moyen de savoir ce qu'elles valent dans la realite du vivant. II est necessaire de crcer un environnement virtuel, dans un dispositif informatique, afin de les simuler. Or le danger de la mise en action d'un modele virtuel dans un environnement qui l'est tout autant apparait clairement : le resultat pourrait bien n'etre qu'une fiction elaboree, Existet-il done une alternative? Une solution se profile autour d'une alliance entre neurophysiologie, ethologie et robotique. Ce nouveau champ de recherches commence en effet a fournir des outils d'etude des reseaux neuronaux au travail, sur des animaux vivants, en l'occurrence des insectes. La neurorobotique a pris de I'arnpleur au debut des annees quarre-vingt-dix, lorsque differents groupes de recherche travaillant sur la neuroethologie et la physiologie du cerveau au Japon, en Europe et aux Etats-Unis ont commence a creer des « animats », c'esta-dire des dispositifs robotiques
teh~mesure
imitant certaines fonctions et comportements observes chez les animaux.
> Des cyberinsecles aux biorobols En cooperation avec des ingenieurs et informaticiens, des biologistes et ethologues ont developpe des robots destines a etudier Ie comportement d'animaux aussi varies que les rats de laboratoire ou la fourmi du desert Cataglypsis (3). Les modeles de choix pour ce type de recherche sont les insectes. I1s ont evolue sur plusieurs millions d'annees, pour constituer des systernes biologiques parfaitement adaptes a leurs environnements respectifs. Ces inverrebres sont capables d'accomplir des taches relativement cornpliquees, bien que leur cerveau - souvent reparti dans tout le corps - soit extremement simple, forme de seulement 10 000 a 1 million de neurones. De plus, les differents types de comportements etant bien repertories chez les
pour I'enregistrement de donnees
insectes, l'etablissemcnt de rnodeles neuronaux s'en trouve facilite. Par exemple, Ie groupe de Barbara Webb (universite de Nottingham, Royaume-Uni) a construit un criquetrobot complet, ou «cybercriquet", qui permet d'erudier Ie comportement de reponse des femelles aux stimulations sonores produires par les males (3, 4). Schernatiquement, ce robot est constitue d'un systerne auditif artificiel relie a un reseau de neurones dont la frequencc de decharges est la me me que les neurones impliques dans le comportement des femelles ; ce reseau commande les mouvements du robot en fonction des sollicitations sonores produites par l'experimentateur, Outre leur interet comme outils d'analyse du comportement, de l'apprentissage et de la cognition, ces « animats » pres en tent l'avantage, en theorie, de pouvoir s'adapter rapidement a de nouveaux environnements ou a des circonstances irnprevues ; dou de nombreuses applications industrielles possibles.
(3)D. Graham-Rowe (1998) New Scientist, 160(2163), 26-30. (4)B.Webb (1996) Sci. Am.275(6), 62-67.
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TECHNOLOGIE Des organismeshybridet;
L
es simulations par ordinateur donnant des representations de I'activite neuronale sont difficiles a evaluer en environnement real. Les dispositifs robotiques et les « organismes hybrides » representent une strategie interessante pour pallier cette difficulte. Les modeles robots et, de plus en pius, les insectes hybrides, vont permettre de controler, etape par etape, les rnodeles de representation de I'activite neuronale. Le resultat de l'evaluation de tels modeles devrait orienter les futures recherches en physiologie vers Ie fonctionnement du cerveau des insectes. Les recherches en neurophysiologie, la construction de modeles et leur evaluation forment une sorte de circuit d'information ferme : car pour comprendre comment Ie cerveau de I'insecte fonctionne, il ne suffit pas d'en faire I'analyse. II faut egalement parvenir a Ie " reconstruire ». Ou fait que par nature, Ie cerveau de I'insecte se trouve dans tout son corps, I'idee de former des" organismes hybrides » - c'est-a-dlre des insectes dont une partie du cerveau est remplacea par un reseau neuronal artificiel, ou dont Ie systerne nerveux central est stirnule au moyen d'un dispositif de telemesure - pourrait bien s'averer moins utopique qu'on ne Ie pense. Dans Ie cas du bombyx, Ie fragile mecanisme de controle de ses mouvements a terre et en vol se trouve dans Ie corps de
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Analyse
(1) J.A. Meyer (1998) LaRecherche 313,46-50. (2) www.leopard.t.u-tokyo.ac.jp/index.html. (3) M.V. Srinivasan etal. (1999) Automation andRobotics (sous presse),
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Enregistrements electrophysloloqiques et neuroetholoqie Enregistrements par telernesure
I'insecte : sl on lui coupe la tete, iI peut continuer a se mouvoir. Cela suggere la possibilite de construire des rnodeles hybrides ou une partie du cerveau de I'insecte serait rernptacee par un dispositif robotique. Ces " organismes hybrides » releveront encore pour quelque temps de la science-fiction ; nsanmoins, on utilise deja actuellement des systemes robotiques en neurocybernetique et en ethologie. l'utilite des insectes s'avere egalement de plus en plus importante dans un autre domaine, celui de la recherche en robotique. Des chercheurs de l'lnstitut de technologie du Massachusetts (MIl) ont concu une serie de robots sophistlques qui sont des copies d'insectes (1). AI'universite de Tokyo, Isao Shimoyama a ete Ie pionnier en recherche visant a mettre au point des micromachines inspirees des modeles biologiques (2). Et I'equipe de Mandyam V.Srinivasan, du "Visual Science Group» a l'Australian National University, a developpe des systemes elabores de traitement d'images qui reposent sur les principes de perception visuelle de I'abeille (3). •
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Reseau neuronal artificiel
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APPLICATIONS
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Controle artificiel des insectes
II y a quelques annees, des chercheurs japonais ont fait un pas de plus dans ce type de recherches, en integrant des dispositifs robotiques a des organismes biologiques, ce qui revenait a fabriquer des organismes hybrides, dits «biorobots» : des animaux dont une partie du cerveau est rernplacee par un reseau neuronal artificiel, et/ou dont Ie systerne nerveux central est stirnule au moyen d'un dispositif de telemesure. Au depart, au debut des annees quatre-vingt-dix, il s'agissait de
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Microrobotique
recherches visant a contr61er et guider des invertebres par des stimuli externes. Elles ont ete entreprises par l'equipe de Hirofumi Miura et Isao Shimoyama, au departement d'ingenierie de I'universite de Tokyo. Grace au financement d'un programme gouvernemental sur les c bio-micromachines », Miura et Shimoyama ont d'abord applique des stimulations thermiques et electriques sur Ie corps des insectes (des blattes), afin de les faire bouger dans certaines directions ou de les guider entre des
Recherche en neurocybernetique
obstacles. A l'epoque, les communautes des biologistes et des ingenieurs regardaient ces recherches d'un ceil sceptique. Mais cette attitude a change ces dernieres annees. En collaborant activement avec Ie groupe de Ryohei Kanzaki, neuroerhologue a l'universite de Tsukuba, Shimoyama et ses collaborateurs ont reussi a developper des biorobots qui interessenr les biologistes comme les ingenieurs. Prenons l'exemple du bombyx du murier (Bombyx mari). Stirnule par
un jet de pheromone, ce papillon avance en zigzag vers la source des molecules odorantes (5). Comment expliquer cette trajectoire ? Apparemment, Ie processus de recherche de cet insecte est tout a fait different de celui de l'etre humain : ce dernier va humer, mernoriser, puis comparer une odeur avec ce qu'il connait avant de se diriger vers la source odorante. Selon Ryohei Kanzaki, Ie bornbyx utilise un algorithme de recherche (une suite de regles operatoires) beaucoup plus simple, qui n'est pas fonde sur la memorisation (6). Des experiences utilisant les antennes du papillon comme detecteurs sensoriels ont montre que Ie flux de pheromone qui attire Ie male est discontinu. Chaque stimulation qui parvient aux antennes activerait un « programme neuronal » centrolanr Ie deplacement du bombyx, selon une sequence : ligne droite, zigzags et loopings (tours de plus de 360 degres). Au cours des zigzags, les angles et temps d'intervalle augmentent a chaque virage. A chaque
nouvelle stimulation odorante, la sequence programrnee de ce comportement est « remise a zero» et redemarre depuis Ie debut. A l'aide d'un simple reseau de neurones a 8 nceuds, on peut echafauder une representation du fonctionnement cerebral qui rend compte de ce comportement d'attraction du bornbyx male. La difficulre consiste neanrnoins a la tester par simulation informatique; entre autres, il faudrait connaitre la repartition precise des molecules au sein de I'effluve de pheromone pour savoir quels sont les recepteurs antennaires et les neurones actives, ce qui n'est deja pas une mince affaire. La solution passerait par un biorobot, comme l'ont montre recernment l'equipe de Kanzaki et celle de Shimoyama. Un dispositif robotique fonctionnant a l'aide d'un servomoteur (moteur
servant a Ie contrcler) est relie au reseau neuronal a 8 neeuds, qui est lui-rneme connecte aux antennes de I'insecte, une fois celles-ci prelevees sur Ie bornbyx - en effet, l'antenne peut alors fonctionner plusieurs heures. Un tel biorobot permet de tester in situ, et non plus seulement in silica, la pertinence du reseau neuronal elabore, et done la valeur de la representation fonctionnelle que l'on en a tire (7).
> Enregistrements en « vol Iibre » jusqu'a present, les recherches en neurophysiologie comportementale des insectes, qui utilisent des techniques conventionnelles d'enregistrement intracellulaire, ou des techniques d'imagerie, ont ete limitees par l'impossibilite de travailler in vivo. Dans une version plus elaboree de leurs sysrernes neurorobotiques,
les groupes de Kanzaki et de Shimoyama ont developpe un dispositif miniature de relernesure, dit free-fly, capable d'effectuer des enregistrements electrophysiologiques sur l'insecte vivant. (L'equipe de John Hildebrandt, a l'universite d'Arizona, developpe actuellement un dispositif similaire). Le systerne des chercheurs japonais est fixe a l'insecte de telle maniere qu'il puisse enregistrer des electromyogrammes (EMG) via des microelectrodes reliees a un ernettcurrecepteur en modulation de frequence, dont Ie signal est capte a distance par un appareil de telemesure (voir les photographies et le schema). Le groupe de Shimoyama a recernrnent presente une rnicroelectrode qui devrait permettre d'effectuer des enregistrements neurophysiologiques chez les insectes (8). A plus long terme, des micromachines standardisees capables de tels enregistrements in vivo ne sont pas a exclure.
De plus, grace a I'utilisation de la telemesure free-flight, il pourrait bien devenir possible, en couplant Ie systeme de telemesure avec des microelectrodes, de "controler» certains aspects comportementaux de l'insecte - a la maniere de la stimulation electrique fonctionnelle (FES) chez l'homme ou les plus gros animaux. Comme Ie systerne nerveux central du bombyx est reparti dans tout Ie corps, il serait rnerne possible de creer des «interfaces» entre plusieurs reseaux neuronaux artificiels et l'animal lui-rneme, et de construire ainsi une sorte d'organisme hybride (voir
le schema). Tout cela peut ressembler au pire scenario de science-fiction. Mais cette recherche aux frontieres du vivant et de I'artificiel a une tout autre portee, En effet, la conception
(5) E.A. Arbas etal. (1993) In: Biological neural networks in Invertebrate neuroethology androbotics (R.D. Beer etal., eds), Academic Press, Boston, pp. 159-198. (6) R. Kanzaki
(1996) Robotics andAutonomous Systems 18, 33-43. (7)Y. Kuwana et st. (1999) Biosens. Bioelectronics 14, 195-202. (8) S. Takeuchi, I. Shimoyama
(1999) IEEE MEMS 99 Meeting, Orlando, Etats-llnis. (9) E. Hutchins
(1995) Cognition in the Wild. MIT Press, Cambridge, 381 p,
du fonctionnement cerebral et de la cognition qui semble surgir de la recherche sur les biorobots remet cornpletemenr en question la theorie courante, que no us avons deja evoquee, et qui considere l'esprit comme un programme inforrnatique purement abstrait, forme de so us-programmes ou de modules ernboites les uns dans les autres (computationnisme ou symbolisme). L'ethologie des insectes fondee sur les biorobots suggere au contraire que la cognition do it erre concue comme une activite distribuee, qui sollicite simultanernent, en parallele, les differenres zones neuronales reparties dans Ie corps de l'animal, et qui est en relation active avec l'environnement alentour. Cette conception « connexionniste » de la cognition devrait aller bien audela de la neuroerhologie des inverrebres et toucher aux representations que l'on se fait de la pensee humaine. Apres tout, comme l'ecrivait Edwin Hutchins, pionnier de l'anthropologie cognitive, les hommes aussi « pensent avec leurs mains» (9). • BIOFUTUR 189 • Mai 1999 37
• R.D. Beer, R.E. Ritzmann, T. McKenna, eds (1993) Biological neuralnetworks in invertebrate neuroethologyand robotics, Academic Press, San Diego, 417 p. • M.V. Srinivasan, S. Venkatesh, eds (1997) From living eyes to seeing machines, Oxford University Press, Oxford, 271 p. • D. MacFarland, O. Holland (1999) Artificial ethology, Oxford University Press, Oxford (sous prssse). • R. Pfeifer et al. (eds) (1996) From animals to animats. MIT Press, Cambridge, 564 p.