Perception du glaucome et observance thérapeutique : une étude observationnelle multicentrique

Perception du glaucome et observance thérapeutique : une étude observationnelle multicentrique

Journal français d’ophtalmologie (2017) 40, 477—486 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com ARTICLE ORIGINAL Perception du gla...

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Journal français d’ophtalmologie (2017) 40, 477—486

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

ARTICLE ORIGINAL

Perception du glaucome et observance thérapeutique : une étude observationnelle multicentrique Perception of glaucoma and therapeutic adherence: A multicenter observational study A. Chiche a, G. Martin c, E. Brasnu de Cenival a,b, A. Rousseau e, A. Giocanti f, A. Fel g, S. Kallel a,b,c, M. Lombardi b, P. Hamard a,b, C. Baudouin a,b,c,d, A. Labbe a,∗,b,c,d a

Service d’ophtalmologie 3, Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, 28, rue de Charenton, 75012 Paris, France b DHU Sight Restore, université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Versailles, France c Service d’ophtalmologie, hôpital Ambroise-Paré, AP—HP, 9, avenue Charles-De-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France d Inserm, U968, CNRS, UMR 7210, institut de la vision, université UPMC Paris VI, 75012 Paris, France e Service d’ophtalmologie, hôpital Kremlin-Bicêtre, DHU Sight Restore, AP—HP, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France f Service d’ophtalmologie, hôpital Avicenne, DHU Sight Restore, AP—HP, 125, rue de Stalingrad, 93000 Bobigny, France g Service d’ophtalmologie, hôpital de la Salpêtrière, AP—HP, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France Rec ¸u le 25 octobre 2016 ; accepté le 19 janvier 2017 Disponible sur Internet le 30 mai 2017

MOTS CLÉS Glaucome ; Observance ; Questionnaire ;



Résumé Introduction. — L’objectif de cette étude était d’évaluer, à l’aide du questionnaire « Glaucoma treatment compliance assessment tool (GTCAT) », l’observance thérapeutique des patients glaucomateux et de la corréler aux paramètres cliniques de la maladie.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Labbe).

http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2017.01.009 0181-5512/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

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Qualité de vie ; Collyres hypotonisants

KEYWORDS Glaucoma; Adherence; Questionnaire; Quality of life; Glaucoma drops

A. Chiche et al. Patients et méthodes. — Il s’agissait d’une étude observationnelle prospective multicentrique réalisée au sein du département hospitalo-universitaire (DHU) Sight Restore, Paris, France. Tous les patients étaient suivis pour un glaucome chronique à angle ouvert (GCAO) depuis au moins 3 ans. Une version franc ¸aise du GTCAT a été soumise aux patients. Les résultats ont été corrélés aux paramètres cliniques comme la durée d’évolution de la maladie, les traitements utilisés, la pression intraoculaire (PIO) et la déviation moyenne (MD) du dernier champ visuel. Résultats. — Soixante-treize patients ont été inclus dans cette étude. Parmi ces patients, 60,9 % se déclaraient parfaitement observant. Il existait une corrélation positive entre le nombre de jours de non-prise des collyres et la difficulté à mettre les collyres. La cause principale de non-prise des collyres était l’oubli (75 %) suivie par l’indisponibilité du collyre au moment de la prise (37,5 %). L’impact du glaucome sur la qualité de vie était corrélé à l’importance des effets secondaires des traitements locaux. Enfin, le niveau d’importance que le patient accordait à la nécessité de préserver sa vision était corrélé positivement au niveau de confiance que celui-ci accordait au médecin concernant le diagnostic. Conclusion. — Chez les patients glaucomateux, l’utilisation du GTCAT a confirmé la relation complexe qui existe entre le patient, sa maladie et son traitement, et même sa relation avec l’ophtalmologiste. Ces résultats permettent d’insister sur l’importance de l’éducation thérapeutique mais aussi sur le rôle des effets secondaires des traitements dans l’observance thérapeutique des patients glaucomateux. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Summary Introduction. — The purpose of this study was to evaluate medication adherence of glaucoma patients through the ‘‘Glaucoma treatment compliance assessment tool (GTCAT)’’ questionnaire and to correlate the results with clinical parameters. Patients and methods. — This multicenter prospective observational study was performed in the Département hospitalo-universitaire (DHU) Sight Restore, Paris, France. All patients had been followed for chronic open angle glaucoma (COAG) for at least 3 years. A French version of the GTCAT questionnaire was administered to patients. The results were correlated with clinical parameters of glaucoma, such as duration of disease, medications used, intraocular pressure (IOP) and mean deviation (MD) of the most recent visual field. Results. — Seventy-three patients were included in our study, with 60.9% declaring that they fully adhered to the treatment. There was a correlation between the amount of days missing treatment and difficulties using the eye drops. The main cause of missing the drops was forgetfulness (75%), followed by unavailability of the drop when it was time to take it (37.5%). The impact of glaucoma on quality of life was correlated to the amount of adverse effects of topical medications. The patient’s perception of the importance of preserving vision was correlated to the level of confidence in the physician concerning the diagnosis of glaucoma. Conclusion. — In glaucoma patients, the use of the GTCAT questionnaire confirmed the complex relationship between the patient, the disease and its treatment, and even his or her relationship with the ophthalmologist. These results emphasized the importance of therapeutic education but also the negative role of side effects of the eye drops on treatment adherence in glaucoma patients. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction L’observance thérapeutique est un élément crucial dans la prise en charge du glaucome [1]. Les traitements antiglaucomateux locaux en collyres sont utilisés par 86 % des patients atteints de glaucome [2] et les patients sont traités sur une période moyenne de 15 ans [3]. Ce traitement médical est efficace pour réduire la pression intraoculaire

(PIO), il permet de ralentir la dégradation du champ visuel et préserve ainsi la qualité de vie des patients [4]. Malgré l’efficacité démontrée de ce traitement [5], l’observance thérapeutique demeure cependant mauvaise. Une étude a ainsi montré que seuls 56 % des patients glaucomateux utilisaient plus de 75 % des doses prescrites [6]. Cette mauvaise observance entraîne une perte d’efficacité importante du traitement médical et représente un risque

Perception du glaucome et observance thérapeutique : étude multicentrique d’atteinte de la fonction visuelle pour de nombreux patients. L’observance thérapeutique des patients glaucomateux est un paramètre que les ophtalmologistes ont du mal à évaluer [7] et les patients ont tendance à surestimer leur propre observance lorsque leurs déclarations sont comparées à des mesures objectives [8]. Les méthodes objectives sont cependant coûteuses et complexes à mettre en œuvre en pratique clinique courante. Les facteurs prédictifs d’une mauvaise observance sont nombreux. Ainsi, un niveau éducatif faible, un manque de motivation, des difficultés à utiliser les collyres font partie des facteurs de mauvaise observance les plus fréquemment identifiés [9]. Le modèle de croyance sanitaire ou Health Belief Model est un modèle cognitif qui propose la théorie selon laquelle les patients engagent des actions contre leur maladie lorsque qu’ils croient à leur propre vulnérabilité vis-à-vis de celle-ci, que la maladie est perc ¸ue comme sévère et lorsque les bénéfices à attendre de ces actions dépassent les barrières qui les limitent [10]. Le modèle de croyance sanitaire s’est montré efficace dans la prédiction de l’observance des patients pour des démarches de prévention ou de traitement dans des domaines variés comme l’autopalpation mammaire [11], l’utilisation de préservatifs [12], l’utilisation de médicaments psychiatriques [13], les traitements pour les maladies coronariennes [14], le diabète [15,16], la vaccination [17] ou encore pour des programmes d’entraînement sportif [18]. Il a ainsi été démontré que des patients atteints de pathologies coronariennes qui croyaient en l’efficacité préventive de leur traitement contre l’accident vasculaire cérébral (bénéfice perc ¸u) avaient plus de chance de prendre régulièrement le traitement prescrit [19]. Un questionnaire dérivé du modèle de croyance sanitaire a ainsi été élaboré par Barker et al. [20] afin d’évaluer le degré d’observance thérapeutique des patients glaucomateux. Ce questionnaire spécifique dédié à la neuropathie optique glaucomateuse est divisé en différents catégories de questions portant sur la sévérité perc ¸ue de la maladie, la vulnérabilité du patient vis à vis du glaucome, la susceptibilité du patient à son aggravation, les bénéfices estimés à modifier des actions prescrites par le médecin et les barrières limitant la réalisation de ces actions. Les caractéristiques psychométriques du questionnaire ont été évaluées par l’équipe qui a conc ¸u le questionnaire et il a été démontré que celui-ci présentait une cohérence interne acceptable (coefficient de Cronbach alpha > 0,7) et une reproductibilité de 90,4 % à plusieurs mois d’écart. Le questionnaire a également montré une valeur prédictive élevée avec plusieurs questions associées de manière significative à l’observance [20]. L’objectif de ce travail était d’évaluer à l’aide de ce questionnaire une population de patients glaucomateux provenant de plusieurs centres spécialisés, afin d’analyser le profil des patients, leurs connaissances de la pathologie, leurs craintes vis-à-vis du pronostic et de l’évolution du déficit visuel, et leurs difficultés liées à l’instillation des collyres en fonction de leur traitement mais aussi des paramètres cliniques et la sévérité de leur glaucome. À plus long terme, il s’agissait de pouvoir proposer aux patients une éducation ciblée en fonction des freins à l’observance individuels les plus fréquemment retrouvés.

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Patients et méthodes Il s’agissait d’une étude observationnelle prospective multicentrique réalisée entre mars 2015 et juillet 2016. Tous les patients inclus étaient atteints de glaucome chronique et suivis dans le cadre du Département hospitalouniversitaire (DHU) Sight Restore au centre hospitalier national d’ophtalmologique des XV—XX (Paris), à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre (Kremlin-Bicêtre), à l’hôpital Avicenne (Bobigny), à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et à l’hôpital Ambroise-Paré (Boulogne-Billancourt). Chaque patient a été informé de l’objectif de l’étude et leur consentement écrit a été systématiquement recueilli. Les critères d’inclusion étaient les suivants : patients suivis pour un glaucome chronique à angle ouvert depuis au moins 3 ans, prise d’au moins un traitement hypotonisant en collyre, la maîtrise de la langue franc ¸aise et une acuité visuelle de près suffisante pour lire le questionnaire et y répondre. Ont été exclus les patients ayant déjà été opérés de chirurgie du glaucome, ou ayant rec ¸u un traitement par laser et les patients ayant une acuité visuelle binoculaire insuffisante pour remplir le questionnaire. Tous les patients ont bénéficié d’un examen ophtalmologique complet avec une mesure de la meilleure acuité visuelle corrigée (MAVC) de loin et de près, de la pression intraoculaire (PIO) à l’aplanation, une gonioscopie, un examen du segment antérieur et du fond d’œil. Un examen du champ visuel automatisé (Humphrey HFA, Carl Zeiss, Allemagne), une mesure de l’épaisseur des fibres optiques péripapillaires (RNFL) en OCT ont également été réalisés. Les paramètres cliniques du glaucome qui ont été analysés étaient : la durée d’évolution de la maladie, les traitements utilisés, la PIO et la déviation moyenne (MD) du dernier champ visuel. Le stade du glaucome était déterminé en fonction de la valeur du MD de l’œil le moins atteint. Une version franc ¸aise d’un questionnaire évaluant l’observance et la perception de la maladie par le patient a été remise à chaque patient. Ce questionnaire a été adapté à partir du questionnaire Glaucoma treatment compliance assessement tool [GCTAT] développé par l’équipe de Barker et al. [20] aux États-Unis après autorisation des auteurs. Le GCTAT modifié est un questionnaire de 8 pages contenant 31 questions adaptées aux spécificités franc ¸aises : retrait de questions portant sur le niveau de revenus ou les assurances santé et adaptation des questions sur le niveau d’étude au système éducatif franc ¸ais ; le questionnaire n’a pas été modifié sur le fond. Le questionnaire était proposé au patient avant le début de la consultation, il pouvait le remplir sans limite de temps, avec la possibilité de demander de l’aide pour y répondre si nécessaire. Les questions étaient classées en différentes catégories : sévérité perc ¸ue de la maladie, vulnérabilité au glaucome et susceptibilité à son aggravation, bénéfices estimés à réaliser les actions prescrites par le médecin, barrières limitant la réalisation de ces actions, auto-efficacité (aptitude autoévaluée à réaliser les actions prescrites) et signaux d’encouragement externes favorisant la réalisation de l’action prescrite. Les réponses aux questions étaient présentées sous la forme d’échelles visuelles analogique sur 10 points. Le questionnaire comprenait également des questions à choix multiples concernant le niveau d’étude,

480 Tableau 1

A. Chiche et al. Caractéristiques des patients.

Âge (années) Hommes Femmes PIO (mmHg) Œil droit Œil gauche Déviation moyenne du CV (MD) Œil le plus atteint Œil le moins atteint Sévérité du glaucome (œil le moins atteint) Débutant (0 > MD > −6 dB) Modéré (−6 dB > MD > −12 dB) Sévère (MD < −12 dB) Origine ethnique Caucasien Afrique Maghreb/Moyen orient Asie Autre Niveau d’étude Aucune École primaire Collège (BEPC) Baccalauréat général Baccalauréat professionnel BEP/CAP Licence (Bac +3) Master (Bac +5) Doctorat (Bac +9)

63,43 ± 12,5 38 (53,5 %) 33 (46,5 %) 16,07 ± 3,95 15,49 ± 3,66 −10,13 dB ± 7,75 −5,81 dB ± 6,08

62,7 % 22,4 % 14,9 % 73,2 % 12,7 % 8,5 % 2,8 % 2,8 % 4,2 9,7 9,7 13,9 5,6 9,7 18,1 22,2 6,9

l’origine ethnique des patients et leurs assurances santé (Annexe 1). Nous avons utilisé le coefficient de corrélation de Pearson afin de mesurer la corrélation entre les différentes réponses au questionnaire. L’analyse statistique a été réalisée avec le logiciel IBM SPSS Statistic Version 20.0.0.2 (Armonk, IBM Corp ; États-Unis).

Résultats Caractéristiques des patients Soixante-treize patients ont été inclus dans l’étude. Il y avait 38 hommes (53,5 %) et 33 femmes (46,5 %) dont la moyenne d’âge était de 63,43 ± 12,5 ans. Les patients étaient traités en moyenne par 1,96 ± 1,02 molécules avec une prostaglandine dans 83,6 % des cas, un bêtabloquant dans 64,4 %, un inhibiteur de l’anhydrase carbonique dans 41,1 % et un alpha-agoniste dans 6,8 %. Lors de la consultation, la moyenne de la PIO était de 16,07 ± 3,95 mmHg à l’œil droit et 15,49 ± 3,66 mmHg à l’œil gauche. La déviation moyenne du champ visuel de l’œil le plus atteint était de −10,13 ± 7,75 dB, celle de l’œil le moins atteint était de −5,81 ± 6,08 dB. L’ensemble des données démographiques sont présentées dans le Tableau 1.

Observance auto-évaluée Le taux de réponse au questionnaire était de 93,15 %. Parmi les patients ayant répondu au questionnaire, 60,9 % des patients se sont déclarés parfaitement observants ; l’observance parfaite étant définie par l’absence de manquement à la prise de collyres pendant le mois précédant la consultation. Pour les autres patients, le nombre déclaré de jours de prise manquée variait de 1 à 6 jours et la moyenne était de 2,23 ± 1,716 jours dans le mois précédant la consultation (Fig. 1). Parmi les patients non observants, les raisons évoquées étaient, par ordre de fréquence : un simple oubli (75 %), le patient n’avait pas les collyres avec lui au moment de la prise (39,3 %), le patient s’endormait avant l’heure de prise (25 %), le patient n’avait plus de produit (25 %), les collyres étaient trop désagréables ou douloureux à instiller (7,1 %), le patient considérait qu’il n’avait pas besoin de mettre le collyre (7,1 %), le patient avait besoin d’aide pour administrer les collyres mais celle-ci était indisponible (3,6 %) (Fig. 2). Le nombre de jours de non-prise du traitement était corrélé au niveau de difficulté à utiliser les collyres (r = 0,251, p < 0,05) et au niveau d’utilité perc ¸u par le patient d’un système de rappel électronique (smartphone ou une alarme) pour se souvenir de l’heure de prise des collyres (r = 0,287 ; p < 0,05).

Connaissance de la pathologie Une question sur dix points mesurait le niveau de connaissance de la physiopathologie et de l’épidémiologie du glaucome. La moyenne des réponses était de 4,89 ± 2,15 (Fig. 3). Cette note était positivement corrélée au niveau d’étude (r = 0,417 ; p < 0,01) et au risque de perte visuelle autoévaluée par le patient (r = 0,433 ; p < 0,01). Il n’y avait pas de corrélation significative avec la sévérité de l’atteinte glaucomateuse.

Perception de la sévérité et de la vulnérabilité vis à vis de la maladie Sur une échelle de 1 à 10 évaluant l’impact que le glaucome avait sur la perte visuelle ressentie par le patient (0 : aucune perte ; 10 : cécité totale), 40,3 % des patients donnaient une estimation supérieure à 5 (Fig. 4). Sur une échelle de 1 à 10 évaluant l’impact que le glaucome avait sur la qualité de vie ressentie par le patient (0 : aucun impact ; 10 : impact majeur), 53 % des patients donnaient une estimation supérieure à 5 (Fig. 5). Il existait une corrélation positive entre la sévérité du glaucome perc ¸ue par le patient et la sévérité réelle de celuici (r = 0,251 ; p < 0,05). L’état de santé général évalué par le patient était, par ailleurs, corrélé de manière négative avec le niveau d’impact du glaucome sur la qualité de vie (r = −0,371 ; p < 0,01) et la sévérité du glaucome évaluée par le patient (r = −0,265 ; p < 0,05). L’impact du glaucome sur la qualité de vie était corrélé à l’importance des effets secondaires des traitements ressentis par le patient (r = 0,413 ; p < 0,01) et de fac ¸on moins importante à la sévérité objective de l’atteinte glaucomateuse sur l’œil le plus atteint (r = 0,295 ; p < 0,05). Il n’existait pas de corrélation entre

Perception du glaucome et observance thérapeutique : étude multicentrique

Figure 1.

Nombre de jours manqués de prise du traitement (durant le mois précédant la consultation).

Figure 2.

Causes déclarées de non-observance.

l’impact du glaucome sur la qualité de vie et la sévérité perc ¸ue par le patient, ni avec l’atteinte objective de l’œil le moins atteint.

Bénéfices et barrières à l’observance Le niveau d’importance que le patient accordait à la nécessité de préserver sa vision était corrélé de manière positive au niveau de confiance que celui-ci accordait au médecin concernant le diagnostic (r = 0,251 ; p < 0,05) mais était également négativement corrélé au niveau d’inconfort à l’instillation des collyres (r = −0,343 ; p < 0,01). Le nombre de jours de non-prise du traitement était corrélé au niveau de difficulté à l’instillation des collyres (r = 0,280 ; p < 0,05).

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Sur une échelle de 0 à 10 évaluant le niveau de confiance que les patients accordaient à l’efficacité des collyres, 13 % d’entre eux donnaient une estimation inférieure ou égale à 5 et 59,4 % donnaient une estimation supérieure ou égale à 8 (Fig. 6). La confiance que le patient accordait à l’efficacité des collyres était corrélée négativement à l’évaluation que le patient faisait de son risque de perte visuelle (r = −0,281 ; p < 0,05).

Mode de prise Dans le questionnaire, 91,8 % des patients s’administraient eux-mêmes les gouttes, dans les autres cas, ceux-ci faisaient administrer les gouttes par leur conjoint ou par l’aide d’une tierce personne. Dans 21,6 % des cas, les patients utilisaient

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A. Chiche et al.

Figure 3.

Répartition au score de connaissance (physiopathologie et épidémiologie).

Figure 4.

Niveau de perte de visuelle liée au glaucome.

un système spécifique pour se rappeler le moment de la prise des collyres, parmi celles-ci, 20 % utilisaient leur smartphone et 20 % utilisaient une simple montre ou alarme de réveil.

Confiance dans le diagnostic du médecin À la question « Sur une échelle de 0 à 10 (0 étant « désaccord total » et 10 étant « totalement d’accord ») à quel point êtes-vous d’accord avec le diagnostic de glaucome posé par votre docteur ? », la moyenne numérique des réponses était de 8,98 ± 1,431. Parmi ces réponses, 5,8 % des patients donnaient une note ≤ 5, 14,5 % donnaient une note ≤ 7 et 52,2 % des patients donnaient une note de 10 (Fig. 7). La

confiance dans le diagnostic du médecin était corrélée au niveau d’importance que le patient accordait au maintien de sa vision actuelle (r = 0,251 ; p < 0,05), à la sévérité autoévaluée du glaucome (r = 0,254 ; p < 0,05) et à la probabilité estimée par le patient de devenir aveugle en l’absence de prise de gouttes (r = 0,261 ; p < 0,05).

Discussion De nombreuses études, basées notamment sur des questionnaires autoadministrés ont permis d’identifier des caractéristiques plus fréquentes chez les patients mal observants et les raisons de cette mauvaise observance

Perception du glaucome et observance thérapeutique : étude multicentrique

Figure 5.

Niveau d’impact du glaucome sur la qualité de vie.

Figure 6.

Niveau de confiance dans l’efficacité des collyres.

thérapeutique [21,22]. Des questionnaires de qualité de vie ont également été développés spécifiquement pour le glaucome tel que le Glau-QOL afin d’explorer les liens entre la qualité de vie et l’observance avec une analyse de l’impact du glaucome sur la perception de soi, l’anxiété, la capacité à conduire ou encore le bien-être psychologique [23,24]. Les patients non observants considèrent plus fréquemment que leur docteur ne passe pas suffisamment de temps avec eux, ils ignorent plus souvent les bénéfices liés à une prise régulière des traitements, ils ont moins souvent l’aide d’une tierce personne pour la prise de traitement ou pour les

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accompagner aux consultations. On sait également que les doutes quant à la sévérité de la maladie et aux risques de cécité sont des facteurs de mauvaise observance au même titre que le manque d’information sur la maladie [22,25]. Les causes évoquées de mauvaise observance de notre étude sont concordantes avec une étude de Rees et al. [26] qui distingue une majorité de causes non intentionnelles (oubli, indisponibilité) et une minorité de causes intentionnelles (refus, crainte des effets secondaires). La mauvaise observance déclarée (nombre de jours de non-prise du traitement) est clairement associée au niveau de difficulté

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Figure 7.

A. Chiche et al.

Niveau de confiance du patient dans le diagnostic du médecin.

à l’instillation des collyres et on sait d’après les résultats des études basées sur le Glau-QOL que cette difficulté n’est pas liée à la sévérité de l’atteinte [27]. Les résultats de notre étude suggèrent toutefois que pour ces patients l’observance est potentiellement améliorable puisque le nombre de jours de non-prise du traitement est également corrélé au niveau d’utilité que le patient estime retirer de l’utilisation d’un système électronique de rappel de l’heure de prise de gouttes tel qu’un smartphone ou une alarme. Comme d’autres études l’ont montré, nous avons confirmé que l’état de santé général évalué par le patient était également lié au niveau d’impact du glaucome sur la qualité de vie et à la sévérité du glaucome évaluée par le patient. Ces résultats suggèrent que pour les patients une vision préservée est un élément majeur de la perception d’une bonne santé générale. De même, il a été précédemment observé que des difficultés dans la vie quotidienne étaient nettement perc ¸ues chez les patients ayant une atteinte modérée ou sévère [27]. Dans notre étude, nous ne retrouvions pas de corrélation significative entre l’impact du glaucome sur la qualité de vie et la gravité perc ¸ue ou réelle de celui-ci. On constatait également que l’impact du glaucome sur la qualité de vie était corrélé à la quantité d’effets secondaires des traitements ressentis par le patient. On peut en déduire que dans notre population de patients atteints de glaucome peu à modérément sévère, l’impact de la maladie sur la qualité de vie était plus lié aux effets secondaires des traitements qu’à l’atteinte de la fonction visuelle liée à la maladie. Il existait, par ailleurs, une corrélation positive forte entre la sévérité du glaucome évaluée par le patient et la sévérité réelle de celui-ci. En accord avec le « Health Belief Model », cela explique les difficultés à maintenir une parfaite observance (réalisation des actions prescrites) alors que la maladie est perc ¸ue comme peu sévère et qu’il existe des effets indésirables à la prise du traitement (barrières à la réalisation des actions prescrites). L’importance que le patient accordait à la nécessité de maintenir son niveau de vision stable était associée au niveau de confiance que celui-ci accordait au médecin concernant le diagnostic. De

manière intéressante, le niveau d’importance que le patient accordait à la nécessité de maintenir sa vision était inversement corrélé au niveau d’inconfort ressenti par le patient lors de l’instillation des collyres, suggérant que les patients qui accordaient plus d’importance à leur vision avaient tendance à minimiser les effets secondaires des collyres. Ce résultat était cohérent avec ceux trouvés dans l’étude de Kerr et al. qui montrait que la grande majorité des patients se disaient satisfaits de leur traitement tout en se plaignant de nombreux effets secondaires [28,29]. Concernant la confiance que le patient accorde à l’efficacité des collyres, celle-ci était négativement corrélée à l’évaluation que le patient faisait de son risque de perte visuelle. Cela montre une fois de plus l’importance des croyances négatives (manque de confiance dans le diagnostic) sur la capacité à prendre conscience de la gravité de la pathologie (potentiel cécitant). Il était également étonnant de constater que seuls 52,2 % des patients estimaient à 10/10 leur accord avec le diagnostic posé par leur médecin. Cela montre une certaine méfiance vis-à-vis de l’information donnée dans une pathologie dont les symptômes ne sont, pendant longtemps, pas perceptibles par le patient. Ces résultats sont en accord avec ceux de Bechetoille et al. [27] qui montraient que la confiance dans les soins n’était pas dépendante de la sévérité de l’atteinte glaucomateuse. Ce résultat doit être mis en parallèle de la note obtenue au questionnaire de connaissance sur le glaucome qui révélait des lacunes importantes dans la compréhension de la physiopathologie du glaucome. Une meilleure éducation et information des patients concernant leur maladie et ses traitements permettrait certainement d’améliorer la relation de confiance entre le patient et son ophtalmologiste mais aussi l’observance thérapeutique. Plusieurs éléments peuvent limiter l’interprétation des résultats dans notre étude. Le faible effectif et la grande proportion de patients avec une atteinte modérée n’ont pas permis d’étudier en détail les sous-groupes avec des sévérités différentes. Cette analyse aurait certainement permis de mettre en évidence des tendances différentes en fonction

Perception du glaucome et observance thérapeutique : étude multicentrique du stade de l’atteinte glaucomateuse et de son retentissement sur la fonction visuelle comme cela a déjà été montré à travers l’exploitation du questionnaire Glau-QOL. Les résultats de l’analyse de ce questionnaire montraient ainsi une forte relation entre le stade du glaucome et des paramètres tels que l’anxiété et le bien être psychologique [27]. Par ailleurs, nous ne disposions pas, dans notre étude, de mesure objective de l’observance, l’évaluation déclarative de l’observance doit donc être considérée comme sous-estimée dans ce travail. La soumission d’un questionnaire aux patients afin d’identifier ceux à risque de mauvaise observance est faisable en pratique clinique. Le fait d’évoquer ces questions avec le patient à l’aide de ce type de questionnaire est, en soi, un outil d’amélioration de l’observance facilitant la discussion avec le patient. Cependant, l’analyse individuelle du questionnaire est longue et complexe et paraît difficile à mettre en place en pratique courante. Une grille d’analyse reproductible permettant d’obtenir un score global est en cours d’élaboration mais n’est toujours pas disponible à ce jour. La connaissance des facteurs de risques de mauvaise observance retrouvés de manière fréquente ou récurrente sur une population donnée et l’analyse des relations entre ces différents facteurs permet de mieux cibler l’éducation des patients et ainsi d’améliorer l’observance.

Conclusion Chez les patients glaucomateux, l’utilisation d’un questionnaire basé sur le modèle de croyance sanitaire a confirmé la relation complexe qui existe entre le patient, sa maladie et son traitement, et même sa relation avec l’ophtalmologiste. Ces résultats permettent d’insister sur l’importance de l’éducation thérapeutique mais aussi sur le rôle des effets secondaires des traitements dans l’observance thérapeutique des patients glaucomateux.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Annexe 1. Matériel complémentaire Le matériel complémentaire accompagnant la version en ligne de cet article est disponible sur http://www. sciencedirect.com et http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2017. 01.009.

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