Les interventions sanitaires sélectives: Un piège pour les politiques de santé du tiers monde

Les interventions sanitaires sélectives: Un piège pour les politiques de santé du tiers monde

Soc. Sci. Med. Vol. 26, No. 9, pp. 879-889, 1988 Printed in Great Britain. All rights reserved 0277-953688 $3.00 +0.00 Copyright ~ 1988 Pergamon Pres...

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Soc. Sci. Med. Vol. 26, No. 9, pp. 879-889, 1988 Printed in Great Britain. All rights reserved

0277-953688 $3.00 +0.00 Copyright ~ 1988 Pergamon Press plc

LES INTERVENTIONS SANITAIRES SI~LECTIVES: UN PII~GE POUR LES POLITIQUES DE SANTI~ DU TIERS MONDE DANIEL GRODOS et XAVIER DE B~THUNE Collaborateurs de l'Unit6 de Recherche et d'Enseignement en Sant~ Publique, Institut de Mddecine Tropicale, Nationalestraat 155, B-2000 Antwerpen, Belgique

Rrsmnr---Les soins de sant6 primaires tels que les prrsente la Drclaration d'Alma-Ata impliquent une approche multicausale des probldmes de santr, et une organisation des services de sant6 qui permettent des soins globaux, continus, intrgrrs, distriburs 6quitablement, dans un souci d'efficacit6 autant que d'efficience, et en recherchant la participation de la population concern~e. Cette approche est actuellement remise en cause par les soins de sant~ primaries dits 'srlectifs' qui, au nora du rendement, arguent de la faiblesse des moyens disponibles pour rdorienter les efforts m&tico-sanitaires dans le Tiers Monde en les limitant ~. quelques actions prioritaires, visant des pathologies donnres. Un rrcent coUoque ~i l'Institut de Mrdecine Tropicale d'Anvers a nettement critiqu6 cette vision 'srlectiviste' de l'action au nom mime de l'e~cacitr: l'abandon des critdres de globalitr, d'rquit~, d'intrgration, de continuitd et de participation communautaire condamne des interventions s~lectives ~i l'inel~cacit6 et certainement ~. l'inefficience ~ long terme.

Mots cldfs--soins de santd primaires, soins de sant6 primaires s~lectifs, politiques de santr, approche globale

I. INTRODUCTION

Comment s'attaquer aux problrmes de sant6 des pays du Tiers Monde? La question est de taille, les rrponses ne sont pas simples, les besoins immenses, et les moyens limitrs. En 1978, la Confrrence Internationale conjointe de I'OMS et de I ' U N I C E F , tenue ~ Alma-Ata (URSS), fit un grand effort de clarification en formulant la strat~gie des soins de santd primaires, ~ laquelle se sont rallirs tousles pays-membres de I'OMS. En tant que stratrgie de santr, les soins de sant6 primaires (SSP) peuvent valablement inspirer les politiques sanitaires de tous les pays: le terme 'primaire' ne signifiant pas 'sommaire', '616mentaire' ou encore 'de degr6 infrrieur', mais premier, primordial, de premier recours. La rigidit6 des structures mrdico-sanitaires des nations occidentales et l'acuit6 des problrmes de sant6 dans les pays en voie de drveloppement ont cependant fait des SSP une question de drbats et de pratiques concernant plus particulirrement le Tiers Monde [1]. Infondre throriquement, cette drrive est nranmoins un fait. Et le prrsent article se limitera aux politiques de sant6 dans les pays en voie de drveloppement. La rrsistance que rencontre la stratrgie des soins de sant6 primaires dans les pays industrialisrs ne doit pas emprcher, en effet, que l'on poursuive la rrflexion sur la meilleure fa~on de l'adapter aux contextes varirs du Tiers Monde, ofa un autre type de rrsistance doit d'ailleurs h tout prix &re 6vitr: ~ savoir un rejet, par des 61ites administratives, politiques et mrdicales, d'une stratrgie q u ' o n prrtendrait imposer en bloc et sans nuance de rextrrieur, en l'exposant de la sorte au reproche d'ingrrence nro-colonialiste. La stratrgie des SSP n'est pas nre de rien et comme 879

par miracle ~ Alma-Ata. Elle tire au contraire les lefons de l'action m~dicale pass~e et formule pour ravenir une strat~gie globale suffisamment ambitieuse pour 6tre mobilisatrice et suffisamment consistante pour servir de guide ~i l'action et ~i la rrflexion. Or, quelques annres ~ peine aprrs sa formulation, la stratrgie des SSP s'est vue remise en cause de divers c6trs, y compris par certains de ses promoteurs initiaux, comme I ' U N I C E F , au nora de rurgence, au n o m du rralisme, et en lui reprochant son utopisme et son cofit prohibitif. On a vu alors de grands organismes nationaux et internationaux qui financent des programmes de sant6 dans le Tiers Monde, recommander ce q u ' o n s'est mis /t appeler les soins de sant6 primaires 'selectifs', et y r~server leurs fonds. Le doute s'installe dans certains esprits, la pol~mique surgit, certains gouvernements du Tiers Monde hrsitent, et la politique de cooperation sanitaire de la CEE ou de ses pays-membres, souvent mal drfinie, risque de monter darts des trains en marche vers des destinations contradictoires et peut-~tre n o n souhaitres. "De Babel ~ A l m a - A t a . . . et retour", 6crivait ainsi le Docteur E. Morin en 1984. C'est sur cette question de l'intervention m~dicale sanitaire dans les pays en voie de d~veloppement (PVD) que s'est r~uni ~ Anvers (Belgique), les 29 et 30 novembre 1985, un s~minaire international regroupant des responsables de sant6 publique de plusieurs pays. Ce colloque a eu lieu les 29 et 30 novembre 1985, organis6 par l'Unit6 de Recherche et d'Enseignement en Sant6 Publique (URESP) de l'Institut de M~decine Tropicale Prince L~opold (IMT Antwerpen). Ce colloque ne s'est pas attach6 la problrmatique de l'intervention mrdicale

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d'urgence, qui monopolise les medias e t a laquelle l'opinion ramrne trop souvent l'aide medicale au Tiers Monde. I1 s'agit de probl~mes ~ la lois bien plus fondamentaux, plus quotidiens et plus lourds de consequences pour l'avenir: l'action m~dico-sanitaire au jour le jour et les politiques de sant~. A l'issue de ce colloque, le manifeste suivant a ~t~ adoptr: ((Des personnalitrs acadrmiques, des sp~:cialistes et des praticiens en sant6 communautaire de plusieurs pays industrialisrs et en voie de drveloppement se sont rrunis a Anvers pour un srminaire de 2 jours, off ils ont fait le point sur la mise en oeuvre des Soins de Sant/~ Primaires. Depuis la Conference d'Alma-Ata en 1978, les Etats membres de l'Organisation Mondiale de la Sant6 sont d'accord pour affirmer que c'est la strat~gie des Soins de Sant+ Primaires qui permettra d'obtenir la Sant/: Pour Tous, en consid6rant les populations comme des partenaires actifs. Toutefois, dans les pays en voie de d~veloppement, et malgr~ les leqons du pass6 et l'exp~rience accumulre, d'importants organismes nationaux et internationaux d'aide au drveloppement d&ournent des ressources drj~ maigres vers une approche connue sous le nom de 'soins de sant~ primaires s~lectifs'. Cette approche concentre tous ses efforts sur quelques interventions, dirigres vers des groupes de population precis, et prrtendument srlectionn~s sur la base d'une plus grande efficience. Les 'soins de sant6 primaires s~lectifs' sont une contradiction dans les termes. L'expression elle-m~me devrait ~tre abandonn~e, car, dans le meilleur des cas, ces activitrs ne peuvent ~tre consid~rres que comme des 'interventions sanitaires srlectives'. Cette approche est en effet en opposition flagrante avec les fondements des soins de sant6 primaires. Ces fondements sont: --Les principales causes de mauvaise sant~ sont enracin~es dans les conditions de vie et l'environnement en grn~ral, et en particulier dans la pauvret~, l'inrgalit~ sociale et la distribution injuste des ressources en fonction des besoins, tant ~ l'intrrieur des nations qu'au niveau international. - - L a sant6 n'est qu'une des prroccupations des gens. I1 faut donc les impliquer dans les choix qui s'imposent ~i son niveau, et les considrrer comme des partenaires ~ m~me de jouer un grand r61e dans sa protection et son amrlioration. I1 faut donc qu'ils participent totalement et r~ellement aux prises de d+cisions que la concernent, y compris bien stir au choix de leurs services de sant+. --Les services de sant~ doivent fournir des soins curatifs et prrventifs, et aussi entreprendre des actions de promotion sanitaire et de rrhabilitation sociale. Ceci doit ~tre fait de mani~re coordonn~e et int6gr6e, de faqon ~ r~pondre aux besoins des gens. L'approche des soins de sant6 primaires est utilis6e avec succ6s dans plusieurs parties du monde. S'agissant d'un processus continu, beaucoup reste faire dans ce domaine. Ce manifeste est publi6 parce que la prolif6ration des programmes d'interventions sanitaires s61ectives sape le travail des services de sant6 au moment pr6cis oO ils essayent de se r6organiser en fonction des soins de sant6 primaires.

I1 est publi6 aussi parce que ces interventions pr~tendent offrir des 'solutions rapides' et des "succ~s instantanrs' et d&ournent ainsi les ressources limit~es de la solution des probl~mes rrels sous-jacents. Elles contribuent ainsi ~i maintenir un mauvais ~tat de sant~ grn~ral. En outre, l'exprrience nous a appris que les interventions s~lectives ont tendance ~ devenir permanentes, m~me si elles sont pr~sent~es seulement comme une 'stratrgie intrrimaire'. En pratique, elles ont besoin de structures sprcifiques, dont un pays ne pourrait pas facilement se d~barrasser au moment off il choisirait de r~orienter sa politique de sant~ en fonction des soins de sant6 primaires. Mais, surtout, les interventions sanitaires s~lectives 61iminent la possibilit6 d'une participation des gens la prise de drcisions dans le domaine de leur propre santr. Les soussignrs d~sirent donc rraffirmer la pertinence de la strat~gie des soins de sant~ primaires dans toutes leurs implications et rejettent les autres approches introduites et propagres sous le nom de 'soins de sant~ primaires s+lectifs')). Annys S. Barker C. Bichmann W. De Bruycker M. Greindl I. Heywood A. Lagasse R. Mercenier P. Newell K. Sanders D. Streefland P. Turshen M. Van Damme W. Zurita A.

Banerji W. Beghin I. Cosci P. DiesfeldH.J. Grodos D. Kabore A. Maiga Z. Moynihan M. Pangu K. Schmidt-Ehry B. Stroobant A. Unger J.P. Varkevisser C.

Baraldini M. Berche T. De BSthune X. Green A. Gutshoven K. Killingsworth J. Mechbal A. Nabarro S. Rifkin S. Smith D. L. Surakiat A. Van Balen H. Walt G.

2. HISTORIQUE On peut dire que les syst~mes 'modernes' de sant~ des PVD ont hc~rit~ leurs principales caractrristiques du module occidental de m~decine et de pratique m~dicale, soit qu'il rut hrrit6 de I'Europe via la 'mrdecine coloniale', qui innova e n c e r t a i n s domaines, soit qu'il rut copir, en une p~riode plus r~cente, sur les Etats-Unis [2]. C'est ainsi qu'on observe le plus souvent: - - u n e primaut6 de l'hrpital (second ~chelon de soins) sur le poste de sant6 villageois (premier ~chelon de soins); - - u n e primaut6 de la ville (et surtout de la capitale) sur la zone rurale; - - u n e primaut6 des activit~s curatives sur les activit~s preventives; - - u n e primaut6 du mrdecin sur le reste du personnel de santr; - - u n e primaut6 des techniques importres et coilteuses sur les techniques disponibles et reproductibles localement; - - u n e primaut6 du traitement de la maladie sur la promotion de la sant6 (avec ce que cette dernirre suppose d'rducation sanitaire et d'action sur l'environnement); - - u n e primaut~ des b~timents sur les activit~s; - - u n e primaut6 de la mrdecine sur le d~veloppement des autres services en zone rurale.

Les interventions sanitaires s~lectives Ceci a pu expliquer et explique encore bien des traits de la 'm~decine tropicale' telle qu'appliqu~e de nos jours: (a) un paternalisme m~dical plus ou moins autoritaire; (b) un contraste entre les dispendieux h6pitaux des capitales et la pauvret~ du r~seau sanitaire de base ailleurs; (c) une pr6dominance des programmes 'verticaux' ou 'sp~cifiques' (6quipes mobiles diff~rentes charg~es de la vaccination, ou de la lutte contre telle ou telle end~mie), particuli~rement caract~ristique de la m~decine coloniale; (d) une coupure entre le d~veloppement des activit~s m6dicales et le reste du d~veloppement g~n~ral des campagnes (6glises, et parfois ~coles ou casernes, mises h part); (e) un m6pris persistant envers la m~decine traditionnelle; (f) une d~responsabilisation des individus et des communaut~s face au d~fi de leur sant6, encourag~e aussi bien par la conception caritative de l'action m~dicale que par la gratuit~ totale des soins dans le secteur public; (g) une absence de r~flexion approfondie de sant~ publique dans la planification sanitaire. Certes, la 'm~decine coloniale' avait connu d'heureuses initiatives, comme la d~centralisation des postes de sant6 et une certaine rationalisation de la distribution des m6dicaments. Elle avait aussi connu certains r~sultats. Mais la r~gression de ceux-ci (~chec g6n~ral de l'6radication de la malaria, r6surgence de la maladie du sommeil en Afrique Centrale) est trop facilement attribute h la 'd~b~cle des Ind~pendances' et ~ la d~sorganisation des r~seaux sanitaires qui en a souvent r~sult6. Elle doit plut6t ~tre expliqu~e par les caract~res m~mes de l'action m~dicale engag~e [3]. Les programmes verticaux ont en effet montr~ leurs limites, le gouffre financier hospitalier a exerc~ ses ravages, et la lutte contre la malnutrition est rest~e aussi peu efficace autant dans les pays d'Am6rique Latine que dans les jeunes Etats africains ou les nations asiatiques. Certes, on ne peut pas non plus pr~tendre que la situation sch~matis~e plus haut se retrouve telle quelle de nos jours dans tousles PVD, sans tomber dans la caricature ou l'anachronisme. Les choses ont bough. Une prise de conscience s'est faite, ~ t~tons d'abord, ~i partir du terrain, et en des cheminements multiples, que beaucoup de praticiens ont v6cus, dans les ann~es cinquante, soixante et soixante-dix. Ils ont finalement abouti ~ la fameuse D~claration d'Alma-Ata, qui est ~. la fois un sdv~re bilan et un ambitieux projet: la strat~gie des soins de sant6 primaires [4].

3. DI~FINITIONET CRITI~RES MAJEURS DES SSP Si elles n'ont pas encore entra~n~ de bouleversements spectaculaires sur le terrain, et si les exp6riences continuent ~ s'affiner, la D~claration d'Alma-Ata et la strat~gie des SSP ont eu une port~e consid6rable sur les esprits et elles commencent influencer les politiques sanitaires des PVD. Les

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debars qu'elles suscitent sont ~ la mesure du changement des mentalites qu'elles requi~rent. "La critique est a i s l e . . . "

Comme toute idle d~rangeante et novatrice, la strat6gie des SSP a pr~t~ le flanc aux critiques les plus contradictoires et donn~ lieu ~ des interpretations divergentes. On a ainsi reproch~ ~ la strat~gie des SSP d'&re faussement apolitique et de refl~ter en fait les int~r~ts de l'establishment des donateurs des pays du Nord [5]. D'autres ont fait grief au texte de la D&:laration d'Alma-Ata d'une approche trop technique des probl~mes de sant~, s'arr~tant au seuil des vraies questions, ~ savoir la remise en cause des mt'canismes sociaux, politiques et 6conomiques expliquant h la fois le sous-d~veloppement et la mauvaise sant~ [6]. D'autres, par contre, soupqonnent les SSP de reposer sur des presupposes socialisants. Ce d~bat est loin d'etre vain. I1 gagnerait cependant ne pas perdre de vue que les SSP ne sont pas d'abord une doctrine, ni un corpus th~orique. Mais une leqon tir~e de l'exp~rience du terrain. I1 gagnerait aussi h prendre en compte 1'6branlement des structures de pouvoir que l'introduction des soins de sant6 primaires peut susciter dans une organisation sociale donn~e [7], sugg~rant ainsi qu'ils sont, sur le terrain, moins 'apolitiques' qu'on pourrait le croire sur papier. Le present article ne se propose cependant pas d'entrer dans ce genre de discussion, car, pensonsnous, les enjeux concrets actuels sont ailleurs. " .. mais l'art est diff~cile" Si chaque pays, done, doit d~finir comment il entend mettre en oeuvre les SSP, ceux-ci restent partout envisageables selon quatre perspectives [8]: 1. Comme un niveau de soins: celui le plus proche des gens, ce qui suppose qu'il soit largement d&:entralis6, de manidre ~ ~tre facilement accessible et couvrir r~ellement la population de chaque zone sanltaire. Ce qui ne signifie pas que ce niveau de soins p6riph~rique est coup~ du reste du r~seau sanitaire, ni que celui-ci ne doit pas ~tre rationalis6 et rendu plus performant. 2. Comme un programme d'action, comprenant au moins les huit composantes suivantes: le traitement des maladies courantes, la protection maternelle et infantile, les vaccinations, l'~ducation ~ la sant~, la lutte contre la malnutrition, la prevention et le contr61e des maladies end~miques, la fourniture de m~dicaments essentiels et l'assainissement du milieu, en ce compris l'approvisionnement en eau potable. L'~num6ration de ces huit composantes, reprises de la D~claration d'Alma-Ata, n'a pour but que de souligner le caract~re n~cessairement multiple de l'action m~dico-sanitaire. Elles ne sont ~videmment pas ~ concevoir comme autant de 'chapitres" h r~diger dans un rapport d'activit~s, ni comme autant de 'programmes' ~ d~velopper en parall~te. Plus importante est la d~marche entreprise pour les mettre en oeuvre et qui consiste: (i) ~ partir de la demande de soins ~manant d'une population d o n n ~ ; (ii) :~ identifier les groupes ,i risques dans cette population; (iii) ~ r~pondre ~ cette demande et ~i ces bcsoins en rationalisant roffre des soins possibles.

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3. Comme une stratdgie d'organisation des services de sant~, qui "remet le syst6me medico-sanitaire sur ses pieds", c'est-~-dire: (i) qui met l'hrpital au service des centres de sant~ ruraux et non l'inverse; (ii) qui int+gre les activites de m~decine curative, de prevention et de promotion sanitaire (la m~me +quipe, dans une zone d+terminre, est responsable de l'ensemble de ces activit~s, ~i l'inverse de ce qui se passe dans l'approche 'verticale' des probldmes par des equipes sp~cialisres, mobiles ou non); (iii) qui fait appel ~ la participation de la population non seulement p o u r . . , payer une partie des frais, mais aussi pour dire son mot dans la gestion des centres de santr; (iv) qui tient compte de ce que la rrponse aux probl~mes de sant6 ne peut venir du seul syst~me sanitaire, mais requiert un effort concert~ (coop+ration intersectorielle) entre plusieurs domaines socioculturels et 6conomiques. 4. Comme une philosophie gdnkrale imprrgnant tout le syst~me de sant& philosophie qui "remet la m~decine ~ sa place": (i) en tfichant de responsabiliser les individus et les communaut~s quant ~i la prise en charge de leur sant6 par eux-m~mes; (ii) en ne r~clamant pas un d~tournement excessif de ressources vers le secteur sanitaire au drtriment des autres composantes de base du d~veloppement (~ducation, logement, etc.); (iii) en visant l'rquit6 dans la distribution des soins; (iv) en concevant la sant~ de manirre globale, c'est-~i-dire sous tous ses aspects (sans se limiter au traitement ou ~ la prrvention des maladies) et dans tout son environnement social, culturel et 6conomique. Le caractrre ambitieux d'une telle vision de la mrdecine et de la santr, rrpdtons-le, ne provient pas de quelque idralisme humaniste de penseurs en chambre, mais de l'exp~rience du terrain durant des drcennies. Apr~s ces prrcisions de drfinition, envisageons les principaux crit~res auxquels pr~tendent rrpondre les SSP et sur lesquels ils demandent ~ 6tre j u # s .

Globalitk Les SSP proposent de donner une r~ponse 'globale' aux probl~mes de sant~. Cette globalit6 implique que soient pris en charge a la lois le soulagement de la souffrance quotidienne des gens (leur 'demande de soins') mais aussi les aspects de pr+vention et de promotion de la sant6 (par l'~ducation sanitaire, les services de protection maternelle et infantile, Faction sur le milieu, etc.). Cette exigence de globalit~, certains critiques des SSP la consid~rent comme chim~rique ou paralysante. En r~alit~, elle ne fait que correspondre aux dimensions toujours multiples de la lutte contre la maladie et de l'am~lioration de la sant& Proposer une action m~dico-sanitaire globale, non s6lective, est ainsi une condition sine qua non pour s'attaquer au fond des probl~mes avec r~alisme et efficacit& Mais qu'on ne s'y trompe pas. Si s'attaquer au fond des probldmes implique effectivement des mesures d'envergure et des r&ormes sdrieuses, tantrt politiques (telles que la lutte contre la pauvretr, une meilleure distribution des ressources, la promotion de la participation des gens) et tant6t techniques (l'organisation et la structuration de l'ensemble des

sen'ices de sante), Fobjectif final des soins de sante primaire n'est pas l'dradication de maladies drterminees, mais l'amdlioration de l'Otat de sant~ des individus et des populations. Resoudre des probl~mes sp~cifiques de sant~, lutter contre des pathologies determin~es, ~radiquer si possible telle ou telle maladie: ce ne sont que des moyens. Le but ultime des SSP est d'augmenter la qualit6 de la vie quotidienne et de permettre ainsi ~ chacun une plus grande autonomie, une plus grande r~alisation de ses aspirations personnelles, une meilleure participation ~i sa vie familiale et sociale. Les SSP impliquent donc deux pr+misses, apparemment contradictoires mais en fait compl~mentaires: - - d ' u n e part, le champ de la sant6 est vaste et n'est pas clairement drlimite. Sa fronti~re avec la dynamique du d~veloppement et de la justice sociale n'est en particulier pas drfinie [9]. - - d ' a u t r e part, la sant6 n'est jamais qu'une des prroccupations des gens. L'importance qu'ils attachent ~ leurs probldmes de sant6 peut placer ceux-ci loin derrirre un grand nombre d'autres preoccupations quotidiennes [10]. Ignorer ces pr~misses, c'est s'aveugler volontairement. Les soins de sant~ primaires ne seront pas efficaces s'ils n'interviennent qu'au niveau de quelques problrmes sanitaires, aussi cruciaux puissent-ils paraitre; c'est en fonction d'~tres humains et de situations pris et compris dans toute leur complexit~ qu'ils doivent au contraire ~tre mis en oeuvre [11]. En rrsumr, les SSP se veulent globaux parce que la r~alite m~me de la sant6 et de la maladie est 'globale', c'est-h-dire multidimensionnelle,et parce que leur but ultime est 'global' c'est-a-dire plus ambitieusement social que strictement m+dical.

Equitd L'exigence d'rquit~, quant ~ elle, ne repose pas seulement sur une id~ologie de plus grande justice sociale, qui se servirait de la dispensation des soins comme d'une vari~t6 de redistribution des revenus. Elle se base bien davantage, elle aussi, sur une exigence de rationalit~ et d'efficacit& si les groupes les plus d~favorisrs ne peuvent avoir en permanence acc~s aux services de sant+, aux soins curatifs et pr~ventifs, et aux activit+s de r~habilitation ou de promotion sanitaire, il est vain d'attendre de l'intervention m~dieale un effet important et durable pour la communaut~. D'une certaine mani~re, l'exigence d'~quit~ rrsulte de celle de globalitr, et est au service du m~me but ci-dessus d~fini. Cette exigence d'~quit+ a ainsi des r~percussions multiples. 1. Elle renforce la n+cessit~ de d~centraliser le plus largement possible les services de sant+, avec ce que ceci entraine (ou devrait entrainer) comme redistribution de pouvoir et d'autonomie du sommet vers ta base, c'est ~ dire, du 'centre' politico-hospitaloadministratif vers les structures pdriphrriques des soins de sant~ primaires. 2. Elle implique la responsabilisation (accountability) des dirigeants et des techniciens vis-a-vis des

Les interventions sanitaires s~lectives groupes d~favoris~s: quelles techniques met-on en oeuvre? pour quels besoins? pour quelle demande ~manant des gens? avec quelle acceptabilitY? ~i quel cofit? avec quelles explications? 3. Enfin, elle heurte ~videmment de front la tendance ~ la r~duction des budgets sociaux, dont celui de la Sant~, que le Fonds Mon&aire International impose indistinctement aux pays en d~veloppement aux prises avec les difficult~s de leurs grands ~quilibres ~conomiques. Participation

Les deux caract~ristiques de globalit6 et d'rquit~ des soins de sant~ primaires ne sont r~alisables que dans le cadre d'une approche participative. Celle-ci va de soi si Yon se souvient d'une dimension capitale de la 'philosophie' des SSP, telle que nous l'avons d~crite: tendre ~ responsabiliser les individus et les communaut~s quant/t la prise en charge de leur sant~ par eux-m~mes. Mais la participation a aussi des raisons plus 'techniques'. On peut en voir au moins quatre: (a) le dialogue avec la population est une voie d ' e n t r ~ non bureaucratique vers la comprrhension de ses besoins et de sa demande de :;oins; (b) la sant~ ne s'amrliore jamais par l'action de la m+decine seule. C'est quand tout l'environnement change dans le bon sens que la sant~ peut s'am~liorer. Mais cela suppose des individus acteurs, et non seulement brnrficiaires, de l'action m~dico-sanitaire; (c) en outre, seul l'avis, le contr61e, le feed-back venant de la population permettent une adaptation permanente du syst~me de sant~ et son amrlioration vers plus d'efficacitr, d'efficience, d'accessibilit6 et, pour tout dire, d'humanitr; (d) enfin, chaque culture a sa propre conception de la santr, que les 'professionnels de la santr', enfermrs dans leur savoir technique, ne parviendront saisir que par une forme ou une autre de dialogue avec la population. Beaucoup d'erreurs ont +t6 commises faute d'avoir voulu reconna~tre que toute communaut6 humaine possrde son propre savoir sur la sant~, et que c'est en en rendant explicite l'expression, et consciente la logique, qu'on peut coupler ce savoir avec le savoir occidental dans les m~mes domaines--savoir occidental qu'il ne s'agit pas de jeter aux orties, bien entendu. La participation n'est toutefois pas une dimension des SSP automatiquement garantie. Elle s'obtient et se conserve difficilement. EUe est, en outre, autant un r~sultat des actions entreprises qu'une ressource pour la r~alisation de ces actions. Prenons l'exemple des soins curatifs. La souffrance individuelle est, pour les gens, le probl~me de sant~ prioritaire (qu'on soit dans un pays fiche ou dans un pays pauvre, d'ailleurs). Un service de sant~ doit donc d'abord prendre en charge la rrponse ~ ce besoin fondamental et universel. Mais l'organisation des services curatifs est aussi une excellente occasion de dialogue, qui permet aux gens de prendre conscience de leurs propres possibilit~s d'autonomie, et aux professionnels de la sant~ d'adapter la nature et les modalit~s de fonctionnement de leurs services. I1 n'y a pas de raison pour que la participation ne touche pas gt tousles sujets qui ont un rapport avec

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le d~veloppement ou la sant~. I1 n'y a pas de raison non plus pour qu'elle n'inter~ienne pas ~ t o u s l e s niveaux de d~cision, depuis le niveau m~decin-malade jusqu'aux niveaux sup~rieurs du syst~me sanitaire. Car, ~ confiner indrment les SSP aux seuls services p~riph~fiques, on ne fait que juxtaposer une organisation communautaire naissante avec le reste du syst~me sanitaire, inchang~ dans son centralisme, ses cofits et sa technicit~ [12]. Ceci dit, l'approche participative ne nie p a s - contrairement ~i ce que certains disent--l'importance des techniques et des techniciens. Mais elle demande ~i ces techniciens un effort d'Scoute et d ' ~ h a n g e qui permette de r~orienter certaines de leurs actions et d'adapter certains de leurs moyens aux valeurs et aux modSles des gens pour lesquels ils travaillent. Les consequences ~videntes de ce partage du savoir et du pouvoir, m~me limitS, sont la dSmystification d'un grand nombre de techniques, de traitements ou de services--et un certain changement de comportement de la part de ceux qui les utilisent. En pratique, ceci se manifestera, par exemple, dans le refus de m~dicaliser des probl~mes courants ou susceptibles d'&re pris en charge au niveau familial (comme le traitement de premirre instance de la grippe, de la fi~vre ou de la diarrh~e). Ou encore dans la recherche d'alternatives: pharmacies familiales, collaboration avec la mrdecine traditionnelle, etc. Efficacit# et codt Les soins de sant8 primaires prStendent 8tre une strat~gie efficace par rapport au but global d'amSlioration de la sant8 des groupes et des individus. Malheureusement, les m&hodes actuelles d'~valuation de l'efficacit~ et du cofit des interventions sanitaires ou m~dicales ne leur rendent pas justice, soit parce qu'elles n'rvaluent que des aspects limit,s de ces actions mSdico-sanitaires, soit parce qu'elles ne sont pas assez bien drcrites pour 8tre utilis~es partout de fa~on pertinente. L'efficacit6 rrelle des soins de sant6 primaires ne peut en outre se mesurer qu'~ long terme, c'est-~-dire conformrment aux buts et aux objectifs mSmes de cette strat~gie. Or, la plupart des indicateurs habituels de sant~ sont des indicateurs quantitatifs, souvent discutables en eux-mSmes (comme le taux de mortalitb infantile), entachSs d'a priori culturel dans leur sSlection, et appr~hendant la rSalit~ d'une maniSre extrSmement ponctuelle et fragmentaire. Comment, en effet, 'mesurer' la capacit8 d'auto-d~termination d'une population couverte, la participation communautaire, l'Squit8 et la pertinence des services offerts, la satisfaction des usagers? Certains indicateurs existent en ces diffSrents domaines, mais ils restent rares ou trop imprScis. Un grand domaine de recherche s'ouvre ici, qui devrait permettre de donner aux soins de sant~ primaires les outils d'rvaluation qui correspondent leurs objectifs et ~i leurs ambitions, et qui /~ ce jour leur font encore cruellement dSfaut. 4. DI~VIATIONS DU CONCEPT ET DE L-~ PRATIQUE DES SSP

Assur~ment, les SSP ont donn~ lieu ~ des experiences aberrantes et ~ des simplifications qui ont pu aller jusqu'~ en dSnaturer le sens.

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Les agents de santo communautaires Ainsi, beaucoup ont cru que rapprocher le premier niveau de soins de la population exigeait qu'on baisse le niveau et l'~ventail de ces soins, de mani~re ~ ce qu'ils puissent &re dispenses aux gens par des 'agents de sant~ communautaires', ou agents de sant~ viltageois, ou travailleurs de sant~ de base--les vocables ont fleuri. Des milliers de volontaires, +lus par leur village, pleins de bonne volont~ (et souvent de d~sir de promotion sociale) ont ainsi ~t6 form6s trop souvent ~t la h~.te et parachutes en brousse avec des bribes de connaissances et quelques m6dicaments. I1 est stir qu'une telle conception de l'action sanitaire n'a rien ~ voir avec la rigueur qu'exigent les SSP dans leur application. Malheureusement, il arrive que, dans l'esprit de leurs d6tracteurs comme dans celui de certains de leurs z61ateurs, les SSP soient encore compris de cette faqon caricaturalement r+ductrice. Les d+ceptions ont d'ailleurs 6t6 rapides, et ~t la mesure de la m6prise, dans la plupart des experiences de ce genre. La m6prise provient d'abord d'une mauvaise interproration du terme 'primaire'. Sans doute sur le mod61e mental de 1' '6cole primaire', on a voulu voir clans les soins de sant6 'primaires' ~. la lois quelque chose de simple, d'+16mentaire, et quelque chose qui, la rigueur et vu les circonstances (c'est-~-dire la limitation des moyens), pourrait se suffire ~ soim~me. D'ot~ la conception des SSP comme une m~decine de deuxi~me classe, adapt~e ~ la brousse, au bled ou au campo. D'ofi aussi la cr6ation de services minist~riels distinct 'charg6s des soins de sant6 primaires'. On ne peut se fourvoyer davantage. Car la strategic des SSP implique en fait que change l'ensemble du syst6me sanitaire, qui doit se r+organiser au service des soins de sant+ fi la base (qu'il s'agisse des ressources, du personnel, des techniques ou du management). Darts cette optique, l'h6pital de r~f~rence et l'h6pital de district se situent tout ~ fait dans les preoccupations des SSP: l'h6pital doit &re alli~ et non 6tranger aux SSP. Mais la m6prise provient surtout d'une mauvaise identification de la cl~ de vofite du syst6me sanitaire requis par les SSP. Cette cl~ de vofite n'est pas l'agent de sant~ villageois, qui, ~. notre avis, fair encore partie de sa communaut~ et non du syst~me sanitaire, et doit tout au plus &re consider6 comme un pis-aller transitoire [13]. La cl~ de vofte est l'~quipe pol)~alente en charge du dispensaire pOriphOrique. Anim6e par un responsable qualifi6 (m~decin ou infirmier, selon les contingences locales), cette ~quipe du premier ~chelon est charg6e d'une zone de sant~ d~limit+e de telle sorte qu'elle soit effectivement couverte; elle est supervis6e p~riodiquement par un m6decin de l'h6pital de r+f~rence, et soutenue par des instructions pr~cises autant que par des fournitures r~guli6res. Seule une telle +quipe peut assurer des soins globaux, continus, accessibles, acceptables et permettant une r+f~rence facile vers les services plus specialists ou centralis~s [14]. Qu'on nous comprenne bien. Nous ne disons pas que t'6quipe polyvalente de base est, ~ elle seule, ou en elle-m4me, plus apte ~ satisfaire aux exigences des SSP que I'agent de sant6 communautaire. Son savoir et son savoir-faire sont certes sup4rieurs, mais on

peut consid&er qu'ils restent d'une utilite r~duite s'ils font perdre de vue la participation communautaire, l'action intersectorielle ou l'ad6quation des techniques, que nous avons ~voqu~es. Nous ne disons pas non plus que l'agent de sant~ communautaire est toujours et partout inutile: il peut representer une mani~re parmi d'autres d'am~liorer qualitativement et quantitativement les contacts entre la population et le service de sant~ (certains appellent cela 'augmenter l'interface' entre la population et le service). I1 existe toutefois d'autres modalit6s: les familles elles-m6mes peuvent tr6s bien jouer partiellement ce r61e, ou des personnes d6j~ traditionnellement en charge de certaines fonctions relevant de Tart de gu6rir' (l'6ventail de ces personnes est d'ailleurs plus vari6 que ne le laisse croire l'image st~r6otyp~e du 'gu6risseur traditionnel'). A quoi servirait-il de d~16guer artificiellement ~ un agent de sant~ villageois--sous le pr6texte qu'il serait ~lu par sa communaut6--1es soins courants d6j~. parfaitement pris en charge par les familles ou les gu~risseurs locaux? Mais l'essentiel de notre critique des agents de sant~ de base r~side surtout en ceci. Responsabiliser les gens et les communaut~s quant ~ leur sant6 suppose une certaine d6m6dicalisation de l'action sanitaire, une certaine d~mythification du pouvoir du m~decin et de la puissance de la m6decine: c'est la 'face cach~e' de toute participation r6elle. Or, cette d~m~dicalisation et cette d6mythification ne s'effectueront jamais, comme certains croient le faire avec les agents de sant~ de base, en passant fi c6tO du service m~dical; elles ne s'effectueront qu'en changeant le service m6dical. Et pour ce faire, l'~quipe polyvalente p~riph6rique est la mieux plac~e: parce que pr6cis6ment la plus p~riph~rique, c'est-~-dire techniquement la plus simple, culturellement la plus proche, g6ographiquement la plus accessible, socialement la plus impliqu6e dans la vie quotidienne. D+m~dicaliser ou d6mythifier en passant par un volontaire ~lu par sa communaut6 est une illusion: on laisse ainsi totalement inchang6 le reste du syst6me sanitaire et hors de toute remise en question l'id~ologie m6dicale dominante. Le danger d~nonc~ plus haut par T. Amat [12] trouve ici un nouvel avatar. C'est pourquoi nous pensons qu'en ce qui concerne le service de sant~ proprement dit, c'est l'~quipe polyvalente p~riph~rique qui constitue la base adequate pour les SSP, et non l'agent de sant~ villageois. On fera significativement progresser la cause des SSP le jour off on cessera de les identifier aux agents de sant+ communautaires, ou de les consid~rer comme un ~chelon de soins p6riph~rique rudimentaire et quasi autonome.

Les "soins de santo primaires sOlectifs" Mais une autre remise en cause des soins de sant6 primaires a ~t6 formulae en 1979 et est beaucoup plus sournoise. Elle se pr~sente comme plus scientifique et s'intitule elle-m~me 'strat~gie des soins de sant6 primaires s~lectifs'. Estimant que les SSP tels que d~finis ~. Alma-Ata seraient trop cofiteux, trop ambitieux, et inaccessibles avant longtemps--l'OMS avait traduit la strat~gie des SSP par le slogan peut-~tre un peu rapide: 'La

Les interventions sanitaires sflectives sant6 pour tous en l'an 2000'--les partisans de la 'nouvelle' strat~gie proposent de rendre 's~lectifs' les soins de sant~ primaires, en s'attaquant en priorit~ quelques grandes pathologies s~lectionn~es selon les crit~res suivants: leur fr~quence, leur taux de mortalit~ et de morbiditY, leur vuln~rabilit~ ~ un traitement facilement disponible. Ce raisonnement a routes les apparences du bon sens. Si les moyens sont limit,s, r~servons-les aux actions les plus imm~diatement efficaces: "Face ~ la multiplicit~des probl~mes de sant~ auxquels les hommes sont confront~s, on ne peut s'attaquer ~. toutes les maladies d~s maintenant. Le but tout rh&orique fix6 ~ la Conference d'Alma-Ata--une vie socialement et ~conomiquement productive pour tous grace aux soins de sant~ primaires globaux--ne sera malheureusement pas atteint dans un futur proche. Dans beaucoup de r~gions, des pdorit~s doivent &re d~gag~es afin d'instituer des mesures de contrble. Nous devons choisir les mesures qui utilisent les ressources humaines et financifres disponibles, qui sont limit~es, de la mani~re la plus eflicace et la plus etficiente" [151. C'est ainsi qu'on volt depuis peu de temps de grands ~tablissements d'aide aux pays en voie de dfveloppement (l'aide officielle amfricaine: I'USAID; mais aussi un organisme international comme I'UNICEF) se lancer dans des programmes 'prioritaires', con~us sur la base des soins de sant~ sflectifs, et se permettre quelquefois de faire la nique i I'OMS en se proposant d'atteindre leurs objectifs i eux en 1990! Ainsi, I'UNICEF avec son programme GOBI-FFF [16] ou I'USAID avec, par exemple, son programme CCCD

[171. Les soins de sant6 primaires s~lectifs rejettent donc la caract~ristique essentielle des soins de sant6 primaires tels que les pr~sente la d~claration d'Alma-Ata, savoir la globalitk de cette strat~gie. L'approche multicausale et ~ long terme de la sant6 est remplac~e par une approche par probl~mes (pathologies), concr~tis~e par une juxtaposition ou un assortiment de programmes restreints et ~ court terme. Le tout au nom de 1' 'efficacit~'. Qui ne voit cependant qu'il ne s'agit 1~, selon l'expression d'O. Gish [18], que de vieux vin dans de nouvelles outres, et de la r~introduction par la bande des programmes 'verticaux' de jadis? Les partisans des SSP sflectifs se r~crient devant cette accusation de verticalisme et pr~tendent que si effectivement des programmes verticaux doivent ~tre r~introduits, I'approche s~lective pourrait tr~s bien trouver sa place dans les structures horizontales (c'est dire int~gr~es) d~crites par Alma-Ata. En cela, il se disent.., diagonalistes! [19]. A ceux qui comprennent la D~claration d'Alma-Ata dans toutes ses implications, la chose parak cependant impossible, comme on l'expliquera ci-dessous, et des soins de sant6 primaires 'selectifs' leur apparaissent comme une contradiction dans les termes [20]. I1 vaudrait mieux parler d'interventions sanitaires s~lectives ou d'activit~s s~lectives de sant~, tant l'abandon de l'approche multicausale et globale des SSP fait du maintien de l'expression 'soins de sant~ primaires' un abus de langage dans un tel contexte. Les interventions sanitaires s~lectives rel~vent plutft d'un raisonnement tenant du marketing: comment couvrir rapidement un march~ avec un

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produit ou un service? Le fait que ce produit ou ce service soient utiles ou non, soient acceptables ou non pour leurs b~nfficiaires, soient comprfhensibles ou non par eux, tout ceci passe au second plan, et m~me disparak entifrement derrifre des choix et une planification effectufs par des techniciens le plus souvent 6trangers. 5. CRITIQUE SOCIO-POLITIQUEDES INTERVF.NTIONS

MI~DICO-.SANITAIRESS~LECTIVES (a) On a fait remarquer que cette approche technicisante de la sant6 offre des dfbouchfs commerciaux et technologiques faciles ~ l'industrie mfdicopharmaceutique occidentale. Et qu'on rassure ~ bon compte les donateurs des pays riches sur l'efficacit6 de leur charitf, puisqu'on leur propose des choix 'fvidents' (des maladies prioritaires), des critfres 'incontestables' (le taux de mortalit6 ou de morbiditf), et des rfsultats tangibles 'rapides'. Qui, parmi les donateurs et les dfcideurs, pourrait ne pas ~tre sfduit? (b) Certains n'hfsitent pas ~ accuser les promoteurs des soins de sant6 s~lectifs de desseins politiques: la mobilisation des ressources publiques en faveur des programmes sflectifs laisserait le champ ouvert pour le libre dfveloppement de la m~decine privfe--libre, c'est ~ dire anarchique, 61itiste, et hypercofiteux: les exemples surabondent dans le Tiers Monde. (c) La critique peut d'ailleurs ~tre poussfe beaucoup plus loin. D'une part, les programmes sflectifs apparaissent comme un moyen commode de 'faire quelque chose de positif' (ou de le donner ~t croire) dans le domaine de la santf, sans mettre en branle toute la logique de changement, dans le systfme sanitaire et en-dehors de lui, qu'impliquent les SSP [21]. Certains vont jusqu'~ affirmer que l'aspect peu ou prou coercitif des programmes inspirfs par l'approche sflective les transforme en instruments de contr61e social, et qu'une aide internationale qui s'y identifierait ne ferait que prolonger, derrifre la faqade humanitaire des rapports Nord-Sud, la logique du systfme colonial. D'autre part, la promotion active des activitfs sanitaires sflectives pourrait ressortir au dfsir de ne rien changer aux relations de pouvoir entre les pays industrialisfs et les pays en voie de dfveloppement. On sait, en effet, que souvent des dfcisions d'ordre politique ou 6conomique sont plus ou moins imposfes aux dirigeants du Tiers Monde par pression ou chantage exercfs via I'aide au dfveloppement. Dans le cas d'activitfs sanitaires sflectives, on peut trfs bien imaginer quelle vulnfrabilit6 rfsulterait de rarr& (ou de la menace d'arr~t) de fournitures de vaccins, ou de tout autre input vital pour ces activitfs. Si ressentiel de l'effort sanitaire d'un pays donn6 6tait rforient6 vers des activitfs sflectives, cette sflectivit6 mfme deviendrait un facteur de dfpendance politico6conomique non nfgligeable. (d) L'approche s~lectiviste, enfin, implique une conception de la sant6 difffrente selon qu'il s'agit des pays en voie de dfveloppement ou des pays industrialisfs; etle permet donc d'envisager des politiques sanitaires spfcifiques pour les premiers, qui ne remettent pas en cause le fonctionnement du systfme de sant6 dans les autres (ce que l'universatit6 de l'approche des soins de sant6 primaires a la 'malen-

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contreuse" tendance a faire). I1 est ainsi pour le moins ambigu que de grandes agences d'aide occidentales proposent aux pays du Tiers Monde des strategies qu'elles se refusent ~. voir appliquer dans leurs propres pays, comme si l'organisation sociale de la mrdecine dans les pays industrialisrs, ses cotits, ses r~sultats et ses orientations ~taient hors de port~e de toute critique. Ou comme si, une fois de plus, le Tiers Monde servait de terrain d'exp~rience pour tester les hypotheses de chercheurs des pays industrialists. 6. CRITIQUE TECHNIQUE ET OPI~'RATIONNELLE DES INTERVENTIONS MI~DICO-SANITAIRES SI~LECTIVES

Sans d~velopper tout ceci, on peut faire bien d'autres objections aux partisans des soins de sant~ s~lectifs.

Scientificit~ et m~thode (a) On peut leur reprocher de ne s'appuyer, jusqu'~. pr6sent, sur aucune ~tude scientifiquement valable pour prouver leur plus grande efficience par un abaissement spectaculaire des cofits [22]. (b) On peut leur reprocher de r~duire trop souvent l'~valuation d'activit~s sanitaires ~. l'analyse de quelques donn6es agr~g~es, comme les taux globaux de mortalit& Ce qui est par trop simpliste. I1 convient ~videmment de d~sagr~ger les donn~es selon l'~.ge, le sexe, la distance ~i parcourir pour accrder au service de santr, voire mrme le niveau socio-rconomique et l'appartenance ~. un groupe minoritaire. (c) D'autre part, les srlectivistes attribuent volontiers les variations qu'ils observent dans leurs indicateurs ~. l'impact de leurs activitrs. C'est 1/~ faire l'hypoth~se hasardeuse d'un lien de cause ~. effet bien probl~matique, et 6conomiser un peu vite une analyse approfondie des m~canismes sous-jacents ~t leurs observations. Les indicateurs--et le taux de mortalit6 infantile en est de nouveau un bon exemple-rragissent, avec une certaine inertie d'ailleurs, ~t une multitude de facteurs, dont la plupart peuvent relever d'incidents fortuits (rrcoltes, 6pidrmies, troubles politiques, etc.) ou au contraire de tendances profondes d+pendant d'une dynamique de (sous-) d~veloppement. Dans ces conditions, attribuer des variations d'indicateurs ~. court terme aux activitrs s~lectives entreprises repr~sente un pari logique assez p~rilleux. (d) Les promoteurs des activitrs sanitaires selectives promettent aussi une efficacit6 importante drs le court terme, ce qui ~videmment contribue i la s~duction qu'exercent ces programmes sur les decideurs nationaux ou internationaux. Mais l'exp~rience montre que les activit~s srlectives ne peuvent pr+tendre un effet significatif que durant un temps tr~s court, quand elles en ont un. Ce d~lai passe, l'efficacit~ plafonne ou drcroit. Et l'exp~rience des programmes verticaux (desquels se rapprochent les activit~s s~lectives) montre qu'ils requi+rent rapidement des investissements et des frais de fonctionnement souvent croissants, simplement pour pouvoir maintenir leur efficacit& (e) Enfin, l'erreur de m~thode la plus grave que commettent les s~:lectivistes dans leur ~valuation des cofits et des rrsultats est de drfinir le service sanitaire (et les activitrs s~lectionn+es) en fonction d'un impact maximum sur des indicateurs retenus au pr~alable.

C'est mettre la charrue avant les boeufs: le service devient secondaire par rapport ~. l'indicateur, alors que celui-ci ne devrait ~tre que le reflet des activites de celui-IL Les services sanitaires s'effacent derriere les programmes. Cette derni~re critique, dans sa bri~vet~, est cruciale.

R~alisme ou irr~alisme? Mais, en fin de compte, ce qu'il faut surtout reprocher aux activit~:s sanitaires s~lectives, c'est, contre leurs pr~tentions m~mes, un irr~alisme fondamental. (a) Car si les soins de sant+ primaires se veulent avec tant de force globaux, c'est parce que la r~alit~ de la maladie est globale: non seulement ses causes objectives sont globales, mais les gens malades qui s'adressent au mrdecin ou ~i l'infirmier leur posent les probl~mes globalement. Leur r~pondre par une approche s~lective, c'est se leurrer et c'est mystifier son monde. Ainsi de la rougeole, par exemple. Si la rougeole, redoutable fl~au pour les enfants du Tiers Monde ('Compte tes enfants aprSs la rougeole', dit un proverbe africain), fait tant de morts, c'est qu'elle s'abat sur des enfants trop souvent mal nourris. Prrtendre que le vaccin anti-rougeoleux va 'rrsoudre le problrme de la rougeole', c'est se voiler la face: les enfants vaccinrs, mais mal nourris, mourront d'autre chose cinq mois plus tard, et le ills d'un tel, bien nourri, et non-vaccin& survivra [23]. Qu'on ne nous fasse pas dire que la vaccination contre la rougeole est inutile. Mais qu'on ne vienne pas non plus prrtendre, comme le font les s~lectivistes, qu'une campagne de vaccination anti-rougeole, ~i elle-seule, ou couplre ~t quelques autres interventions tout aussi ponctuelles, va amrliorer de mani~:re drcisive l'rtat de sant~ des enfants du Tiers Monde [24]. L'approche multicausale des SSP implique une r~ponse globale aux probl+mes de sant& La remplacer par une approche s~lective implique une r~ponse qui sort en fait de leur contexte des 'problemes' jug, s prioritaires (c'est-~-dire quelques pathologies d+termin~es) et aboutit ~. des 'solutions' sans doute valables pour les techniciens qui les con~oivent, mais pas toujours pour ceux qui en brn~ficient. L'approche srlective risque ainsi de mobiliser l'essentiel des ressources vers des programmes restreints, non adapt~s aux pr+occupations des gens, qui n'attendent pas de voir passer une Land-Rover de vaccins t o u s l e s six tools, mais qui attendent de disposer de services de sant~ off leurs plaintes et leurs besoins seront pris en consideration i tout moment de leur vie. On risque, avec cette srlectivit~, de perdre un des acquis de drcennies d'action mSdicale dans le Tiers Monde, prrcis~ment bien compris ~t Alma-Ata, ~. savoir que les populations acceptent d'autant plus facilement des programmes sprcifiques qu'elles trouvent aussi, dans les m~mes services de santr, et de la part des m~mes personnes, une rrponse ~t leurs multiples souffrances quotidiennes, qui sont loin, elles, d'etre 's~lectives'. C'est toute l'acceptabilitO des services de sant~ qui est ici en jeu. (b) Les soins de sante primaires reprrsentent un engagement vis-a-vis de t o u s l e s membres d'une communautr, y compris les plus d~favoris~s. Les

Les interventions sanitaires s~lectives activit~s s~lectives de sant~ affichent aussi la m~me pr~tention d'~quitb. Mais on peut l~gitimement douter de sa concr~tisation, vu l'absence d'~valuation de cet aspect des choses darts les rapports sur les programmes s~lectifs et dans les publications scientifiques qui les concernent. Les valeurs des indicateurs d'efficacit~ utilis6s (couverture de la population par telle ou telle activitY, r~duction du taux de mortalit~ infantile, etc.) sont donn~es sous forme agr~g~e, comme on l'a dit. Tels que ces indicateurs sont present, s, ils ne permettent pas de juger dans quelle mesure des petits groupes-et doric notamment les minorit~s d~favoris~es--ont r~ellement pu b~n~ficier des services offerts. D'autre part, l'exp~rience du terrain montre qu'une approche exclusivement technique, implant~e de haut en bas, n'atteint en g~n~ral pas les groupes sociaux les plus d~munis. Le risque existe d'ailleurs que, pour ~tendre la couverture de certaines activit~s, les responsables du service recourent fi des mesures de contrainte ou de coercition. Ce risque n'est pas nul, comme cela s'est vu lors de certains grands programmes verticaux de lutte contre les vecteurs, avec la planification familiale, ou m~me darts des campagnes de vaccination. Quoi qu'il en soit, l'important fi souligner ici est que des activit~s m~dicales ou sanitaires qui ne parviendraient pas fi toucher les couches les plus d6favoris~es de la communaut~ laisseraient de c6t~ les populations/t plus haut risque et se condamneraient done ~i l'inefficacit~. Toutes les caract~ristiques des interventions s61ectives (verticalisme, faible acceptabilitY, caract~re discontinu ou limit~ au court terme, etc.) les exposent fi l'inefficacit6 par manque d'~quit& (c) Les activit~s s~lectives de sant~ sont choisies par des 'techniciens', qui essaient de d~finir un ensemble d'activit6s pertinent par rapport aux principales maladies pr~sentes dans les pays en vole de d~veloppement, ou dans tel de ceux-ci. Le choix des activit~s ~ entreprendre refl~te done essentiellement le point de vue des professionnels de la sant~, ressortissants le plus souvent de pays riches, par surcroit. Leur d~cision est prise sans participation des futurs b6n~ficiaires, et s'inscrit donc dans le cadre de relations de pouvoir inchang~es entre les professionnels de la sant6 et les utilisateurs des services. En politique, cela s'appelle du despotisme 6claire. On a d~j~. dit plus haut que cette critique pouvait ~tre pouss6e tr~s loin: parti-pris en faveur de la m~decine priv~e, d~pendance internationale accrue, renforcement du contr61e social. Sans aller n~cessairement jusque l~i, on doit cependant dire que les consequences imm~diates des activit~s s~lectives dans le domaine de la participation sont d~jfi inqui&antes. L'accent syst6matiquement mis sur l'aspect technique de ces programmes entretient en effet les relations habituelles entre professionnels et profanes: les techniques restant incompr~hensibles, ceux qui les maitrisent conservent leur aura et leur pouvoir. La d~pendance individuelle et communautaire l'emporte sur l'information, la prise d'initiative et la responsabilisation. Dans le domaine de la sant~ comme dans les autres domaines du d~veloppement, le r~alisme et l'exp~rience montrent pourtant l'importance cruciale de ces trois facteurs. (d) La pr~tention de la strategic des soins de sant~

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s~lectifs fi n'~tre qu' 'int~rimaire', et fi simplement reporter fi plus tard les objectifs 'nobles et g~n~reux' d'Alma-Ata, ne semble pas non plus fondu. Ses concepts, on l'a dit, sont d~riv~s en droite ligne des strategies verticales; et il y a fort fi eraindre que, sur le terrain, les inverventions s~lectives soient aussi implant~es et appliqu~es comme activites verticales. Or, celles-ci supposent des structures sanitaires pr~cises, d~ploy~es depuis la brousse jusqu'au Minist~re de la Sant~, et relies (cloisonnements budg~taires, ind~pendance des services, recyclabilit~ difficile du personnel, etc.) qu'il sera extr~mement malaise fi tout pays qui les aura install~es de s'en d~barrasser le jour ot~ il voudra r~orienter sa politique de sant~ en fonction des soins de sant~ primaires. I1 faut ne pas avoir eu fi se heurter au poids et fi l'inenie de structures sanitaires endormies clans leur conformisme (dans les pays industrialists comme clans les pays en voie de d~veloppement) pour sous-estimer ce danger. (e) L'approche multicausale propre aux SSP montre/t l'~vidence le besoin d'une vision fi long terme des probl~mes de sant~. L'approche par probl~mes, par contre, impose d'envisager un terme fi l'action, et encourage done la mise en oeuvre de p r o g a m m e s court terme. On peut ainsi se demander quelle rationalit6 peut bien &re celle d'interventions fi court terme visant fi r~soudre des probl~mes durables ou permanents, c'est-fi-dire impossibles fi ~radiquer avec les moyens actuellement disponibles. (f) Enfin, la sp~cificit~ historique et culturelle de chaque pays, dont la politique sanitaire est une dimension, rend totalement impossible l'application universelle de programmes d'action sanitaire quasi standardis~s. II ne suffit en effet pas de prendre en compte la prevalence locale des maladies fi combattre et leurs plus ou moins grandes consequences sur la morbimortalit~ pour rencontrer la sp~cificit~ d'un syst~me social sur lequel on veut agir. 7. CONCLUSIONS

I1 nous semble donc 6vident que la mise en oeuvre des activit~s s61ectives de sant~ repr~sente pour les pays en voie de d~veloppement un recul par rapport aux soins de sant6 primaires. Les erreurs de jugement qu'elles component ou les risques d'inefficacit6 qu'elles entra~nent--et ceci contre leur affirmation principale m~me--sont nombreux et ont des consequences importantes au niveau de la conception, mais aussi de la r~alisation des programmes, et de l'organisation des services. Ces erreurs et ces risques heurtent ~. ce point l'exp~rience et le r~alisme que certains n'ont pas h~sit~ ~ remettre en cause la bonne foi des promoteurs des activit~s s~lectives de sant~. L'id~ologie positiviste et l'approche conservatrice qui soustendent ces derni~res et qui conduisent, par exemple, limiter le champ de la sant~ ~. ses aspects biom~dicaux sugg~rent effectivement une preference pour des structures de pouvoir politique et m~dical qui tendent ~i se perp~tuer elles-m~mes, plut6t qu'~ envisager des relations constructives d'un autre ordre entre d~cideurs et utilisateurs, entre professionnels de la sant6 et citoyens, entre agences d'aide et paysh6tes.

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Au mieux, les activit~s selectives de sant~ ne repr~s e n t e m p o u r les pays en voie de d r v e l o p p e m e n t q u ' u n d~lai et une charge suppl~mentaires a v a n t la mise en place de structures sanitaires globales, acceptables, accessibles, d~centralisees, i n t r g ~ e s , et p r e n a n t dans tout son s~rieux l'exigence de participation et de responsabilisation des individus et des groupes darts I'enjeu que repr~sentent le m a i n t i e n et la p r o m o t i o n de leur sant~. A u pire, elles paralysent tout simplement une telle ~volution. L ' U N I C E F et l'aide am~ricaine en grneral a y a n t t e n d a n c e /t p r o m o u v o i r les SSP s~lectifs, il faut d~fendre la cause de la D~claration d ' A l m a - A t a . Aussi le s~minaire d ' A n v e r s de n o v e m b r e 1985 a-t-il tenu ~t rappeler, d a n s u n manifeste, que sous des dehors n o v a t e u r s et p r a g m a t i q u e s la strat~gie des soins de sant~ primaires s~lectifs risquait de n'~tre q u ' u n e illusion t e c h n o c r a t i q u e dangereuse. Reste ~ esp~rer que d ' a u t r e s r6actions suivent. I I n e s'agit pas en effet d ' u n e simple querelle d'~cole. Mais de r6pondre tr~s concr+tement ~ l'angoissante question du d~but: " C o m m e n t s ' a t t a q u e r aux probl6mes de sant~ du Tiers M o n d e ? " Les pays en voie de d6veloppement ne p o u v a n t se passer de l'aide en ce d o m a i n e dans un avenir pr6visible, il est capital de savoir quelle direction va prendre cette aide, quels types d ' i n t e r v e n t i o n sanitaire et m~dicale elle va p r o m o u v o i r , quelles structures sanitaires elle va renforcer, quelles relations de p o u v o i r elle va impliquer.

REFERENCES

I. It est devenu impossible d'~crire les mots de 'Tiers Monde ou de 'pays en voie de d~veloppement' sans soulever une vague de critiques soulignant la diversit~ et la diff~renciation croissante des pays r a n # s sous ces ~tiquettes. Nous n'ignorons pas cette r~alit~. Cependant, des rizi~res du Bangla-Desh aux Andes p~ruviennes, en passant par la brousse za'froise, les problimes de sant~ et l'organisation des syst~mes de sant~ continuent i presenter sut~samment de caract~ristiques communes pour nous permettre de conserver ici une appellation unique et commode. 2. Roemer M. I. Priority for primary health care: its development and problems. Hlth Policy Plann. 1, 58-66, March 1986. 3. Mercenier P. Soins de sant~ et d~veloppement. Annls Soc. beige MOd. trop. suppl. 59, 5-I 1, 1979. 4. Les Soins de Santo Primab'es. OMS, Gen~ve, 1978. 5. Navarro V. A critique of the ideological and political positions of the Willy Brandt Report and the WHO Alma Ata Declaration. Soc. Sci. Med. 18, 467-474, 1984. 6. Turshen M. and Th~baud A. International medical aid. Monthly Rev. 33, 7, 39-50, December 1981. 7. Williams G. and Satoto. Socio-political constraints on primary health care. A case study from Java. Devl. Dialogue I, 1980. Bien que l'rchec de cette experience puisse s'expliquer autant, sinon plus, par des raisons techniques et operationnelles tenant i la mise en oeuvre du projet lui-m~me, ce dernier n'en constitue pas moins un bon exemple des implications politiques locales des SSP. Pour une r~flexion plus th~orique: Banerji D. Health as a lever for another development. Devl. Dialogue 1, 19-25, 1978. 8. Cette presentation s'inspire d'une interview donnre par Hannu Vuori, responsable OMS des SSP pour l'Europe, ~t la revue beige du GERM (Groupe d'Etude pour une

R~forme de Ia Medecine). Actual. Santo 61/62, avril-mai 1984. 9. Gish O. The political economy of primary care and 'Health by the People': an historical exploration. Soc. Sci. Med. 13C, 203-211, I979. I0. Pour un exemple concret: Sevagram Medico Friend Circle, La Sant~ n'est pas un souci prioritaire dans les villages. Forum Mond. Santo 4, 411-413, 1983. 11. Certains font remarquer que les progr~s de la mrdecine en Occident n'ont rien dfi ~i cette conception globale de l'action m~dico-sanitaire: "Nous nous trouvons en Betgique avec une esp~rance de vie de 75 arts. Ce n'est pas si mal, et je suis volontiers reconnaissant ,~ tous ceux qui ont lutt6 pour me l~guer ce cadeau. Ils sont nombreux et viennent de tous Ies horizons. Quet a ~t~ le rrle de l'approche globale?'" Laurent Ph. Commentaires :i propos du texte de Jos Orenbuch: Les UniversitOs et la CoopOration clans le Domaine de la SantO. Accroitre les InOgalitOs ou Changer le Cours des Choses? Cahiers Nord/Sud, Bruxelles, ULB, Vol. I, No. I, pp. 28-37, April 1983. On ne peut faire pire contresens. Car si l'esp~rance de vie a tellement progresse en deux si~cles en Europe, c'est bien parce que l'approche des probl~mes a ~t~ on ne peut plus globale: amelioration de l'habitat, ~gouttage, potabilisation de I'eau, augmentation des revenus, lois sociales, etc. Les vaccinations et les antibiotiques sont d'ailleurs venus bons derniers participer ~ice processus. L'approche a doric 6t~ globale en dOpit de la pratique m~dicale, et cl l'insu des acteurs, effectivement 'nombreux', et venus 'de tous Ies horizons'. Faire profiter aujourd'hui les pays du TiersMonde de cette leqon, c'est pr~is~ment rendre consciente et volontaire une drmarche qui chez nous rut inconsciente et non recherch~e. 12. Amat T. Les structures m~dico-sanitaires de premiere ligne. Pr&,enir 12, 61-65, 1986. 13. Mercenier P. L'agent de Santo Communautaire. Working Paper No. 9, URESP (Unit~ de Recherche et d'Enseignement en Sant6 Publique), Institut de M&:lecine Tropicale, Antwerpen, Belgique, 1984. 14. Equipe du Projet Kasongo. Le Projet Kasongo. Une experience d'organisation d'un syst+me de soins de sant~ primaires. Annl Soc. beige MOd. trop. suppl. 60, 1981. 15. Walsh J. A. and Warren K. S. Selective primary health care: an interim strategy for disease control in developing countries. New Engl. J. Med. 301,967-974, 1979. 16. GOBI-FFF: --Growth chart: suivi de la courbe de poids des enfants. --Oral rehydration: rrhydratation orale en cas de diarrh~e. --Breast feeding: allaitement materneI. --Immunisation: vaccinations. --Family planning: planning familial. - - F o o d supplementation: supplementation nutritionnelle. --Female status: promotion de la femme En fait, en passant successivement du programme GOBI ~i GOBI-FF puis gt GOBI-FFF, I'UNICEF montre malgr~ elle qu'il est bien difficile d'&:happer ~t l'aspect multiple et global de l'action pour la santr. 17. CCCD: Combatting Chilhood Communicable Diseases (Lutte contre les maladies transmissibles de l'enfance): Malaria, Diarrhre, et Programme Elargi de Vaccinations (PEV),. 18. Gish O. Selective primary health care: old wine in new bottles. Soc. Sci. Med. 16, 1049-1054, 1982. 19. Authors' reply. Comments of K. S. Warren, Comments of J. A. Walsh. Soc. Sci. Med. 16, I059-I061, 1982. 20. Banerji D. Les soins de sant6 primaires doivent-ils ~tre s&tectifs ou globaux? Forum ~ond. Santo 5, 347-350, 1984. 21. Thebaud A. Le jeu des organismes internationaux de la sant~. Pr&'enir 12, 89-97, 1986.

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A~traet--The authors examine the evolution of the PHC approach in historical perspective, present definitions and criteria of what PHC actually means, look upon deviations of conceptual content and practice of PHC and end up with a socio-political as well as a technical critique of the so-called "selective' PHC. Modern health systems evolved in developing countries modelled on the 'western' biomedical health care systems. Yet even colonial medical services contained also progressive elements, as e.g. the acceptance of the need to de-centralise hospital care to peripheral health posts, or the stress on more rational distribution and utilisation of drugs. The vertical programmes developed under this approach showed clearly their limitations and the conference of Alma-Ata can be looked at as a turning point, where a new model of health care, i.e. PHC, was designed. Though there exists a widespread resistance in industrialised countries against adopting this new model, it was not at all limited only to developing countries. As with every innovative idea, the PHC strategy provoked contradictory views and large differences in interpretation. But, the authors stress, PHC is neither a doctrine, or a theory but the outcome of decades of field-experience of concerned scientists and practitioners. The essential criteria of PHC include: --Accessibility: need for improved first contact with the health care system, demanding efforts of decentralising the existing health system without neglecting the quality of care on higher-level medical services. - - P H C is essentially an action-programme designed around the well-known eight PHC elements, designed to meet effective demand and to rationalise medical offer. The eight elements rather underline the multiplicity of health action required--they are not considered to serve as 'chapters" of PHC policy. - - P H C is a strategy for re-organising health services. The hospitals should serve the peripheral health centres and not the other way round. At the same time, curative preventive and promotive actions have to be integrated. This necessitates community participation, as the global health problems cannot be solved by the health services alone. - - P H C in so far re-defines the role of medicine and looks at health in a holistic way. Medicine is being de-mystified and individuals and communities are encouraged to take over responsibility for their own health. This is not at all the consequence of an idealistic view, but derived from field experiences in various circumstances. PHC as a new philosophy of health services delivery therefore, stresses: holistic action for global health issues, equity, participation, and cost/efficiency. Among the misconceptions and deviations of PHC practice is especially the fact that many officials conceived it as a further vertical programme to be included in a Ministry of Health's activities. Furthermore, the authors stress that the emphasis laid on developing village health workers' (VHW) schemes is misleading and shows a 'medicalisation' of the PHC ideal. They stress that VHW are part of the very communities, whereas the key element of the PHC system should be the peripheral health-team at dispensary level. A misconception introduced by the promoters of the SPHC approach is their emphasis on 'priority' diseases to be attacked, thus rejecting the global/holistic element in the PHC approach, which is a long-term health development approach, that cannot be exchanged with a mere problem-centred medical approach for the sake of 'efficiency'. The selectivists are clearly demonstrating a 'marketing' approach: they are concerned only with how to achieve rapidly total coverage for certain services. Certain critiques therefore suggest that SPHC serves especially the commercial and technical interests of the western drugs and medical industries, including the promotion of private care for needs not covered under the SPHC schemes. SPHC therefore cements the existing of two differing medical and health systems in the First and Third World and promotes no impulses to change the existing power-relations between industrial and developing countries. Technically, the promoters of SPHC haven't yet proved the higher efficiency of this approach. On the contrary, they often mix up effects of multiple variables, or else, attribute these effects only to selective interventions. They do not recognise the effects of underdevelopment on health and their cost evaluations only consider short-term effects. The authors conclude that there is actually the risk that the insights gained in the last decades which ted to the development of the comprehensive PHC approach and its universal acceptance in Alma-Ata could be lost. One of these insights was, that populations are more likely to accept specific public health programmes if their everyday problems are also taken into account and if they can participate in planning, implementing and evaluating health programmes. The positivist, biomedical selectivist approach on the contrary re-establishes the paternalistic professional view of health and in attracting funds of international and bilateral donors clearly counteracts the idea of PHC.

Key words--primary health care, selective primary health care, health politics, comprehensive approach WOLFGANG BICHMANN

Institute of Tropical Hygiene Uni~'ersity of Heidelberg 6900 Heidelberg Grabengasse I F.R.G. S S M . 26 9---B