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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 299–304 Article original Les incidences de la désorganisation des enveloppes collectives...

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 299–304

Article original

Les incidences de la désorganisation des enveloppes collectives sur le moi de l’enfant de 9 a 13 ans dans l’expérience de la guerre (Liban – juillet/août 2006) The incidences in the disorganization of the collective envelopes on the ego of the child from 9 to 13 years old in the experience of the war (Lebanon – July/August, 2006) L. Chikhani-Nacouz a , D. Drieu b,∗ , M. Chalhoub c b

a Université Libanaise II (Fanar), 110, rue Badaro, Beyrouth, Liban UFR psychologie, université de Caen, batiment SE, 4e , esplanade de la Paix, 14000 Caen, France c Forest – Badaro, Beyrouth, Liban

Résumé Ce travail a pour objectif d’analyser les conséquences de la désorganisation des enveloppes collectives (le déficit du temps social, de la socialisation, de la mémoire groupale, etc.) sur les enveloppes psychiques de l’enfant de neuf à 13 ans. Nous faisons l’hypothèse que ce n’est pas la guerre en tant que telle mais la destruction des enveloppes sociales, la déstructuration du symbolique, qui crée le traumatisme chez l’enfant. À travers des entretiens cliniques semi structurés, avec 30 enfants libanais de neuf à 13 ans (six à dix ans au moment des conflits de 2006), présentant des symptômes post-guerre, nous avons analysé les ruptures de quelques enveloppes collectives : la temporalité, les espaces culturels et L’enkystement transgénérationnel. Nous avons pu constater que : un clivage se produit entre le temps externe (temps de rue) qui ne peut plus constituer une enveloppe fonctionnelle, et le temps interne (temps d’abri) qui renvoie l’enfant à un état végétatif ; une identité « par désaveu » s’installe dans un endo-groupe communautarisé qui déchire l’enfant. La migration provoque la perte du symbolique référentiel ; la mémoire familiale transmet une vision traumatique de son histoire : l’enfant en devient le porte-traumatisme. La rupture des enveloppes transforme l’enfant en support de détresse, l’amenant à s’installer dans une pathologie de la violence comme défense du Moi. Nous présentons en illustration de leur perception de la guerre les dessins de deux enfants. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Communautarisme ; Désaveu ; Enfants dans la guerre ; Enveloppes collectives ; Identité ; Organisateurs temporels

Abstract The objective of this study is to analyze the effects of the disorganization of the collective envelopes (deficit of social time, of socialization, of group memory, of a common future, etc.) on the psychological envelopes supporting the organization of time, space, thought, memory and dream in the child. The study proposes that it is not war in itself that is the cause of the child’s trauma, but rather the destruction of social envelopes, and in particular the destructuring of the symbolic. When the anxiety of the present is what determines the future, when space-time dimensions are in chaos, when the social field is fraught with turbulence, what happens to the child? Using semi-structured clinical interviews with 30 Lebanese children aged 9 to 13 years (who were 6 to 10 years old during the 2006 conflict), exhibiting post-war symptoms, we have analyzed the disruption of certain collective envelopes, namely, temporality, cultural space and cross generational encystment. We were able to observe the following: wartime has a particular rhythm. Explosions replace the clock, noise replaces words. A rift occurs between external time (street time) that can no longer constitute a functional envelope, and internal time (shelter time) that is relegated to a vegetative state. The space of the Lebanese community is a space of conflict. The collective memory is fragmented in the absence of institutions supporting historical archiving. An identity by disavowal



Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (L. Chikhani-Nacouz), [email protected] (D. Drieu), [email protected] (M. Chalhoub).

0222-9617/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2010.11.006

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is thus established in the sub-group. The child is literally caught between two fires: withdrawal into oneself or community rifts. War, coupled with migration, leads to a loss of the symbolic through mourning and misapprehension. In the memory of the family, these circumstances create confusion and lack of differentiation, transforming the child into a support of this distress, leading him to be set in pathological violence as a form of self-defence. Two children drawings are presented, illustrating their perception of war. © 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Communitarian; Disavowal; Children in war; Collective envelopes; Identity; Memory; Temporal organisers

1.1. La désorganisation des enveloppes collectives temporelles

1. Objectif et méthode « La névrose traumatique est comme une effraction, une brèche étendue provoquée par une énergie externe considérable attaquant une vésicule non préparée. » [1 : 61]. Partant du concept des « enveloppes psychiques » d’Anzieu (les organisateurs temporels, de la pensée, de la mémoire, du rêve, etc.) [2], nous donnons au terme « enveloppes collectives » un sens large. Ces constructions saisissent les événements du passé, dans un présent et permettent d’anticiper l’avenir et se fondent dans une identité et une mémoire collective, un projet « commun et partagé » de valeurs et traditions [3]. La guerre, nous semble-t-il, ne provoque pas directement le traumatisme, mais cause une béance impensable dans les « enveloppes collectives » en agissant sur les fondements symboliques, en détruisant les contenants référentiels [4]. Ce n’est pas la guerre en soi qui traumatise, mais la déritualisation ou les pertes des repères culturels et symboliques qu’elle implique, rupture qui se répercute sur chacun. Nous explorerons dans un contexte d’après-guerre (2006–2009) – dans un Liban pacifié certes mais dans lequel les divergences intercommunautaires et régionales concernant l’identité nationale sont toujours non résolues – par l’entretien semi-structuré, les répercussions de la désorganisation des enveloppes collectives – la temporalité, le désaveu culturel, l’enkystement générationnel – chez 30 enfants de neuf à 13 ans en 2009 présentant des symptômes post-traumatiques (Tableau 1).

Tableau 1 Fragment du tableau des troubles manifestés par les 32 enfants (établi par Mounir Chalhoub). Troubles Cauchemars répétitifs Conduite phobique Troubles du comportement Troubles de l’humeur Épisode hallucinatoire transitoire PTSD Attaques de paniques Comportements violents Agitation motrice Peur de l’abandon Troubles de la cognition Échec scolaire, difficultés d’apprentissage

Nombre 28 8 7 1 1 3 2 9 10 9 1 4

« Le repos est inscrit au cœur de l’être comme vibration heureuse. » [5 : 17]. « Maman dit que notre temps c’est un temps malade, et je crois que je peux sentir comment le temps est malade. » (Simone 12 ans). Notre univers temporel renvoyant aux origines au geste de Chronos rend compte d’une succession d’instants. Ceux d’une guerre ont un rythme particulier où les obus, les combats, remplacent l’horloge. En fait, le temps n’est concevable que dans la présence d’un dedans et d’un dehors définissant un rythme. « C’est un sens interne, une pure intuition de soi qui avec l’espace, constituent le seul cadre possible de la raison, condition de toute expérience » [6 : 79]. L’intégration de la temporalité s’élabore avec la prise de conscience d’une réalité externe dans la confrontation avec le système inconscient, un processus intemporel [7]. Elle se construit par l’intervention du tiers paternel dans les soins maternels organisant une biorythmicité autour du corps de l’enfant à travers l’alimentation, le nursing, le rythme veille/sommeil, etc. [8,9]. Dans le cas d’une désynchronisation entre rythmes internes et externes, des perturbations fonctionnelles de l’organisme apparaissent conjointement à la réalité sociale chaotique. Le rythme respiratoire et le rythme cardiaque sont haletants ; le rythme alimentaire, la défécation et le rythme nycthéméral, sont soumis à la volonté aveugle des obus. « On devait manger quand on n’avait pas faim, dit Ali (10 ans), on devait dormir quand on n’avait pas sommeil et quand vraiment on voulait dormir, c’était jamais le moment. Parfois je dormais debout contre la jambe de papa ou assis. » – « Mon petit frère faisait tout le temps pipi sur lui. Heureusement moi j’étais constipée mais mon cœur battait, battait, je n’arrivais pas à l’arrêter. » (Lina 11 ans). L’articulation des instants comme histoire chronologique s’efface. Des moments tragiques émergent (déflagration, habitat détruit, nounours perdu, etc.). Les liens se perdent. Les dates qui font l’histoire n’ont plus de cohérence : « Je ne sais pas comment c¸a s’est passé, dit Rosa, 13 ans. Je me rappelle seulement que j’étais entrain de courir et puis d’un coup je suis arrivée dans un camion à une école ou un couvent. [. . .] mais je ne sais plus comment s’appelle le couvent. ».

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Le temps de la guerre partage l’espace vital en deux rythmes opposés : le « temps-rue », où les combats font rage et le « tempsabri ». Il y a à l’extérieur, des êtres qui tuent et meurent et à l’intérieur, des êtres figés, cachés dans les sous-sols. Pourtant, à l’intérieur de l’abri, les hommes, les femmes, les enfants vivent au rythme de l’extérieur ; la réalité est celle de la rue. Une faille se produit, leur rythme de vie dépend de ce qui est hors d’eux.« L’omniprésence du dehors pénètre directement par les circuits auditifs [. . .]. L’ouïe devient le champ de la connaissance et de la sauvegarde : l’unique indicateur du dehors. On reconnaît au son le projectile, sa grosseur, son lieu de départ et son lieu d’arrivée, et la nature de ce qu’il a détruit. L’espace habité n’est pas l’espace vécu. Mais l’espace vécu est un espace hors soi, désagrégé, hanté par les morts. » [8 : 28]. Le temps se fige. Le bruit désorganisateur remplace l’organisation sonore des mots. Le temps mutilé du rythme s’écarte de la fonction sociale de transmission et de permanence. Désorganisé, il se déstructure rompant avec son sens symbolique. Un factuel inéluctable et morbide vient prendre la place de la subjectivité rythmique, créant d’emblée une situation impensable, inénarrable. Les enfants en viennent alors à présenter une sclérose dans l’expression verbale et une pauvreté imaginaire, une pensée opératoire marquée par la déliaison [9]. Seul le présent se conjugue. Le sujet a perdu la représentativité pulsionnelle de l’événementiel et se trouve incapable de faire des projets futurs. « Maman m’a dit que je tournais en rond, moi je ne me rappelle pas. Elle m’a dit que pour nous amuser, un voisin avec nous dans l’abri nous a demandé ce qu’on va faire plus tard quand on sera grand. Il parait que les enfants ont hurlé (on était 10 ou 11), et moi j’ai commencé à tourner en rond. » Farah, 10 ans ; « Parfois je vais à l’école mais je reviens à la maison par un autre chemin sans faire attention. Puis de nouveau à l’école (heureusement à 5 min de la maison). Mais j’arrive toujours en retard. » (Amer 11 ans). Vivre l’espace-abri est un retour à une matrice mortifère. Assurer la sécurité de son « moi/corps », impose un isolement hors de la réalité du dehors vécu comme tueur. Mais cette « peau » à sauver est une peau dépouillée, dénuée de son sens protecteur, désubjectivée. D’une part, la rupture brutale avec l’extérieur intensifie un sentiment d’impuissance, d’autre part, l’abri matriciel provoque une vacuité persécutoire, un retour au fantasme du sein persécuteur. Il n’y a pas de place pour « l’entre-je » et le « je-jeu » comme nous le dit si bien Farrah [10]. L’actuel diachronique dedans-dehors place le sujet entre deux choix : la mort physique ou la morbidité psychique. Lacan [11] évoque la notion d’aliénation à ce propos sauf que les deux termes d’opposés que sont « la bourse ou la vie », sont ici « la vie ou la (sur)vie ». La vie est dehors mais c’est aussi la mort ; la (sur)vie est dedans mais ce n’est pas la vie. L’exclusion pour la sauvegarde de sa peau confronte l’être à sa vocation de finitude, la conscience se rétrécit. Le moi-corps dans l’abri se dissocie doublement, par occlusion du principe de réalité et réduction du principe de plaisir aux besoins primaires de la survie. La question existentielle se pose : « Et moi donc ? » L’enfant fait face à la mort. Le désir d’échapper à cette fin qui lui semble inéluctable

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se heurte à l’acceptation de la laisser venir. La menace est trop forte et se laisser mourir apparait comme un soulagement. « J’avais envie de rejoindre mon cousin, il combattait. C’est vrai il est mort mais moi je suis mort mille fois dans la cave. Lui c’est un héros. » (Ghassan, 13 ans). La guerre s’achève. Les enfants sont dans leur maison, les lumières s’éteignent, ils vont bientôt dormir. Les mauvais rêves répétitifs viennent les saisir. Gaby, dix ans, rêve d’attaques aériennes ; Fatmeh, neuf ans, voit les murs de la maison l’ensevelir ; Sabbah, 11 ans, se vit mourir de faim dans un abri. La guerre pour ces enfants n’est pas finie : le temps s’y est arrêté. 1.2. La désorganisation des espaces culturels et le désaveu « Ce qui constitue la république, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » St Just [12]. « Ici je suis malade, quand j’étais en France, tout le monde m’aimait. » (Soula, 10 ans) 1.2.1. La culture du désaveu Dans l’espace-guerre, l’Autre est imprévisiblement absent et tout-à-coup présent et le « Moi en transit » ne peut plus se fondre ou appartenir et ne peut non plus s’individualiser, il risque de se construire alors sur le déni [13]. Le « désaveu », comme processus, prend pied dans une topique où le psychisme n’arrive plus à être le modérateur de l’activité du Moi mais le modérateur de ce qu’il n’est pas. Cette situation crée pour le sujet une ambigüité persécutrice, l’amenant à régir les déficits et les excédents sur le mode interne de percées violentes ou de retraits morbides. Rapporté à une collectivité, le « désaveu » peut devenir un fonctionnement interne. L’identité collective ne se structure plus alors sur un sentiment d’appartenance commune : un groupe plongé dans un environnement originellement « désavoué » va réagir en symptomatisant par des opérations de « déni du semblable ». L’édification de l’identité communautariste se construit par une formation réactionnelle à un tout social, amenant un champ collectif à se constituer à contrario, par désaveu du référentiel commun et préférence communautaire. L’identité se dichotomise. Le Moi collectif cherche à colmater les vides, mettant l’individu et le groupe dans un rapport ambigu, mortifié et morbide avec l’espace dans lequel il vit. L’endo-groupe se vivant comme victime de l’autre, se durcit, se fanatise et s’autisme. Le symbolique retombe. S’installe alors chez l’enfant une pathologie de la violence comme défense du moi. Le Liban mythique, « espace de refuge », « le dernier bastion de la liberté » de la poète [14], n’est, en fait, qu’un « espace de parallélisme communautaire ». L’exo-groupe est vécu comme une menace mortifère. Le Chrétien, par exemple, vit dans la peur de se voir réduit à un « Dhimmi » (citoyen de seconde zone) et le Chiite, dans celle d’être persécuté, etc. Élevé dans ce communautarisme de désaveu, l’enfant est littéralement pris entre deux feux : identité personnelle et citoyenneté ou identité communautaire ? Ainsi, à la question de sa nationalité, l’enfant peut répondre « Hezbollah » ou « Moi, je suis un vrai Libanais », les

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faux étant « tous ceux qui ne sont pas des Forces Libanaises (milices chrétiennes de droite) ». À l’école les enfants sont en bleu, jaune, orange, vert foncé, vert olive, etc. Mais ces couleurs ne sont pas innocentes. Le jaune est chiite, le bleu sunnite, l’orange aouniste etc. Les discours politiques hargneux et menac¸ants, les enseignements propagandistes, l’enrôlement des enfants à partir de 12/13 ans, l’encensement utilitaire des morts transformés en martyrs, les mémoriels persécutoires, forment un tremplin à la haine. « Il faut que je grandisse pour faire partie des combattants. Je suis déjà dans le parti. Les seuls à défendre le Liban, c’est les Hezbollah » (Hassoun, 11 ans). « Ce sont tous des fous, dit Nagib 13 ans, je vais devenir dictateur et les pendre tous pour leur apprendre à détruire les immeubles et les routes. » Les familles partisanes ou craintives transmettent à leur tour une histoire partielle et partiale. « Le Liban doit devenir une république pour les musulmans. Mon père me l’a expliqué. » (Ahmad, 11 ans). « À quoi bon leur faire comprendre la démocratie, ils sont nuls. » (Cyril, 13 ans).

« Quand je suis né, mon père a planté un noyer sur lequel j’ai toujours grimpé. Il a brûlé », dit Waël (11 ans). « Quand je voyais mon oncle l’épicier, il me disait vendredi après la prière, tu passeras prendre des chocoprince. » (Mazen, 10 ans). « Ici je ne peux pas aller dans la rue, ni chez l’épicier, ni chez le boulanger, papa achète tout au super marché » (Jihad, 12 ans). Les lieux de vie, la maison qu’on ne reverra plus, la chaise bancale, les jouets : « J’avais une balanc¸oire, j’étais toujours dessus. » (Nariman, 10 ans). « Je n’aime pas la maison ici » (Galia, 8 ans). Les objets d’attachement perdus, une vieille tante, un meilleur ami, une tortue, ou l’objet transitionnel, etc. (sans parler du deuil d’un père ou d’une mère, encore plus décisif) condensent l’insécurité : « Regarde c’est la photo de Superdog, (un berger belge) il est perdu ou mort à cause de la guerre, je ne peux pas vivre sans lui. » (Caline, 10 ans). « Ma poupée, elle était une vraie princesse. Je ne peux pas vivre sans elle. » (Sahar, 9 ans). 1.3. La mémoire enkystée

1.2.2. La migration ou la perte du référentiel symbolique La migration, à la fois deuil et rupture d’avec les objets primordiaux, en regard de la théorie du désaveu, est avant tout une problématique de non-investissement des lieux et des objets nouveaux, présentant une enveloppe collective différente. C’est comme si se créait un état transitoire lié à un deuil inachevé, dans lequel la renonciation à l’objet perdu est impossible. Aucun objet nouveau ne pouvant répondre à cette quête indéfinie, ce qui rajoute le sentiment de la perte d’une partie du Moi Idéal [15]. La guerre encore une fois agit à travers la perte du symbolique, par la méconnaissance. La détransitionnalisation, la perte de l’entre-je, altère les potentialités de résistance de l’enfant face au traumatisme [16]. Les mots des enfants nous renseignent sur la perte des enveloppes et la méconnaissance symbolique de cet ailleurs dans lequel ils se retrouvent. Ainsi, en est-il de l’environnement physique : « Ici, le ciel et la mer n’ont pas la même couleur que chez moi », dit Aya (12 ans). « Je ne connais pas les rues ici, tu sais je vais à l’école en autocar, c’est pas bien. » (Pierre, 11 ans). L’espace culturel se constitue d’une phonétique, des idiomes, une manière d’être, de humer, de manger, un lever de soleil, des odeurs, des bruits : « Ici, il n’y a pas de mer, j’allais tous les jours, avec papa qui fumait un narguilé qui sentait bon. » dit Hadi (11 ans) ; « Ici, je ne sais pas quand il faut se lever ou s’asseoir », dit Amani (11 ans) en détresse. L’environnement physique affectif renvoie aux souvenirs liés aux lieux, à la cour de récréation où l’on jouait, à la fontaine où on buvait, etc. L’environnement humain affectif, ce sont les voisins, les copains, l’épicier du coin :

« L’individu, effectivement, mène une double existence, en tant qu’il est lui-même sa propre fin et en tant que maillon d’une chaîne à laquelle il est assujetti contre sa volonté ou du moins sans intervention de celle-ci. » [17 : 85]. « La transmission n’est pas régulée par la référence au symbolique, et donc au tiers qui lie et sépare, mais davantage par la nécessité de préserver l’unisson narcissique face à ce qui apparaît comme la violence d’une destinée. » [18 : 31]. Un leurre pour vivre, des ligatures pour agir, une emprise fantomatique pour s’approprier, des alliances inconscientes d’emprise l’emportent sur les alliances de vie. Le narcissisme de l’enfant est habité par des ombres. À la première alerte, qui rappelle la guerre, l’enkystement se répand dans les tissus jusque là sains et une véritable structure nécrosée remplace le développement acquis de l’enfant. La désobjectalisation s’installe, les secrets cantonnés dans l’imaginaire usurpent la place de la réalité. L’enfant est malade ; il n’est plus le sujet parlant, mais un véritable porte-traumatisme. La répétition vient remplacer la mémoire. Lacan [19], dans La lettre volée, montre bien que rien n’est aboli. Ce sont des configurations d’objets et leurs liens intersubjectifs qui transposés, projetés, déposés, dans les autres, forment la chaîne de transmission. Est porteur celui qui se reconnaît tel [19 : 45] ou choisi par l’inconscient des autres. Cette lettre matérielle est en fait, ce qui n’a pu être transmis par le symbolique ; suivre sa trace c’est retrouver le faux porteur. Ainsi en est-il de Sahira. Au moment des bombardements, Sahira « fée, ensorceleuse », 13 ans qui présente un « stress post-traumatique, avait le réflexe de s’exposer aux bombardements au lieu de s’abriter. Elle se sentait soudain le besoin de courir hors de l’abri. Il fallait littéralement la ligoter sur une chaise pour l’en empêcher.

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(Voici le récit du grand-père qui « comprit soudain l’intérêt du passé. »). En 1946, une jeune femme de 20 ans, au huitième mois de sa grossesse fut tuée – par erreur dit-on – alors qu’elle étendait le linge, par un coup de fusil tiré par un militaire. On sauva le bébé : une fillette, Salima (ce qui signifie « saine et sauve »). Salima mourut à son tour en 1976, au début de la guerre du Liban, tuée par un franc tireur. Elle avait 30 ans. Sa fille, Samia (1966), âgée de dix ans, fut depuis la mort de sa mère en proie à des cauchemars de tueries qui ne cessèrent que bien plus tard, à la naissance de sa première fille Souleima (1986) qui mourut aussi dans des circonstances obscures en tombant de la terrasse, à l’âge de trois ans et quelques mois. Sahira (1996) la dernière-née de Samia après deux garc¸ons, fut très petite en proie à des cauchemars et à des attaques de paniques. Une destinée de mort a atteint la lignée des femmes de la famille. Samia voulant échapper au terrible karma, à la mort, qui la guette, projette ses angoisses sur ses filles comme pour obliger le destin à sauter une génération1 . La guerre a agi là encore par effraction des enveloppes collectives ; la mémoire familiale indicible habite le sujet, créant en lui un enkystement fantôme qui réapparait au moment où l’histoire individuelle croise la mémoire familiale. L’obscure violence des origines induit des troubles de comportement qui traduisent les difficultés majeures d’appropriation de soi. 1.4. Illustrations 1.4.1. Dessin d’Hayssam, un gar¸con compulsif Hayssam (dix ans et demi) souffre d’hyperactivité et de troubles compulsifs depuis la guerre de 2006 et se trouve en état d’échec scolaire. Le moindre bruit l’effraie et il pense avoir rapetissé de plusieurs centimètres à cause de l’abri. Dans le dessin du jeune garc¸on (Fig. 1), aucun espace blanc ne vient laisser un havre de repos. Les couleurs de l’angoisse (noir, marron, et rouge-feu), les représentations du feu, les hachurages en gris et noir et le clair-obscur de la fumée, caractéristiques d’une faillite du Moi, envahissent la page en désordre et des destructions généralisées apparaissent tel un réquisitoire contre les agressions démantelant les enveloppes collectives. Au haut de la page, l’idéalité est bloquée par la fumée, ainsi que par deux avions agresseurs qui déversent leurs projectiles sur la plaine et la montagne. Aucune perspective d’avenir n’apparaît comme si l’espoir d’un changement était absent. Au bas de la page, une maison en ruines représente le moi de l’enfant en détresse. Au centre à gauche, une maison vidée de ses habitants, qui brûle, symbolise le manque de contenance parentale et maternelle de l’enfant. La porte, en forme de trapèze mal maitrisé, ouverte sur le vide, laisse à penser à des mécanismes d’évitement indicatifs de son effroi intérieur. Le toit de la maison, hachuré au crayon mine, et la montagne dans le fond, dont le sommet brûle – représentions de la fonction phallique – 1 Notes anecdotiques : les prénoms commencent tous par S en arabe ; les dates de naissances ont toutes un 6, sitat en arabe et toujours le S qui revient : 1926, Soumayya, (20 ans après) 1946, Salima, puis (20 ans plus tard) 1966, Samia et (encore 20 ans d’écart) 1986, la petite Souleima, enfin, (10 ans après) 1966, Sahira.

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Fig. 1. Dessin d’Haysam, dix ans. Le dessin du jeune garc¸on avec les couleurs de l’angoisse (noir, marron, et le rouge-feu) et les représentations du feu, de la fumée et des destructions, donne un indice de la morbidité de l’enfant. Les enveloppes collectives sont détruites et l’enfant se trouve au bord de la faillite.

témoignent de la détresse du garc¸on face à la loi éclatée. Le Père, son Nom, le social, se désagrègent. Hayssam voit s’effondrer, ses repères. 1.4.2. Mayssa, les attaques de panique C’est une jolie fillette de 11 ans (huit ans en 2006). Elle est petite de taille et mince, à l’allure délurée mais au visage étonnement crispé. C’est la puinée d’une famille de cinq enfants (trois filles et deux garc¸ons). Elle dit que son papa, employé dans une usine de jus, n’a pas le temps de s’occuper d’elle, il travaille beaucoup, parce que depuis la guerre sa maman est au chômage. Elle habite « Dahieh » (banlieue de Beyrouth dévastée) ; la famille a pu fuir avant que l’immeuble ne s’écroule. Restée dans l’abri, 18 jours durant. Mayssa a failli mourir par un éclat d’obus. Mayssa souffre d’attaques de panique et elle est en état d’échec scolaire. Elle pense que la guerre est quelque chose d’indescriptible et de « trop puissant » et « qu’il y a encore d’autres guerres qui vont avoir lieu ». Elle dit également que « la guerre a changé les gens avec une Maman qui frappe les enfants, la maitresse d’école qui les punit, et un papa qui n’a plus le temps de les promener. » Elle pense aussi que personne ne la comprend, qu’elle aurait mieux fait de mourir et que peut-être elle mourra dans la guerre suivante. Dans le dessin (Fig. 2), la couleur dominante est le noir/gris, couleur de deuil et d’angoisse, de petites touches de couleur (rose, vert, bleu. . .) soulignent un reste de vie. Le dessin se présente en trois scènes étagées obliquement de gauche à droite. Dans la scène 1 (en haut), la référence à la loi, à la figure paternelle, apparaît comme un soleil tronqué, caché par la fumée.

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enveloppes collectives, des repères spatiotemporels, du sens des choses et de la fonction symbolique de la parole qui installe cette insécurité et la violence chez l’enfant. C’est parfois l’infime perte d’un ourson en peluche ou l’horreur des cadavres parsemant la route qui font le traumatisme. Et ce si petit, l’enfant, face à l’immensité effrayante, peut narguer la guerre en serrant son nounours contre lui ou alors, la vie perdant tout à coup son sens, il peut se perdre et mourir. Conflit d’intérêt L’auteur Drieu Didier, 7, rue Bicoquet, 14000 Caen, déclare au nom des auteurs, n’avoir aucun conflits d’intérêts de quelque sorte que ce soit s’opposant à la publication de l’article « Les incidences de la désorganisation des enveloppes collectives sur le moi de l’enfant de 9 à 13 ans dans l’expérience de la guerre (Liban – juillet/août 2006) » sous la référence Neuado700. Remerciements

Fig. 2. Dessin de Mayssa, 11 ans.

Elle est remplacée par la loi du plus fort, celle de l’agresseur. Cette dernière se montre sous la forme des avions bombardiers qui se succèdent dans le seul espace blanc du dessin, qui rasent les immeubles, et dont les projectiles à forme phallique et en mouvement ajoutent à l’impression de force aveugle. Dans la scène 2 (au centre), le chemin de l’exode : une route qui ne mène nulle part est empruntée pêle-mêle par des fuyards. Arriveront-ils à destination ? La fillette en doute. Dans la scène 3 (en bas), les immeubles brûlent. Dans le premier, les habitants se sont réfugiés dans un abri précaire. L’abri ressemble à une matrice ensevelie et les personnes cachées à des fœtus. Quelqu’un sauvera-t-il la vieille femme (immeuble à droite) ? Mayssa ne le pense pas. Tout se transformera en pierres calcinées. Là encore la désorganisation des enveloppes collectives remplit l’espace. Ici, c’est la perception d’un avenir précaire qui domine avec une référence au tiers, à la loi paternelle, au collectif sur le point de disparaître. 2. Conclusion « Les traumatismes ont engendré une métamorphose de l’identité. » [20 : 7]. La fragilité narcissique des enfants que nous avons entendu, l’absence de limites et l’angoisse face aux situations traumatiques, l’agressivité, la problématique avec le monde extérieur générateur d’angoisse, nous amène à penser que dans l’ensemble les enfants touchés par la guerre vivent un état d’insécurité permanent qui laisse pronostiquer des évolutions négatives de leur développement. Mais plus que la guerre en soit, c’est la kyrielle des destructions et des morts qu’elle crée ; c’est la désorganisation des

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