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Mortalité maternelle Timothy Rowe, MB BS, FRCSC Rédacteur en chef
L
a mort de la mère constitue de toute évidence le plus horrible des incidents pouvant survenir pendant la grossesse, le travail et l’accouchement. La fausse couche, la mortinaissance et le décès néonatal sont également des incidents malheureux, voire tragiques; toutefois, peut-être en raison du fait que ces issues ne sont pas particulièrement rares et qu’elles représentent une perte qui est plus potentielle que tangible, elles sont envisagées avec moins d’effroi que la mortalité maternelle. La faiblesse du taux de mortalité maternelle que l’on constate au sein des pays développés fait spectaculairement contraste avec les taux catastrophiquement élevés que l’on constate au sein de certains pays en développement ou ne disposant que de faibles ressources; ces taux sont d’ailleurs principalement à l’origine de l’inclusion de la mortalité maternelle dans la déclaration du millénaire des Nations Unies (objectif du millénaire pour le développement n° 5).
Cet objectif vise l’atteinte d’une baisse du taux mondial de mortalité maternelle de l’ordre de 75 % entre 1990 et 20151. Bien que le progrès vers l’atteinte de cet objectif ait d’abord été lent, l’analyse de la mortalité maternelle dans 181 pays entre 1980 et 2006 qui a été publiée en mai 20102 a, dans une certaine mesure, ravivé notre optimisme : les auteurs de ce rapport en sont venus à la conclusion que nous avions bel et bien connu un progrès substantiel, quoique varié, à ce chapitre. Bien que l’évolution de la situation se soit avérée encourageante dans certains pays (particulièrement l’Égypte, la Chine, l’Équateur et la Bolivie), nous avons assisté à une hausse de la mortalité maternelle, largement associée à l’infection au VIH, en Afrique subsaharienne. Il est regrettable de constater que le rapport de 2010 a indiqué que seulement 23 des 181 pays couverts par l’analyse se trouvaient en position de pouvoir obtenir une baisse de 75 % du taux de mortalité maternelle.
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L’OMS a décrit ce qu’elle estime être les plus importantes interventions efficaces pour réduire le taux de mortalité maternelle au sein des pays en développement3,4. Parmi celles-ci, on trouvait des recommandations telles que l’accès à des services de planification familiale et à des avortements sûrs; on y trouvait également l’offre de services de soins prénatals intégrés (conformes aux protocoles nationaux) qui nécessitent la disponibilité de professionnels de la santé expérimentés et un système d’orientation fonctionnel comptant des services fiables de communication et d’ambulance. Dans de nombreux pays en développement, ces services ne sont pas considérés comme étant hautement prioritaires5. Cependant, ils le sont au Canada; voilà pourquoi la mortalité maternelle y constitue un événement rare. Quoique rare, ce type de mortalité demeure présent et des rapports de l’OMS fondés sur les statistiques de l’état civil ont indiqué une hausse des taux canadiens de mortalité maternelle, soit de 6 par 100 000 naissances vivantes en 1990 à 12 par 100 000 naissances vivantes en 20086. Cette tendance est troublante, de prime abord; il est concevable qu’elle puisse indiquer le déclin de la norme de diligence ou une hausse des complications insolubles de la grossesse, ou les deux. Cependant, elle pourrait également ne refléter qu’une hausse du nombre des décès maternels identifiés comme tels, soit une interprétation beaucoup plus acceptable des constatations de l’OMS. Dans le présent numéro du JOGC, Sarka Lisonkova et coll. du Groupe d’étude sur la santé maternelle du Système canadien de surveillance périnatale signalent les résultats de deux études menées pour déterminer si les tendances temporelles de mortalité maternelle décrites par l’OMS étaient réelles ou artéfactuelles7,8. Les constatations de l’OMS, fondées sur les statistiques de l’état civil, disparaissaient lorsque les tendances temporelles de la mortalité maternelle étaient évaluées au moyen des données de l’hospitalisation. Lisonkova et coll. n’ont constaté aucun signe d’une hausse de la mortalité maternelle entre 1996 et OCTOBER JOGC OCTOBRE 2011 l 991
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2007, et en ont conclu que les hausses du taux de mortalité maternelle constatées au moyen des statistiques de l’état civil reflétaient une amélioration de la détermination du décès maternel. Ainsi, il est préférable d’utiliser les données de l’hospitalisation pour évaluer les tendances de la mortalité maternelle au Canada; de plus, les données de l’hospitalisation sont continuellement mises à jour et plutôt faciles d’accès, contrairement aux statistiques de l’état civil. Nous ne devrions pas penser que les Canadiennes bénéficient de soins sous-optimaux, lorsque cela ne s’avère pas le cas. Petite parenthèse : bien que le « taux de mortalité maternelle » soit défini comme étant le nombre de décès maternels constatés au cours d’une période donnée par 100 000 femmes en âge de procréer (de 15 à 49 ans)9, ce concept n’est pas couramment utilisé à titre de mesure de la mortalité maternelle puisqu’il n’indique pas de façon fiable la probabilité de décès une fois la grossesse constatée. Le « rapport de mortalité maternelle » est le nombre de décès maternels constatés au cours d’une période donnée par 100 000 naissances vivantes et constitue la mesure la plus couramment utilisée. Cependant, le calcul utilisé pour déterminer le rapport de mortalité maternelle est de plus en plus considéré comme étant celui qui détermine le taux de mortalité maternelle (par exemple, par l’Organisation de Coopération et de Dévelopment Économiques10); de surcroît, dans la plupart des cas, le terme « taux de mortalité maternelle » exprime le nombre de décès maternels par 100 000 naissances vivantes. L’absence d’une tendance temporelle en matière de mortalité maternelle au Canada (que ce soit à la hausse ou à la baisse) évoque la possibilité que nous ayons abaissé le potentiel de prévention de la mortalité à sa limite absolue. Toutefois, d’autres pays (qui, cependant, ne font pas face aux défis géographiques et à l’hétérogénéité culturelle du Canada) présentent régulièrement des taux moindres de mortalité maternelle2. Lisonkova et coll. émettent l’hypothèse selon laquelle une hausse du taux de létalité associé à la sepsie puerpérale aurait pu empêcher le déclin du taux canadien de mortalité maternelle au cours de la dernière décennie7. Si tel est le cas, nous nous devons de redoubler de vigilance dans la prévention de la sepsie puerpérale et de faire preuve de plus d’agressivité dans sa prise en charge si nous souhaitons abaisser davantage les
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taux de mortalité. Au-delà de la prévention de l’infection, les données laissent entendre que nous devons faire preuve de vigilance envers les maladies cardiovasculaires, les incidents vasculaires cérébraux, l’embolie obstétricale et l’hémorragie postpartum. Comme l’a auparavant indiqué le Groupe d’étude sur la santé maternelle11, les données qui s’avéreront les plus utiles pour nous aider à abaisser le taux de mortalité maternelle au Canada seront issues des études portant sur la morbidité maternelle grave, et ce, en raison du fait que la morbidité grave est plus courante que la mortalité maternelle et que ces études nous permettront de connaître les stratégies qui permettent réellement de prévenir les décès. Une évaluation détaillée de ces incidents « évités de peu » nous permettra de mieux orienter nos efforts. La grossesse ne devrait pas constituer un état potentiellement mortel. RÉFÉRENCES 1. Programme des Nations Unies pour le développement. Millennium Development Goals. Disponible à : http://www.undp.org/mdg/goa15.shtml. Consulté le 7 août 2011. 2. Hogan MC, Foreman KJ, Naghavi M, Ahn SY, Wang M, Makela SM et coll. « Maternal mortality for 181 countries, 1980–2008: a systematic analysis of progress towards Millennium Development Goal 5 », Lancet, vol. 375, 2010, p. 1609–23 3. WHO Technical Consultation on Postpartum and Postnatal Care. Disponible à : http://whqlibdoc.who.int/hq/2010/WHO_MPS_10.03_eng.pdf. Consulté le 7 août 2011. 4. Packages of interventions for family planning, safe abortion care, maternal, newborn and child health. Disponible à : http://whqlibdoc.who.int/hq/ 2010/WHO_FCH_10.06-eng.pdf. Consulté le 7 août 2011. 5. Rosenfield A, Maine D. « Maternal mortality—a neglected tragedy. Where is the M in MCH? », Lancet 1985;2(8446):83–5. 6. Organisation mondiale de la santé. Trends in maternal mortality: 1990 to 2008. Disponible à : http://whqlib.who.int/ publications/2010/97892411500265_eng.pdf. Consulté le 7 août 2011. 7. Lisonkova S, Bartholomew S, Rouleau J, Liu S, Liston RM, Joseph KS. « Temporal trends in maternal mortality in Canada I: Estimates based on vital statistics », J Obstet Gynaecol Can, vol. 33 no 10, 2011, p. 1011–9. 8. Lisonkova S, Liu S, Bartholomew S, Liston RM, Joseph KS. « Temporal trends in maternal mortality in Canada II: Estimates based on hospitalization data », J Obstet Gynaecol Can, vol. 33 no 10, 2011, p. 1020–30. 9. Organisation mondiale de la santé. Maternal Mortality in 2005. Disponible à : http://www.who.int/whosis/mme_2005.pdf. Consulté le 7 août 2011. 10. Organisation de coopération et de développement économiques. OECD Glossary of Statistical Terms. Disponible à : http://stats.oecd.org/glossary/ detail.asp?ID=1630. Consulté le 7 août 2011. 11. Liu S, Joseph KS, Bartholomew S, Fahey J, Lee L, Allen AC et coll. « Temporal trends and regional variations in severe maternal morbidity in Canada, 2003 to 2007 », J Obstet Gynaecol Can, vol. 32, 2010, p. 847–55.