Malnutrition et sous-alimentation

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BIOCHIMIE DE LA NUTRITION Malnutrition et sous-alimentation Bruno Baudina,* SUMMARY RÉSUMÉ La malnutrition est un état pathologique causé par l’exc...

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BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

Malnutrition et sous-alimentation Bruno Baudina,*

SUMMARY

RÉSUMÉ La malnutrition est un état pathologique causé par l’excès ou le défaut en un ou plusieurs nutriments ; il peut s’agir d’une carence en vitamines, protéines (marasme et kwashiorkor), sels minéraux ou oligo-éléments. Les principales vitamines déficitaires appartiennent au groupe B (B1, B2, B3, B9 et B12), auxquelles s’ajoutent les vitamines lipophiles (A, D et E) et la vitamine C. Les oligo-éléments qui peuvent faire défaut en nutrition sont l’iode, le fer, le cuivre, le zinc et le sélénium. La malnutrition par excès qualitatifs et quantitatifs est la maladie des pays riches avec la consommation en excès de graisses, surtout saturées, de sucres, surtout rapides, et de sel, tous étant des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, du diabète, de l’obésité et d’anomalies métaboliques. La sous-alimentation concerne des zones mondiales où sévissent des guerres, des épidémies ou la sécheresse ; elle correspond à la « faim visible » qui tend néanmoins à diminuer depuis 20 ans. Elle ne doit pas cacher la « faim invisible » avec son cortège de déficits en minéraux (iode et fer surtout), en vitamines (A et B12 essentiellement) ; les enfants et les femmes sont particulièrement touchés. Selon l’OMS, la mortalité par sous-nutrition est en augmentation atteignant en 2006 plus de 36 millions d’individus dans le monde, quant aux maladies cardiovasculaires elles sont la première cause de décès dans les pays occidentaux et semblent régresser, alors qu’elle progresse dans les pays en développement. Malnutrition – sous-alimentation – vitamines – oligo-éléments – nutriments.

1. Introduction Il faut distinguer la malnutrition de la sous-nutrition ou sous-alimentation ; la première désigne un état pathologique causé par l’excès ou le défaut en un ou plusieurs nutriments, la seconde est un état de manque quantitatif en nutriments dû à des apports alimentaires insuffisants pour combler les dépenses énergétiques. Dans les deux cas, l’apport alimentaire est anormal ; dans la malnutrition, il peut provenir d’une nourriture de mauvaise qualité (carences en vitamines, en protéines, en sels minéraux, ou un excès de graisses…), ou quantitativement inadapté par

a Biochimie A – Pôle Biologie médicale et pathologie Hôpitaux universitaires de l’Est Parisien (AP-HP) Site Saint-Antoine 184, rue du Faubourg Saint-Antoine 75571 Paris cedex 12 et EA-4530 – UFR Pharmacie – Châtenay-Malabry Université Paris-Sud

* Correspondance [email protected] article ti l reçu le l 16 septembre, t b accepté té le l 17 septembre t b 2014 © 2014 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Malnutrition and under-nourishment Malnutrition is a pathological state caused by the excess or the defect on one of more nutriments. It can be a deficiency in vitamins, proteins (protein defect and kwashiorkor), minerals or oligo-elements. Main defecting vitamins belong to group B (B1, B2, B3, B9 and B12), also the lipophilic vitamins, i.e. vitamins A, D and E, plus vitamin C. The oligo-elements which can be defecting in nutrition are mainly iodine, iron, copper, zinc and selenium. Malnutrition with excess in qualitative or quantitative intakes is a disease of rich countries with excessive consumption of fats, rather saturated fats, of sugars, mainly fast sugars, and of salt, all of them being risk factors for cardiovascular diseases, diabetes, obesity and metabolic abnormalities. Under-nourishment concerns sectors in the world where war, epidemic, and dryness are expanding that corresponds to “visible hunger” which nevertheless seems to decrease from 20 years. This visible hunger should not hide the “hidden hunger” with many defects such as in minerals (mainly iodine and iron) or vitamins (A and E essentially) ; children and women are particularly concerned. As the WHO said, the mortality related to under-nourishment gradually increases reaching more than 36 million of individuals in 2006 in the world. Moreover, cardiovascular diseases are the first cause of death in occidental countries and seem to increase in developing countries. Malnutrition – under-nourishment – vitamins – oligo-elements – nutriments.

excès d’apports caloriques ou par leur insuffisance, c’est alors la sous-nutrition. Dans les pays développés, le plus grand problème est la malnutrition par excès quantitatif en calories et qualitatif par excès de sucres et de graisses ; cette malnutrition mène au surpoids et à l’obésité avec leur cortège, entre autres, de maladies cardiovasculaires. Dans les pays en développement, le problème est inverse car encore trop souvent les apports caloriques sont insuffisants menant à une morbimortalité importante et à des carences graves. La sous-nutrition prolongée entraîne des dommages irréversibles et, au final, la mort. La malnutrition qualitative, surtout par défauts d’apports de vitamines et de sels minéraux (les micronutriments) peut aussi provoquer des maladies mortelles, en particulier en augmentant la sensibilité aux infections. La sous-alimentation est associée à la « faim visible », car la sensation de faim est ressentie par l’individu dénutri, alors que la faim est « invisible » dans la malnutrition par carences qualitatives, on parle REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2014 - N°466//

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aussi de « faim cachée » ou, chez les Anglo-Saxons, de « hidden hunger », notions rappelées par l’Organisation des Nations-Unies (ONU). Dans cet article, nous aborderons ces différents aspects de la nutrition en insistant sur les déficits qualitatifs ou carences nutritionnelles.

définit le « syndrome métabolique » pour lequel le risque cardiovasculaire est particulièrement élevé. Mangeons moins et plus équilibré, évitons les graisses saturées, les fritures et les sucreries…

2.2. Morbimortalité

2. La malnutrition par excès quantitatifs ou qualitatifs La malnutrition par excès est l’apanage des pays développés, mais l’épidémie d’obésité et de diabète, pathologies liées en partie à la suralimentation, s’étend aux pays en développement, parfois même plus vite que leur accès à la surconsommation.

2.1. Excès de graisses et de sucres Ils sont liés à une surconsommation d’aliments riches en graisses ou en sucres, parfois les deux. Après des années d’incrimination du rôle néfaste des graisses, on est maintenant plus nuancés en différenciant les bonnes des mauvaises graisses. Parmi les mauvaises, on trouve les sources d’acides gras saturés, donc essentiellement les graisses d’origines animales (gras, viandes grasses, laitages riches en graisses animales dont beurre et crème de lait de vache). Au Moyen-Âge, on fêtait la fin de l’hiver en se gavant de ces produits pendant quelques jours, parfois en y associant les fêtes du carnaval ; on faisait « viandes grasses » mais tout le reste de l’année c’était « viande maigre » et souvent (pour le paysan en tout cas) pas de viande du tout. On sait maintenant que certaines graisses non seulement ne sont pas néfastes à la santé, mais seraient même protectrices pour les vaisseaux ; je veux parler des graisses riches en acides gras insaturés, dits « omega 3 » et « omega 6 », que l’on trouve surtout dans les végétaux, dont les huiles alimentaires. On a aussi appris que notre cholestérol, issu aux deux tiers de notre propre synthèse, et un tiers de notre alimentation, circule sous deux formes dans nos vaisseaux, une forme appelée « bon cholestérol » car véhiculé par les particules lipoprotéiques qui ramènent le cholestérol tissulaire vers le foie pour être métabolisé et éliminé (cholestérol-HDL), et une forme appelée « mauvais cholestérol » véhiculée par d’autres particules lipoprotéiques (cholestérol-LDL) qui ont tendance à infiltrer la barrière endothéliale pour s’accumuler dans l’intima des vaisseaux artériels et venir alimenter la formation de plaques d’athérosclérose [1]. Par ailleurs, la consommation d’aliments et de boissons sucrés tient une grande place dans le développement du diabète, de l’hypertriglycéridémie et du surpoids avec excès de tissu adipeux dans un contexte d’insulino-résistance. La suralimentation, quantitative et déséquilibrée, se conjugue avec la sédentarité dans le syndrome « chips-coca-télé ». Les boissons sucrées et les aliments industriels (plats préparés) sont particulièrement incriminés étant trop riches en calories, et pour les derniers trop riches en acides gras saturés, trop sucrés et trop salés. Cette surconsommation prédispose aux maladies cardiovasculaires et à l’obésité, la surcharge pondérale prédisposant elle-même à ces maladies [2]. L’association d’une hypertension artérielle, d’un diabète et d’une obésité à une anomalie du bilan lipidique

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L’obésité est définie par une augmentation de l’index de masse corporelle (IMC en kg/m2), mesuré comme étant le rapport poids (kg) sur taille au carré (m2), supérieur à 27 chez l’homme et 25 chez la femme. L’obésité est plutôt androïde (ou abdominale) chez l’homme (augmentation du tour de taille), alors que chez la femme on retrouve plus souvent une augmentation du tour de hanches. L’obésité traduit des caractères génétiques sous l’influence d’événements déséquilibrant les apports et les besoins, en particulier s’installe une inadéquation entre une prise alimentaire excessive et une activité physique trop faible. On retrouve souvent des excès alimentaires quantitatifs et qualitatifs, privilégiant les sucres et les graisses, avec défaut relatif ou absolu en protéines, et un mode de vie très sédentaire. L’obésité, et même le simple surpoids, est un facteur de risque indirect de maladies cardiovasculaires passant par le développement d’une insulino-résistance et d’une hypertension artérielle. L’insulino-résistance peut se développer de façon latente dans ce qu’on appelle les états pré-diabétiques, mais quand elle devient hors de contrôle, le diabète de type 2 s’installe. Le diabète est un facteur de risque majeur d’accidents thrombotiques coronaires et cérébraux, et augmente le risque de développer une hypertension artérielle. L’actuelle pandémie de diabète de type 2 laisse présager d’une forte augmentation du nombre d’accidents cardiovasculaires dans le monde, que ce soit dans les pays développés ou dans ceux en voie de développement. L’hypertension artérielle est un facteur de risque d’accidents vasculaires cérébraux et d’insuffisance rénale. En dehors des causes génétiques encore mal connues, elle serait favorisée par la consommation de sel en excès, relation qui n’est pas étayée dans toutes les populations. Néanmoins, la consommation journalière de sel ne devrait pas dépasser 2 g, dans le monde elle serait le double à l’heure actuelle [3]. Nous avons déjà parlé du triptyque clinique morbide réuni dans le « syndrome métabolique » : anomalies du bilan lipidique dans un contexte d’obésité de type androïde associée à l’hypertension artérielle et au diabète de type 2. Des politiques vigoureuses doivent être engagées pour réduire la consommation de sel alimentaire, de sucres rapides et de graisses, surtout d’origines animales, enfin de respecter les recommandations en terme d’apports caloriques et d’exercice physique régulier [2]. Le microbiote intestinal pourrait aussi jouer un rôle dans le développement de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires. Son maintien équilibré est devenu un axe nutritionnel non négligeable.

2.3. Actions de prévention La prévention passe par deux grands axes de recommandations : un axe nutritionnel et diététique, un autre social et sociétal avec des mesures hygiéniques. Les recommandations nutritionnelles passent par une réduction des apports caloriques, avec diminution en valeurs absolues des quantités de graisses (saturées essentiellement)

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et de sucres (rapides essentiellement) consommées quotidiennement, donc moins de pâtisseries et confiseries même chocolatées, de plats cuisinés au beurre ou à la crème, de tartines beurre et confiture, de boissons sucrées même les jus de fruits, de laitages trop gras ou sucrés, de plats industriels trop sucrés, gras et salés, de sucres lents (pain blanc, pâtes, riz blanc, pommes de terre frites, fruits amylacés…) et de boissons alcoolisées (vins, bières…). On favorisera les légumes, les fruits mais pas trop, les viandes maigres et les poissons non gras, les féculents en petites quantités et variés (pois, pomme de terre, lentille, riz complet, céréales complètes…). On essaiera de revenir à trois repas par jour, sans rien consommer entre les repas, sinon de l’eau plate, du café ou du thé non sucrés (édulcorants tolérés). On veillera à répartir les calories sur la journée, à fixer des objectifs de perte de poids en accord du patient, à moduler en fonction de l’activité physique, qui par ailleurs est conseillée ; le régime sera axé sur l’augmentation des apports protéiques venant combler le déficit en calories amené par la faible consommation de graisses. Rappelons qu’un gramme de sucres ou de protéines apporte 4 kilocalories, mais qu’un gramme de lipides (graisses) en apporte 9, aussi que le cholestérol n’est pas une graisse et que son apport reste indispensable, mais en quantités réduites si besoin (en fonction du bilan lipidique). L’AFSSA recommande de consommer 325 g de glucides, 81 g de protéines et 88 g de lipides par jour, fournissant 2 500 calories par jour en moyenne, à moduler en fonction de l’âge, du sexe et de l’activité physique. Le rapport protéines/ lipides (en poids d’aliments) doit rester supérieur à 1 [4]. Notons que le record de longévité associé au plus faible taux de maladies cardiovasculaires est détenu en Crète ; le fameux régime crétois consiste à manger quotidiennement du fromage maigre, des tomates, des olives, des oignons, peu de viande, un peu de poisson ou des crustacés, un peu de vin rouge et de galette de blé et globalement un apport calorique faible. Sans aller à ces extrêmes, ce régime nous donne tout de même une idée vers quoi on peut tendre : mangez moins, moins gras, moins sucré, mais favorisez les sources de protéines, tout en gardant le plaisir de manger en variant les plats, en les cuisinant, en les dégustant à plusieurs (famille, collègues de travail ou amis) et en en parlant, les aromatisant d’herbes et d’huile d’olives, voire même avec un petit verre de vin de temps en temps, c’est peut-être ce que l’on fait culturellement dans le sud de la France (« régime méditerranéen, niçois… »). Et les laitages, entre il faut en manger au moins un par jour (sources de calcium et de vitamine D) et ne plus manger de laitages car ils sont nocifs par leurs protéines et leur lactose que de toute façon on ne digère pas, je prendrai la tangente en disant « point trop n’en faut », de toute façon le calcium il y en a dans l’eau, les végétaux, les viandes et les poissons. Quant aux ferments lactiques qui font du bien même si cela ne se voit pas, je reste dubitatif devant les lobbies de l’industrie laitière française : avez-vous déjà compté le nombre de publicités pour les produits lactés que l’on nous assène chaque jour ? Bonne âme, il m’arrive de manger un yaourt le matin, ou de me faire cuire un œuf avec du fromage ou du jambon maigre. N’oublions pas que la vitamine D n’est plus considérée comme une vitamine mais comme une hormone car nous la synthétisons

à partir du cholestérol et avec un bon rayonnement UV, donc de là à s’en gaver ?

3. Carences nutritionnelles et sous-nutrition Lorsque les sources d’énergie (lipides et glycogène) de l’organisme sont épuisées suite à un jeûne trop long, le catabolisme protidique se déclenche, en fait par l’intermédiaire d’hormones dites du stress, le cortisol en particulier, et le glucagon par déficit en glucose [5]. Dans les populations sous-alimentées, la masse graisseuse disparaît presque entièrement, et lorsque la dénutrition s’installe, la masse musculaire diminue progressivement. Souvent se rajoute une déshydratation par déficit d’apport en eau potable, et souvent causée ou aggravée par les diarrhées infectieuses. Le défaut d’apport de nutriments va aussi être la cause de carences en vitamines et oligo-éléments.

3.1. Carences protéiques Le marasme nutritionnel est dû à un grand déficit énergétique et pas seulement protéinique, alors que le syndrome de kwashiorkor est lié à un déficit en protéines. En fait les deux affections interagissent entre elles et semblent plus complexes qu’il n’y paraît. La fonte musculaire apporte bien sûr une perte de poids avec amaigrissement mais aussi une baisse de vitalité à cause d’une grande faiblesse musculaire accompagnée au niveau abdominal d’un gonflement du ventre, qui peut s’associer à de l’ascite due à la fuite d’eau du secteur vasculaire vers le secteur extracellulaire par la diminution de la concentration en protéines plasmatiques, dont de l’albumine qui est la protéine du secteur vasculaire normalement la plus abondante et qui possède le plus fort pouvoir oncotique. On a tous en tête ces images d’enfants africains aux membres grêles mais avec un gros ventre qui a déjà fait sourire certains (« ils mangent trop en fait !), on a retrouvé les mêmes images à la libération des camps de concentration nazis en 1945. D’un point de vue métabolique, le métabolisme de base est diminué, une hypothermie peut s’installer, le manque en sucres favorise la cétogenèse, surtout en utilisant les acides aminés cétogéniques provenant de la protéolyse musculaire [5] ; ces corps cétoniques assurent le maintien des fonctions vitales (système nerveux, muscle cardiaque…) ; les hypoglycémies sont fréquentes. La carence protéique accompagne toutes les sous-nutritions mais peut aussi se rencontrer chez les obèses par carence relative et bien sûr chez les malades dénutris, surtout en réanimation ou soins intensifs comme nous en avons beaucoup discuté dans le premier numéro dédié à la biochimie de la nutrition [5, 6].

3.2. Carences en sels minéraux La déshydratation est fréquemment associée à la sousnutrition car l’inaccessibilité à la nourriture touche aussi les apports en eau. De plus, dans les contrées atteintes par cette malédiction, les eaux sont fréquemment contaminées et donc non buvables, ou alors en apportant un florilège de diarrhées infectieuses, qui bien sûr ne font qu’aggraver la déshydratation. Au début, elle n’est généralement qu’extracellulaire tant que les apports en sels minéraux REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2014 - N°466 //

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sont suffisants ; la perte de poids n’est pas accentuée, ni la sensation de soif, la peau garde le pli, mais on peut retrouver une tachycardie réflexe, une hypotension, une hypotonie des globes oculaires (yeux cernés). Biochimiquement on retrouverait une hémoconcentration avec augmentation des protéines totales, de l’hématocrite et de l’urée, l’ionogramme resterait normal, mais l’examen biologique n’est guère réalisé, car peu utile à ce niveau. Cette phase de la déshydratation est importante à déceler car elle est traitée facilement par l’emploi de sachets type OMS (glucose, NaCl, KCl) à dissoudre dans de l’eau saine ; à l’hôpital on perfuse un soluté isotonique de NaCl (0,15 M ou 9 ‰). Si les sels minéraux viennent à manquer, ce qui est fréquent dans les sous-alimentations avec diarrhée infectieuse, la déshydratation devient globale en prenant un caractère intracellulaire avec exacerbation de la sensation de soif, sécheresse des muqueuses et de la peau qui garde le pli, la perte de poids est effective, une dyspnée peut s’établir, ainsi qu’une torpeur interrompue de phases d’agitation (troubles neuropsychiques liés à la souffrance du cerveau) ; on doit faire boire sans apporter de sels minéraux, en tout cas dans un premier temps. En médecine humanitaire on est souvent devant la situation où l’impérieuse envie de boire conjuguée à la sous-nutrition chronique en sels minéraux amène un trouble hydroélectrolytique mixte appelé hyperhydratation intracellulaire avec déshydratation extracellulaire, ou déperdition sodée pure avec intoxication par l’eau. Il s’installe un dégoût de l’eau avec nausées, vomissements, anorexie (mais comme il n’y a pas grand-chose à manger !), des crampes et des céphalées, des troubles neuromusculaires et psychiques, jusqu’à un coma convulsif et la mort. L’hyponatrémie est sévère, l’hypokaliémie peut créer un arrêt cardiaque. Ici on doit perfuser une solution hypertonique pour attirer l’eau dans le secteur extracellulaire et vasculaire, avec restriction hydrique [7]. Il faut donc être bon clinicien pour distinguer ces différents types de troubles hydriques et appliquer les bons traitements ; la biologie d’urgence a toute sa place dans ces situations humanitaires avec un petit automate qui mesure sodium et potassium, et si on a une numération sanguine on dispose de l’hématocrite. Ces troubles hydriques dissociés se rencontrent dans d’autres circonstances, comme pour les coureurs de fond (marathons, triathlons, courses en montagne ou dans le désert et autres « trails ») où l’hydratation forcenée peut se faire sans sels minéraux amenant le même syndrome d’intoxication hydrique avec nausées, maux de tête et étourdissements faisant arrêter la course ; des cas mortels ont déjà été signalés. Pire encore, on a vu mourir le gagnant d’un concours de buveurs d’eau ! Et rappelons qu’au Moyen-Âge, on infligeait la torture par l’eau, administrée par un entonnoir jusqu’à ce que mort s’ensuive, et peut-être même bien après avoir « cracher le morceau » car les effets morbides de l’eau sont décalés dans le temps. À ne pas confondre avec le supplice de la chèvre en mettant du sel sur les pieds qu’elle vous lèche jusqu’à mourir de rire ! À un moindre degré, on crée la situation de déplétion en sels en administrant des diurétiques qui en éliminent trop ; on doit surveiller leur emploi, en particulier en mesurant sodium et potassium dans les urines, situations aussi retrouvées dans la maladie d’Addison

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par insuffisance surrénalienne, la mucoviscidose par les pertes dissociées en eau et sels minéraux (ions chlorures) et certaines néphropathies. Dans le « syndrome du désert », où le déficit en eau est pur (on ne manque pas de sels minéraux !), la déshydratation est simple (extracellulaire puis globale) et réellement on meurt de soif ! Cette situation est retrouvée chez les grabataires, dénutris et déshydratés, car ils n’ont plus envie ni de manger ni de boire ; c’est aussi une mort annoncée.

3.3. Carences en vitamines Les malnutritions incluent les carences vitaminiques spécifiques ou globales. Dans les sous-nutritions, le déficit en vitamines est global car il touche toutes les catégories de vitamines : A, D, E pour les liposolubles, C et toutes celles du groupe B pour les hydrosolubles. Détaillons les déficits spécifiques en ces différentes vitamines.

3.3.1. Carences en vitamines du groupe B On regroupe sous le terme de vitamine B environ 8 vitamines de B1 à B12, tous les numéros ne correspondant plus à une vraie vitamine. Elles interviennent toutes, peu ou prou, dans le métabolisme énergétique. Elles sont donc nécessaires à utiliser les nutriments (glucides, lipides, protides) dans les voies cataboliques (de dégradation), ainsi que dans le cycle de Krebs et la chaîne respiratoire (métabolisme intermédiaire), parfois elles sont nécessaires à des voies anaboliques (de synthèse) (vitamine = vital amine). On les assimile à de l’ « énergie », ce qui est faux car elles ne renferment aucune énergie intrinsèquement, et vrai puisqu’elles sont indispensables à la production d’énergie par les catabolismes. r Carence en vitamine B1 : donc plus spécifiquement, on retrouve des carences en vitamine B1 (ou thiamine) donnant le béribéri qui est une vraie malnutrition car elle provient d’un défaut alimentaire. Cette maladie invalidante (en cinghalais elle veut dire « je ne peux pas, je ne peux pas ») devient mortelle par l’insuffisance cardiaque qu’elle provoque, on retrouve aussi des troubles neurologiques. L’asthénie et l’anorexie sont constantes, puis se développent une amyotrophie et une polynévrite généralisée ; l’apparition de la myocardie caractéristique du béribéri est le facteur aggravant majeur, avec une cardio-dilatation amenant des asystolies et une tachycardie ; l’apparition d’œdèmes signe un « béribéri humide », œdèmes ici dus à l’insuffisance cardiaque. D’un point de vue biochimique, la thiamine active est un cofacteur enzymatique essentiel, en particulier de décarboxylases comme la pyruvate-décarboxylase (enzyme E1 du complexe de la pyruvate-déshydrogénase nécessaire à faire entrer l’acétylcoenzyme A dans le cycle de Krebs) et de transcétolases (dans la voie des pentoses), donc d’enzymes nécessaires à l’utilisation du glucose, des acides aminés et des acides gras comme sources d’énergie [8]. Sans vitamine B1, c’est presque comme si on ne mangeait pas de glucides ni de protides, nutriments représentant près de 80 % d’une alimentation normale. On trouve naturellement la vitamine B1 dans les céréales et les levures, les viandes et le jaune d’œuf. Dans le riz, elle se situe dans la pellicule, donc on ne la retrouve pas dans le riz blanc auquel, par polissage, on a enlevé le

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Tableau I – Vitamines du groupe B donnant lieu à des carences alimentaires : sources naturelles. Sources

B1

B2

B3

B9

B12

1 - 10

2-5

10 - 60

4 000

-

0,3 -0,5

0,1 - 0,2

5

300

-

0,5

0,2 - 0,5

5

10 - 20

-

0,4 - 0,6

0,1 - 0,4

0,5 - 5

50 - 250

-

Fruits

< 0,15

< 0,15

0,1 - 5

10 - 50

-

Viandes (muscles)

0,1 - 1

0,1 - 0,4

6 - 12

10 - 50

2 - 10

Foies

0,3 - 1

1,5 - 3

5 - 25

50 - 500

20 - 100

Levures Farine de blé Riz (grain entier) Légumes

Lait

0,04

0,15

0,4 - 1

< 10

1-4

0,3 - 0,5

0,3

-

10 - 90

0,4

Fromages

-

0,3 - 0,7

1-2

100 - 200

0,2 - 2

Poissons

-

0,3 - 0,7

2 - 10

-

2 - 15

Jaune d’œuf

En mg/100 g sauf pour B9 et B12 en μg/100 g.

Tableau II – Besoins journaliers (en mg par jour) en vitamines dont les carences sont pathologiques. B1

B2

B3

B9

B12*

A

C

D*

E

Homme

1-2

1,8

15 - 20

0,5

2,5

0,8 - 1

> 90

5 - 30

15

Femme

0,8 - 1,5

1,5 - 2,5

-

-

-

0,7 - 0,9

> 75

-

-

< 2 ans

0,4

0,6

-

-

-

0,8 - 1,2

-

-

-

-

2,5

> 20

-

-

1,2 - 2

-

-

-

10 - 15 ans * Vit D et B12 en μg par jour.

péricarde (tableaux I et II). Elle est détruite par la chaleur que les aliments soient bouillis ou cuits aux microondes. Des bactéries de la flore intestinale en produisent un peu ; tout dépend de leur implantation et de leur activité synthétique, souvent réduites par les diarrhées et la présence de parasites. Les besoins augmentent avec l’exercice physique, la grossesse et la lactation, aussi au cours des infections. La thiamine, alimentaire ou intestinale, doit être activée lors du passage hépatique en pyrophosphate de thiamine (vitamine B1 active) ; là encore un bon fonctionnement du foie est nécessaire. Elle est peu stockée dans l’organisme, donc on doit l’apporter quotidiennement, ce qui ne pose pas de problème avec une alimentation riche et équilibrée, mais il faut garder une portion de légumes et céréales crus. Rappelons que la thiamine a été découverte dans la levure de bière. Sa concentration plasmatique est très faible et ne refléterait pas ses réserves, d’ailleurs très labiles ; donc son dosage sanguin ne semble pas porter d’intérêt. La thiamine, sous forme active ou non, est dégradée dans les tissus périphériques et éliminée dans les urines sous forme de pyramine. Les épidémies de béribéri correspondent surtout à des changements d’habitudes alimentaires, comme, dans des populations africaines à alimentation monotone, en remplaçant pour des raisons purement économiques l’alimentation traditionnelle composée de manioc, de poisson et de riz rouge par du poulet et du riz blanc, donc en éliminant la seule source de vitamine B1 disponible dans ce régime : le riz rouge qui en est riche dans son péricarpe. D’autres épidémies ont été signalées chez des nouveau-nés alimentés par du lait maternel pauvre en vitamine B1 (zones endémiques), avec une forte mortalité car le déficit a été difficile à identifier. Dans un autre cadre, des cas de béribéri ont été reliés à la consommation de poissons dont la chair

est riche en thiaminase, une enzyme qui détruit par hydrolyse la thiamine, enzyme normalement détruite par la cuisson, mais des cas ont été trouvés au Japon, pays où on mange le poisson cru ; là encore l’origine de l’épidémie a été difficilement décelable [9]. De façon plus sporadique, des déficits relatifs sont retrouvés en service de réanimation et de soins intensifs de chirurgie digestive, aussi chez les personnes très âgées, les alités au long terme, les diarrhées chroniques, les résections du grêle et les syndromes de malabsorption, aussi l’alcoolisme chronique. On a appris à la supplémenter dans les alimentations entérales et parentérales, surtout sous forme de cocktails poly-vitaminiques. De même on doit contrôler la teneur en vitamine B1 des laits pour nourrisson, s’ils sont trop pauvres on les supplémente. On rencontrerait aussi des déficits en vitamines du groupe B, dont de B1, chez les individus ne consommant que des conserves et des aliments stérilisés, donc pas de produits frais (formes frustres du béribéri), comme dans les aberrations alimentaires liées à la sédentarité. Signalons enfin que cette vitamine est aussi un médicament utilisé per os et par voie injectable pour traiter les troubles neurologiques, en particulier les polynévrites dont celles liées à l’alcoolisme et surtout au cours des encéphalopathies qu’on appelle « béribéri cérébral ». C’est aussi un antalgique utilisé dans la prise en charge des rhumatismes et des migraines. rCarence en vitamine B2 : cette vitamine du groupe B est en fait la riboflavine, un nucléotide qui cristallise sous forme de jolis cristaux jaunes orangés ! On la trouve dans les levures et les céréales comme sa sœur la vitamine B1, mais aussi les viandes et les poissons ; le foie est particulièrement riche (c’est son lieu de stockage), le lait et les laitages en contiennent (tableaux I et II). REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2014 - N°466 //

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La vitamine B2 intervient aussi dans le métabolisme énergétique, puisque c’est le cofacteur d’enzymes à flavines (ou flavoprotéines). On en trouve dans la chaîne respiratoire pour transporter les protons du NADH,H+ vers le coenzyme Q ; c’est aussi le cofacteur d’enzymes permettant d’utiliser les acides gras (β-oxydation), ou de synthèse des acides gras à longues chaînes, ainsi que du catabolisme des purines avec la xanthine-oxydase et des acides aminés pour leur désamination oxydante, bref partout où on trouve des enzymes à FMN ou FAD [8]. Autant dire qu’elle est indispensable ; on ne sait pas la produire pas plus que les bactéries commensales de notre tube digestif. Sa carence nutritionnelle est rare et les signes cliniques sont frustres ; on peut retrouver des lésions cutanées ou des muqueuses (dermite, perlèche, stomatite…) et parfois une atteinte oculaire avec une photophobie et une hyper-vascularisation de la rétine. La vitamine B2 peut venir à manquer dans les déficits globaux donc les régimes déséquilibrés, carencés en protéines, ou par l’emploi de laits artificiels non supplémentés. Sa supplémentation est surtout prophylactique après gastrectomie ou avec une antibiothérapie, et bien sûr obligatoirement dans les laits artificiels comme pour la vitamine B1 et d’autres du groupe B. Elle est utilisée à titre thérapeutique dans les carences manifestes et les retards de croissance, et par extension, on la propose, per os ou par injection, dans les affections du tube digestif (entérites, maladie cœliaque…), les maladies de la peau et des muqueuses (en crème) ainsi qu’oculaires (en collyre)… Comme disait mon professeur de chimie thérapeutique préféré, si ça ne fait pas de bien, cela ne peut pas faire de mal ! r Carence en vitamine B3 ou PP (pellagra preventive factor) : il s’agit tout simplement du nicotinamide ou niacine, l’amide de l’acide nicotinique (merci les biochimistes !). Ce n’est pas tout à fait une vitamine car on en synthétise pour environ un tiers de nos besoins à partir du tryptophane, un acide aminé essentiel ! Normalement notre complément en vitamine PP (pour les deux tiers) se trouve dans les céréales, les fruits secs, les viandes et les poissons, le lait et les fromages ; les bactéries commensales de notre intestin nous en fournissent un peu aussi (tableaux I et II). Les carences se rencontrent chez les peuplades à alimentation monotone, ne mangeant par exemple que du maïs ou du millet, ou pauvres en protéines, ou que des protéines végétales pauvres en tryptophane. Ces carences alimentaires ne se rencontrent que dans les zones rurales défavorisées, d’Afrique et d’Amérique du Sud essentiellement ; sporadiquement on en retrouve chez les éthyliques chroniques. Les besoins augmentent au cours de l’adolescence, et là encore de la grossesse et de l’allaitement. Les grands déficits sont la cause du syndrome pellagreux ; la pellagre est une affection essentiellement cutanée avec un érythème douloureux étendu aux parties exposées à la lumière (érythème pellagreux), parfois accompagné d’une stomatite et d’une glossite, et souvent d’une asthénie physique et psychique intense avec mélancolie délirante à tendance dépressive (démence pellagreuse), enfin d’atteintes digestives (gastrite, entérocolite) avec diarrhées et plus tardivement de

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troubles neurologiques sensitifs et douloureux. Évidemment, nous avons besoin d’ingérer quotidiennement de la niacine pour assurer le fonctionnement d’un grand nombre d’enzymes à NAD ou NADP, autrement dit la plupart des déshydrogénases, des oxydoréductases et autres réductases ; développer ce chapitre serait une bonne occasion de revoir notre biochimie métabolique des catabolismes (glycolyse, voie des pentoses, cycle de Krebs, β-oxydation, dégradation des acides aminés) aux anabolismes, comme ceux du cholestérol et des acides gras… On administre de la niacine dans toutes les manifestations de la pellagre, carentielle ou non, selon la règle des trois D « Dermatite, Démence, Diarrhée » [9]. La pellagre a tout de même beaucoup diminué sans avoir disparu totalement, principalement en Afrique subsaharienne et dans l’éthylisme chronique, à cause de la malabsorption intestinale. On ne rencontre pas de carences nutritionnelles en vitamines B5, B6 et B8, on ne les traitera donc pas dans ce cadre de la biochimie de la nutrition. Néanmoins on peut retrouver ces vitamines dans les apports poly-vitaminiques, et comme pour toutes les vitamines du groupe B, leurs besoins augmentent au cours de la grossesse et de l’allaitement, d’où l’importance d’assurer un complément. Si les vitamines B1, B2 et B3 ont été nommées ainsi, par ordre de découverte et d’identification chimique, c’est que leur déficit aigu s’accompagne de pathologies graves, mortelles ou invalidantes, avec des signes cliniques réunis dans un syndrome assez caractéristique. C’est aussi le cas de deux vitamines de découverte relativement plus récente, les vitamines B9 et B12. r Carences en vitamine B9 et/ou B12 : ces deux vitamines agissent de concert dans le transfert de groupements mono-carbonés, pour les biochimistes/chimistes ce sont des groupements -CH 3 (méthyle), -CH 2- (méthylène), -CH 2OH (hydroxy-méthyle), -CHO (formyle), -CH=NH (formimino-) essentiellement… et pour quoi faire (là c’est vraiment pour les biochimistes) métaboliser des acides aminés (histidine transformée en glutamate, sérine en glycine, synthétiser la méthionine à partir d’homocystéine), synthétiser des bases puriques et des bases pyrimidiques pour former nos acides nucléiques, ARN et ADN, rien que cela ! Et quand on manque de ces vitamines-là, ça se sent… Plus précisément, la synthèse de méthionine (du coup un acide aminé qui n’est pas essentiel) nécessite l’action conjointe des deux vitamines alors que dans les autres réactions la vitamine B9 suffit [8]. Qui est-elle ? C’est l’acide folique, que l’on trouve sous forme de polyglutamates dans le foie, les rognons, les viandes et les légumes verts (tableaux I et II). Après des transformations dans la muqueuse duodéno-jéjunale, l’acide folique va être stocké sous forme partiellement réduite (dihydrofolate) dans les organes à activité synthétique importante, comme le foie, les reins et les hématies. Le coenzyme actif est la forme totalement réduite (tétrahydrofolate ou acide folinique). On peut doser ces différentes formes (les folates) dans le plasma et les hématies. L’élimination est biliaire, donc fécale, et urinaire en cas d’excès. Sa carence va être à l’origine d’une anémie mégaloblastique par défaut de synthèse de l’ADN, ce qui en fait touche les

BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

trois lignées : anémie arégénérative avec mégaloblastes dans la moelle et augmentation du VGM, leucopénie avec neutropénie, et thrombopénie. L’emploi d’anticonvulsivants, comme les barbituriques et la phénytoïne, peut être la cause d’un déficit en folates certainement par inhibition de la conjugase intestinale nécessaire à l’absorption de l’acide folique. Ce déficit va s’accompagner de troubles neurologiques variés, par défaut en ATP, GTP et en phospholipides formant les gaines de myéline. Les carences sont de diverses origines. ° Défaut d’apport, donc les carences nutritionnelles : consommation monotone de lait de chèvre, abus de conserves, syndromes de malabsorption ; s’y ajoutent les carences relatives devant des besoins exacerbés, comme dans les anémies hémolytiques, hémorragiques ou leucémiques. On traite ces carences par l’acide folique, en particulier afin d’établir le diagnostic différentiel de l’anémie mégaloblastique par déficit en vitamine B12. ° Cirrhose hépatique en particulier alcoolique : par inhibition de la dihydrofolate-réductase par l’éthanol. ° Causes iatrogènes : on a cité les anticonvulsivants ajoutant des troubles neurologiques, mais aussi les anticancéreux anti-métabolites comme le méthotrexate, les antibactériens comme la triméthoprime, et les antiparasitaires comme la pyriméthamine, inhibiteurs de la dihydrofolate-réductase. Ces causes iatrogènes sont traitées par l’acide folinique, le métabolite actif. ° Anomalies congénitales : déficits enzymatiques au niveau de la muqueuse intestinale, créant anémie et retard mental. La vitamine B12 est une cobalamine, un noyau tétrapyrolique (un peu comme l’hème) et un nucléotide reliés par un pont aminopropanol. Un atome de cobalt (Co2+) est en liaison de coordination métallique avec les azotes pyroliques, un azote de la base purique (adénine) du nucléotide et un -OH pour l’hydroxycobalamine (hexa-coordination) [8]. Cette vitamine est synthétisée par les microorganismes, mais dans notre alimentation on la retrouve dans le foie, les abats et la viande, un peu le lait, les fromages et les œufs et il n’y a pas des sources végétales (tableaux I et II). Elle forme des complexes aves les protéines animales, dont environ la moitié sera absorbée au niveau intestinal. Le passage intestinal nécessite la liaison au facteur intrinsèque gastrique, et c’est au niveau de l’iléon que ces complexes cobalamine/facteur intrinsèque vont se lier sur un récepteur spécifique dans un rapport de 2 molécules de cobalamine pour un récepteur ; après internalisation, la cobalamine est libérée dans le cytoplasme de l’entérocyte ; elle passera dans la circulation liée à une protéine vectrice : la transcobalamine I ou II. Le stockage hépatique est important, et se fait sous forme de méthylcobalamine. L’élimination est biliaire avec cycle entérohépatique et élimination fécale. La méthyl-cobalamine est responsable de la conversion homocystéine/méthionine nécessitant aussi le tétrahydrofolate, rendant la méthionine non indispensable. Par ailleurs, la dégradation des acides gras à nombre impair de carbones et de certains acides aminés comme la thréonine, la méthionine et l’isoleucine dégradés en propionyl-CoA, nécessite de la S-adénosylcobalamine, cofacteur de la méthyl-malonyl-CoA-mutase

Tableau III – Utilité de doser conjointement les folates et la vitamine B12 pour différencier l’anémie de Biermer d’une carence en folates. Carence en folates Folates Vitamine B12

Anémie de Biermer

Très diminués

Augmentés

Diminuée

Très diminuée

pour donner du succinyl-CoA, substrat du cycle de Krebs [8]. La carence en vitamine B12 est connue sous le nom d’anémie pernicieuse ou anémie de Biermer, généralement due à un défaut de sécrétion du facteur intrinsèque ; l’anémie a toutes les caractéristiques de l’anémie par carence en folates. L’asynchronisme nucléocytoplasmique amène à une mégaloblastie avec pancytopénie. Les troubles neurologiques viennent aggraver le tableau ; le diagnostic différentiel de la carence en folates est basé sur les dosages conjoints des folates et de la vitamine B12 (tableau III). Les carences d’apport en vitamine B12 sont très rares, par contre les causes médicales ou iatrogènes sont nombreuses : ° Causes gastriques : avec perte du facteur intrinsèque, gastrite atrophique et cancer de l’estomac avec achlorhydrie, gastrectomies, déficit vrai en facteur intrinsèque, parfois par maladie auto-immune avec production d’anticorps anti-facteur intrinsèque (leur détection permet un diagnostic différentiel de la gastrite atrophique idiopathique). ° Causes intestinales : sténoses et diverticules du grêle, résections iléales (sur cancer du côlon par exemple) avec syndrome de l’anse stagnante où prolifère une flore commensale consommatrice de vitamine B12, malabsorptions intestinales (sprue tropicale, maladie cœliaque par intolérance au gluten, maladie de Crohn, stéatorrhée idiopathique), bothriocéphalose avec destruction du complexe par les parasites. ° Causes congénitales : assez rares, par absence de facteur intrinsèque ou de transcobalamine II. La cyanocobalamine est utilisée en vitaminothérapie per os ou voie parentérale pour bien sûr traiter l’anémie de Biermer, souvent induite chirurgicalement donc prévisible, mais aussi des affections neurologiques diverses alors souvent associée à la vitamine B1, combinant des actions trophiques et antalgiques. La vitamine B12 est aussi administrée dans les retards de croissance avec hypotrophie, les convalescences et l’éthylisme.

3.3.2. Carence en vitamine A La vitamine A est le rétinol, un terpène cyclique qui existe sous plusieurs formes dont le rétinol lui-même la forme la plus active (fonction alcool primaire), le rétinal (fonction aldéhyde) dont il existe plusieurs isomères, et l’acide rétinoïque (fonction acide carboxylique) issus des carotènes naturels (produits végétaux) ou trouvés dans les produits animaux sous forme active ou d’esters comme le rétinyl-phosphate. Les carotènes précurseurs sont transformés en rétinol sous l’action d’une mono-oxygénase ; les caroténoïdes regroupent les carotènes (α, β et γ) et des molécules apparentées potentiellement productrices de rétinol ou de ses dérivés [10]. La vitamine A se trouve naturellement dans le foie, les viandes, la chair de poisson, REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2014 - N°466 //

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Tableau IV – Sources naturelles de la vitamine C et des vitamines liposolubles (A, E et D) donnant lieu à des carences alimentaires (en mg/100 g sauf pour la vitamine D en μg/100 g). Sources Huiles de foies de poisson Foies d’animaux Poissons Beurre Œuf de poule

A

E

D

C

150-200

-

200-5 000

-

5-30

-

2-50

-

0,02-1

2-7

2-20

-

0,6

1,5

0,6-1,5

-

0,3

1

0,6-1,5

0,06-0,1

1

< 0,6

-

Huiles végétales

-

5-100

-

-

Germes de soja

-

1

-

80

1-10*

1-4

-

Fromages

Fruits et légumes Baies exotiques Cynorrhodon

10-5 000 1 000-5 000 750-1 500

Goyave

250

Cassis

200

Poivron

120

Chou

75

Citron

65

Fraise, orange

60

Épinard

50

Cerise

10

* Précurseurs de vitamine A.

les œufs et les produits laitiers (tableau IV). Par ailleurs, les carottes, les épinards et les fruits comme les abricots, les pêches jaunes, la mangue et le melon sont riches en carotènes (essentiellement les légumes et fruits orange ou jaunes !). Les caroténoïdes et la vitamine A possèdent des propriétés anti-radicalaires en piégeant les lipoperoxydes. L’absorption est intestinale nécessitant la présence de graisses et de sels biliaires, en effet la vitamine A est liposoluble par sa richesse en carbones (terpène). Elle est stockée presque exclusivement dans le foie, dans des vésicules lipophiles des cellules étoilées dites aussi cellules de Ito. Circulent dans le sang des fifrelins de rétinol très dépendants des apports alimentaires journaliers, et liés à une protéine de liaison, la retinol binding protein (RBP). La vitamine A n’est pratiquement pas éliminée, sinon au cours d’atteintes rénales avec la RBP urinaire. Cette vitamine est indispensable à l’œil et à la peau (tableau II). Un déficit sévère peut provoquer une cécité et toucher divers organes, comme les glandes endocrines ainsi que les épithéliums dont la peau. Le rétinal 11-cis forme la rhodopsine en s’associant à l’opsine, la rhodopsine étant la protéine membranaire des cellules nerveuses de l’œil (les bâtonnets) responsables du transfert de l’influx nerveux des photorécepteurs vers le nerf optique ; la rhodopsine constitue une véritable photopile, siège du cycle du rétinal  11-cis faisant intervenir deux enzymes. Par ailleurs, la vitamine A stimulerait la synthèse de la mélanine, le principal pigment cutané foncé (melanos = noir) et est impliquée dans la croissance de l’os. Les premiers signes de la carence sont une photophobie et une cécité au crépuscule,

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qui peut s’aggraver si l’avitaminose se poursuit sur plusieurs mois jusqu’à la cécité totale et irréversible. Les déficits partiels s’accompagnent de retards de croissance, d’une diminution de la résistance aux infections, de troubles endocriniens variés, de divers troubles oculaires (photophobie, xérophtalmie, hyperkératose…) ; la peau s’amincit, les cheveux deviennent secs et cassants. Les carences d’apport en vitamine A sont liées à la sous-nutrition et à la pauvreté, surtout chez le nourrisson par la consommation de laits pauvres en vitamine A. Dans les pays occidentaux, il s’agira plutôt de nourrissons sous régime sans lait (intolérance au lait de vache par exemple), et chez l’adulte, de consommateurs de conserves sans légumes verts ou sous régime sans laitages, œufs et viandes. On peut aussi signaler comme cause possible de carence les troubles du transit et les maladies hépatiques. Les besoins augmentent au cours de la grossesse et pendant l’allaitement. La vitamine A est administrée sous différentes formes, bien sûr dans les syndromes carentiels et en prophylaxie au cours de certains troubles métaboliques ou de prédisposition aux infections bactériennes. Doit-on supplémenter les laits ? Non s’ils sont suffisamment riches naturellement car n’oublions pas que l’acide rétinoïque est un réel facteur de croissance, certainement très utile à l’os et à la peau, mais potentiellement tératogène s’il est donné en excès à la femme enceinte, et peut-être même chez la petite fille. De même, si le traitement de l’acné sévère par l’acide rétinoïque a fait ses preuves, on ne saurait que recommander la prudence devant des excès d’utilisation per os pour des raisons moins nobles comme la lutte contre le vieillissement cutané, là où des formes galéniques externes devraient suffire. La vitamine A permettrait de stimuler les défenses naturelles de la peau, en tout cas l’industrie des cosmétiques a jeté son dévolu sur ces produits dérivés de la vitamine A depuis plusieurs décennies avec un succès renouvelé, surtout en mettant en avant ses propriétés d’antioxydant et d’agent protecteur naturel en désactivant les photo-sensibilisateurs excités. Donc, à manipuler avec des pincettes, comme la plupart des vitamines lipophiles. Un peu de philosophie : si la nature ne nous a pas servi ces vitamines sous formes faciles d’obtention ni d’assimilation, c’est peut-être qu’il ne faut pas en abuser, alors que pour les hydrophiles, i.e. vitamines du groupe B et vitamine C, on ne peut pas craindre l’intoxication car si on en prend trop on les retrouve dans les urines ! Deuxième assertion philosophique : l’espèce humaine est omnivore parce qu’elle a besoin de nutriments qui se trouvent dans le monde végétal et dans le monde animal ; ces mondes se complètent et il est difficile de suppléer l’un par l’autre, sinon par des savants calculs et en vérifiant par des dosages que l’équilibre nutritionnel est maintenu. Voici une médecine personnalisée qui peut sembler d’un coût exorbitant. Ces conseils vont rester valables pour les autres vitamines liposolubles, qui nous concernent : les vitamines D et E.

3.3.3. Carence en vitamine D La vitamine D est le cholécalciférol (vit D3), un dérivé du cholestérol, qui en fait est activé dans l’organisme par deux hydroxylations pour donner la vitamine  D active ou dihydroxy-1,25-cholécalciférol (1,25diOHvit D). La plus grande partie de la vit D3 est d’origine endogène,

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nous la synthétisons dans les couches profondes du derme à partir du 7-déhydrocholestérol sous l’effet du rayonnement UVB solaire ; elle est ensuite amenée au foie grâce à une protéine porteuse, la Vitamin D Binding Protein (VDBP), pour subir une première hydroxylation en position 25, et donner la 25OHvit D ou calcidiol qui est la principale forme de stockage de la vitamine D. Une partie de ce calcidiol est transportée jusqu’au rein pour subir une deuxième hydroxylation, en position 1α, pour donner le métabolite actif, le 1,25diOHvit D ou calcitriol qui est le métabolite actif. Ce mécanisme d’activation séquentielle nécessite deux enzymes fonctionnelles, une 25-hydroxylasecytochrome P450 hépatique et une 1α-hydroxylase rénale. Cette dernière est activée par la parathormone (PTH) et donc indirectement par la baisse du calcium plasmatique (hypocalcémie) [10, 11]. Une partie variable de la vitamine D est apportée par l’alimentation, sous forme de vit D3 qui provient de sources animales, essentiellement les foies de poissons (la fameuse huile de foie de morue), et un peu dans le lait, les laitages et les poissons eux-mêmes et d’autres foies d’animaux, ou de vit D2 (ergocalciférol) provenant de végétaux, ou plutôt de certains champignons (tableau IV). D’autres végétaux apportent de l’ergostérol, un autre précurseur de la vitamine D. Nous pouvons donc transformer en vit D3, au moins en partie, l’ergostérol et l’ergocalciférol d’origines végétales. La vitamine D est partiellement absorbée au niveau intestinal terminal, dissoute dans les graisses avec des sels biliaires comme pour la vitamine A, car la vitamine D est liposoluble par sa richesse en atomes de carbone (dérivés terpéniques). Ses différentes formes sont transportées par la VDBP et stockées dans divers organes, surtout le foie, et sera redistribuée en fonction des besoins. Ainsi, la production du calcitriol actif dépend de beaucoup de paramètres : l’insolation donc selon l’exposition aux rayonnements UV solaires, les sources alimentaires (animales et végétales) donc selon le type d’alimentation, les fonctions du foie et des reins pour synthétiser le métabolite actif, fonctions qui peuvent être altérées dans certaines situations pathologiques. L’exposition au soleil est un facteur clef, elle dépend beaucoup de la saison (moins en hiver), du climat (moins sous le brouillard), de la région (moins aux hautes latitudes), l’habillement (facteur très culturel) et des facteurs personnels ou ethniques comme la pigmentation et l’épaisseur de la peau. Le calcitriol est en fait une véritable hormone, qui traverse la membrane plasmique des cellules cibles pour se fixer sur un récepteur cytoplasmique (VDR ou vitamin D receptor) qui va se dimériser, migrer vers le noyau en passant par les pores nucléaires, et se fixer sur l’ADN chromosomique dans les régions promotrices de gènes ainsi activés pour synthétiser des ARNm, à leur tour traduits au niveau des ribosomes en protéines responsables de l’activation par la vitamine D : au niveau intestinal, des protéines assurant le transport du calcium dans l’entérocyte et son extrusion vers les vaisseaux sanguins de l’intestin pour rejoindre le foie par la veine porte ; au niveau osseux, des protéines gouvernant la minéralisation osseuse. À ce niveau, le 1,25diOHvit D augmente la résorption osseuse en stimulant directement la différenciation des ostéoclastes. L’ensemble de ces effets convergent vers un rôle hypercalcémiant de la vitamine D.

Elle agit encore comme une hormone en régulant négativement la production de PTH au niveau des glandes parathyroïdes en inhibant la formation de son ARNm, donc dans un cycle d’autorégulation, puisque la PTH est aussi hypercalcémiante avec des effets essentiellement rénaux, en favorisant la réabsorption du calcium au niveau tubulaire, et osseux en stimulant sa libération de l’os. La PTH agit indirectement sur l’absorption intestinale du calcium en stimulant la synthèse de l’1α-hydroxylase rénale. Le senseur négatif agissant à ce niveau est le facteur de croissance FGF23. La PTH et le FGF23 régulent aussi la phosphorémie aux trois niveaux, intestinal, osseux et rénal [11]. Au cours de la croissance, la vitamine D agit essentiellement sur la zone métaphysaire des os, là où le cartilage de conjugaison se transforme en os (ossification). La vitamine D est connue pour ses effets antirachitiques, le rachitisme ayant deux principales causes, le défaut d’apports en vitamine D (rachitisme ou ostéomalacie vit D-dépendant), ou le défaut d’activation sous forme de 1,25diOHvit D (rachitisme non vit D-dépendant, surtout rénal ou ostéomalacie rénale). Les situations de carence sont très liées à l’exposition solaire : les personnes âgées institutionnalisées, les personnes à peau noire ou foncée vivant sous des latitudes élevées, toute personne vivant à ces latitudes pendant la période hivernale, les personnes qui n’ont pas le droit de s’exposer au soleil (mélanomes, vitiligo, autres maladies de la peau avec photosensibilisation). Par ailleurs, l’obstruction biliaire empêche l’absorption des graisses et des vitamines qu’elles renferment, et l’insuffisance rénale s’accompagne d’ostéomalacie. Quand les enfants sont nourris au sein, il faut s’assurer que la mère n’est pas carencée, donc soit elle prend un supplément de vitamine soit on s’assure de son statut vitaminique en dosant la vitamine D ou ses métabolites. Les personnes souffrant d’un excès de poids auraient des besoins en vitamine D supérieurs certainement parce que leur derme est plus épais donc laisse moins bien passer les UVB. La grande carence en vitamine D s’accompagne d’une faiblesse et de douleurs musculaires avant que n’apparaissent les signes de l’avitaminose, rachitisme chez l’enfant et ostéomalacie chez l’adulte ; ils sont le reflet du manque en calcium et directement de la vitamine active. L’hypocalcémie sévère crée des paresthésies, des spasmes et de la tétanie (signe de Chvostek), jusqu’aux convulsions. Rappelons que l’hypocalcémie n’est tétanisante que si elle est accompagnée d’une baisse du calcium ionisé, non lié à l’albumine. Au cours de la grossesse, le déficit en vitamine D augmente le risque de pré-éclampsie et de faible poids du nouveau-né, voire d’infection chez l’enfant et la mère. Chez l’adulte, la carence relative en vitamine D a été corrélée à des nombreux états pathologiques, parmi lesquels le cancer (sein, prostate, côlon…), les maladies cardiovasculaires, et certaines maladies neurodégénératives, rien que cela ! Pour ces raisons, elle serait associée à un excès de mortalité. Curieusement, les excès de vitamine D sont aussi corrélés à une augmentation de la mortalité, montrant là encore que l’abus de supplémentation n’est pas anodin (voir remarque concernant la vitamine A) ; une hypercalcémie morbide est même possible. Les contradictions sur les risques et les bénéfices de la supplémentation en vitamine  D sont nombreuses et n’ont pas fini de faire couler d’encre. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2014 - N°466 //

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Je ne me risquerai pas d’entrer dans ce débat, sinon de répéter ma méfiance envers les études observationnelles, les gourous de tout poil et les diseurs de bonne ou de mauvaise fortune… Devant ces discordances, il est bien difficile de définir des valeurs normales dans le sang ; par exemple à la valeur limite de 75 nmoles/l fréquemment proposée, plus d’un milliard d’individus sur terre seraient carencés. Ce n’est guère plus simple pour les doses conseillées (de 700 à près de 10 000 UI/jour selon les pays et les sociétés savantes) ; on peut tout de même trouver des consensus pour les femmes enceintes et les personnes âgées afin de faire baisser le risque de fracture ostéoporotique chez ces dernières (tableau II).

3.3.4. Carences en vitamines C et E r La vitamine E : est l’α-tocophérol, le γ-tocophérol étant le plus courant dans le monde vivant ; ce sont des composés terpéniques à noyau chromanol peu solubles dans l’eau mais solubles dans les graisses et les solvants organiques (lipophiles). La vitamine E est un anti-radicalaire puissant en captant l’électron célibataire, et le stabilisant par résonance, électron trouvé dans les radicaux oxygénés libres R-O- (alcoolate) et R-O-O- (alcoxy), interrompant ainsi la chaîne de propagation radicalaire dans les membranes cellulaires. La vitamine E protège de la peroxydation lipidique et de ses effets délétères sur les membranes, elle protège et répare. Pour rester active, elle doit être régénérée par la vitamine C, mais à forte concentration elle présente plutôt des effets pro-oxydants. Les vitamines E et C forment le couple antioxydant le plus puissant de notre organisme, on peut leur associer le glutathion qui est dans le cycle de régénération de la vitamine C [10]. La vitamine E est retrouvée dans les germes de céréales, les fruits secs, les légumes verts, les huiles végétales, les œufs, les poissons, le lait et les laitages (tableau IV). Les carences en vitamine E sont rares ; on a documenté des déficits reliés aux maladies cardiovasculaires en accord avec la théorie oxydative de l’athérosclérose, la vitamine E protégeant de l’oxydation des acides gras, dont ceux portés dans les particules LDL (LDL oxydées). L’alimentation couvre normalement nos besoins, de plus cette vitamine est stockée dans le foie et les graisses, et semble peu détruite au niveau tissulaire. Dans l’industrie agro-alimentaire, on se sert de la vitamine E comme antioxydant alimentaire pour éviter le rancissement. En médecine, elle serait protectrice du système vasculaire (protection des membranes des cellules de l’intima, des globules rouges et des plaquettes évitant les thromboses), et préviendrait du cancer, tout comme les maladies neurodégénératives. On a déjà attribué de telles qualités à la vitamine D, et ici ce n’est guère plus étayé pour la vitamine E. Dans l’étude Suvimax, on a même dû arrêter les essais de supplémentation en vitamine E et sélénium, à cause d’une surmortalité observée dans le groupe traité [12]. Alors proposer des doses optimales de vitamine E est tout aussi compliqué que pour la vitamine D (tableau II). Une fois de plus, mangeons de tout, favorisons les légumes et les fruits, frais et secs, les huiles végétales, les poissons, sans supprimer les laitages et les œufs. Seules, à leur actuelle, les femmes enceintes et les personnes âgées peuvent bénéficier avec une grande sécurité de

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recommandations nationales basées sur des études cliniques sérieuses menées à grande échelle. r La vitamine C : est l’acide L-ascorbique, un dérivé du furanne, ressemblant fort à un sucre ce qui lui confère des propriétés hydrosolubles. Cette vitamine est très fragile en solution, détruite par la chaleur, le contact à l’air et l’exposition à la lumière ; la cuisson des aliments la détruit ; elle ne peut donc être apportée que par des aliments frais [8]. La vitamine C est nécessaire à la formation des globules rouges et à la maturation du système immunitaire. C’est un réducteur et un antioxydant, comme la vitamine E en piégeant les radicaux libres, en régénérant la vitamine E, en préservant le glutathion, et en manifestant un pouvoir réducteur sur le collagène, la DOPA et de nombreuses autres molécules oxydées. Elle est régénérée par le glutathion, la superoxyde-dismutase (SOD) et la catalase. On la trouve en quantités importantes dans les légumes verts et les fruits frais, surtout les agrumes (citron, orange, pamplemousse…) ; elle se présente essentiellement sous forme de sels, les ascorbates de sodium et de calcium (tableau IV). Les apports conseillés par l’AFSSA sont de 110 mg/jour, très faciles à obtenir avec une alimentation équilibrée, par exemple une orange peut en fournir la moitié (tableau II) ! Les besoins augmentent au cours de la grossesse et de l’allaitement, et seraient plus importants chez le fumeur. Le grand déficit en vitamine C amène au scorbut, maladie devenue très rare, mais qui a longtemps sévi sur les navires qui traversaient l’Atlantique à la découverte du Nouveau Monde avec des apports journaliers en vitamine C de moins de 10 mg. Sa surcharge (plusieurs grammes par jour) n’est pas dénuée d’effets néfastes : troubles digestifs, céphalées, calculs rénaux d’oxalates… La vitamine C est largement utilisée par automédication pour lutter contre la fatigue et le rhume ; ces effets ne sont pas totalement démontrés, en tout cas lorsqu’elle est administrée par voie orale [12]. Appliquée sur la peau, la vitamine C semble bien avoir des effets cicatrisant ; elle lutterait contre le vieillissement en protégeant la peau des UVA (topique cutané).

3.4. Carences en oligo-éléments Les sous-nutritions, tout comme les dénutritions d’origine pathologique ou médicale, s’accompagnent bien souvent de carences en oligo-éléments aux effets qui passent fréquemment inaperçus, mais dont maintenant on reconnaît l’importance. On les retrouve surtout dans l’alimentation parentérale, le kwashiorkor et les malnutritions dues à des régimes très particuliers (surtout à visée amaigrissante). r La carence en iode : est une cause d’hypothyroïdie avec son cortège de signes cliniques, des formes frustres (avec frilosité, prise de poids malgré l’anorexie, crampes et asthénie d’effort, chute des cheveux, perte intellectuelle brutale) aux formes patentes sévères à très graves (myxœdème avec infiltration de la peau et des muqueuses donnant un visage « lunaire », une grosse langue et une voix rauque, une hypo-acousie ; apathie physique et psychique, hypothermie, constipation). À l’auscultation le pouls est diminué, le réflexe achilléen est augmenté. Biologiquement, on retrouve une anémie, une hypercholestérolémie

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et une réponse plate à l’épreuve d’hyperglycémie par voie orale. Plus spécifiquement, la TSH est élevée alors que les hormones thyroïdiennes T3 et T4 sont effondrées, montrant l’hypofonctionnement de la glande thyroïde. Chez le nourrisson, le manque d’iode amènera à un mauvais développement intellectuel (QI faible, diminué de 10 à 15 points) et psychique (ralentissement psychomoteur, de la mémoire et de l’idéation…), voire un nanisme. En France, le dépistage de l’hypothyroïdie est systématique à la naissance. Longtemps le manque d’iode a été caractéristique de certaines régions montagneuses desquelles on extrayait un sel gemme pauvre en iode (Suisse, Savoie…), à l’origine de ce qu’on a appelé un « crétinisme régional » avec goitre endémique et nanisme (les nains de la montagne !). Ces troubles endémiques sont à l’origine de la supplémentation en iode en faisant consommer des sels marins naturellement riches en iode, ou des sels gemmes supplémentés artificiellement. Tous les pays n’ont pas pris de telles mesures, et le manque de sels minéraux peut rendre ces mesures inefficaces. Dans sa forme de carence en iode, la malnutrition serait la première cause de troubles mentaux dans le monde, surtout dans les villages peu accessibles des pays où la sous-nutrition est chronique ; ces zones de carence en iode sont encore mal définies, essentiellement par le déficit en mesures de dépistage, aussi à cause d’une faible médicalisation qui seule permettrait de mettre en évidence l’état d’hypothyroïdie. La carence en iode pourrait concerner près de deux milliards de personnes. Des dosages de TSH, comme cela se fait pour le dépistage néonatal, seraient utiles pour confirmer le diagnostic et mettre en place une supplémentation alimentaire ou médicamenteuse [13]. r La carence en fer : est encore plus fréquente dans le monde que celle en iode ; elle toucherait plus de 3 milliards de terriens ! Elle est la cause d’une anémie ferriprive. Les populations particulièrement à risque sont les femmes enceintes, les nourrissons et les personnes âgées, essentiellement par défaut d’apport d’aliments riches en fer. Les troubles de l’absorption intestinale peuvent aggraver ou créer une telle carence. Cette question nutritionnelle des anémies hypochromes hyposidérémiques a été longuement discutée dans un précédent numéro de la Revue Francophone des Laboratoires [14]. La biologie a une place importante à jouer dans le dépistage, en particulier par des dosages de ferritine, et de la détermination du coefficient de saturation de la transferrine dans certaines situations. L’anémie causée par le manque en fer pourrait causer la mort de plusieurs milliers de femmes enceintes dans le monde [14]. r La carence en cuivre et zinc : les métaux cuivre et zinc sont des oligo-éléments ; l’organisme adulte contient environ 100 à 150 mg de cuivre pour 2 g de zinc, soit dix à vingt fois plus de zinc que de cuivre mais deux fois moins que de fer. Cuivre et zinc (leurs cations divalents) sont des cofacteurs d’enzymes indispensables comme la lysyl-oxydase impliquée dans la synthèse du collagène, la tyrosinase impliquée dans la synthèse de la mélanine, la Cu/Zn-SOD anti-oxydante, de nombreuses oxydases à Cu2+ et métallo-protéases à Zn2+, aussi des cytochromes

à Cu2+/+ de la chaîne respiratoire. Par ailleurs, le Zn2+ est un antagoniste du Ca2+ intracellulaire, et tend à remplacer le Fe2+ comme antioxydant. Nous sommes au cœur de la chimie des métaux et alcalino-terreux divalents. Le Cu2+ est absorbé par le système DMT1 en compétition du Fe2+ au niveau stomacal et duodénal [15]. Il est transporté par la céruléoplasmine plasmatique et l’hémocupréine des hématies, leur procurant des propriétés ferroxydasiques (oxydation du fer) : Fe2+ + Cu2+ « Fe3+ + Cu+ d’où ses propriétés anti-oxydantes. Le cuivre et le zinc sont éliminés par voie biliaire avec un cycle entéro-hépatique, d’où des besoins quotidiens très faibles. On peut les doser dans le plasma, les hématies (sang total) et les urines (de 24 h) qui normalement n’en contiennent que des traces. La méthode de dosage de référence est la spectrométrie d’absorption atomique, mais en biochimie on utilise maintenant essentiellement des techniques complexométriques colorimétriques. Pour chacun de ces cations, les valeurs usuelles plasmatiques sont comprises entre 10 et 20 μmoles/L. La cause première d’hypocuprémie est la maladie de Wilson, maladie génétique autosomique récessive, puis on trouve des causes secondaires comme le syndrome néphrotique par fuite protéique urinaire et les déperditions protéiques intestinales (syndromes exsudatifs), et bien sûr les dénutritions chroniques par défaut d’apport alimentaire en protéines et sels minéraux, dont l’alimentation parentérale, les régimes, l’anorexie mentale et les cancers, causes retrouvées pour les carences en zinc. Les causes iatrogènes ne sont pas rares sous nos latitudes, comme après traitement par laxatifs ou diurétiques voire la dialyse. Le manque de cuivre se signale par des symptômes qui rappellent la maladie de Wilson avec hépatomégalie, voire hépatite, des signes neurologiques avec mouvements anormaux et troubles du comportement. Le déficit en zinc est relié à des troubles cutanés, digestifs et immunitaires, avec modification du goût et de l’odorat. Le rare déficit héréditaire en zinc se singularise par une acrodermatite entéropathique [13]. rLa carence en sélénium : le sélénium (Se) fait partie du groupe VI.B de la classification de Mendeleïev sous le soufre (S) et présente donc la même valence de 2, mais on trouve dans la nature des sels de sélénium ionisés de -2 à +6. C’est un oligo-élément essentiel dont les apports sont réglés par la nature des sols. Il existe des zones sélénifères (riches en Se) et d’autres séléniprives (pauvres en Se). Le Se minéral (ions sélénates surtout) est utilisé par les plantes qui le transforment en Se organique : séléno-protéines en remplacement de l’atome de S par Se, surtout dans la méthionine (séléno-Met). Les animaux consommateurs de ces plantes stockent le Se dans leurs sélénoprotéines (Met et Cys). La séléno-Met est la plus assimilable par les herbivores par un mécanisme de transport intestinal spécifique à la méthionine. Pour l’organisme humain, le plus facilement assimilable est le trisulfure de Se trouvé dans les viandes (forme de stockage), et donc pas directement à partir des plantes. Le Se est transporté par l’albumine pour rejoindre la principale séléno-enzyme du globule rouge, la glutathion-peroxydase (GPX) ; il est éliminé dans les urines sous forme d’ion triméthylsélénium. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - NOVEMBRE 2014 - N°466 //

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On peut le doser dans le plasma, les hématies et les urines par spectrométrie d’absorption atomique ou complexométrie fluorimétrique. La sélénémie du plasma ou du sang total est de 0,1-1 μmole/L dans les zones séléniprives, et 1-6 μmoles/L dans les zones sélénifères ; elle est corrélée à l’activité GPX du sang. Les déficits en Se sont essentiellement acquis ; ils posent un problème économique puisqu’ils sont fréquents chez les animaux herbivores de notre alimentation carnée. On supplémente en sels de Se l’alimentation des herbivores des régions aux sols pauvres en Se. Sans cela un syndrome de carence peut se développer, comme en Chine, appelé maladie de Keshan avec le développement d’une cardiopathie endémique sur des sols séléniprives, qui a amené à supplémenter l’alimentation systématiquement. On trouve des déficits en Se dans les alimentations parentérales, chez les enfants sous régime adapté à leur maladie métabolique, comme la phénylcétonurie, aussi dans le kwashiorkor, ainsi que dans l’alcoolisme par malabsorption intestinale [13]. On peut retrouver chez l’homme une cardiomyopathie évoluant vers l’insuffisance cardiaque, une immunodéficience menant à une sensibilité aux affections virales et au cancer, des troubles de la fertilité masculine par faible motilité des spermatozoïdes, des affections rhumatismales et neurodégénératives, enfin l’athérosclérose par défaut des protections anti-oxydantes. Aux États-Unis, on supplémente l’alimentation dans les zones sub-carentielles en espérant prévenir les accidents cardiovasculaires, les cancers, les infections virales comme aux VIH et VHB, la sclérose en plaques et la maladie d’Alzheimer. Cela ne semble pas nécessaire en Europe, mais que sait-on de ces pays en développement où on ne connaît même pas le statut en Se des sols et des troupeaux ?

4. La sous-nutrition 4.1. Conséquences On peut parler de sous-nutrition quand l’alimentation n’est pas même capable de fournir la nourriture suffisante pour répondre aux besoins énergétiques minimum. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 20 000 personnes meurent chaque jour des effets de la sous-nutrition et près d’un milliard par an en mouraient par les conséquences chroniques, au nom desquelles les principales causes sont les carences en protéines, sels minéraux et vitamines A, D, B9 et B12, ainsi que les déficits en iode, fer et zinc (les micronutriments). Le nombre d’individus mal nourris ne cesse d’augmenter, il est passé de 843 millions en 1990 à 923 millions en 2008, par contre le pourcentage d’individus sous-alimentés est en baisse depuis les années 1970. L’Afrique sub-saharienne et tropicale est la plus touchée, mais on trouve des zones noires en Asie centrale et du Sud-Est ainsi qu’à l’ouest de l’Amérique du Sud. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la sousnutrition est la plus grande cause de mortalité infantile. Chez les enfants de moins de 2 ans, elle est irréversible ; les enfants malnutris accumulent les problèmes de santé, et leurs propres enfants présenteront des petits poids à la naissance, comme quoi la malnutrition est une maladie transmissible ! Les femmes sont particulièrement touchées,

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donc leur progéniture. Les conséquences économiques sont énormes puisque cette portion de l’humanité mal nourrie ne peut pas participer à la marche du progrès. Quand on a faim on n’est guère capable de travailler ni de subvenir aux besoins de sa famille et de ses enfants, bien sûr on a aucune envie de participer à la vie sociale et politique ; les affamés ne sont représentés dans aucune instance et n’ont pas le pouvoir de s’exprimer.

4.2. Causes Les causes sont multiples, complexes et intriquées. C’est l’inaccessibilité à la nourriture qui prédomine, tout d’abord d’origine économique, quand la nourriture est disponible mais trop chère, et l’inaccessibilité physique quand la nourriture n’est pas disponible comme suite à une grande sécheresse ou à un déplacement de populations. Les politiques économiques tiennent un rôle important. Dans un système de libre marché, les prix sont définis par l’offre et la demande ; quand le prix des aliments augmente, les populations les plus pauvres ne peuvent plus acheter ces denrées alimentaires. L’augmentation du niveau de vie fait pression sur la demande alimentaire, les amenant à la hausse tarifaire, tout comme l’augmentation de la population. Les deux causes peuvent se conjuguer ; cela s’est vu manifestement ces dernières décennies en Inde et en Chine, avec l’augmentation de la consommation de viandes par l’élévation du niveau de vie. À ces causes directes s’ajoutent les pressions exercées par le prix des biocarburants et la spéculation. Avec la crise pétrolière, les biocarburants deviennent rentables déplaçant une partie de la production végétale vers eux plutôt que vers les circuits alimentaires. La spéculation joue un rôle crucial, puisqu’elle cache à la vente une partie de la production des denrées alimentaires. On peut ajouter dans cet échiquier les concurrences exercées entre les États protégeant leur marché et la mondialisation qui a augmenté les coûts de transport. L’inaccessibilité physique est largement due à l’urbanisation effrénée des pays du Sud déplaçant les populations rurales vers les villes en les privant des terrains de production agricole traditionnelle. La pauvreté des campagnes est elle-même la cause de cette fuite vers la ville. Dans les pays pauvres du Sud, les infrastructures de stockage sont déficientes, tout comme les moyens de transport, la pluie peut faire défaut pendant de long mois gageant la production agricole, faute de structures d’irrigation, aussi de matériels agricoles modernes. Les guerres et les grandes catastrophes naturelles viennent rompre les équilibres alimentaires précaires, créant des déplacements des populations encore plus soumises aux aléas économiques et de l’accessibilité physique.

4.3. Signes cliniques Ils sont liés à l’hypercatabolisme protéique avec faiblesse musculaire, retard de croissance chez l’enfant et le fœtus, hypothermie, troubles du sommeil, baisse de l’appétit sexuel, sensation impérieuse de faim et de soif. S’ajoutent des troubles gastro-intestinaux surtout liés à la piètre qualité des eaux de boisson et de lavage des aliments. On pourra retrouver des troubles cutanés, cardiaques et psychiques dont certains sont plutôt dus à des carences en vitamines et micronutriments.

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4.4. Mécanismes en cause et conséquences physiologiques Les réserves en glucides sont vite consommées pour fournir le glucose aux muscles et autres organes, et le restockage en glycogène journalier est insuffisant pour assurer les mouvements physiques et le fonctionnement optimal des organes. Les réserves de lipides, stockées dans le tissu adipeux blanc, vont diminuer progressivement en assurant un apport énergétique par la libération d’acides gras et de glycérol. Là encore, si les lipides ne sont pas renouvelés, les réserves de graisses vont s’épuiser. On va voir apparaître des corps cétoniques par activation de la cétogenèse ; le métabolisme de base s’abaisse [5]. Lorsque toutes les réserves en glucides et lipides sont consommées, l’organisme dégrade les protéines, notamment des cellules musculaires et du foie, d’où la perte progressive en masse musculaire dans la dénutrition sévère, avec faiblesse musculaire et amaigrissement, la cachexie. Les muscles abdominaux ne peuvent plus supporter le poids des viscères, provoquant un gonflement du ventre, qui s’associe à l’épanchement d’ascite dans la cavité péritonéale par défaut en albumine plasmatique d’origine hépatique. Les hypoglycémies sont fréquentes ; la croissance est retardée ; une anémie s’installe ; la synthèse des stéroïdes est ralentie d’où des aménorrhées, une perte d’attirance sexuelle, une perte des sensations de goût et de satiété. Des troubles neuromusculaires, neurologiques et thermiques s’installent, jusqu’à l’inanition et la mort.

4.5. Effets psychologiques La sous-alimentation a des effets psychologiques non négligeables. À ce titre on peut relier une irritabilité, une névrose avec la triade « dépression, hystérie, hypochondrie », une apathie morale jouant sur l’appétit sexuel autant que les causes physiques. S’ajoutent de l’angoisse, la honte d’être un sous-homme, un mauvais père ou une mère indigne de ses enfants, un être qui ne sert à rien, un poids pour les autres, la honte de fouiller les poubelles quand l’affamé y

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est réduit. Les hallucinations nocturnes sont fréquentes, avec des visions de tables couvertes de mets appétissants, des rêves d’orgies alimentaires…

4.6. Épidémiologie La part des victimes de la faim serait de 17 % de la population mondiale, taux plutôt en régression depuis 20 ans. Les pays les plus touchés sont ceux en guerre ou qui viennent d’en sortir, en particulier en Afrique (surtout sub-saharienne) et au Proche-Orient où se rencontrent guerres, épidémies, sécheresse et cataclysmes. La faim invisible y est masquée par la sous-alimentation ; elle concerne les déficits quantitatifs vus ci-dessus, surtout en fer, en iode, en vitamine A et vitamine B12. Les enfants et les femmes sont particulièrement touchés. L’UNICEF accorde des financements et des aides pour distribuer les micronutriments essentiels. Les gouvernements et de nombreuses organisations privées (ONG entre autres) tentent d’éliminer ces carences. De grands efforts sont réalisés pour fournir des laits riches en énergie ou supplémentés en micronutriments. Parmi les dernières crises alimentaires de la décennie qui ont nécessité la mise en place de mesures sanitaires et nutritionnelles, on peut rappeler le tsunami qui a dévasté les côtes du Sri Lanka et de l’Indonésie en 2004, les crises alimentaires escortées de révoltes contre la faim en 2008 dans les pays du Sud, Afrique et Asie surtout, le séisme qui a ravagé Haïti en 2010, une sécheresse sans précédent dans la corne de l’Afrique en 2011 et particulièrement grave l’année d’après au Sahel, enfin en 2013, un typhon qui a frappé avec une rare violence les Philippines, bien sûr sans vouloir être exhaustif. Espérons que notre siècle verra disparaître cette injustice qui porte honte à celui qui la subit et à ceux qui l’infligent ou ne font rien pour l’endiguer. Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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