Chapitre
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Peau et nutrition J.-L. Schlienger PLAN DU CHAPITRE Dermatoses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Cicatrisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Dermatoses L'état cutané est la résultante d'une combinaison de paramètres concernant l'aspect (texture, coloration, pigmentation, texture et intégrité de la surface) et la fonction (hydratation, sudation, élasticité, desquamation, production de sébum). Divers facteurs environnementaux ont des effets cutanés : exposition aux substances toxiques ou allergisantes, microtraumatismes, rayonnements ultraviolets. La photosensibilité, le vieillissement cutané, la réactivité immunitaire locale et l'inflammation sont en partie tributaires de facteurs généraux comme l'état de stress, l'état nutritionnel et la présence de comorbidités [1]. Les relations entre nutrition et peau ont été illustrées de longue date par les conséquences pathologiques des carences nutritionnelles et leur réversibilité après une supplémentation en oligoéléments, vitamines et acide gras essentiels. Pourtant, en dehors des situations de carence avérée, l'impact des nutriments et des micronutriments sur la peau reste mal argumenté. Quelques travaux suggèrent que la consommation alimentaire et les taux circulants de nutriments ont un impact sur les caractéristiques cutanées. Ainsi il existe une corrélation entre la consommation de graisses saturées et l'hydratation cutanée, entre les AG mono-insaturés et le pH ou entre la concentration plasmatique de vitamine A et la production de sébum.
Photoprotection Le modèle de la photosensibilisation a été utilisé pour évaluer l'effet des nutriments sur la peau. Au-delà d'un certain seuil d'exposition, les rayonnements UV provoquent une vasodilation permettant le passage vers les tissus de lymphocytes et de macrophages avec une réponse inflammatoire se manifestant par un érythème. Divers nutriments pourraient être des moyens additionnels de photoprotection du fait de leurs propriétés antioxydantes et anti-inflammatoires. Des études se sont attachées à démontrer leur intérêt dans la photoprotection avec des résultats variables selon les procédures expérimentales et les doses utilisées. L'apport Nutrition clinique pratique © 2014, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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conjoint de doses modérées de vitamines E et C à des doses modérées semble avoir un effet protecteur supérieur à chacune de ces vitamines administrées séparément. Parmi les caroténoïdes, c'est le β-carotène qui a les effets les plus marqués, la photoprotection étant d'autant plus nette que la coloration jaune de la peau est plus intense. L'association à d'autres caroténoïdes antioxydants (zéaxanthine, lutéine, cryptoxanthine) ou à la vitamine E à dose pharmacologique accroît la photoprotection. Les acides gras n-3 (oméga 3) dont les propriétés antiinflammatoires sont bien connues réduisent l'intensité de l'érythème photo-induit par une inhibition de la synthèse cutanée de prostaglandine PGE2 mais augmentent la peroxydation lipidique et le stress oxydant. L'administration conjointe de vitamines antioxydantes limite la production de radicaux libres induite par les AG n-3.
Réponse immunitaire cutanée La réponse immunitaire cutanée est aisément explorable par les tests cutanés d'immunosensibilité cutanée retardée, utilisés par ailleurs comme des témoins d'immunocompétence. La réponse diminue avec l'âge et en cas de dénutrition partielle ou globale. Elle est réversible après renutrition ou correction des carences vitaminiques. L'administration de micronutriments antioxydants à type de caroténoïdes, de vitamine C, de zinc et de sélénium seuls ou combinés à doses nutritionnelles ou à doses pharmacologiques à des personnes âgées fragiles a des effets inconstants, mais il est admis que ces micronutriments sont nécessaires à l'immunité cutanée.
Répercussions cutanées de la dénutrition En dehors des dénutritions majeures à type de marasme ou de kwashiorkor qui ont des répercussions caricaturales, plusieurs carences nutritionnelles entraînent des manifestations cutanées tout particulièrement chez les enfants [2]. La carence en zinc acquise à la suite d'un régime déséquilibré ou d'une alimentation parentérale prolongée mal conduite
308 Partie III. Pathologie : autres maladies peut entraîner des lésions périorificielles et distales, une alopécie et une diarrhée. La carence en biotine (vitamine H) qui est rare peut favoriser les lésions érythémateuses périorificielles. La carence en niacine (vitamine PP ou B3) conduit à une pellagre en cas d'insuffisance d'apport concomitante en tryptophane. Les lésions cutanées comportent une dermatite éruptive symétrique dans les zones exposées au soleil ou aux frottements à l'origine d'une sensation de brûlure. L'érythème devient brunâtre, irrégulier, rugueux, hyperkératosique, squameux. La carence en vitamine B12 secondaire à une gastrite atrophique, à un grêle court, à une alimentation végétalienne ou à une maladie auto-immune de Biermer est associée à une hyperpigmentation cutanée prédominant aux mains en épargnant les ongles et à une atteinte plus connue des muqueuses. Une dénutrition globale par carence ou par malabsorption entraîne des anomalies cutanées complexes, qui empruntent à chacune de celles qui viennent d'être décrites, auxquelles s'ajoutent les méfaits de la carence protéique qui fragilise la peau en regard des zones de frottement ou de pression, retarde la cicatrisation et favorise les surinfections.
Dermatoses atopiques La dermatose atopique est associée à une réponse anormale de la réactivité immunitaire avec une réponse inflammatoire excessive attribuée à un déficit en prostaglandine PGE1 anti-inflammatoire et à un déficit de la différenciation des cellules T. La dermatose ou eczéma atopique est une affection chronique prurigineuse qui évolue par poussées et touche 10 % des adultes jeunes. Avec l'asthme et la rhinoconjonctivite allergique, elle est l'un des éléments de l'atopie. Sa physiopathologie met en jeu une prédisposition génétique, des mécanismes immunologiques et des facteurs environnementaux. Cliniquement, la dermatose atopique se manifeste par un eczéma chronique siégeant aux plis de flexion, aux mains, à la face, au cou et à la partie supérieure du tronc avec parfois des lésions épaissies et des placards lichénifiés très prurigineux. La qualité de vie est altérée. L'aspect peut être polymorphe avec la présence de papulo-vésicules de prurigo, d'une déshydrose ou d'un eczéma numulaire. La peau est sèche, rugueuse et prurigineuse. Le dermographisme blanc est fréquent. L'urticaire n'entre pas dans le champ de l'atopie mais des réactions urticariennes d'origine alimentaire ou médicamenteuse liées à un mécanisme histamino-libérateur sont possibles. Il n'y a pas de traitement spécifique. L'éviction de certains aliments n'a pas d'intérêt documenté. Néanmoins des arguments indirects suggèrent que les sujets atteints de dermatose atopique seraient incapables de convertir en quantité suffisante l'acide linoléique en acide gamma-linolénique du fait d'un déficit en Δ6-désaturase. Une supplémentation alimentaire en graisses végétales, en AG n-3 et tout particulièrement en huiles de chair de poisson, évaluée dans plusieurs études, a permis d'observer une amélioration fréquente des lésions. Globalement, il est admis qu'un apport notable en AG n-6 et/ou en AG n-3 et la diminution du rapport n-6/ n-3 ont un effet favorable qui pourrait s'expliquer par une inhibition de la prolifération des cellules T [3].
Acné L'acné est une affection cutanée à forte prévalence dans les pays développés. En Europe occidentale, elle atteint plus de 70 % des adolescents et 40 % des adultes jeunes alors qu'elle est inexistante dans d'autres parties du monde (Grand Nord, Archipel d'Okinawa…). Ces différences suggèrent que le mode de vie et les habitudes alimentaires ont un rôle étiopathogénique ou facilitant. Les relations entre l'alimentation et l'acné sont étayées par quelques données expérimentales. L'élévation de l'insuline et de l'IGF-1 circulante induite par une alimentation à forte charge glycémique favorise la prolifération des kératinocytes. L'effet thérapeutique des rétinoïdes dans l'acné s'expliquerait en partie par la restauration d'un signal RXR altéré par la diminution de l'IGFBP-3 induite par l'hyperinsulinisme. L'insuline et l'IGF-1 favorisent également la synthèse des androgènes ovariens et testiculaires et réduisent celle de leur protéine vectrice, la SHBG, ce qui accroît la biodisponibilité tissulaire des androgènes circulants. Il en résulte une production excessive de sébum. Enfin, l'alimentation hyperénergétique et riche en glucides à index glycémique élevé est un modulateur de la réponse inflammatoire systémique par le biais d'une stimulation de la synthèse des cytokines pro-inflammatoires qui pourrait être limitée par une allocation plus importante en AG n-3 [4]. De cet argumentaire est née l'hypothèse qu'une alimentation à faible index glycémique et à faible charge glycémique serait un facteur protecteur ou thérapeutique dans l'acné. Dans une étude randomisée contrôlée, la consommation pendant 12 semaines d'un régime dont l'apport énergétique provenait pour 25 % des protéines et pour 45 % d'aliments à faible index glycémique a amélioré significativement le nombre et le caractère inflammatoire des lésions d'acné par rapport à un régime conventionnel. Cette amélioration était associée à une perte de poids et à une amélioration de la sensibilité à l'insuline, facteurs dont le rôle respectif dans l'amélioration de l'acné reste à préciser [5]. Ces résultats, en accord avec l'hypothèse d'une relation pathogénique entre l'hyperinsulinisme et l'acné, permettent de proposer une alimentation caractérisée par une réduction de la consommation des glucides à index glycémique élevé chez les adolescents, population cible entre toutes, à titre préventif et curatif de l'acné.
Psoriasis Le psoriasis est une dermatose fréquente définie par des plaques érythémato-prurigineuses bien limitées témoins d'une hyperprolifération épidermique. À support génétique et de mécanisme très complexe et mal connu, le psoriasis évolue par poussées diffuses ou localisées et peut parfois se compliquer de manifestations systémiques notamment articulaires. Les rayonnements UV exercent un effet bénéfique sur une évolution volontiers saisonnière. Divers traitements contrôlent la maladie sans parvenir à la guérir. Les relations entre l'alimentation et le psoriasis sont encore discutées en dépit de données de plus en plus convaincantes. L'existence d'une association significative entre l'obésité, le syndrome métabolique ou le diabète de type 2 et le psoriasis suggère une relation vraisemblable-
Chapitre 32. Peau et nutrition 309 ment liée à l'activité pro-inflammatoire du tissu adipeux viscéral où à l'insulinosécrétion [6]. Dans une étude d'intervention randomisée contrôlée en simple aveugle, la perte de poids volontaire de 5 à 10 % du poids initial obtenue par un régime hypocalorique équilibré améliore la réponse à la ciclosporine chez des sujets atteints d'un psoriasis modéré ou sévère [7]. La consommation d'alcool est un facteur d'évolutivité du psoriasis non pas tant par un effet direct mais parce qu'elle est souvent associée à un excès d'apport en graisses saturées et à un apport insuffisant en fruits et légumes. L'effet bénéfique d'une supplémentation orale en AG n-3 décrit dans plusieurs études non contrôlées n'est retrouvé qu'inconstamment dans les études randomisées. Une relation entre le stress oxydatif et l'augmentation des radicaux libres et le degré d'inflammation cutanée a été décrite dans le psoriasis. Par ailleurs, le risque de psoriasis semble moins grand chez les sujets ayant une alimentation de type végétarien à fort pouvoir antioxydant. Toutefois l'administration d'antioxydants à doses pharmacologiques (caroténoïdes, vitamines C et E, sélénium) n'a pas d'effets significatifs sur l'évolution du psoriasis [8]. La vitamine D exerce un effet antiprolifératif et immunorégulateur bien établi expérimentalement sur les kératinocytes dont il facilite la différenciation. La vitamine D et ses analogues sont d'ailleurs un traitement de première intention du psoriasis avec une efficacité comparable aux corticoïdes locaux. L'éviction des aliments contenant du gluten a été proposée dans la mesure où la prévalence des anticorps antigliadine est plus importante chez les sujets souffrant de psoriasis que dans la population témoin et que des associations entre maladie cœliaque et psoriasis ont été décrites. Une amélioration du score de psoriasis et une diminution de la prolifération cellulaire ont été observées après 3 mois d'un régime sans gluten chez des patients porteurs d'anticorps antigliadine. En pratique, il n'existe pas de traitement nutritionnel spécifique du psoriasis. Néanmoins une réduction de la consommation d'alcool, une perte de poids chez le sujet en surpoids ou obèse, une alimentation à forte densité nutritionnelle, à fort potentiel antioxydant et une supplémentation en vitamine D sont des mesures susceptibles d'atténuer l'inflammation et d'améliorer le score de gravité du psoriasis.
Dermatite herpétiforme L'institution d'un régime sans gluten est préconisée dans cette dermatite habituellement associée à une entéropathie par intolérance au gluten dont elle peut être la seule manifestation symptomatique. L'évolution est marquée par une rechute fréquente à l'arrêt du régime sans gluten.
Cancers cutanés Il existe peu de relations entre les facteurs alimentaires et ce cancer cutané. Néanmoins, des données épidémiologiques suggèrent qu'une alimentation riche en viande et en graisse pourrait favoriser ce type de cancers à l'exclusion des autres formes de cancers cutanés [9]. Dans une étude randomisée, l'administration de β-carotène n'a aucun effet préventif pour
les carcinomes non mélaniques [10]. Dans l'étude de supplémentation d'un mélange d'antioxydants (SU.VI.MAX), il est noté une augmentation significative des mélanomes et des carcinomes basocellulaires chez les femmes présentant des lésions prénéoplasiques [11].
Cicatrisation La nutrition joue a priori un rôle crucial dans le processus de cicatrisation. Le catabolisme, la néoglucogenèse accélérée et l'accroissement protéique qui caractérisent cette situation ne sont pas favorables aux processus de régénération et de remodelage cellulaire. De nombreux facteurs de croissance interviennent au cours de la cicatrisation qui se déroule selon trois phases – inflammation, prolifération et remodelage –, ce qui suppose un apport suffisant en nutriments et micronutriments. Le collagène est la principale protéine de réparation. Sa synthèse nécessite des acides aminés (lysine et proline) et des cofacteurs (fer ++, vitamine C). Divers facteurs affectent la cicatrisation. Les facteurs locaux délétères sont l'ischémie, l'infection, l'œdème ou les forces de pression ou de tension tissulaire. Parmi les facteurs généraux figurent l'âge, le diabète, le tabac et la dénutrition ou les carences spécifiques. La malnutrition ralentit la cicatrisation en prolongeant la phase inflammatoire et en diminuant l'angiogenèse, la prolifération des fibroblastes et la synthèse de collagène. Les études expérimentales ont bien démontré le rôle de la dénutrition dans la cicatrisation. La restriction alimentaire chez des rats 7 jours avant une résection colique entraîne une diminution significative d'apposition de collagène mature. L'administration de glutamine per os 7 jours avant une intervention améliore la cicatrisation des anastomoses coliques. D'autres acides aminés, dont l'arginine, améliorent la synthèse et l'apposition de collagène et sont considérés comme des facteurs adjuvants de cicatrisation. La vitamine A stimule la synthèse du collagène par les fibroblastes et la vitamine C favorise l'absorption du fer et le métabolisme de plusieurs acides aminés. Le zinc est essentiel pour la synthèse de collagène et la réplication cellulaire. La vitamine E joue également un rôle non négligeable [12]. Quelques études cliniques ont précisé l'intérêt d'une alimentation spécifique. Plusieurs types de supplémentation – arginine, vitamine C, zinc, hydrolysat de collagène, AG n-3 – semblent faciliter la cicatrisation chez les grands brûlés, en cas d'escarre ou après une intervention chirurgicale. Dans une méta-analyse comportant 17 études incluant 2305 patients, l'intérêt d'une immunonutrition périopératoire a été démontré sur la morbidité postopératoire avec notamment une diminution significative des lâchages d'anastomoses [13]. La relation entre l'état nutritionnel et le risque de développer des escarres est assez bien établie chez la personne âgée. L'intérêt de suppléments nutritionnels ou d'une alimentation entérale a été évalué dans une revue systématique d'études randomisées trop hétérogènes pour permettre une méta-analyse. Un apport énergétique suffisant est manifestement favorable. En l'état, il n'est pas possible de conclure à l'intérêt formel d'un apport spécifique supplémentaire en protéines, en vitamine C ou en zinc [14]. Dans une autre revue systématique portant sur le traitement des escarres en
310 Partie III. Pathologie : autres maladies général, un apport protéique suffisant est un facteur favorable significatif, alors que d'autres supplémentations n'ont pas d'intérêt démontré [15]. En conclusion, la prescription nutritionnelle dépend du contexte. Une couverture optimale des besoins énergétiques, protéiques et micronutrimentiels est certainement le garant d'une réparation cutanée plus rapide. Les bénéfices d'une supplémentation en AG n-3, en acides aminés spécifiques ou le recours à une alimentation entérale ou parentérale restent à démontrer.
Conclusion La diétothérapie a une place limitée en dermatologie en dehors des situations de carence avérée. Pourtant des données de plus en plus convaincantes incitent à promouvoir une alimentation normo- ou hypocalorique selon le cas, avec une faible charge glucidique, un apport limité en graisses saturées et accru en AG n-3. Quant à la prévention et au traitement des escarres, elle relève d'un apport nutritionnel suffisant et diversifié, assuré selon besoin par une assistance nutritionnelle, tout comme la cicatrisation.
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