Osteoporose cortisonique : de la physiopathologie au traitement M. AUORAN*
L'osteoporose corticosonique est la principale cause d'osteoporose « secondaire» ; parfois severe, elle complique surtout la corticotherapie generale prolongee. Plus rarement, elle constitue I'une des manifestations du syndrome de Cushing. La prevention de la perte osseuse induite par les cortico"ides au long cours (prevention primaire) ainsi que la prevention des accidents fracturaires vertebraux (prevention secondaire) ont beneficie de progres recents ; les mecanismes physiopathogeniques du retentissement osseux des cortico"ides sont mieux compris grace I'histomorphometrie, I'evaluation biochimique des marqueursdu remaniementcellulaire osseuxetau dosage radioimmunologique des hormones calciotropes. L'introduction de techniques modernes, non vulnerantes, de mesure de ladensite minerale osseuse (OMO) permet enfin une reconnaissance plus precoce de cette complication.
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LES MECANISMES DE L'OSTEOPOROSE CORTISONIQUE Le retentissement osseux des glucocortico"ides est la consequence d'eftets directs et indirects, s'exerc;:ant sur I'intestin, Ie rein et Ie tissu osseux lui-meme.
L'absorption intestinale du calcium est diminuee par les glucocortico"ides, surtout aux posologies quotidiennes superieures 15 mg/j. Le mecanisme en est complexe. Les cortico"ides ne semblent pas interferer directement avec Ie metabolisme de la vitamine 0 et les taux circulants plasmatiques du derive actif, la 1,25 (OH)2 vitamine 0 sont habituellement normaux. O'autres mecanismes ont ete suggeres et en particulier une inhibition par les cortico"ides de la synthese de la « Calcium-Binding Protein» (CaBP).
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L'action renale. L'hypercalciurie, liee la diminution de la reabsorption tubulaire du calcium, est frequente. Elle aggrave la negativite de la balance calcique et peut limiter les possibilites therapeutiques de supplementation calcique ou vitaminique O.
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Les effets osseux. La corticotherapie perturbe la fois la fonction (fes osteoblastes (OB) et celie des osteoclastes (OC). • Service de Rhumat%gie .. CHRU .. ANGERS.
1991 - Tome XII Bulletin de la SNFMI N' 26
Les glucocorticoi·des depriment directement I'activite des osteoblastes, inhibent leurs capacites de synthese proteinique et entravent la transformation des precurseurs. II en resulte une diminution de la production du collagene ainsi qu'une reduction de la synthase de la Gla-proteine osseuse dont les taux seriques sont abaisses. L'histomorphometrie confirme la depression de I'osteo-formation et montre une diminution de I'epaisseurdu murosteonique. Sous I'eftetdes cortico"ides I'activite des OB est la fois trop faible et trop breve.
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II s'y associe une hyperresorption osteoclastique, d'intensite variable, se traduisant par une augmentation du nombre des osteoclastes et de leur activite, sous forme d'un accroissement des surfaces de resorption. Le mecanisme en est mal elucide mais il ne parait pas resulter d'un eftet direct des cortico"ides. On Ie rattache la reaction parathyro"idienne secondaire (HPT II), consequence de la baisse de I'absorption intestinale du calcium, notamment dans les premiers mois de la corticotherapie. La traduction biologique de cette HPT II etant inconstante (normalite des taux d'iPTH), il a ete suggere que les cortico"ides sensibilisent la reponse des cellulescibles I'effetdes hormones stimulant la resorption osseuse.
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Au total, cette dualite d'actions aboutit un decouplage des activites de resorption et de formation: les unites du remaniement cellulaire osseux (BRU), dont Ie tau x de natalite peut etre stimule par I'HPT II, laissent apres chaque cycle un solde negatif. A I'echelon tissulaire, il en resulte une reduction de la masse osseuse.
La baisse de la secretion des hormones sexuelles (par freination gonadotrope et action directe sur les gonades), la faiblesse musculaire contribuent aussi aggraver la perte osseuse.
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LES CONSEQUENCES SQUELETTIQUES DE LA CORTICOTHERAPIE Elles se traduisent par: (a) une reduction de ladensite osseuse radiographique, avec un aspect deshabite des vertebres, different de ce que I'on observe dans I'osteopo rose primitive, (b) une reduction significative du volume trabeculaire osseux iliaque, (c) une baisse de la densite minerale en absorptiometrie photonique (mono- ou dichromatique) ou en tomographie (TOM). Le deficit S369
mineral predomine dans Ie sect~ur spongieux. L'intensite de la perte osseuse est faiblement correlee avec la duree du traitement et sa posologie ; les fortes doses semblent accentuer la vitesse initiale de perte osseuse, mais meme les faibles posologies « 7,5 mg/j) exercent long terme un effet nefaste. Le degre d'osteopenie reste cependant variable d'un sujet I'autre. La densitometrie realisee lors de la mise en oeuvre de la corticotherapie, puis periodiquement, permet ainsi de determiner la vitesse d'installation et I'ampleur du deficit osseux, d'instituer les mesures preventives adaptees et d'en suivre les effets. Apres I'arret de la corticotherapie, une amelioration du metabolisme osseux ainsi que des gains de densite ont ete observes.
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La rarefaction osseuse fragilise Ie squelette et expose
ades complications fracturaires, tassements de vertebres surtout (dans 16 a 21 % des cas) et fractures costales. LES MESURES THERAPEUTIQUES Elles decoulent des observations physiopathogeniques. Certaines mesures vi sent prevenir I'osteopenie, d'autres traiter I'osteoporose fracturaire constituee.
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Le traitement preventif La reduction de la corticotherapiea la dose minimaIe efficace est souhaitable, mais la prescription alternee de cortico"ides, un jour sur deux, ne reduit pas Ie risque d'osteopenie. Un derive oxazoline de la prednisone, Ie deflazacort, entrainerait moins d'effets secondaires. La correction de la balance calcique
Le traitement curatif La prevention secondaire des complications fracturaires, tassements vertebraux en particulier, fait appel une intervention tMrapeutique directe sur Ie tissu osseux; elle vise so it reduire la resorption osteoclastique, soit restaurer Ie capital osseux.
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L 'inhibition de la resorption osseuse, independamment des mesures visant reduire I'HPT secondaire, peut faire appel la calcitonine, aux bisphosphonates ainsi qu'aux androgenes anabolisants.
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Des etudes controlees montrent que la calcitonine salmine par voie parenterale ou so us forme de spray nasal reduit la resorption osseuse et evite la baisse de la DMO lombaire. Les bisphosphonates de « seconde generation» paraissent aussi representer une alternative therapeutique, en raison de leur puissante activite de freination de I'activite des osteoclastes et de leur absence d'effet direct sur la mineralisation. L'action favorable d'un stero"ide anabolisant, Ie decanoate de nandrolone, a ete aussi demontree.
La stimulation de I'osteoformation, justifiee en raison de la depression osteoblastique induite par les cortico"ides, fait appel au fluor. C'est actuellernent Ie seul agent therapeutique capable d'induire, du fait de son effet mitogenique sur les osteoblastes, une augmentation significative de la masse osseuse. Dans une etude, il reduit I'incidence des nouveaux tassements. Ce traitement n'est actuellement indique que dans I'osteoporose cortisonique fracturaire. Chez les sujets les plus risque (forte corticotherapie, DMO basse, depression osteoblastique marquee), des etudes sont en cours pour determiner I'interet de sa prescription au stade d'osteoporose « prefracturaire ».
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Le regime desode est utile pour limiter la fuite urinaire du calcium; dans les premiers mois du traitement, en cas d'hypercalciurie, certains conseillent d'y adjoindre la prescription d'hydrochlorothiazide.
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Une supplementation calcique (0,5 1,5 g/j) est conseillee afin de compenser la baisse de I'absorption intestinale du calcium; I'efficacite de cette mesure pour prevenir ou reduire la reaction parathyro"idienne secondaire est modeste, mais demontree.
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La prescription d'une dose quotidienne de 400 800 UI de vitamine D2 ou D3 corrige une deficience en ce metabolite. A dose pharmacologique, Ie recours aux derives hydroxyles reste discute tant en ce qui concerne les modalites de prescription que les resultats en attendre. Certains auteurs deconseillent ce traitement en raison des effets indesirables : forte hypercalciurie, voire meme hypercalcemie.
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L'administration d'une estrogenotherapie est indiquee chez les femmes menopausees ou amenorrheiques en cours de corticotMrapie. Chez I'homme, la baisse des tau x de testosterone justifie pour certains un traitement substitutif. S 370
CONCLUSION Une evaluation plus precise des consequences osseuses de la corticotherapie prolongee, une meilleure comprehension aussi des mecanismes pathogeniques permettent d'instituer precocement, des I'institution du traitement, des mesures tMrapeutiques adaptees. En assurant un equilibre de la balance calcique et en evitant un deficit vitaminique D, en reduisant la posologie la dose minimale efficace, en corrigeant une care nee hormonale associee, en encourageant Ie maintien de I'activite physique, elles visent prevenir ou minimiser la perte osseuse. Au-stade d'osteoporose averee, elles font appel une intervention directe sur Ie tissu osseux, et ont alors pour objectif, en diminuant la resorption osteoclastique eVou en stimulant la formation osteoblastique, de reduire I'incidence des fractures.
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La Revue de Medecine Interne Supplement au Numero 6