Revue du Rhumatisme 74 (2007) 911–913 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Fait clinique
Maladie de Whipple revelée par un syndrome musculocutané avec culture de Tropheryma whipplei sur les prélèvements musculaires Whipple disease revealed by musculocutaneous symptoms, with muscle biopsy cultures positive for Tropheryma whipplei◊ Véronique Vincenta, Laurent Zabranieckia, Emmanuelle Uro-Costeb, Olivia Lemairea, Bernard Fourniéa,* a
Service de rhumatologie, CHU de Purpan, place du Docteur-Baylac, 31059 Toulouse cedex 09, France b Service d’anatomopathologie, CHU de Rangueil, 31059 Toulouse cedex 09, France Reçu le 20 février 2007 ; accepté le 30 mai 2007 Disponible sur internet le 07 août 2007
Résumé Nous rapportons l’observation d’une maladie de Whipple qui, ayant débuté par une polyarthrite, s’est révélée — trois ans après — par un syndrome musculocutané d’apparition brutale. Le diagnostic est confirmé par les biopsies duodénales, cutanées et musculaires. L’évolution sous antibiothérapie adaptée est favorable. La mise en culture d’échantillons musculaires permet d’isoler Tropheryma whipplei. À notre connaissance, il s’agit de la première observation où T. whipplei a pu être isolé et cultivé à partir d’un prélèvement musculaire, confirmant la nature infectieuse de cette atteinte dans la maladie de Whipple. © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Maladie de Whipple ; Atteinte cutanée ; Atteinte musculaire ; Tropheryma whipplei Keywords: Whipple disease; Musculocutaneous symptoms; Tropheryma whipplei
La maladie de Whipple est due à une infection à Tropheryma whipplei (T. whipplei), bactérie difficile à cultiver dont on ne décèle, habituellement, la présence que de façon indirecte : inclusions cellulaires à Gram positif colorées par l’acide périodique de Schiff (PAS), coloration immunohistochimique avec un anticorps anti-T. whipplei polyclonal de lapin, amplification génique de l’acide ribonucléique (ARN) ribosomique bactérien en PCR (polymerase chain reaction). Nous rapportons une observation où T. whipplei a pu être isolé et cultivé à partir d’échantillons musculaires, ce qui — à notre connaissance — n’a jamais été signalé dans la littérature.
* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Fournié). ◊ Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.rhum.2007.05.011
1. Observation Mme D. T., 73 ans, présente depuis trois ans une polyarthrite chronique non destructrice, symétrique des grosses articulations (touchant les genoux essentiellement et les chevilles), sans atteinte axiale, sans atteinte extra-articulaire, sans désordre immunologique, HLA B27 positif, et bien contrôlée par l’hydroxychloroquine. En quelques mois, le tableau clinique se dégrade avec l’apparition d’une altération franche de l’état général avec perte de sept kilogrammes mais conservation de l’appétit et, surtout, d’un syndrome musculocutané qui associe des myalgies avec impotence des membres inférieurs et des plaques cutanées ardoisées et scléreuses des avant-bras, des cuisses, et des jambes (Fig. 1). L’examen clinique note une adénopathie axillaire centimétrique. Les examens biologiques montrent une
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Fig. 1. Photographie jambes : plaques cutanées ardoisées et scléreuses prédominant à droite.
Fig. 2. Biopsie musculaire. Inclusions cellulaires colorées au PAS (grossissement × 40).
exacerbation du syndrome inflammatoire (VS 59 mm à la première heure, CRP 113, hémoglobine 10,7) et un syndrome de malabsorption (anémie, hypoalbuminémie, hypocalcémie et hypocholestérolémie) confirmé par un test au D-xylose. Les enzymes musculaires sont normales. Le diagnostic s’oriente vers une maladie de Whipple qui est confirmée par les biopsies duodénales : infiltration histocytaire avec des granulations intracellulaires colorées au PAS et en immunohistochimie, PCR positive (PCR-repeat). L’atteinte musculocutanée est l’objet d’une même recherche. Les examens anatomopathologiques sont tous positifs sur les échantillons musculaires (Figs. 2,3), alors que les prélèvements cutanés le sont seulement en PCR. La mise en culture du tissu musculaire (par culture cellulaire et axénique) permet d’isoler T. whipplei (Fig. 4). L’évolution est favorable sous un traitement intraveineux par ceftriaxone et une supplémentation en vitamines et oligoéléments pendant 15 jours puis par triméthoprime–sulfamétho-
Fig. 3. Biopsie musculaire. Granulations colorées par immunohistochimie avec des anticorps anti-Tropheryma whipplei (grossissement × 10).
Fig. 4. Culture de Tropheryma whipplei à partir d’échantillons musculaires. Immunofluorescence réalisée avec des anticorps anti-Tropheryma whipplei.
xazole rapidement remplacé par doxycycline en raison d’une allergie ; avec, par ailleurs, maintien de l’hydroxychloroquine. 2. Discussion Cette observation nous paraît intéressante pour trois raisons : elle met l’accent sur une manifestation inhabituelle de la maladie de Whipple (l’atteinte musculocutanée) ; elle affirme — de façon péremptoire — la nature infectieuse de l’atteinte musculaire (T. whipplei isolé et cultivé à partir de prélèvements de muscle) ; elle suggère fortement l’origine infectieuse de l’atteinte cutanée (échantillons de peau positifs en PCR). Nous n’avons trouvé dans la littérature qu’une observation de Whipple avec syndrome musculocutané [1]. Il s’agissait d’un adolescent qui présentait un tableau de dermatomyosite avec insuffisance cardiaque progressive. T. whipplei a été identifié en PCR sur les prélèvements duodénaux, cardiaques et
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musculaires. Cependant, le syndrome musculocutané étant typique d’une dermatomyosite, les auteurs ont conclu à une association fortuite de deux maladies. Concernant l’atteinte musculaire, Swash et al. ont décrit le premier cas de myopathie dans le cadre d’une maladie de Whipple [2] avec une coloration PAS positive des macrophages interfasciculaires sur la biopsie musculaire et confirmation par microscopie électronique. Misbah et al. ont décrit cinq cas de maladie de Whipple confirmés par l’association de coloration PAS et de PCR positives dans divers tissus, notamment du muscle et cela en l’absence d’atteinte digestive clinique et histologique [3]. Plus récemment, Puget et al. décrivent le cas d’un homme ayant développé une myopathie après 20 ans d’une histoire de polyarthrite chronique fébrile avec bilan immunologique négatif [4]. Le diagnostic de maladie de Whipple est retenu devant l’association d’une coloration PAS et d’une PCR positives. Les autres observations avec atteinte musculaire sont moins convaincantes en l’absence de résultats PAS et ou PCR positifs [5,6]. Dans ces observations d’atteinte musculaire qui restent rares, la mise en culture n’a pas été réalisée. Il s’agit donc bien de la première observation avec mise en culture et isolement de T. whipplei à partir d’un échantillon musculaire. L’atteinte cutanée à type d’hyperpigmentation pseudoaddisonienne a été rapportée mais sans qu’aucun prélèvement de peau n’ait été effectué [7]. T. whipplei est une bactérie difficile à cultiver et l’échec de ces tentatives restait l’écueil principal pour établir définitivement la nature infectieuse de la maladie de Whipple. C’est chose faite depuis l’isolement de T. whipplei par Raoult et al. [8]. La coloration par PAS des biopsies tissulaires est évocatrice mais non spécifique [9]. L’étude en PCR du matériel nucléique tissulaire donne des résultats à interpréter avec prudence, notamment par le fait de contaminations et de techniques pas toujours standardisées [10]. La sensibilité de cette technique a été améliorée pour une même spécificité par l’utilisation de la PCR en temps réel ciblant des séquences répétées de T. whipplei [11] (technique utilisée chez notre patiente). L’association de résultats PAS et PCR positifs semble être
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indispensable pour retenir le diagnostic d’après Fenollar et al. [9]. Malgré sa difficulté, la certitude d’une infection à T. whipplei ne peut venir que de la culture de la bactérie à partir de prélèvements tissulaires, ce qui a déjà été le cas pour des échantillons de biopsies duodénales, de valves cardiaques, d’adénopathie, de sang, de LCR, de selles, de liquide articulaire et de synoviale [9,12], mais jamais, jusqu’à présent, pour des échantillons musculaires. Notre observation confirme — sans ambiguïté — la nature infectieuse de l’atteinte musculaire de la maladie de Whipple. Références [1] Helliwell TR, Appleton RE, Mapstone NC, Davidson J, Walsh KP. Dermatomyositis and Whipple’s disease. Neuromuscul Disord 2000;10:46– 51. [2] Swash M, Schwartz MS, Vandenburg MJ, Pollock DJ. Myopathy in Whipple’s disease. Gut 1977;18:800–4. [3] Misbah SA, Ozols B, Franks A, Mapstone N. Whipple’s disease without malabsorption: new atypical features. QJM 1997;90:765–72. [4] Puget M, Iwaz J, Tristan A, Streichenberger N. Whipple’s disease with muscle impairment. Muscle Nerve 2006;34:794–8. [5] Gherardi RK, Coquet M, Chérin P, Authier FJ, Laforêt P, Bélec L, et al. Macrophagic myofasciitis: an emerging entity. Lancet 1998;352:347–52. [6] Stamboulis E, Manta P, Kararizou E, Grivas I. Whipple’s disease with tubular aggregates in asymptomatic muscle. Clin Neuropathol 1993;12: 121–4. [7] Dutly F, Altwegg M. Whipple’s disease and Tropheryma whippelii. Clin Microbiolog Rev 2001;14:561–83. [8] Raoult D, Birg ML, La Scola B, Fournier PE, Enea M, Lepidi H, et al. Cultivation of the bacillus of Whipple’s disease. N Engl J Med 2000;342: 620–5. [9] Fenollar F, Puechal X, Raoult D. Whipple’s disease. N Engl J Med 2007; 356:55–66. [10] Ehrbar HU, Bauerfeind P, Dutly F, Koelz HR, Altwegg M. PCR-positive tests for Tropheryma whippelii in patients without Whipple’s disease. Lancet 1999;353:2214. [11] Fenollar F, Fournier PE, Robert C, Raoult D. Use of genome selected repeated sequences increase the sensitivity of PCR detection of Tropheryma whipplei. J Clin Microbiol 2004;42:401–3. [12] Fenollar F, Birg ML, Gauduchon V, Raoult D. Culture of Tropheryma whipplei from human samples: a 3-year experience (1999 to 2002). J Clin Microbiol 2003;41:3816–22.