Philippe Letonturier
É
C H A N G E S
Panorama
Mieux connaître l’évolution des cancers de la prostate
© BSIP/Phototake/Margulies
Tout d’abord, est posée une question dont l’importance ne saurait échapper : quelle est la limite supérieure normale des taux d’antigène spécifique de la prostate (PSA)? On pense généralement qu’un taux de PSA ≤ 4,0 ng/mL est normal. Or, une étude entrant dans le cadre de l’essai Prostate Cancer Prevention Trial a montré que chez 15,2 % des hommes âgés de 62 à 91 ans n’ayant jamais eu un taux de PSA supérieur à 4,0 ng/mL durant 7 ans de surveillance, une biopsie de prostate révélait l’existence d’un cancer (N Engl J Med 2004 ; 350 : 2 239-46). Cette prévalence du cancer était de 6,6 % chez des hommes dont le taux de PSA était inférieur à 0,5 ng/mL et il allait jusqu’à 26,9 % chez ceux dont les taux étaient compris entre 3,1 et 4,0 ng/mL. En outre, 15 % de ces cancers étaient de haut grade: 12,5 % pour ceux avec taux de PSA inférieur ou égal à 0,5 ng et 25 % pour ceux avec taux de PSA entre 3,1 et 4,0 ng/mL. Faut-il, suite à ces résultats, envisager des biopsies prostatiques en cas de taux inférieurs, au seuil de 4,0 ng/mL ? H.B. Carter (département d’urologie, John Hopkins School of Medicine, Baltimore) pense que non, considérant notamment que,avec les traitements actuels, il n’y a pas de preuve que le pronostic des cancers détectés alors que les taux de PSA sont ≤ 4 ng/mL soit meilleur que
31 juillet 2004 • tome 33 • n°13
celui des cancers détectés avec des taux supérieurs (N Engl J Med 2004; 350: 2292-4). En outre, il est rappelé que la prévalence des cancers prostatiques à l’autopsie d’hommes de 50 à 90 ans est de 15 à 60 %,augmentant avec l’âge, or 90 % des hommes âgés de 50 à 90 ans ont des taux de PSA ≤ 4 ng/mL; ainsi nombre d’hommes avec de tels taux ont un cancer de la prostate. À méditer… Concernant les biopsies prostatiques guidées par sonde à ultrasons transrectale, l’attention est attirée sur le fait qu’il s’agit d’une technique invasive, douloureuse, nécessitant souvent d’être répétée (Lancet 2004 ; 363:1840-1).La pratique de ces biopsies est de plus en plus fréquente, mais leur rôle dans le dépistage et la surveillance des cancers prostatiques risque d’être mis en danger si une technique standardisée d’analgésie n’est pas mise au point.
DES DONNÉES SUR L’ÉVOLUTION DES CANCERS PROSTATIQUES
Sans connaissance précise de l’histoire naturelle des cancers prostatiques localisés diagnostiqués à un stade précoce, la prise en charge des patients est difficile. On sait que même sans traitement initial, seul un petit nombre de patients dont le cancer a été diagnostiqué à un stade clinique précoce meurt de ce cancer dans les 10 à 15 années qui suivent. Mais on ne sait pas ce que deviennent les survivants à plus long terme. D’un autre côté, il a été montré qu’après prostatectomie radicale, il y avait réduction du taux de mortalité des cancers détectés à un stade précoce (de l’ordre de 50 %). Afin de connaître plus précisément l’évolution à long terme des cancers prostatiques non traités dépistés à un stade précoce, une étude a été effec-
tuée en Suède, avec un suivi de 21 ans,de 223 patients (JAMA 2004;291: 2713-19). Il est conclu que si la plupart des cancers diagnostiqués à un stade précoce restent silencieux, il peut y avoir à long terme une progression tumorale locale et des métastases.Des constatations qui peuvent conduire à un traitement radical précoce, notamment chez des patients dont l’espérance de vie est supérieure à 15 ans. L’intérêt de cette étude réside notamment dans la longue durée du suivi après le diagnostic et le traitement, une telle durée devant être considérée comme une nécessité avant toute conclusion (JAMA 2004; 291: 2757-8). Pour tenter de prévoir l’évolution des cancers prostatiques localisés après prostatectomie radicale,une information utile peut être fournie par certains paramètres évalués avant l’intervention. Ainsi, un taux élevé de PSA au moment du diagnostic (p = 0,01),un score de Gleason (coté de 2 à 10 et additionnant les grades de 2 zones représentatives de la tumeur) de 8 à 10 (p = 0,02) et un stade clinique tumoral à T2 (p < 0,001) permettent de prédire un décès plus précoce. Surtout, dans cette étude concernant 1095 hommes ayant un cancer prostatique localisé (N Engl J Med 2004;351:125-35),une augmentation du taux de PSA de plus de 2 ng/mL dans l’année précédant le diagnostic s’accompagne, 7 ans après la prostatectomie, d’un risque significativement supérieur de décès par cancer (p < 0,01) ou par n’importe quelle cause (p = 0,01). La détermination de cette vitesse d’augmentation préopératoire du taux de PSA peut être l’élément clé pour décider d’une surveillance ultérieure particulièrement attentive (N Engl J Med 2004; 351: 180-1). ■
La Presse Médicale - 907