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Revue d’E´pide´miologie et de Sante´ Publique 55 (2007) 423–424
Lettre a` la re´daction
Point de vue sur le rapport « Les causes du cancer en France » Opinion on the issue: The causes of cancer in France L’Acade´mie nationale de me´decine, l’Acade´mie des sciences, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) et la Fe´de´ration nationale des centres de lutte contre le cancer ont rendu public le 13 septembre 2007 un rapport sur les causes du cancer en France. Ce rapport mentionne le concours de l’Institut national du cancer et de l’Institut de veille sanitaire (InVS). L’InVS a e´te´ consulte´ a` certaines e´tapes d’e´laboration du rapport. Il a e´mis par e´crit a` l’occasion de ces consultations diverses remarques ou re´serves dont certaines ont e´te´ prises en ` la demande des auteurs du rapport, l’InVS a en outre compte. A transmis certaines donne´es, celles-ci ayant e´te´ partiellement inte´gre´es aux calculs. Ne´anmoins, l’InVS n’a pas souhaite´ eˆtre signataire du rapport. Le pre´sent texte vise a` apporter des e´le´ments susceptibles d’e´clairer notre position. L’objectif de ce rapport e´tait de produire des informations quantifie´es sur l’impact des facteurs de risque environnementaux, professionnels et comportementaux dans l’incidence des cancers en France. Pour cela, les auteurs ont choisi de calculer des parts de cancers attribuables a` tous les cance´roge`nes e´tablis et observe´s dans la population franc¸aise pour estimer in fine un impact global regroupe´ par cate´gories : environnement, environnement professionnel, comportements et facteurs personnels. Le choix de ne prendre en compte que les cance´roge`nes e´tablis (groupe 1 du Circ) pour lesquels on dispose de donne´es suffisantes de pre´valence au sein de la population franc¸aise est classique quand on se livre a` ce type d’exercice. Il faut cependant souligner qu’il ne peut que minimiser les poids respectifs de certains facteurs. En effet, la notion de risque attribuable repose sur une causalite´ e´tablie. Les calculs de fractions attribuables utilisent les connaissances scientifiques concernant d’une part les associations (exprime´es sous formes de risques relatifs) entre les facteurs pris en compte et le cancer et d’autre part leur pre´valence d’exposition dans les populations. Or a` l’e´vidence, de nombreuses incertitudes persistent quant a` la cance´roge´nicite´ de certains facteurs, le Circ lui-meˆme les classant comme cance´roge`nes probables (2A) ou possibles (2B), essentiellement quand l’e´vidence e´pide´miologique n’en est pas conside´re´e comme suffisante. Meˆme si l’ame´lioration de la
connaissance des re´partitions des expositions environnementales et professionnelles a e´te´ notable ces dernie`res anne´es dans notre pays, il subsiste encore de nombreuses lacunes. Des donne´es existent plus fre´quemment pour les cance´roge`nes connus de longue date tels que le tabagisme, que des efforts plus anciens permettent de documenter avec une meilleure pre´cision. Les facteurs environnementaux concernent souvent un nombre conside´rable de personnes expose´es et de ce fait, peuvent entraıˆner un impact sanitaire important au niveau de la population (comme cela peut eˆtre le cas pour la pollution atmosphe´rique par exemple). Cependant, ils sont en ge´ne´ral responsables d’exce`s de risques faibles au niveau de chaque individu. En outre, pour ces facteurs, il est difficile de caracte´riser l’exposition individuelle. Les conse´quences de l’effet combine´ des me´langes de substances chimiques sont e´galement tre`s complexes a` e´valuer. Cela explique qu’il soit plus fre´quent de ne pas pouvoir conclure sur les liens de causalite´ lorsqu’on e´tudie des facteurs environnementaux diffus que lorsqu’on e´tudie un facteur comportemental isole´ment, avec un risque fort, comme dans le cas du tabac. Les auteurs ont fait le choix de n’inte´grer dans leur calcul que les seuls facteurs pour lesquels il existe des e´vidences e´pide´miologiques en se fondant sur des me´taanalyses, ce qui a conduit a` e´carter certaines e´tudes re´centes (par exemple l’e´tude de Vineis et al. [1] qui a permis de calculer la part attribuable a` la pollution atmosphe´rique dans les cancers du poumon affectant les non-fumeurs et anciens fumeurs dans dix pays d’Europe). Ils n’ont retenu que les agents pour lesquels, premie`rement les niveaux d’exposition de la population ge´ne´rale e´taient parfaitement connus, et deuxie`mement la relation entre ces niveaux d’exposition et la sante´ faisaient l’objet d’un consensus ge´ne´ral. Cela les a conduits a` ne pas proposer d’estimation de la fraction attribuable pour des agents pourtant classe´s cance´roge`nes certains par le Circ : l’arsenic hydrique ou le radon, par exemple. Ils ont de plus, pour les calculs de fractions attribuables, syste´matiquement fait le choix des hypothe`ses les plus basses conduisant aux estimations les plus faibles. Tous ces choix peuvent se discuter sur le plan scientifique. Ne´anmoins, ils aboutissent au fait que seuls 35 % des cancers sont explique´s par les causes retenues dans le rapport (42 % chez l’homme et 24 % chez la femme). S’il n’est pas question d’affirmer que l’ensemble des cancers non explique´s est duˆ a` des causes environnementales, il faut tout de meˆme fortement
0398-7620/$ – see front matter # 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.respe.2007.10.010
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souligner les lacunes de nos connaissances et s’interroger sur la conduite a` tenir face a` ces incertitudes, « l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence ». Cette simple constatation aurait duˆ conduire a` une expression plus claire des incertitudes, en donnant des fourchettes d’estimations, plutoˆt qu’a` des formulations telles que : « la proportion de cancers lie´s a` la pollution de l’eau, de l’air et de l’alimentation est faible en France, de l’ordre de 0,5 % ». La communication effectue´e autour de cette conclusion peut avoir des effets pervers et influer sur les politiques de sante´ publique en les poussant a` ne faire porter les efforts de pre´vention que sur les facteurs de risques de´ja` bien connus. Ce choix nous apparaıˆt comme beaucoup trop restrictif. En premier lieu, la recherche doit eˆtre encourage´e. Il faut faire collaborer des e´quipes multidisciplinaires, croiser les diffe´rentes approches e´pide´miologiques, cliniques, toxicologiques, biomole´culaires, environnementales, et explorer les relations ge`nes environnement, notamment a` travers les me´canismes e´pige´ne´tiques qui re´ve`lent des possibilite´s jusqu’alors inconnues [2]. Ensuite, meˆme dans un contexte de relative incertitude, des mesures protectrices vis-a`-vis des populations expose´es peuvent devoir eˆtre adopte´es. La pre´vention des risques lie´s a` la pollution atmosphe´rique, aux pollutions des sols d’origine industrielle, au radon, a` la pollution de l’air des maisons par les pesticides d’usage domestique ou les combustions inte´rieures, pour n’en citer que quelques-uns, justifie une gestion de l’environnement visant a` re´duire les expositions a` ces dangers. Il en est de meˆme pour la gestion des risques professionnels qui doit inte´grer, a minima, une maıˆtrise rigoureuse des expositions des travailleurs et une politique d’encouragement a` la substitution des produits soupc¸onne´s cance´roge`nes. Enfin, il est capital de renforcer la surveillance et la vigilance vis-a`-vis des expositions entraıˆne´es par les modifications de notre environnement et de leurs futurs effets. Cela est
particulie`rement vrai pour les mesures de pre´vention vis-a`vis des travailleurs expose´s. Le rapport et la communication grand public qui a suivi sugge`rent que les facteurs de risques environnementaux et professionnels ont une responsabilite´ ne´gligeable vis-a`-vis du cancer. Ce message risque de retarder le de´veloppement des outils d’e´valuation des risques et de l’impact sanitaire ainsi que la mise en place de politiques destine´es a` garantir un environnement protecteur pour la sante´. Le fait que 65 % des cancers sont non explique´s, par les seuls facteurs retenus par les auteurs, apparaıˆt comme une raison majeure de ne pas se satisfaire de ce constat, et de ne pas diminuer la vigilance, la recherche et l’action pour un environnement ou` la protection de la sante´ des citoyens demeure la priorite´. Re´fe´rences [1] Vineis P, et al. Lung Cancer attributable to environmental tobacco smoke and air pollution in non-smokers in different European countries: a prospective study. Environ Health 2007;6(7):1–7. [2] Wade PA, Archer TK. Epigenetics: environmental instructions for the genome. Environ Health Perspect 2006;114:A140–1.
G. Salines* D. Eilstein J. Le Moal J. Bloch E. Imbernon Institut de veille sanitaire, 12, rue du Val d’Osne, 94415 Saint-Maurice cedex, France *Auteur correspondant Adresse e-mail :
[email protected] (G. Salines) Disponible sur Internet le 3 de´cembre 2007