Occlusion de la veine centrale de la rétine et hypoplasie de l’artère carotide interne : à propos d’un cas

Occlusion de la veine centrale de la rétine et hypoplasie de l’artère carotide interne : à propos d’un cas

Journal français d’ophtalmologie (2010) 33, 52.e1—52.e5 CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE Occlusion de la veine centrale de la rétine et hypoplasie de l’art...

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Journal français d’ophtalmologie (2010) 33, 52.e1—52.e5

CAS CLINIQUE ÉLECTRONIQUE

Occlusion de la veine centrale de la rétine et hypoplasie de l’artère carotide interne : à propos d’un cas夽,夽夽 Central retinal vein occlusion and internal carotid artery hypoplasia: a case report H. Mazlout ∗, S. Trojet , A. Toumi , S. Kefi , K. Ben Kacem , H. Nouhaili , R. Dkhillali , M.A. Afrit , A. Kraiem Service d’Ophtalmologie, Hôpital Habib Thameur, Tunis, 1002 Tunisie Rec ¸u le 8 janvier 2009 ; accepté le 19 octobre 2009 Disponible sur Internet le 22 d´ ecembre 2009

MOTS CLÉS Occlusion ; Veine ; Rétine ; Hypoplasie-carotide interne

Résumé Introduction. — L’occlusion veineuse de la rétine est habituellement rencontrée chez le sujet âgé et elle est souvent associée à une pathologie vasculaire systémique. Elle est plus rare chez les sujets jeunes et nécessite une enquête étiologique rigoureuse afin de rechercher une affection qui peut conditionner la conduite thérapeutique ou mettre en jeu le pronostic vital. Observation. — Nous rapportons le cas d’une femme, âgée de 26 ans, sans antécédents pathologiques, chez qui une occlusion de la veine centrale de la rétine fut découverte à l’occasion d’une baisse brutale de la vision de l’œil droit qui était réduite à la perception lumineuse. L’examen du fond d’œil et l’angiographie rétinienne à la fluorescéine ont montré une occlusion de la veine centrale de la rétine de type œdémateux. À l’imagerie radiologique, étaient notés un rétrécissement du canal carotidien osseux droit probablement congénital et une réduction du calibre de l’artère carotide commune et de l’artère carotide interne droites. L’évolution fut favorable sans aucun traitement, avec une remontée de l’acuité visuelle à 8/10e .

夽 Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le site de formation médicale continue du Journal franc ¸ais d’Ophtalmologie www.e-jfo.fr, sous la rubrique Cas clinique (consultation gratuite pour les abonnés). 夽夽 Version intégrale disponible en ligne sur ScienceDirect, www.sciencedirect.com. ∗ Auteur correspondant. Service d’Ophtalmologie, Hôpital Habib Thameur, rue Ali Ben Ayed Montfleury, 1008, Tunis Bab Mnara Tunis, 1002 Tunisie. Adresse e-mail : [email protected] (H. Mazlout).

0181-5512/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jfo.2009.11.007

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H. Mazlout et al. Conclusion. — Le bilan étiologique de l’occlusion veineuse de la rétine chez le jeune doit être exhaustif et doit s’acharner à trouver une étiologie. Le pronostic visuel est variable et dépend de la pathologie sous-jacente. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Central retinal vein; Occlusion; Internal carotid artery; Hypoplasia

Summary Introduction. — Retinal vein occlusion is usually encountered in the elderly and is often associated with systemic vascular disease. It is rarer in young subjects and requires a serious etiological search to best adapt the treatment. Observation. — We report the case of a central retinal vein occlusion (CRVO) in a 26-year-old patient who had no pathological history, discovered at a sudden decline of vision in the right eye, reduced to light perception. Fundus examination and retinal angiography showed an edematous CRVO. Radiologic imaging revealed a narrowing of the right carotid canal, probably congenital, and a reduction in the size of the right common carotid artery and internal carotid artery. Progression was favorable without treatment, and visual acuity improved to 8/10. Conclusion. — The etiological investigation in retinal vein occlusion in young people must be exhaustive. The visual prognosis is variable and may depend on the etiology. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction L’occlusion veineuse de la rétine est habituellement rencontrée chez le sujet âgé et elle est souvent associée à une pathologie systémique ou oculaire. Elle est plus rare chez le sujet jeune [1]. C’est une cause fréquente de baisse de la vision plus ou moins profonde [2]. La recherche de l’étiologie sous-jacente est capitale car elle peut révéler une pathologie qui peut mettre en jeu le pronostic vital et conditionner la conduite thérapeutique.

Observation Une jeune femme de 26 ans, sans antécédents ophtalmologiques ni autres antécédents pathologiques, a consulté, en mai 2006, pour une baisse importante de la vision de l’œil droit, d’installation brutale, sans autres signes associés. L’examen ophtalmologique de l’œil droit a trouvé une acuité visuelle réduite à la perception lumineuse. Le segment antérieur et le tonus oculaire étaient normaux. L’examen du fond d’œil a mis en évidence une occlusion veineuse centrale de la rétine (OVCR) avec dilatation veineuse, hémorragies rétiniennes disséminées en flammèche, œdème papillaire et œdème maculaire. L’examen de l’œil gauche était sans anomalies. L’angiographie rétinienne à la fluorescéine a montré un retard de remplissage veineux, des dilatations et des tortuosités des veines rétiniennes, un œdème papillaire majeur, un œdème maculaire cystoïde, ce qui a permis de conclure à une occlusion de la veine centrale de la rétine de type oedémateux à l’œil droit (Fig. 1). Une OCT a été réalisée et a mis en évidence des petites logettes d’œdème maculaire cystoïde de l’œil droit. Le bilan biologique était normal. Il a comporté un bilan inflammatoire (vitesse de sédimentation, NFS avec plaquettes, fibrinémie), un bilan lipidique, une glycémie à jeun, un bilan phosphocalcique, un dosage de l’enzyme de conversion, une éléctophorèse des protéines, une immunoéléctrophorèse, une cryoglobulinémie, un bilan

d’hémostase avec temps de prothrombine, temps de céphaline activée, protéine S, protéine C, anti-thrombine III et homocystéinémie. Un bilan immunologique a également été réalisé : anticorps anti-nucléaires, anti-phospholipides, anti-cardiolipines, anti-DNA, anti-SSA, anti-SSB, anti-Sm, anti-Sm/RNP, anti-scl 70, facteur rhumatoïde, ainsi qu’un bilan infectieux : IDR à la tuberculine, sérologie de la syphilis et sérologie HIV. La radiographie du thorax était sans anomalies. Le bilan cardiovasculaire avec un examen cardiologique, un ECG et une échographie cardiaque était normal. Une imagerie par résonnance magnétique (IRM) (Fig. 2) et une angioRM cérébrales (Fig. 3) ont également été réalisées et ont objectivé une réduction du calibre de l’artère carotide commune droite avec importante réduction de l’artère carotide interne droite au-delà du bulbe carotidien évoquant une hypoplasie carotidienne. La tomodensitométrie des rochers a montré un rétrécissement régulier du canal carotidien osseux d’origine très probablement congénitale. L’écho doppler des troncs supra-aortiques a confirmé la réduction du calibre de l’artère carotide commune droite sans trouver de signe de sténose hémodynamiquement significative. Elle a également retrouvé l’hypoplasie de l’artère carotide interne droite avec des vitesses ralenties. Sur le plan ophtalmologique, on s’est résolu à surveiller la patiente rigoureusement, sans la mettre sous aucun traitement. Une surveillance cardiologique a également été instaurée. L’évolution a été favorable en 6 mois avec récupération d’une acuité visuelle à 8/10e , régression de l’œdème maculaire et disparition des hémorragies rétiniennes.

Discussion L’OVCR du jeune adulte est une affection plutôt rare (7,5 à 19,8 % des OVCR selon la littérature [1]) mais c’est une cause importante de baisse de l’acuité visuelle.

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Figure 1. (a) Cliché anérytre : hémorragies rétiniennes en flammèche disséminées, œdème papillaire. (b) Cliché précoce : retard de remplissage veineux, dilatation et tortuosité veineuses, hémorragies rétiniennes disséminées. (c) Cliché tardif : œdème papillaire, œdème maculaire.

Figure 2. IRM cérébrale : une réduction du calibre de l’artère carotide commune droite.

Les facteurs de risque de l’OVCR chez le jeune (pathologie cardiovasculaire, hématologique, hémostatique, auto-immune, dyslipidémie, diabète, migraine, tabac, contraception hormonale. . .) ne semblent pas dépasser la prévalence retrouvée dans la population de cet âge [3,4]. L’atteinte est généralement unilatérale [3], ce qui est le cas dans cette observation.

L’aspect clinique est superposable à celui de l’OVCR du sujet âgé, avec présence d’un œdème papillaire, de veines tortueuses et dilatées, d’hémorragies rétiniennes [3]. Cette pathologie pose, surtout chez le jeune, un problème étiologique, qui conditionne le pronostic visuel et peut être vital. L’inflammation de la veine centrale de la rétine a été proposée comme une cause d’occlusion chez le jeune adulte, d’où son appellation papillophlébite [1]. Ce processus inflammatoire est surtout fréquent dans le cadre des collagénoses notamment le lupus érythémateux systémique [1] (en particulier quand il s’associe à un syndrome des anti-phospholipides [2]) ainsi que dans les vascularites [4]. Dans le cas étudié, aucun signe en faveur d’une vascularite ou une pathologie systémique auto-immune n’a été rapporté ni cliniquement, ni biologiquement, ni au cours de l’évolution. L’association à une pathologie vasculaire systémique est moins fréquente chez les patients de moins de 50 ans présentant une OVCR. D’ailleurs, leur prévalence chez ces sujets est similaire à la population générale. Mais il est certain que l’hypertension artérielle et le diabète sont des facteurs de risque importants quand ils sont présents. Il en est de même pour l’hyperlipidémie. Une autre étiologie doit être recherchée chez le jeune, ce sont les anomalies de la crase sanguine : l’hypercoagulabilité (anomalies plaquettaires, anomalies des facteurs de la coagulation, déficit en facteurs anticoagulants. . .), l’hyperviscosité sanguine et les troubles de la crase sanguine (anémie, leucémies, dysprotéinémie,

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Figure 3. Angio IRM : Importante réduction de l’artère carotide interne droite au-delà du bulbe carotidien évoquant une hypoplasie carotidienne.

myélome multiple. . .). Ces pathologies sont responsables d’une stase veineuse qui peut expliquer la survenue de l’occlusion. La recherche d’un trouble du contenu sanguin ainsi qu’une hypertension artérielle ou un diabète est primordiale pour le bilan étiologique chez le jeune surtout si l’OVCR est bilatérale [1]. La recherche d’une pathologie de l’artère carotide s’avère nécessaire chez le sujet âgé notamment un rétrécissement de son calibre par l’athérosclérose, le mécanisme physiopathologique dans l’OVCR serait expliqué par une réduction de la perfusion et une stase veineuse (hypothèse à prouver) [1]. L’athérose carotidienne est exceptionnellement incriminée chez le jeune. Le bilan étiologique chez la patiente étudiée a retrouvé un rétrécissement du canal carotidien osseux droit et une hypoplasie de l’artère carotide interne droite. Il s’agit d’une anomalie congénitale rare qui peut causer des accidents vasculaires cérébraux (AVC) [5]. Il est probable que, selon le même processus mécanique que les AVC qui consiste en la réduction du calibre de l’artère carotide avec ralentissement de la vitesse de perfusion, cette anomalie peut entraîner une OVCR. Dans notre revue de littérature, étant donné les limites de notre recherche MEDLINE, cette étiologie n’a pas été décrite dans le cadre de l’OVCR. Enfin, d’autres pathologies peuvent être recherchées chez le jeune, à savoir la migraine, la syphilis, le virus

H. Mazlout et al. de l’immunodéficience humaine, la tuberculose, certains médicaments (contraceptifs oraux, diurétiques, sympathomimétiques), une cardiopathie, une pathologie oculaire tel que le glaucome, pathologie du nerf optique, occlusion artérielle rétinienne, uvéite. . . Sur le plan thérapeutique, les anticoagulants et les antiaggrégants plaquettaires n’ont pas prouvé leur efficacité. Ils peuvent cependant être utiles quand il existe des facteurs de risque comme l’athérosclérose et les troubles de l’hémostase. . . [3,4], ce qui n’est pas le cas chez cette patiente. L’hémodillution isovolémique, qui améliorerait la rhéologie en diminuant l’agrégabilité érythrocytaire, aurait été proposée dans ce cas d’autant que l’occlusion veineuse était de type oedémateux. Cependant, vu que les résultats des études publiées restent contradictoires et que l’apparition de territoires de non perfusion périphérique était redoutée, cette pratique a été évitée. L’indication des anti-inflammatoires stéroïdiens se pose en cas de mise en évidence d’un processus inflammatoire. La photocoagulation rétinienne est nécessaire seulement si l’OVCR est ischémique [1]. L’évolution est favorable dans plus de la moitié des cas pour lesquels l’angiographie à la fluorescéine montre une OVCR non ischémique, et l’œdème maculaire, s’il existe, ne prend que rarement la forme cystoïde alarmante [3] , comme ce fut le cas de cette patiente. Une mauvaise récupération visuelle est liée à la présence d’un œdème maculaire cystoïde chronique ou ayant évolué vers un trou lamellaire, maculaire ou des remaniements pigmentaires. L’OVCR ischémique est de mauvais pronostic en raison de la prolifération néovasculaire qui peut être rétinienne, papillaire et/ou irienne avec le redoutable glaucome néovasculaire. Le rôle de l’acuité visuelle initiale dans la prédiction du pronostic visuel chez le jeune reste un sujet à controverse [6]. Le pronostic vital est en rapport avec l’étiologie sousjacente. Chez cette patiente, une surveillance clinique est nécessaire ; des accidents vasculaires cérébraux seraient à craindre.

Conclusion Bien que la présentation clinique de l’occlusion de la veine centrale de la rétine soit superposable à celle du sujet âgé, il s’agit d’une entité à part en raison de son étiologie différente et de son pronostic meilleur [3]. En conséquence, le bilan étiologique doit être exhaustif étant donné qu’il peut conditionner la conduite thérapeutique et le pronostic aussi bien visuel que vital.

Références [1] Fong AC, Schatz H. Central retinal vein occlusion in young adults. Surv Ophthalmol 1993;37:6. [2] Trojet S, Loukil I, El Afrit MA, Mazlout H, Bousema F, Rokbani L, et al. Occlusion vasculaire rétinienne bilatérale au cours du syndrome des antiphospholipides. J Fr Ophtalmol 2005;5: 503—7.

Occlusion de la veine centrale de la rétine et hypoplasie de l’artère carotide interne [3] Snyers B, Serckx JP. Occlusion de la veine centrale de la rétine chez le jeune adulte : facteurs de risque et pronostic visuel. Bull Soc Belge Ophtalmol 1993;250:51—8. [4] Pâques M. Occlusions veineuses rétiniennes. Encyclopédie médico-chirurgicale ophtalmologie.[21-240-E-15]. [5] A Chapoy E, Blanc R, Guidoux C, Brugières P, Remy P, Benisty S, et al. Accident ischémique transitoire révélant une hypoplasie

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segmentaire de l’artère carotide interne associée à un syndrome de Claude Bernard Horner congénital. Rev Neurol (Paris) 2005; 10:971-3. [6] Recchia FM, Carvalho-Recchia CA, Hassan TS. Clinical course of younger patients with central retinal vein occlusion. Arch Ophthalmol 2004;122:317—21.