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Table ronde : Hormones et cerveau (SFEPD)
L’ocytocine et le système nerveux central Oxytocin and the central nervous system M. Tauber*, E. Feigerlova Unité d’endocrinologie, hôpital des enfants, CHU de Toulouse, 330, avenue de Grande-Bretagne, BP 3119 TSA, 70034 Toulouse cedex 09, France Reçu le 6 février 2007 ; accepté le 27 février 2007 Disponible sur internet le 06 avril 2007
Mots clés : Ocytocine ; Comportement social ; Cognition Keywords: Oxytocin; Social behavior; Cognition
L’ocytocine (OT) ou oxytocine, est un peptide synthétisé par les neurones magnocellulaires des noyaux paraventriculaires (NPV) et supraoptiques (NSO) de l’hypothalamus. L’OT exerce des actions sur les organes cibles non seulement en tant qu’hormone dans la circulation sanguine, mais aussi en tant que neuromodulateur–neurotransmetteur du système nerveux central (SNC) des mammifères. La plupart des connaissances sur l’action de l’OT à l’heure actuelle sont basées sur les résultats des études réalisées chez les rats et les souris. L’OT est une hormone peptidique, qui a été synthétisée sous forme biologiquement active et présente une analogie structurale avec l’hormone antidiurétique, la deuxième hormone neurohypophysaire. L’OT est synthétisée dans l’hypothalamus sous forme d’un précurseur inactif avec sa protéine support une neurophysine I. Le gène humain codant pour le complexe l’OT-neurophysine I est localisé sur le chromosome 20p13 [1]. La neurophysine I assure le transport de l’OT jusqu’au lobe postérieur de l’hypophyse. La localisation anatomique des récepteurs de l’OT (R-OT) et la régulation de leur expression sont marquées par des différences interespèces et tissu spécifiques [2]. En 1992, le gène du récepteur de l’OT a été localisé sur le locus 3p25–3p26,2 [3]. Le R-OT appartient à une famille de récepteurs couplés à une protéine G qui exercent leur action en stimulant la phospholipase C ce qui déclenche une cascade de transduction des signaux intracellulaires. * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Tauber).
1. Les circuits fonctionnels de l’OT et libération de l’OT dans le SNC L’OT dans le SNC est synthétisée non seulement dans les neurones du système hypothalamohypophysaire, mais également dans d’autres neurones de l’hypothalamus et des régions extrahypothalamiques, dont les axones se projettent dans le système limbique, dans le tronc cérébral et dans la moelle épinière. Les R-OT ont été retrouvés surtout dans le système olfactif, le néopallidum, dans les noyaux gris centraux, le système limbique, l’hypothalamus, le thalamus, le tronc cérébral et dans la moelle épinière. Il existe des données expérimentales in vitro et in vivo sur une sécrétion locale de l’OT d’un compartiment somatodendritique impliquée dans la plasticité du SNC. Plusieurs neurotransmetteurs et des facteurs circulants sont impliqués dans la régulation de libération de l’OT : l’acétylcholine, la dopamine, la noradrénaline via des récepteurs α adrénergiques ont un effet stimulant ; les opiacées, le GABA et la noradrénaline via les récepteurs β inhibent la sécrétion d’ocytocine. 2. Actions centrales et périphériques 2.1. Actions périphériques Les actions périphériques de l’OT sont assurées par l’OT synthétisée au niveau hypothalamique, ensuite transportée dans le lobe postérieur de l’hypophyse et libérée dans la circulation sanguine et par l’OT synthétisée localement au niveau
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des tissus périphériques. Les principaux tissus cibles de l’OT sont les cellules myoépithéliales de la glande mammaire, le myomètre. L’OT exerce des actions aussi sur les ovaires, les testicules, la prostate, les reins, le système cardiovasculaire, le thymus, les adipocytes, le pancréas, la surrénale et d’autres tissus. 2.2. Actions centrales L’OT libérée au niveau du système nerveux central joue un rôle dans le comportement social, le comportement sexuel et maternel, les différents types de mémoire et d’apprentissage. Chez certaines espèces animales, il a été démontré que l’ocytocine aurait de plus un effet de type amnésiant. L’exposé abordera les connaissances sur les effets de l’OT dans le système nerveux central. 2.2.1. Attachement social L’OT est impliquée dans différents mécanismes d’attachement. 2.2.1.1. Comportement maternel. On a rapporté une altération du comportement maternel chez les souris portant une délétion ciblée du gène pour le récepteur de l’OT. L’administration intraventriculaire de l’OT chez les rats vierges induit le comportement maternel alors qu’il a été montré une diminution significative de la fréquence de léchage des jeunes souris chez les souris nullipares portant une délétion ciblée du gène pour l’OT. L’OT semble nécessaire pour la phase initiale de formation du comportement maternel et non pour son maintien. Les résultats des études sur le rôle de l’OT chez les rats sont controversés. Chez les brebis une seule administration intraventriculaire de l’OT induit l’acceptation d’un agneau non familier par une brebis non gestante. L’OT libérée du NPV dans le bulbe olfactif après la parturition facilite la réorganisation du bulbe olfactif nécessaire pour la mémorisation d’une odeur spécifique d’un descendant. Dans l’espèce humaine il n’y a pas d’étude systématique à ce sujet. 2.2.1.2. Attachement descendant–mère. Il a été démontré que l’OT facilite chez les jeunes rats la reconnaissance des odeurs maternelles. Il a été rapporté une diminution significative des vocalisations ultrasonores chez les jeunes souris portant une délétion ciblée du gène pour l’OT quand ceux-ci sont séparés de leur mère. 2.2.1.3. Affiliation et formation d’un couple L’OT est impliquée dans certaines formes de comportement espèce spécifique, et en particulier dans la formation et les relations du couple. L’administration d’OT chez les femelles du campagnol de prairie facilite la formation du couple et le choix du partenaire [4]. Les femelles du campagnol de prairie monogamique et celles du campagnol de montagne non monogamique ont une distribution différente des R-OT : le campagnol de prairie possède une quantité supérieure des R-OT dans les régions cérébrales (le NA et le globus pallidus) impliquées
dans la régulation de la récompense et du renforcement. De plus, l’injection d’antagoniste chez la femelle monogame bloque le choix privilégié du partenaire. L’OT serait-elle « une hormone de fidélité » dans cette espèce ? D’une manière semblable chez des primates non humains un singe bonnet (bonnet monkey) présentant naturellement un comportement social a des taux d’OT dans le SNC plus élevés qu’une espèce voisine, le singe queue-de-cochon (pigtail monkey) qui est relativement asocial. 2.2.1.4. Reconnaissance sociale. Les études récentes menées sur les souris décrivent une amnésie sociale chez les mâles portant une délétion ciblée du gène pour l’OT [5]. En revanche, l’accoutumance à des stimulants non sociaux (olfactifs, acoustiques et spatiaux) reste intacte. Chez les souris l’OT semble être nécessaire pour la phase initiale de formation de la mémoire sociale, apparemment par l’activation neuronale de la partie médiale de l’amygdale, comme cela a été démontré par les études utilisant les injections site-spécifiques d’OT et d’antagoniste. Les souris portant une délétion du gène pour l’OT présentent une activation neuronale dans d’autres régions du cerveau (notamment dans le cortex et dans l’hippocampe) et le traitement par l’OT administrée par la voie intraventriculaire avant la rencontre sociale initiale induit la réactivation de la reconnaissance sociale. Chez les rats mâles les effets de l’OT sur la reconnaissance sociale suivent une courbe U dose–réponse inversée : les doses modérées de l’OT administrée par la voie centrale ou périphérique facilitent la reconnaissance sociale et les doses importantes de l’OT induisent son atténuation. Ces effets sont bloqués par l’administration centrale des antagonistes de l’OT. 2.2.1.5. Le comportement social chez les humains. L’OT pourrait diminuer les réponses négatives à un stress social et augmenter la confiance lors d’interactions sociales [6] : « L’OT, hormone de la confiance ? ». L’OT paraît être impliquée dans une pathogenèse des troubles comportementaux de type autistique. Des taux plasmatiques de l’OT diminués ont été retrouvés chez des patients autistes. Des études génétiques récentes ont trouvé une association entre le gène du récepteur de l’OT et l’autisme. L’OT administrée par voie intraveineuse à des sujets autistes améliore leur compréhension à une conversation affective. Une étude en double insu contre placebo en 2006 [7] a mis en évidence qu’une dose d’OT administrée par voie nasale améliore l’aptitude à interpréter les états mentaux des autres en interprétant des expressions faciales et le regard (théorie de l’esprit). 2.2.3. Fonctions cognitives Les études menées sur les rongeurs rapportent l’implication de l’OT dans des troubles de la mémoire. L’OT semble participer à l’inhibition des processus d’apprentissage conditionné. D’autres études ont retrouvé une amélioration de la mémoire spatiale par l’OT chez les souris pendant la période de la maternité. L’implication de l’OT dans la régulation des fonctions cognitives est variable en fonction du test utilisé, de la
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région cérébrale explorée et du fait qu’il s’agisse d’une administration exogène d’OT ou d’une stimulation endogène. De plus les effets de l’OT semblent être dose- et tempsdépendants. Chez les humains les résultats sont discordants. Une étude en double insu contre placebo sur un groupe de 38 hommes adultes jeunes montre que l’OT entraîne une altération de la mémoire sémantique [8]. 2.2.4. Comportement alimentaire Il a été démontré chez les rats que l’OT administrée par voie intraventriculaire ou intrapéritonéale induit d’une manière dose-dépendente une inhibition de la prise alimentaire (réduction d’une quantité ingérée, diminution d’une durée de l’alimentation, prolongement d’une période passée à jeun) et une inhibition de l’ingestion d’eau. En revanche, l’injection intraventriculaire d’un antagoniste de l’OT aboutit à une augmentation de l’appétit et empêche l’effet antidipsogénique de l’OT [9]. Chez les souris l’OT semble participer à la limitation d’ingestion des aliments non connus et à la limitation d’ingestion des aliments sucrés, appétissants. Les études cliniques montrent que l’OT participe à la régulation de la satiété chez l’espèce humaine. De ce point de vue, dans le syndrome de Prader-Willi (SPW) qui est caractérisé par un trouble du comportement alimentaire avec une obésité importante, on a mis en évidence chez 5 sujets (âgés de 22 à 64 ans) une réduction significative (42 %, p = 0,016) en nombre et en volume (54 %, p = 0,028) des neurones exprimant l’OT dans le NPV en comparaison avec 27 sujets sains d’un même âge et de même sexe. En revanche, une étude rapporte un taux élevé d’OT dans le liquide céphalorachidien des patients atteints de SPW. Les altérations de concentration d’OT dans le LCR ont été décrites aussi chez des patientes présentant une anorexie men-
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tale. Cependant, il reste à déterminer si ces anomalies précèdent un trouble du comportement alimentaire ou s’il s’agit plutôt d’une conséquence. De plus le mécanisme intime d’action de l’OT est mal connu. 3. Conclusion L’ocytocine, à côté de ses actions « princeps » sur le déclenchement de l’accouchement et l’allaitement, a des actions centrales et des applications potentielles majeures pour ce qui concerne les comportements sociaux, la mémoire et les fonctions cognitives impliquées dans l’apprentissage. Cette hormone mérite d’être connue des pédiatres dans toutes ses dimensions. Références [1] Rao VV, Lofler C, Battey J, et al. The human gene for oxytocinneurophysin I (OXT) is physically mapped to chromosome 20p13 by in situ hybridization. Cytogenet Cell Genet 1992;61:271–3. [2] Gimpl G, Fahrenholz F. The oxytocin receptor system: structure, function, and regulation. Physiol Rev 2001;81:629–83. [3] Kimura T, Tanizawa O, Mori K, et al. Structure and expression of a human oxytocin receptor. Nature 1992;356:526–9. [4] Young LJ, Lim MM, Gingrich B, et al. Cellular mechanisms of social attachment. Horm Behav 2001;40:133–8. [5] Ferguson JN, Aldag JM, Insel TR, et al. Oxytocin in the medial amygdala is essential for social recognition in the mouse. J Neurosci 2001;21:8278– 85. [6] Kosfeld M, Heinrichs M, Zak PJ, et al. Oxytocin increases trust in humans. Nature 2005;435:673–6. [7] Domes G, Heinrichs M, Michel A, et al. Oxytocin improves “mindreading” in humans. Biol Psychiatry 2007;61:731–3. [8] Heinrichs M, Meinlschmidt G, Wippich W, et al. Selective amnesic effects of oxytocin on human memory. Physiol Behav 2004;83:31–8. [9] Arletti R, Benelli A, Bertolini A. Oxytocin inhibits food and fluid intake in rats. Physiol Behav 1990;48:825–30.