Physiopathogénie de la maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer

Physiopathogénie de la maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer

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Pathologie Biologie 56 (2008) 184–194 http://france.elsevier.com/direct/PATBIO/

Physiopathogénie de la maladie thromboembolique veineuse au cours du cancer Pathogenesis of venous thromboembolic disease in cancer I. Elalamy *, E. Verdy, G. Gerotziafas, M. Hatmi Unité hémostase-thrombose, service d’hématologie biologique, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Reçu le 7 décembre 2007 ; accepté le 6 mars 2008 Disponible sur Internet le 15 mai 2008

Résumé Le cancer est un véritable modèle d’hypercoagulabilité acquise. Il existe un lien étroit entre la maladie thromboembolique veineuse et le cancer. La progression tumorale est associée à une activation de la coagulation et à la fibrinoformation qui sont capitales dans la prolifération néoplasique et la dissémination métastatique. La physiopathogénie des troubles hémostatiques décrits au cours du cancer est particulièrement complexe et traduit les multiples connexions de cette pathologie avec les systèmes de l’inflammation et de l’hémostase. Dans cette revue nous envisagerons les nombreux facteurs identifiés qui sont responsables de cet état prothrombotique et dont l’action combinée contribue au développement tumoral. La relation thrombose et cancer est en fait réciproque : le cancer prédispose à la survenue d’une thrombose et le développement du processus tumoral est lié à cet état d’hypercoagulabilité. # 2008 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract Cancer is a real model of acquired hypercoagulable state. A close interaction exists between venous thromboembolic disease and cancer. Tumor progression is associated with an activation of coagulation and fibrinoformation which are both implicated in cancer proliferation and metastasis dissemination. The pathogenesis of haemostatic troubles described in cancer patients is particularly complex and it reflects the multiple connexions with inflammation and hemostasis systems. In this review, we will identify the numerous factors inducing such a prothrombotic state and the reason why their combined action contributes to cancer development. The relation between cancer and thrombosis seems reciprocal: cancer predisposes to thrombosis and tumor progression is deeply linked to this hypercoagulable state. # 2008 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Cancer ; Thrombose ; Thrombophilie ; Thrombine ; Plaquettes ; Angiogenèse ; Hypercoagulabilité Keywords: Cancer; Thrombosis; Thrombophilia; Thrombin; Platelets; Angiogenesis; Hypercoagulability

1. Introduction L’observation d’Armand-Trousseau datant de près d’un siècle et demi de l’association de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) et du cancer a été validée bien plus tard par des études cliniques prospectives [1]. La relation thrombose et cancer est en fait réciproque : le cancer prédispose à la survenue

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Elalamy). 0369-8114/$ – see front matter # 2008 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.patbio.2008.03.003

d’une thrombose et le développement du processus tumoral est lié à cet état d’hypercoagulabilité. Le risque de MTEV est accru chez le patient atteint de cancer (RR  3 à 6) et il est doublé en cas de chimiothérapie associée [2]. La survenue inopinée de thrombose peut faire découvrir une néoplasie occulte dans 10 à 25 % des cas. Le risque de découverte ultérieure d’un cancer occulte est même multiplié par dix en cas de thrombose veineuse idiopathique récidivante. Le cancer est donc associé à un état d’hypercoagulabilité se manifestant par des épisodes thrombotiques cliniques ou des

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Tableau 1 Incidence de thrombose veineuse un an après le diagnostic en fonction du type de cancer (d’après [11]) Cancer

Pancréas Gliome LAM Estomac ¨sophage Rein Poumon Ovaire Foie Lymphome LLC LAL Colôn LMC Vessie Utérus Prostate Sein Mélanome

n

6524 3775 2292 5766 2491 4891 44 497 5707 2312 9003 2023 1058 32 611 951 7138 8721 51 362 44 707 9497

TVP à 1 an Incidence cumulée (%)

TVP à 1 an Tous stades/100 pts-années (%)

TVP à 1 an Avec métastases/100 pts-années (%)

5,3 6,9 3,7 4,5 3,6 3,5 2,4 3,3 1,7 2,8 2,7 2,6 2,3 1,5 1,5 1,6 0,9 0,9 0,5

14,0 11,1 7,4 7,4 5,8 4,3 4,3 4,2 4,1 3,7 3,1 3,1 2,7 1,8 1,7 1,7 1,0 0,9 0,5

28,3 6,1 7,4 16,7 10,4 12,1 7,4 5,5 7,2 3,9 2,8 3,3 5,7 1,6 1,6 9,3 1,3 3,8 5,3

anomalies biologiques de l’hémostase qui sont responsables de son évolution péjorative et de sa plus grande morbi-mortalité. Dans cet article, nous envisagerons l’état actuel de nos connaissances concernant le lien étroit et complexe qui existe entre la pathogénie tumorale et le système de l’hémostase. 2. Risque de thrombose veineuse et cancer La survenue d’une thrombose veineuse chez le patient atteint de cancer dépend du type de tumeur, de l’étendue de l’atteinte tumorale, des thérapeutiques utilisées et d’autres facteurs de risque spécifiques au patient (facteurs intrinsèques) de mieux en mieux identifiés. La thrombose veineuse est la deuxième cause de décès chez les patients atteints de cancer [3]. Les données autopsiques révèlent une incidence de thrombose de l’ordre de 50 % mais en fait, l’incidence des thromboses symptomatiques varie selon les cas de 5 à 60 % [4]. Les sujets atteints de cancer ont ainsi un risque quatre fois supérieur de développer une thrombose veineuse par rapport aux patients non-cancéreux [2]. Il existe une relation étroite entre thrombose idiopathique et cancer [5]. Le développement d’une néoplasie chez les patients ayant une thrombose veineuse bilatérale idiopathique est plus fréquent qu’en cas d’épisode unilatéral [6]. Le risque de découverte d’un cancer occulte est ainsi deux à trois fois plus élevé au cours de la première année avec une incidence variant de 6,5 à 17 % [3]. Le cancer double le risque de thrombose postopératoire et triple le risque d’embolie pulmonaire fatale [7]. Cela dépend aussi du site et du type de tumeur. Ainsi, les cancers du pancréas, du colôn, de l’ovaire, du cerveau ou du poumon sont particulièrement pourvoyeurs de manifestations thrombotiques (Tableau 1). Les stades métastatiques sont dix à 20 fois plus thrombogènes que les formes localisées [3]. Ce risque est particulièrement accru par la chimiothérapie et la radiothérapie antitumorale [8]. Dans la série de Heit et al. [2]

les patients ayant une chimiothérapie ont un risque thrombotique nettement supérieur (OR 6,5 ; IC 95 % 2,1–20,2) à celui des patients sans chimiothérapie (OR 4,1 ; IC 95 % 1,9–8,5). Plus récemment, une étude a déterminé les facteurs favorisant la survenue de thrombose chez les patients atteints de cancer [9] (Tableau 2). Les facteurs tels que l’hospitalisation, les antécédents de MTEV personnels ou familiaux, la chimiothérapie et la fièvre sont retenus [9]. Dans ces cas, l’incidence de la MTEV peut alors passer de 2,3 à 72 % [10]. Une importante étude épidémiologique californienne a établi le profil de patients les plus à risque de thrombose veineuse [11]. L’incidence est augmentée chez les sujets ayant un cancer métastatique (OR 3,2 ; IC 95 % 2,8–3,8) et particulièrement agressif comme le cancer du pancréas. Les épisodes thrombotiques surviennent essentiellement dans les premiers six mois suivant le diagnostic. Ainsi, en cas de cancer colique, l’incidence passe de 5 % pts-année au cours du premier semestre à 1,4 % pts-année le deuxième semestre, puis à 0,6 % pts-année la deuxième année suivant le diagnostic [11]. En cas de gliome, cette incidence est particulièrement élevée dans le trimestre suivant l’intervention neurochirurgicale contrairement aux cancers solides (sein, colôn, ovaire) qui ont une Tableau 2 Facteurs de risque associés à la maladie thromboembolique veineuse chez les patients atteints de cancer en analyse multivariée (d’après [9]) Contexte

Odd-ratio

Intervalle de confiance IC 95 %

p

Tumeur solide Leucopénie Infection Stade III/IV Métastases Antécédents de thromboses

5,0 4,2 4,9 1,5 3,3 10,6

1,7–14,9 1,2–14,6 1,2–19,8 0,99–2,10 1,16–9,09 1,98–57

0,004 0,02 0,03 0,06 0,02 0,006

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Fig. 1. La triade de Virchow appliquée au cancer.

fréquence d’accidents thrombotiques bien inférieure à celle des patients n’ayant pas bénéficié d’une chirurgie majeure [11]. Enfin, il apparaît que la survie soit significativement raccourcie en cas de MTEV associée. Ce décès plus précoce peut être lié à une embolie pulmonaire massive ou à une hémorragie majeure induite par les anticoagulants, témoin d’une plus grande comorbidité (défaillance cardiaque, insuffisance respiratoire, atteinte hépatique et/ou rénale. . .) ou d’une évolution métastatique [11].

3.1. L’hypercoagulabilité

3. Hypercoagulabilité acquise et cancer

3.2. L’atteinte endothéliale

Tous les éléments de la triade de Virchow décrite en 1863 sont retrouvés chez le patient atteint de cancer (Fig. 1).

L’atteinte endothéliale peut être liée à l’effraction par les cellules tumorales ou à l’irritation éventuelle par la chimiothérapie ou d’autres techniques invasives (cathéter veineux central, intervention chirurgicale. . .).

Tableau 3 Hypercoagulabilité du cancer et les marqueurs biologiques potentiels (d’après [4]) Atteinte

L’hypercoagulabilité est d’origine plurifactorielle avec certains mécanismes prothrombotiques spécifiques du type de tumeur et d’autres qui sont imputables à l’interaction avec les autres cellules du compartiment vasculaire. Il faut donc distinguer les facteurs intrinsèques inhérents au patient et les facteurs extrinsèques majorant le risque vasculaire comme certains traitements antinéoplasiques ou un acte chirurgical, par exemple.

3.3. La stase veineuse

Marqueurs

Coagulation plasmatique Facteur VII activé (FVIIa) Complexes Thrombine-Antithrombine (TAT) Fragments de la prothrombine (F1 + 2) Fibrinopeptide A Monomères de fibrine D-Dimères Activation endothéliale

Thrombomoduline (TM) Facteur Willebrand (FW) Activateur tissulaire du plasminogène (tPA) Inhibiteur de l’activateur du plasminogène (PAI-1) P- et E-sélectines (CD62)

Activation plaquettaire

b-Thromboglobuline (grains a) Facteur 4 plaquettaire (grains a) P-sélectine CD62-P (grains a) CD63 (lysosomes)

La stase veineuse est banale au cours de l’hospitalisation avec une immobilisation fréquente en rapport avec une asthénie invalidante, par exemple. Par ailleurs, dans ce contexte néoplasique, une compression extrinsèque des axes veineux est possible par une adénopathie satellite ou la tumeur ellemême [12]. Ces mécanismes prothrombotiques reflètent la réponse de l’hôte au développement tumoral et illustrent la capacité des cellules cancéreuses à activer la coagulation de manière complexe et multifactorielle. Plusieurs particularités biologiques sont rapportées lors de cancer (Tableau 3) :  le déséquilibre de la balance hémostatique ;  la production de facteurs procoagulants ;

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Fig. 2. La relation intriquée de l’évolution du cancer avec l’inflammation et la thrombose.

 le déséquilibre de la fibrinolyse ;  la libération accrue de cytokines pro-inflammatoires ;  la coopération intercellulaire exacerbée (cellules tumorales, endothéliales, plaquettes, monocytes. . .) ;  la progression tumorale via l’angiogenèse et la dissémination métastatique ;  l’hypercoagulabilité iatrogène liée au traitement physique ou chimique antitumoral. Les mécanismes potentiels contribuant au profil thrombophile du cancer sont d’origines diverses, complexes et intriqués (Fig. 2). 4. Inflammation, thrombose et cancer L’inflammation est intimement liée au processus tumoral. Elle implique toutes les cellules du compartiment vasculaire telles que les lymphocytes, les monocytes-macrophages, les cellules tumorales, l’endothélium et les plaquettes [13]. Le syndrome inflammatoire biologique amplifie cette coopération pluricellulaire (polynucléaires, monocytes, plaquettes. . .). L’augmentation des taux de FVIII et de fibrinogène peut

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induire une résistance acquise à l’activité anticoagulante de la protéine C activée. Les cellules tumorales sont capables d’interagir directement avec les autres cellules via les cytokines (tumor necrosis factor-a [TNF-a], interleukine 1 [IL1], vascular endothelial growth factor [VEGF]. . .) et les molécules adhésives (Willebrand, P-sélectine, VCAM1, E-sélectine. . .) en influençant ainsi leur potentiel prothrombotique (expression moindre de thrombomoduline et libération accrue de facteur tissulaire). La P-sélectine (CD62P) est la plus volumineuse des sélectines (140 kDa). Elle est contenue dans les corps de Weibel-Palade des cellules endothéliales et les granules alpha des plaquettes. La liaison de la P-sélectine à son récepteur membranaire le P-selectin glycoprotein ligand-1 (PSGL-1) active l’adhésion leucocytaire, l’agrégation hétérotypique des plaquettes et des cellules endothéliales activées aux cellules tumorales [14]. Cette sélectine est le véritable chaînon liant l’inflammation à la thrombogenèse [15] (Fig. 3). Elle contribue à la focalisation des microparticules sur les sites lésionnels ou inflammatoires tout en stimulant leur génération [16]. La croissance du thrombus est ainsi P-sélectine/PSGL-1 dépendante. Les héparines limiteraient la dissémination métastatique en inhibant directement les interactions cellulaires médiées par la P-sélectine [17]. Les cytokines pro-inflammatoires et les protéines de la phase aiguë de l’inflammation sont communément élevées au cours du cancer résultant de l’activation monocytaire et/ou endothéliale ou émanant directement des cellules tumorales [18]. Le lien entre les cytokines de l’inflammation (TNF-a, interleukine 8 [IL-8], interleukine 6 [IL-6] et CRP) et la MTEV est clairement rapporté chez les patients non-cancéreux [19]. L’élévation des taux de facteur VIII combinée à celle du facteur Willebrand pourrait aussi contribuer à amplifier cette hypercoagulabilité [20]. De plus, l’activité de l’ADAMTS-13, protéase responsable du clivage du facteur Willebrand, serait réduite dans les cohortes de patients atteints de cancer [21].

Fig. 3. Les acteurs procoagulants du cancer.

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Tous les partenaires cellulaires et plasmatiques du compartiment vasculaire interagissent de manière intimement intriquée contribuant à une adhésivité accrue et à l’acquisition d’un phénotype procoagulant. L’inflammation joue donc un rôle pivot à la fois dans la progression tumorale et dans le développement de la MTEV. 5. Acteurs procoagulants du cancer L’endothélium vasculaire stimulé par les cellules tumorales est tout particulièrement impliqué dans ce processus prothrombotique. L’exposition conséquente du facteur tissulaire (FT) lié au facteur VIIa déclenche la cascade de la coagulation et aboutit à la génération accrue de thrombine. Cette protéine de 47 kDa est la véritable gâchette de la coagulation. Le FT est exprimé à la surface de nombreuses cellules vasculaires activées (endothélium, monocytes. . .) et aussi, de manière constitutive, par les cellules tumorales. Il contribue à la croissance tumorale selon deux mécanismes. D’une part, via la coagulation et la génération de thrombine, il est un puissant activateur de l’angiogenèse et du processus métastatique via les récepteurs protease-activated receptor (PAR-1, PAR-3 et PAR4) couplés à des protéines G régulatrices. D’autre part, de manière indépendante de la coagulation, l’extrémité intracytoplasmique du FT est impliquée via le jeu de diverses kinases (MAP kinase P38, ERK1/2) et de certains gènes (K-ras ou p53, par exemple) dans le remodelage vasculaire, l’angiogenèse via le vascular endothelial growth factor et la progression tumorale [22] (Fig. 3). Le FT participe ainsi activement aux modifications du microenvironnement tumoral [23]. L’activation directe de PAR-2 par le complexe FT-VIIa contribue aussi à la prolifération tumorale via des effets anti-apoptotiques et l’induction de diverses cytokines et autres régulateurs angiogéniques [24]. La relation entre l’expression du FT des cellules cancéreuses et la survenue de thrombose n’est toutefois pas clairement définie. Certaines tumeurs expriment peu de FT mais elles sont cependant très thrombogènes comme les

carcinomes rénaux [25]. Inversement, certaines tumeurs de la tête et du cou sont particulièrement riches en FT après marquage histochimique et elles sont bien moins sujettes aux thromboses [26]. Cette discordance a été soulignée par l’étude de Goldenberg et al. qui a montré que les taux circulants de FT soluble des patients atteints de cancer et ayant une thrombose veineuse profonde n’étaient pas significativement supérieurs à ceux des patients ayant un cancer sans thrombose ou des sujets ayant une thrombose sans cancer connu [27]. Différents marqueurs de la génération accrue de thrombine ou de l’activation de la coagulation ont été ainsi étudiés dans l’évolutivité et le pronostic de la pathologie néoplasique (complexes thrombine–antithrombine, fragments 1 + 2 d’un prothrombine, D-Dimères. . .). La fibrine générée favoriserait la dissémination métastatique en facilitant l’adhésion des cellules tumorales à l’endothélium vasculaire et en les protégeant de l’agression du système immunitaire. Les mécanismes selon lesquels la thrombine, l’axe plaquettes/fibrinogène, le facteur stabilisant la fibrine (FXIII), influencent le devenir tumoral et la génération des métastases sont de mieux en mieux connus [28]. Les cellules tumorales indifférenciées peuvent intrinsèquement sécréter un facteur procoagulant du cancer (Fig. 4). Il s’agit d’une enzyme (protéase à cystéine calcium-dépendante) de 68 kDa activant directement le facteur X en le clivant à un site différent des autres activateurs classiques qui sont des sérine-protéases [29]. Ce facteur est exprimé dans les tissus embryonnaires mais sa fonction n’est pas connue. Il est, en revanche, surexprimé dans certaines tumeurs (LAM3, mélanome, cancers du colôn, du sein, du poumon ou du rein). Il serait capable aussi d’induire une activation plaquettaire équivalente à celle de la thrombine [12]. Par ailleurs, les cellules cancéreuses peuvent par microvésiculation membranaire surexprimer un récepteur pour le facteur V, la proaccélérine, facilitant ainsi la génération du complexe clé de la prothrombinase. La production d’une protéine factor XIII-like a aussi été rapportée et elle serait responsable d’une stabilisation accrue des monomères de fibrine.

Fig. 4. La P-sélectine : lien des hétérocomplexes cellulaires procoagulants.

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Les mucines sécrétées par les adénocarcinomes servent de liens via la P-sélectine sur les plaquettes et la L-sélectine sur les leucocytes pour former des hétéro-agrégats complexes prothrombotiques avec les cellules tumorales [30]. Les microparticules sont des vésicules phospholipidiques de moins d’un micron de diamètre libérées par la membrane de la plupart des cellules du compartiment vasculaire (plaquettes, leucocytes, cellules endothéliales, hématies. . .). Certaines sont particulièrement procoagulantes, car elles sont riches en FT et en phosphatidylsérine. Le FT est généralement cryptique mais l’activité procoagulante est imputable au FT associé à ces microvésicules émanant des cellules tumorales et des monocytes et de leur interaction ou fusion avec les paquettes [31]. Elles contribuent au phénotype hypercoagulable du cancer [32]. Ces microparticules seraient même des marqueurs de l’évolution métastasique de certaines tumeurs solides (poumon, estomac) [33]. 6. Déséquilibre de la balance fibrinolytique et cancer Le système fibrinolytique n’est pas épargné dans ce contexte tumoral avec une modification de sa régulation. Les cellules tumorales sécrètent la plupart de ses acteurs (urokinase type plasminogen activator [u-PA], tissue-type plasminogen activator [t-PA], les principaux inhibiteurs de l’activateur du plasminogène [PAI-1 et PAI-2]). Elles expriment à leur surface les récepteurs de u-PA (u-PAR). Cela facilite l’activation de la cascade fibrinolytique favorisant la symptomatologie hémorragique de certaines leucémies, par exemple. En revanche, en cas de tumeurs solides le dysfonctionnement de ce système contribue à un profil prothrombotique. Les taux plasmatiques élevés d’u-PA et/ou de PAI-1 seraient des marqueurs pronostiques fiables en pratique clinique [34]. Le PAI-1 relargué par les cellules tumorales freine donc la fibrinolyse mais il peut aussi contribuer à l’angiogenèse et à la croissance tumorale [12]. 7. Plaquettes, angiogenèse et progression tumorale La thrombocytose réactionnelle et les plaquettes activées peuvent contribuer au développement tumoral en stimulant l’angiogenèse via la sécrétion de platelet derived growth factor (PDGF), de vascular endothelial growth factor et d’autres facteurs de croissance. Elles favorisent aussi l’essaimage des cellules néoplasiques au sein du compartiment vasculaire via les intégrines telles que avb3 et d’autres glycoprotéines membranaires [35]. Une fois activées, les plaquettes au phénotype plus adhésif sont capables d’interagir davantage avec les autres cellules du compartiment vasculaire et les cellules tumorales [12]. Elles contribuent, en outre, à les fixer dans le lit vasculaire et à les protéger des forces cisaillement du flux circulatoire (shear-stress). Les embols tumoraux, engainés par la fibrine et les plaquettes, peuvent aussi se disséminer dans le flux circulatoire et favoriser le processus métastatique. Parmi les multiples acteurs à l’origine de la relation hémostase/cancer, les plaquettes jouent un rôle particulièrement important [36]. Ainsi, la déplétion en plaquettes a un effet

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antimétastatique et un nombre élevé de plaquettes est généralement associé à une évolution plus péjorative des patients atteints de cancer [37]. Par ailleurs, les plaquettes sont capables de protéger les cellules tumorales vis-à-vis du système immunitaire. La formation d’agrégats plaquettaires autour des cellules tumorales les soustrait de la destruction par les cellules natural killer (NK) [28]. Différents facteurs solubles issus des plaquettes inhibent l’activité des cellules NK comme la PGE2 et le TGFb1 [28]. En plus de cette barrière physique de type « garde du corps » empêchant le contact direct avec les cellules NK, d’autres mécanismes sont proposés. La production plaquettaire de l’acide 12(S)-hydroxyéicosatétraénoïque (12(S)-HETE), un métabolite de l’acide arachidonique, réduit la cytotoxicité et la cytolyse par le tumor necrosis factor-a. Le 12(S)-HETE, induisant la rétractation des cellules endothéliales, facilite l’extravasation des cellules tumorales et leur développement métastatique [36]. Les interactions entre les cellules tumorales et les plaquettes font intervenir de nombreux médiateurs et molécules d’adhésion, autres que la P-sélectine, contribuant à accroître l’adhésion et l’activation cellulaire. Ainsi, des récepteurs homologues à la glycoprotéine Ib, récepteur membranaire plaquettaire du facteur Willebrand, à l’intégrine aIIbb3 (GPIIbIIIa), récepteur du fibrinogène et à l’intégrine aVb3, liant la fibronectine, seraient aussi présents sur certaines cellules cancéreuses contribuant à promouvoir la formation de ponts intercellulaires. Par leur capacité à relarguer des agents mitogènes (acide lysophosphatidique, PDGF. . .) les plaquettes stimulent la prolifération tumorale. Par ailleurs, les plaquettes sont une source importante d’agents pro- et anti-angiogéniques [38]. Le basic fibroblastic growth factor (bFGF), l’angiopoïétine-1, le VEGF-A et le VEGF-C sont contenus dans les granules a plaquettaires. Non seulement le VEGF-A stimule la prolifération des cellules endothéliales mais il favorise aussi la maturation mégacaryocytaire, la libération de Facteur Willebrand, l’adhésion plaquettaire et la formation d’hétéro-agrégats plaquettes-cellules tumorales. Le VEGF-C contribue à la lymphangiogenèse tumorale [39]. L’angiopoïétine-1 a une action complémentaire et collabore avec le VEGF pour stabiliser les cellules endothéliales en prolifération [40]. Tous ces facteurs ont une action synergique sur l’induction de l’angiogenèse. Le facteur 4 plaquettaire est, en revanche, anti-angiogénique et trois mécanismes sont proposés pour l’expliquer [41]. Il bloque la fonction réceptrice des glycosaminoglycanes vis-àvis des facteurs de croissance endothéliaux liant l’héparine, il inhibe le site de liaison à l’héparine des facteurs proangiogéniques et il inhibe l’action de l’epidermal growth factor (EGF). La thrombospondine-1 (TSP-1) est la protéine la plus abondante des granules a. En se liant aux récepteurs CD36 endothéliaux, elle inhibe la prolifération de ces cellules et stimule leur apoptose [41]. Le PAI-1 complexé à la vitronectine au sein des granules a est capable d’inhiber l’angiogenèse à forte concentration. L’endostatine est l’un des inhibiteurs les plus puissants de l’angiogenèse qui est libéré par les plaquettes sous l’action de la thrombine et l’activation des récepteurs PAR-4 [42].

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Fig. 5. Cancer et hypercoagulabilité du compartiment vasculaire (d’après [8]).

L’implication des plaquettes dans la tumorigenèse est établie et ces cellules constituent dorénavant des cibles potentielles et prometteuses pour le développement de nouveaux traitements antitumoraux (Fig. 5). 8. Hypercoagulabilité iatrogène et cancer Les thérapeutiques antinéoplasiques (hormones, chimio- ou radiothérapie) peuvent aussi majorer le risque thrombotique (Tableau 4). L’incidence annuelle de thromboses veineuses symptomatiques chez ces patients atteint en moyenne 11 % mais elle est largement sous-estimée [43]. Les exemples sont divers avec la L-asparaginase, la mitomycine C, le Cisplatine1, la Bléomycine1, le Tamoxifène1 et même certains médicaments anti-angiogéniques. Les mécanismes sont multiples avec un déficit acquis en inhibiteurs physiologiques (antithrombine, protéines C et S), une toxicité sur les cellules normales (endothélium) ou par une lyse cellulaire tumorale. Certaines circonstances ou facteurs semblent majorer ce risque vasculaire comme un antécédent de chimiothérapie, une numération plaquettaire supérieure à 350 G/L, un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dL, le type de cancer (tractus digestif, pulmonaire ou lymphome), l’utilisation de facteurs de croissance leucocytaire ou d’érythropoïétine [44]. Le risque thrombotique est différent selon le type de molécule utilisée mais les mécanismes responsables de cette hypercoagulabilité restent encore mal connus. Ainsi les femmes porteuses d’un cancer du sein et traitées par cyclophosphamide, Methotrexate1 et Fluorouracile1 (CMF) en association avec le Tamoxifène1 ont une incidence de Tableau 4 Les mécanismes prothrombotiques de la chimiothérapie Activation plaquettaire Toxicité directe endothéliale Induction de l’expression du FT des monocytes/macrophages Réduction des taux d’inhibiteurs de la coagulation (# antithrombine, # protéines C et S) Altération de la fonction fibrinolytique (" PAI-1) Apoptose des cellules endothéliales (" expression du facteur tissulaire) Sécrétion de cytokines pro-angiogéniques et immunomodulatrices

thrombose significativement accrue par rapport aux patientes recevant le Tamoxifène1 seul (13,6 % versus 2,6 % ; p < 0,01) [45]. Une analyse systématique de la littérature a révélé que le risque vasculaire est deux à trois supérieur sous Tamoxifène1 et équivalent à celui du traitement hormonal substitutif prescrit chez la femme ménopausée [46]. Le Thalidomide1 est un traitement anti-angiogénique prometteur dans les formes évoluées du myélome multiple, réfractaires ou récidivantes. Ainsi, les réponses thérapeutiques sont de l’ordre de 30 % avec le Thalidomide1 seule et de 50 % en cas d’association avec la Dexaméthasone1 [47]. Cette association est devenue un véritable standard dans le traitement du myélome. Les complications thrombotiques sont le principal effet adverse de cette combinaison thérapeutique. Le Thalidomide1 combiné à la Dexaméthasone1 ou à la chimiothérapie conventionnelle augmente sept à huit fois le risque de survenue de thrombose comparativement à son utilisation isolée chez les patients atteints de myélome [47]. Les mécanismes physiopathogéniques sont probablement plurifactoriels et restent encore mal connus. Des taux accrus de facteurs de la coagulation sont rapportés principalement le facteur VIII et le facteur Willebrand. Une résistance acquise à l’action anticoagulante de la protéine C activée est aussi décrite. Il apparaît toutefois que le Thalidomide1 utilisé seul soit associé à une faible incidence (3 %) de thrombose veineuse. Ce taux passe à 10–20 % en cas d’association avec la Dexaméthasone1 et à 20–40 % en cas de prise combinée de Doxorubicine1. L’hypercoagulabilité observée lors du myélome peut être aussi liée à l’atteinte du système fibrinolytique, la présence d’anticoagulant de type lupus, aux taux accrus de cytokines pro-inflammatoires (interleukine 6, tumor necrosis factor-a). Dans une étude pilote, nous avons montré que la génération de thrombine et le taux plasmatique de thrombomoduline soluble sont significativement augmentés chez les patients atteints de myélome multiple qu’ils reçoivent ou pas l’association Thalidomide1/ Dexaméthasone1 [48]. Depuis de nombreuses années, la recherche en oncologie sur les thérapeutiques capables de cibler une cellule différente de la cellule tumorale s’est développée. Une des voies explorées est le processus d’angiogenèse tumorale médié par le facteur de croissance vasculaire VEGF. L’Avastin1 (bevacizumab) est un

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anticorps monoclonal humanisé recombinant (7 % murin, 93 % humain) qui se lie sélectivement au médiateur pro-angiogénique clé : le VEGF. Des hémorragies cutanéomuqueuses ont été rapportées chez 20 à 40 % des patients traités par Avastin1. Une incidence accrue de TVP atteignant 25 % est rapportée chez les patients recevant du bevacizumab, de l’irinotecan et du cysplatine en cas de cancer gastrique [49]. Dans cinq essais randomisés incluant ceux du cancer colorectal métastatique (n = 1745), des évènements thromboemboliques artériels y compris des accidents vasculaires cérébraux, des infarctus du myocarde et des accidents ischémiques artériels transitoires sont survenus chez 4,5 % (45/1004) des patients traités par Avastin1 associé à une chimiothérapie, comparativement à 2,0 % (15/741) des patients recevant la chimiothérapie seule [49]. D’autres agents anti-angiogéniques tels que le sorafenib, un inhibiteur multikinases oral, n’auraient pas cet effet prothrombotique [50]. Il faut enfin considérer le risque accru de thrombose inhérent à l’utilisation de facteurs de croissance tels que l’érythropoïétine recombinante (Epo), le granulocyte-macrophage colonystimulating factor (GMCSF) ou le granulocyte colonystimulating factor [51]. La chirurgie en général double le risque de thrombose veineuse postopératoire chez les patients cancéreux par rapport aux non-cancéreux [11]. En fait, cet effet devrait être mieux évalué et de manière plus spécifique en fonction du type même de cancer. La cure chirurgicale du cancer réduirait logiquement l’incidence des thromboses mais cette diminution serait liée à une prophylaxie anticoagulante plus agressive et plus systématique dans ce contexte opératoire [11]. 9. Thrombophilie et cancer L’influence de la thrombophilie constitutionnelle chez les patients atteints de cancer est plus difficile à évaluer que dans la population générale (Tableau 5). La plupart des études sont de taille relativement limitée et les résultats dépendent aussi du background génétique de la population, du type de cancer, du type de thrombose et du traitement anticancéreux [52]. Les mutations génétiques des facteurs V et II de type Leiden, fréquentes dans la population caucasienne, sont associées à un risque accru de thrombose veineuse (RR  2 à 4) et tout particulièrement en cas d’épisode idiopathique (RR  3 à 8) [52]. Plusieurs études ont rapporté des conclusions discordantes

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entre l’existence d’une thrombophilie congénitale avec mutation du gène du facteur V Leiden (Q506R ; FVL) ou du facteur II Leiden (G20210A ; FIIL) et le risque thrombotique veineux chez les patients atteints de cancer [53]. Une importante étude cas-témoins a toutefois montré que les sujets porteurs de la mutation du FVL avaient un risque de survenue de thrombose 12 fois supérieur aux patients non-cancéreux et non-porteurs du FVL (OR 12,1 ; IC 95 % 1,6–88,1) [45]. En fait, ce risque est doublé par rapport aux patients ayant un cancer sans FVL (OR 5,1 ; IC 95 % 3,3–7,7). L’influence sur le risque de thrombose du cathéter veineux central est bien démontrée chez les patients porteurs de FVL (OR 5,2 ; IC 95 % 3,0–8,8) et chez ceux ayant un FIIL (OR 3,95 ; IC 95 % 1,5–10,6) [54]. Les déficits en inhibiteurs physiologiques de la coagulation (antithrombine, protéine C et protéine S) sont trop rares pour pouvoir analyser de manière fiable leur rôle potentiel dans la survenue de thrombose spécifiquement chez le patient atteint de cancer. L’augmentation des anticorps antiphospholipides et l’éventualité d’une résistance acquise à l’activité anticoagulante de la protéine C activée indépendante de l’élévation des taux de FVIII ou de la diminution des taux de protéine S, sont fréquemment retrouvées au cours du cancer et pourraient ainsi favoriser une MTEV [52]. En revanche, l’implication de l’hyperhomocystéinémie reste incertaine même dans ce contexte. Les augmentations des taux des facteurs de la coagulation (VIII, VII, IX, XI) majoreraient ce risque vasculaire mais les données de la littérature sont contradictoires [55]. 10. Stratification du risque thrombotique et cancer Le risque de thrombose veineuse est nettement accru en cas de cancer mais il est différent selon le terrain des patients, le type de tumeur, et au cours de l’évolution chez un même patient [56]. Différents facteurs sont proposés pour évaluer ce risque. L’âge avancé et le sexe féminin seraient associés à une incidence accrue de thrombose. Le site initial de la tumeur est aussi discriminant : cerveau, pancréas, ovaire, rein, estomac, poumon. Dans l’étude néerlandaise, les hémopathies telles que le myélome et les lymphomes induisent le risque thrombotique le plus élevé (OR 28 ; IC 95 % : 4,0–199,7) devant les cancers du poumon (OR 22 ; IC 95 % : 3,6–136,1) ou digestifs (OR 20,3 ; IC 95 % : 4,9–83,0) [53]. L’existence de métastases accroît aussi ce risque mais cela doit être pondéré par l’éventualité d’une mobilité réduite et d’une co-morbidité plus grande [56]. L’incidence des épisodes thrombotiques est en

Tableau 5 Risque thrombotique veineux chez les patients ayant un cancer associé à la mutation du facteur V Leiden (FVL) ou la mutation G20210A du gène de la prothrombine (FIIL) comparativement aux patients non cancéreux (d’après [1]) Études

Cas/témoins (n)

Type de cancer

FVL OR (IC 95 %)

FIIL OR (IC 95 %)

Haim et al. [59] Pihush et al. [60] Ravin et al. [61] Ramacciotti et al. [62] Kennedy et al. [63] Eroglu et al. [64] Blom et al. [65]

55/58 28/147 40/34 64/147 101/101 30/68 178/27

Tous Digestif Gynécologique Tous Tumeurs solides Tous Tous

0,3 4,4 0,3 0,6 1,7 6,9 2,2

ND 2,4 (0,6–9,9) ND 1,2 (0,1–13,1) 6,7 (0,9–1) ND 4,1 (0,3–60,8)

(0,03–2,3) (1,3–14,9) (0,1–1,7) (0,06–5,3) (0,3–10,7) (1,9–24,6) (0,3–17,8)

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Fig. 6. Plaquettes, coagulation et progression tumorale.

général plus élevée à la phase initiale durant les trois premiers mois suivant le diagnostic de la pathologie tumorale (OR 53,5 ; IC 95 % 8,6–334,3), puis elle décroît progressivement dans le temps (OR 14,3 ; IC 95 % 5,8–35,2 la première année et OR 3,6 ; IC 95 % 2,0–6,5 les deux années suivantes) [53]. La chimiothérapie multiplie par six le risque de thrombose [56]. L’hormonothérapie par Tamoxifène1 au cours du cancer du sein induit un risque vasculaire plus grand mais surtout en cas d’association au traitement cytotoxique (RR  1,5 à 7) [53]. L’augmentation des D-Dimères comme celle de l’expression du FT dans le suivi évolutif sont des marqueurs prédictifs pour stratifier le risque d’épisode thrombotique initial ou récidivant [56]. Chez les patients ambulatoires, la valeur plus élevée de la numération plaquettaire préchimiothérapie et même perchimiothérapie est associée à une incidence significativement accrue de thromboses (1,66 % par mois pour 350 G/L versus 0,52 % par mois pour 200 G/L ; p = 0,0003) [56]. Les patients recevant des facteurs de croissance érythrocytaires sont aussi à plus grand risque de MTEV [56]. Il n’existe pas actuellement d’outils validés permettant de déterminer de manière fiable le risque de thrombose chez les patients atteints de cancer comme chez les patients médicaux ou chirurgicaux [57,58]. Des scores sont proposés pour cette stratification mais ils restent à évaluer sur une plus grande échelle [57]. 11. Conclusion Le développement d’une pathologie néoplasique est associé à une activation de la coagulation et de la fibrinoformation qui sont capitales dans la prolifération tumorale et la dissémination métastasique. La physiopathogénie des troubles hémostatiques décrits au cours du cancer est particulièrement complexe et elle traduit les multiples connexions de cette pathologie avec les systèmes de l’inflammation et de l’hémostase (Fig. 6). Les cellules cancéreuses sont ainsi capables d’initier et de promouvoir la thrombogenèse en agissant sur les processus de la coagulation, la fibrinolyse, l’agrégation plaquettaire, la

libération des cytokines pro-inflammatoires et les interactions directes de la paroi avec des cellules circulantes du compartiment vasculaire. L’amélioration significative de nos connaissances dans ce domaine permet d’optimiser les stratégies prophylactiques antithrombotiques qui seront donc aussi, dans une certaine mesure, antinéoplasiques. Ainsi, le contrôle de la coagulation au cours du cancer prévient non seulement les complications vasculaires mais il pourrait aussi potentiellement réduire la progression tumorale, la dissémination métastatique et même prolonger la survie de ces patients. Références [1] Zwicker JI, Furie BC, Furie B. Cancer-associated thrombosis. Crit Rev Oncol Hematol 2007;62:126–36. [2] Heit JA, Silverstein MD, Mohr DN, Petterson TM, O’Fallon WM, Melton LJ. Risk factors for deep vein thrombosis and pulmonary embolism: a population based case-control study. Arch Intern Med 2000;160:809–15. [3] Sutherland DE, Weitz IC, Liebman HA. Thromboembolic complications of cancer: epidemiology, pathogenesis, diagnosis and treatment. Am J Hematol 2003;72:43–52. [4] Lee AY, Levine MN. The thrombophilic state induced by therapeutic agents in the cancer patient. Semin Thromb Hemost 1999;25:137–45. [5] Hettiarachchi RJ, Lok J, Prins MH, Buller HR, Prandoni P. Undiagnosed malignancy in patients with deep vein thrombosis: incidence, risk indicators and diagnosis. Cancer 1998;83:180–5. [6] Rance A, Emmerich J, Guedj C, Fiessinger JN. Occult cancer in patients with bilateral deep-vein thrombosis. Lancet 1997;350:1448–9. [7] Lee AY. Epidemiology and management of venous thromboembolism in patients with cancer. Thromb Res 2003;110:167–72. [8] Prandoni P, Falanga A, Piccioli A. Cancer and venous thromboembolism. Lancet Oncol 2005;6:401–10. [9] Lin J, Wakefield TW, Henke P. Risk factors associated with venous thromboembolic events in patients with malignancy. Blood Coagul Fibrinolysis 2006;17:265–70. [10] Kröger K, Weiland D, Ose C, Neumann M, Weiss S, Hirsch C. Risk factors for venous thromboembolic events in cancer patients. Ann Oncol 2006;17:297–303. [11] White RH, Chew H, Wun T. Targeting patients for anticoagulant prophylaxis trials in patients with cancer: who is at highest risk? Thromb Res 2007;120(Suppl. 2):S29–40.

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