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© 2004, Masson, Paris
Presse Med 2004; 33: 940-1
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Intoxication cannabique chez un enfant de 11 mois 1
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Aurélie Marcou , Jean-Christophe Paon , Damien Dufour , Abdelmalek Belgaïd , Jean-Pierre Goullé , Pascal Le Roux 1 - Service des urgences
L e cannabis est extrait d’une résine provenant des feuilles et des fleurs de Cannabis sativa. Le produit actif est le 9-tétra-hydro-can-
nabinol (TCH), transformé par ingestion ou inhalation en 11- hydro-TCH. Ces métabolites ont une action hallucinogène1. L’intoxication cannabique n’est donc pas uniquement un problème de l’adulte, même si les cas restent très rares chez l’enfant. 2 - Service de Le jeune Pessy âgé de 11 mois est amené par le Samu pour ingestion accidentelle d’une boulette de résine de cannabis. À l’interpharmacologie rogatoire, on apprend que le père est un ancien toxicomane, consommant à ce moment du haschich, sous forme de « joint ». et toxicologie, Groupe hospitalier, L’enfant en aurait subtilisé. Pessy n’a pas d’antécédent notable. Il a un traitement corticoïde inhalé suite à une bronchiolite. L’exa55, bis rue Gustave men clinique à l’entrée trouve un enfant bien tonique, éveillé, avec un score de Glasgow à 15. Les pupilles sont symétriques, réacFlaubert, Le Havre (76) tives. Il n’y a pas de déficit neurologique. L’auscultation cardio-pulmonaire est normale. Il n’y a pas de détresse respiratoire, ni de signe digestif. Seule la pression artérielle est élevée, à 122/65, en décubitus. L’enfant ressort après 24 heures de surveillance avec un Correspondance : examen normal et une tension normalisée pour l’âge à 90/40. Les dosages biologiques trouvent dans le sang le tétra-hydro-canPascal Le Roux, nabinol (THC) à 3,2 µg/L, le 11-hydroxy-tétra-hydro-cannabinol à 5,6 µg/L, le 11-nor-9-carboxy-tétra-hydro-cannabinol à 64,4 µg/L Service des urgences et des dérivés cannabinoïdes urinaires à 125 µg/L ; la recherche de cocaïne urinaire, dosée également, est négative. pédiatriques, Groupe hospitalier, La plupart des cas recensés d’intoxication cannabique chez l’enfant ont évolué favorablement mais une surveillance rapprochée reste 55 bis, rue Gustave indispensable et l’hospitalisation nous semble nécessaire. L’intoxication chez le nourrisson peut résulter de 2 mécanismes : inhalation Flaubert, 76600 Le Havre passive ou ingestion. La symptomatologie de cette intoxication par ingestion chez l’enfant est différente de celle de l’adulte. Les
[email protected] symptômes neurologiques sont souvent au premier plan, avec une somnolence pouvant évoluer vers le coma en cas de prise importante, des pupilles en position intermédiaire avec des réflexes photomoteurs diminués2, une blépharoptose3 et une hypotonie, ceci associé parfois à une hypothermie1. Un risque de convulsion existe. La surveillance carRéférences diorespiratoire est nécessaire du fait du risque de dépression respiratoire et de troubles 1 Gruber AJ, Pope HG. Marijuana use among adolescents. Pediatr Clin North Am 2002 ; de la fréquence cardiaque à type de tachycardie. Une hypertension en décubitus et/ou 49 : 389-413. une hypotension artérielle orthostatique ont été rapportées comme dans notre obser2 Debray H, Vidal F, Enjolras M. Intoxication au cannabis chez une enfant de 13 mois. Presse Med 1987 ; 16 : 1807. vation4. On note parfois des signes digestifs à type de nausées, vomissements, diarrhées 3 Gaulier JM, Tonnay V, Benkemoun P. Intoxication cannabique aiguë chez un enfant de et, dans certains cas, la présence de petits granules dans la bouche3. Au moindre doute, 10 mois. Arch Pediatr 2002 ; 9 : 1112-13. il est donc important de faire doser les dérivés cannabinoïdes urinaires qui restent pré4 Hall W, Solowij N. Adverse effects of cannabis. Lancet 1998 ; 352 : 1611-16. sents durant plusieurs jours après la prise de cannabis5. Enfin il faut signaler la nécessité 5 Spadari M, Arditti J, Affaton MF, David JM, Valli M. Intoxications accidentelles par stupéfiants et buprénorphine chez les enfants notifiés au centre antipoison de de l’organisation d’un suivi médico-social de ces enfants et de leurs familles, afin d’éviter Marseille de 1993 à 1999. Thérapie 2000 ; 55 : 705-8. les récidives par des mesures préventives. ■ pédiatriques,
Pneumonie communautaire à Enterobacter aerogenes multirésistant B. Mégarbane1, K. Shabafrouz1, L. Raskine2, A. Delahaye1, F. Baud1
L’ isolement au cours d’une pneumonie communautaire d’un bacille à Gram négatif (BGN) de type nosocomial est désormais pos1 - Service de réanimation médicale et toxicologique 2 - Laboratoire de bactériologie, Hôpital Lariboisière, Paris (75)
Correspondance : Bruno Mégarbane, Service de réanimation médicale et toxicologique, Hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise Paré, 75010 Paris. Tél. : 01 49 95 64 91 Fax : 01 49 95 65 78 bruno-megarbane @wanadoo.fr
sible en dehors de toute pathologie respiratoire chronique, comme rapporté chez un patient alcoolique (Pseudomonas aeruginosa)1 ou un autre infecté par le VIH (Acinetobacter baumanii)2. Néanmoins, dans ces 2 cas, les souches isolées étaient de phénotype sauvage. Nous rapportons ici un cas de pneumonie bactériémique communautaire chez un patient éthylique dû à un BGN multirésistant aux antibiotiques. Un homme de 50 ans, éthylique chronique, sans domicile fixe et trouvé dans la rue, est admis aux urgences pour hypothermie (29°C), toux et expectorations verdâtres. Il est asthénique mais parfaitement vigilant avec un examen neurologique sans particularité. Il déclare ne pas avoir été hospitalisé dans les 12 mois précédents. L’examen clinique note une fréquence cardiaque à 50 /min, une pression artérielle à 90/40 mmHg, une fréquence respiratoire à 27/min, une saturation à 86 % en air ambiant, un encombrement bronchique sans râles crépitants. Les gaz du sang artériels trouvent un pH à 7,46, une PaO2 à 49 mmHg en air ambiant, une PaCO2 à 27 mmHg et des bicarbonates à 19 mmol/L. La créatininémie est à 65 µmol/L, les lactates à 3,35 mmol/L, la protéine réactive C à 195 mg/l, le taux de prothrombine à 56 % avec baisse des facteurs et D-dimères à 2750 ng/ml. Sur la numération, il existe une thrombopénie (42 000/mm3), une leucopénie (2 900/mm3) et une myélémie à 5 %. La radiographie de thorax initiale ne trouve pas de foyer pulmonaire et l’électrocardiogramme montre une bradycardie sinusale avec une onde J d’Osborne. Dès l’admission, un sepsis grave est évoqué chez ce patient éthylique. Une antibiothérapie par amoxicilline/acide clavulanique et ofloxacine est initiée en association au réchauffement passif externe. Douze heures plus tard, le patient épuisé est transféré en réanimation, intubé et ventilé. La radiographie de thorax montre des opacités alvéolaires bilatérales. Malgré les traitements symp-
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28 août 2004 • tome 33 • n°14 • cahier 1
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tomatiques, l’évolution est rapidement fatale en 24 h, avec un état de choc réfractaire aux catécholamines, une insuffisance rénale anurique, une acidose lactique et une coagulation intravasculaire disséminée. Le lendemain du décès, on apprend la positivité de 4 hémocultures et de l’aspiration trachéo-bronchique à une souche d’Enterobacter aerogenes sécrétrice d’une bêta-lactamase à spectre élargi (BLSE) (méthode de diffusion en milieu gélosé), résistante aux fluoroquinolones et aux Références aminosides et uniquement sensible à l’imipénème et à la colistine. 1 Illinger J, Mohammedi I, Martin O, Argaud L, St Denis M, Malgré sa conformité avec les recommandations3, l’antibiothérapie probabiliste initiale n’était pas adapRobert D. Pneumopathie bactériémique communautaire à tée chez ce patient éthylique, au germe trouvé secondairement. Les pneumonies communautaires à Pseudomonas aeruginosa chez un sujet sain. Presse Med 2003; 32: 1123. bacille à Gram négatif entérique sont rares (environ 10 %) mais généralement plus sévères et significa2 Mégarbane B, Bruneel F, Bédos JP, Wolff M, Régnier B. tivement liées à l’existence d’une co-morbidité, d’une inhalation, d’une antibiothérapie ou d’une hospiPneumonie communautaire à Acinetobacter baumanii chez talisation préalable4. Chez notre patient alcoolique, un mécanisme d’inhalation à l’occasion d’un épiun patient infecté par le VIH. Presse Med 2000 ; 29 : 788-9. sode précédent d’alcoolisation aiguë pouvait être évoqué. Enterobacter aerogenes est un saprophyte 3 Spilf. Prise en charge des infections des voies respiratoires basses. Révision de la 4e conférence de consensus en commensal du tube digestif, habituellement responsable d’infections nosocomiales5. Il est producteur théarapeutique anti-infectieuse de la Spilf. Med Mal Infect d’une AmpC bêta-lactamase inductible d’origine chromosomique, lui conférant une résistance naturelle 2000 ; 30 : 566-80. aux aminopénicillines, aux céphalosporines de 1ère génération et à l’amoxicilline/acide clavulanique. 4 Arancibia F, Bauer TT, Ewig S et al. Community-acquired Comme pour cette souche d’E. aerogenes, la diffusion de BGN résistants (par le biais notamment de BLSE ou pneumonia due to gram-negative bacteria and Pseudomonas aeruginosa : incidence, risk and prognosis. Arch Intern Med de dérépression de bêta-lactamases constitutives) pourrait se faire, en ville, à partir de souches acquises à 2002 ; 162 : 1849-58. l’hôpital par transmission directe, mais également résulter, comme à l’hôpital, de la pression de sélection 5 Bouza E, Cercenado E. Klebsiella and enterobacter : antibiotic exercée par les antibiotiques à large spectre qui y sont de plus en plus prescrits. Ainsi, une étude épidéresistance and treatment implications. Semin Respir Infect miologique a montré que 14 % des souches d’E. coli ou de K. pneumoniae productrices de BLSE isolées 2002 ; 17 : 215-30. 6 Einhorn AE, Neuhauser MM, Bearden DT, Quinn JP, Pendland dans un hôpital américain provenaient de patients n’ayant jamais séjourné ni à l’hôpital ni dans une maiSL. Extended-spectrum beta-lactamases : frequency, risk son médicalisée de long séjour6. Devant l’échec clinique d’une antibiothérapie, il faut donc désormais savoir factors and outcomes. Pharmacotherapy 2002 ; 22 : 14-20. évoquer, même pour une pneumonie acquise hors de l’hôpital, l’hypothèse d’un BGN multirésistant. ■
D’une allergie alimentaire à une hypovitaminose C Bernard Plouvier1, Abdelkader Mars2, Michel Vara1, Maurice Andrieu1, Patrick Rakotomanana1
D e nombreuses publications ont rappelé, ces dernières années, la persistance du scorbut dans les pays développés. Nous rappor-
1 - Service de médecine interne et de pneumologie, 2 – Laboratoire de biologie médicale, Centre hospitalier de Decazeville (12)
Correspondance : Bernard Plouvier, Service de médecine interne et pneumologie, Centre hospitalier, 60, rue Prosper Alfaric, 12300 Decazeville Tél. : 05 65 43 71 12 Fax : 05 65 43 79 87
tons deux observations, remarquables par l’âge des sujets, où l’origine de l’hypovitaminose C tient à la mauvaise interprétation de conseils diététiques donnés dans l’enfance. Observation 1 : David M., 24 ans, artisan sérigraphe, consulte pour purpura vasculaire apparu 4 mois auparavant. Il s’agit d’un sujet maigre (55 kg, 1,68 m) et sportif. Une allergie alimentaire a été évoquée mais non prouvée, vers l’âge de 10 ans, à l’occasion de poussées urticariennes (aliments suspectés : arachide, noix et noisette, céleri). Il existe une allergie au venin de guêpe. Depuis un an, le patient a décidé de ne plus consommer de légumes ni de fruits, dans l’espoir d’éviter les poussées d’urticaire. L’ascorbatémie réalisée le jour de la consultation est inférieure à 6 µmol/L (normes : 26 à 85). Le bilan hématologique est normal. Il y a eu guérison du purpura en 4 jours sous 1 g/j de vitamine C. Observation 2 : Emilien B., 20 ans, étudiant (et fils de maraîchers ) refuse de consommer fruits et légumes depuis l’âge de 16 ans. Une allergie alimentaire à l’arachide, à la pomme, au kiwi et à la banane a été prouvée à l’âge de 11 ans par tests cutanés, motivés par un eczéma et des épisodes d’œdème de Quincke. Il existe en outre une pollinose et une allergie aux acariens. Un eczéma et des infections ORL répétées sont les motifs de consultation. Il s’agit d’un sujet maigre (56 kg, 1,76 m) et sportif. L’ascorbatémie est à 22 µmol/L (normes : 26-85). La prise de 2 agrumes/j normalise l’ascorbatémie en un mois et améliore nettement la symptomatologie ORL, mais ne modifie en rien l’eczéma. Ces observations sont intéressantes par l’origine de l’hypovitaminose C. Il s’agit d’hommes jeunes, bien insérés socialement, sans trouble psychiatrique mais de comportement obsessionnel, ce qui les a poussé à radicaliser les conseils diététiques proposés dans l’enfance pour une allergie alimentaire, réelle ou supposée. Ce diagnostic ne doit jamais être posé à la légère mais être étayé par des preuves (Phadiatop, tests cutanés, tests de provocation sous surveillance médicale). L’allergie alimentaire est toujours sélective ; les conseils diététiques doivent l’être également : ciblés avec précision. Il convient de se méfier de l’excès de suspicion alimentaire chez certains adolescents hyper-scrupuleux. Le scorbut, ou la simple hypovitaminose C, n’est pas une maladie disparue ni même cantonnée aux pensionnaires d’hospice ou aux sujets en voie de perdition sociale. Il faut y penser notamment en cas de purpura vasculaire et pas seulement chez les sujets âgés, dénutris, ou alcooliques. ■
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