La Revue de médecine interne 27 (2006) S269–S271 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/
Les syndromes neurologiques paranéoplasiques Paraneoplastic neurological syndrome J. Honnorat* Service de neurologie B, hôpital neurologique Pierre-Wertheimer, 59, boulevard Pinel, 69677 Bron cedex, France Disponible sur internet le 25 septembre 2006
1. Introduction et définition
2. Diagnostique d’un SNP
Les syndromes neurologiques paranéoplasiques (SNP) sont des affections qui surviennent à l’occasion d’un cancer et qui ne s’expliquent pas par des métastases, la cachexie et la dénutrition, une toxicité des traitements, ou une infection opportuniste. Il s’agit d’affections rares qui précèdent souvent de plusieurs mois ou années la découverte du cancer. Un grand nombre de manifestations neurologiques touchant toutes les structures du système nerveux central ou périphérique, ainsi que la jonction neuromusculaire et le muscle peuvent être paranéoplasiques, mais aucun syndrome n’est pathognomonique. Dans certains cas l’atteinte est monosystémique (atrophie cérébelleuse par exemple). Dans d’autres, plusieurs systèmes peuvent être touchés. Ces dernières années, la découverte d’anticorps onconeuraux spécifiques de ces affections (Tableau 1) a constitué une avancée majeure dans la connaissance de ces syndromes, en montrant qu’un nombre important d’entre eux relevait d’un mécanisme auto-immun [1]. Ces anticorps constituent par ailleurs un outil diagnostique majeur dans la mesure où leur détection permet d’affirmer le caractère paranéoplasique du trouble neurologique et d’orienter la recherche du cancer en cause [2,3]. Néanmoins, ces anticorps sont inconstants pour un syndrome donné et un faible nombre de patients ayant ces anticorps ne développent pas de cancer même après plusieurs années de suivi. Chez ces patients il est possible comme cela a été exceptionnellement démontré que la tumeur ait régressé sous l’action du processus auto-immun [4], ou que l’immunisation se soit faite sans la présence d’un cancer.
L’origine paranéoplasique d’un trouble neurologique ne peut théoriquement être affirmée que lorsqu’un cancer est identifié et que toute autre étiologie a été formellement éliminée. Une autopsie est donc parfois nécessaire. Néanmoins, les études cliniques et la découverte d’anticorps spécifiques des SNP ont permis d’identifier un certain nombre de situations où l’origine paranéoplasique du trouble neurologique peut être affirmée par un faisceau d’arguments cliniques et biologiques. Plusieurs autoanticorps ont été décrits [1] en fonction de la sémiologie neurologique observée et du type de tumeur associée (Tableau 1).
* Auteur correspondant. Inserm U 433, université Claude-Bernard, hospices civils de Lyon, Lyon, France. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Honnorat).
3. Méthode de recherche de la tumeur en cas de suspicion de SNP Lorsqu’un anticorps onconeural est retrouvé, un cancer sous-jacent est présent dans presque 100 % des cas [5]. Parfois ce cancer est si petit qu’il n’est pas décelable par les investigations radiologiques usuelles. Classiquement, il est proposé de répéter tous les trois à quatre mois pendant au moins deux ans un examen clinique complet et un scanner thoracoabdominopelvien, le type d’anticorps antineuronal retrouvé dans le sérum du patient permettant d’orienter cette recherche. L’attention des radiologues doit être attirée par les petites lésions qui dans un autre contexte pourraient être considérées comme non significatives. En présence d’un anticorps anti-Yo et d’un syndrome cérébelleux, si les premières recherches sont négatives, il est recommandé de pratiquer une laparotomie exploratrice qui permettra dans la majorité des cas de retrouver des cancers de l’ovaire infracentimétriques [2,3]. Dans les autres cas, un PET-scan corps entier au fluorodésoxyglucose doit être discuté [5]. Cet examen peut permettre de détecter rapidement la tumeur et aider les chirurgiens à prendre une décision opératoire devant une petite lésion thoracique chez des patients souvent fragiles. Il peut également permettre de détecter de petites
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Tableau 1 Principaux anticorps onconeuraux associés aux syndromes neurologiques paranéoplasiques Anticorps
Nombre de patients publiés
Syndrome neurologique paranéoplasique
Tumeurs
Anti-Hu (ANNA1)
> 600
Cancer à petites cellules du poumon (CPCP)
Anti-Yo (PCA1) Anti-CV2 (CRMP5)
> 200 > 100
Anti-Ri (ANNA2) Anti-Ma2 (Ta)
61 55
Antiamphiphysine
20
Encéphalomyélite Neuronopathie sensitive Pseudo occlusion gastro-intestinale chronique Dégénérescence cérébelleuse paranéoplasique (DCP) Encéphalite limbique DCP Encéphalomyélite Chorée Neuronopathie sensitive Neuropathie sensorimotrice Pseudo occlusion gastro-intestinale chronique DCP Encéphalite limbique Encéphalite du tronc cérébral Encéphalite limbique–diencéphalique Encéphalite du tronc cérébral–DCP Syndrome de la personne raide Divers syndromes DCP
Anti-Tr (PCA-Tr) 28 Selon Graus et al. (2004) ; nbre : nombre.
adénopathies métastatiques plus facilement accessibles pour le diagnostic. Pour les patients suspects de SNP, mais chez lesquels aucun anticorps n’est détecté, la réalisation d’un PETscan n’est pas recommandée du fait de sa grande sensibilité et de sa plus faible spécificité [5,6]. Une fausse positivité risquerait d’entraîner chez ces patients des explorations chirurgicales dommageables. Il est simplement recommandé de répéter régulièrement un examen clinique et des investigations radiologiques classiques, en particulier un scanner thoracoabdominopelvien et une mammographie. 4. Traitement Le traitement le plus précoce et le plus complet du cancer est le moyen le plus efficace pour stabiliser ou améliorer un syndrome neurologique paranéoplasique. C’est le cas des syndromes associés à l’anticorps anti-Hu [7] ou anti-Ma et dans des observations isolées de chorée ou d’opsoclonusmyoclonus paranéoplasiques [8]. Cela n’a pas été démontré lorsque le syndrome paranéoplasique s’installe très rapidement et est responsable d’une dégénérescence neuronale précoce irréversible comme avec l’anticorps anti-Yo [9]. Exception faite du syndrome de Lambert-Eaton, de la rétinopathie paranéoplasique, de la dermatopolymyosite et de la neuromyotonie qui répondent aux immunosuppresseurs (immunoglobulines intraveineuses, corticoïdes, cyclophosphamide), les syndromes neurologiques paranéoplasiques classiques ont une évolution habituellement dévastatrice [2,3,10]. Des traitements symptomatiques sont proposés pour les différents syndromes neurologiques paranéoplasiques [8] sans aucune spécificité étiologique.
Pourcentage de patients avec anticorps sans cancer (%) 2
Fréquence chez des patients avec cancer mais sans SNP (nbre étudiés) 16 % (1 %avec un titre identique à celui des patients avec SNP)
Ovaire, sein CPCP, thymome
2 4
1% 9%
Sein, CPCP Testicule, poumon
3 4
4% 0%
Sein CPCP Maladie de Hodgkin
5
0% 1% 0%
11
5. Physiopathologie des SNP avec anticorps onconeuraux La pathogénie des SNP n’est pas encore parfaitement comprise, même s’il existe de forts arguments pour l’attribuer à un désordre immunologique. L’hypothèse physiopathologique serait que les patients s’immuniseraient contre les protéines anormalement exprimées par la tumeur et, par un phénomène d’immunité croisée les neurones exprimant physiologiquement ces protéines seraient détruits. Dans le syndrome de LambertEaton (SMLE), il a clairement été démontré que les anticorps anticanaux calciques étaient directement responsables de la pathologie [11]. En se fixant sur les canaux calciques présynaptiques, ils empêchent la libération d’acétylcholine et le fonctionnement correct de la jonction neuromusculaire. Il est possible que les anticorps anti-CCVD puissent franchir la barrière hémoméningée et participer à la dégénérescence cérébelleuse dans les cas où SMLE et ataxie cérébelleuse sont associés [12]. Dans la rétinopathie paranéoplasique, les anticorps sont spécifiques d’une protéine de 23 Kda appelée recoverine qui joue un rôle majeur dans l’initiation de la phototransduction. L’injection d’anticorps antirecoverine dans le vitré de rats entraîne une perte en photorécepteurs identique au syndrome CAR [13]. Pour les autres anticorps antineuronaux, qui sont principalement associés à des SNP du système nerveux central et qui sont dirigés contre des antigènes intracellulaires, leurs rôles physiopathologiques sont beaucoup moins clairs. In vitro, les anticorps anti-Yo et anti-Ri peuvent modifier le métabolisme cellulaire en se fixant sur leurs antigènes, mais l’injection in vivo des anticorps anti-Yo, anti-Ri ou anti-Hu ne provoque aucune anomalie [2,3]. L’immunisation avec les antigènes purifiés entraîne la production par les animaux d’anticorps anti-
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neuronaux, mais ne provoque pas de syndrome neurologique [2,3]. Néanmoins, des études récentes ont démontré la présence de lymphocytes T cytotoxiques, chez des patients avec anticorps anti-Hu ou anti-Yo, spécifiquement dirigés contre des peptides des protéines Hu ou Yo [14]. Ce résultat démontre qu’il existe des lymphocytes T activés contre ces protéines chez les patients présentant un SNP et donc, suggère que les troubles neurologiques observés sont certainement liés à une maladie auto-immune cellulaire dirigée contre les protéines reconnues par les anticorps. Néanmoins d’autres travaux seront nécessaires pour caractériser les mécanismes exacts qui conduisent à la mort des neurones. De plus, le fait que 50 % des patients ne présentent pas d’anticorps antineuronaux circulants est une deuxième énigme physiopathologique. Il faudra déterminer si ces patients développent d’autres types d’anticorps non encore identifiés ou s’il existe différents mécanismes conduisant au même syndrome. 6. Conclusion La découverte il y a 20 ans des anticorps onconeuraux a transformé nos connaissances sur les syndromes neurologiques paranéoplasiques. Le diagnostic en est maintenant facilité et lorsque le neurologue soupçonne un tel syndrome il doit s’acharner à trouver rapidement la tumeur pour la traiter, car c’est le seul moyen actuellement d’espérer arrêter le processus de destruction du système nerveux. En l’absence d’anticorps spécifique, le neurologue ne doit pas porter trop vite le diagnostic de SNP sans avoir éliminé toutes les autres étiologies possibles. Dans les années à venir, l’étude minutieuse de grands groupes de patients devrait nous aider à mieux comprendre la physiopathologie de ces syndromes dont les mécanismes fins restent encore mystérieux même si le rôle de l’auto-immunité semble maintenant clairement établi.
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