Prévalence des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez la femme à Oujda (Maroc)

Prévalence des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez la femme à Oujda (Maroc)

Épidémiologie, coûts et organisation des soins Prévalence des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez la femme à Oujda (Maroc) Prevalen...

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Épidémiologie, coûts et organisation des soins

Prévalence des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez la femme à Oujda (Maroc) Prevalence of risk factors for cardiovascular disease in women in Oujda (Morocco) El B. Sellam, A. Bour

Résumé

Équipe de la Transition alimentaire et nutritionnelle (ETAN), Laboratoire des essais biologique, Département de biologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, Kénitra, Maroc.

L’objectif de ce travail est de décrire les facteurs de risque (FDR) des maladies cardiovasculaires des femmes résidant dans la préfecture d’Oujda-Angad (Maroc). Il s’agit d’une étude épidémiologique transversale, portant sur 624 femmes en âge de procréer (âgées de 20 à 49 ans), non enceintes, sans pathologie connue ; cette étude s’est déroulée en 2013. Les données sur le niveau socioéconomique et démographique ont été collectées à l’aide d’un questionnaire. Les mesures anthropométriques ont été déterminées selon les normes de l’OMS. Les analyses biologiques ont été effectuées par un laboratoire centralisé. Dans notre étude, les FDR de maladies cardiovasculaires sont très élevés : 30,6 % d’obésité (IMC), 79,1 % d’obésité abdominale (tour de taille élevé), 35 % d’hypertension artérielle, 29 % de dyslipidémie (22,9 % d’hypercholestérolémie, 18,6 % d’hypertriglycéridémie), 7,5 % d’hyperglycémie à jeun, 6,2 % de diabète de type 2, 35 % de syndrome métabolique (définition IDF/FID) ; plus de 33 % de ces femmes ont un FDR, et plus de 50 % des femmes d’âge ≥ 40 ans associent plus de trois FDR. Nous constatons une prévalence très élevée des FDR cardiovasculaire dans notre étude, même chez des sujets jeunes. Il devient donc urgent de trouver des stratégies pour prévenir l’aggravation de cette situation, afin d’améliorer l’état de santé des femmes marocaines et réduire les conséquences de cette situation et, à terme, réduire les coûts de santé. Mots-clés : Facteurs de risque cardiovasculaire – hypertension – dyslipidémie – diabète – obésité – Maroc.

Summary

Correspondance El Bakkay SELLAM Équipe de la Transition alimentaire et nutritionnelle (ETAN) Laboratoire des essais biologique Département de biologie Faculté des Sciences Université Ibn Tofail BP 133 Kénitra 14 000 – Maroc [email protected] © 2016 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

The objective of this study was to describe the risk factors for cardiovascular disease (CVD) in women living in the region of Oujda-Angad (Morocco). This is a cross-sectional epidemiological study involving 624 women of childbearing age (20 to 49 years old), not pregnant, without known disease; a study conducted in 2013. Data on socioeconomic and demographic levels were collected using a questionnaire. Anthropometric measurements were determined according to the WHO standards. Biological analyzes were performed by a centralized laboratory. Risk factors for CVD in our study are highly predominant: obesity (BMI) in 30.6%, abdominal obesity in 79.1%, hypertension in 35%, dyslipidemia in 29% (hypercholesterolemia in 22.9%, hypertriglyceridemia in 18.6%), fasting hyperglycemia in 7.5%, type 2 diabetes in 6.2%, metabolic syndrome (FID/IDF criteria) in 35%. Over 33% of women ≥40 years old have one CV risk factor and over 50% combine more than three risk factor. In conclusion, we have found a very high prevalence of CV risk factors even in young women; consequently it becomes urgent to find strategies for preventing these situations and their long term consequences and for improving the health status in Morocco and reduce future health care costs. Key-words: Cardiovascular risk factors – hypertension – dyslipidemia – diabetes – obesity – Morocco.

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Introduction Les maladies cardiovasculaires (MCV) constituent la première cause de mortalité dans le monde, tant dans les pays développés que dans ceux en développement  ; cependant, le plus grand nombre de ces décès provient des pays en développement (80 %) [1]. Aujourd’hui, les MCV régressent dans les pays développés, quoiqu’ils aient été les premiers concernés. Ce recul observé est fortement lié aux démarches de prévention cardiovasculaire primaire. L’augmentation des MCV dans les pays en développement est principalement due à l’augmentation de la fréquence des facteurs de risque (FDR), notamment l’hypertension artérielle (HTA), la dyslipidémie, le diabète de type 2 (DT2), et l’obésité [2, 3]. Le Maroc vit, depuis ces dernières décennies, une transition épidémiologique marquée par l’évolution des maladies non transmissibles (MNT) et la régression des maladies transmissibles ; les MNT constituant actuellement les principales sources de mortalité au Maroc [4]. Malgré cela, peu d’études se sont intéressées à ce problème au Maroc, contrairement aux pays développés. L’objectif de ce travail est de décrire les facteurs de risque cardiovasculaire (FDRCV) dans une population féminine résidant dans l’une des régions du Maroc.

Matériel et méthodes • Notre étude s’est déroulée dans la préfecture d’Oujda-Angad, la capitale de la région de « l’Oriental du Maroc », située à la limite nord-est du Maroc, à 12  km de la frontière Algérienne et 60  km du littoral méditerranéen. La superficie s’étend sur 1 714 km2, soit 2,06 % de la superficie de la région de l’Oriental. La préfecture se compose de 11 communes (trois urbaines, et huit rurales). La population comptait alors environ 477 000 habitants, répartis en milieu urbain pour 86  %, dont 243 334 femmes. Le taux d’analphabétisme au niveau de la Préfecture est de 30 % [5]. La région urbaine de la préfecture d’Oujda est considérée comme un centre administratif, commercial, et industriel.

• Les données de cette étude sont issues d’une enquête transversale, menée dans la préfecture d’Oujda– Angad. L’étude a porté sur 624 femmes en âge de procréer (âgées de 20 à 49 ans), non enceintes, et sans pathologie avérée. – Les femmes enquêtées ont été orientées vers un laboratoire d’analyses médicales privé, pour réaliser le bilan lipidique (triglycérides, cholestérol total, LDL-cholestérol [LDL-C], HDLcholestérol [HDL-C]) et la glycémie à jeun. – Les données sur le niveau socioéconomique et démographique ont été collectées à l’aide d’un questionnaire. Plusieurs variables ont été recueillies

pour caractériser les femmes enquêtées, notamment âge, caractéristiques du ménage, nombre d’enfants, profession, niveau éducatif, profession du chef de famille, et type de logement. • Les facteurs de risque des MCV sont définis selon les références internationales : – La pression artérielle (PA) est mesurée à l’aide d’un tensiomètre digital chez les femmes en position assise, après un repos de 20 minutes. La moyenne de deux mesures espacées de 20 minutes a été retenue. L’HTA est définie en utilisant les seuils World Health Organization/ International Society of Hypertension (WHO/ISH) [6] : PA systolique ≥ 140 mm Hg et/ou une PA diastolique ≥ 90 mm Hg.

HTA : hypertension artérielle ; SM : syndrome métabolique.

Figure 1. Prévalence des facteurs de risque cardiovasculaire.

HTA : hypertension artérielle ; SM : syndrome métabolique.

Figure 2. Répartition de la prévalence des facteurs de risque cardiovasculaire selon les classes d’âge.

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– Le diabète et l’hyperglycémie à jeun ont été déterminés à partir de la glycémie à jeun en utilisant les seuils de l’Organisation mondiale de la santé (OMS/ WHO) [7] : ≥ 1,26 g/L pour le diabète, et > 1,1 à 1,25 g/L pour l’hyperglycémie à jeun (dosage par la méthode du glucose oxydase). – L’hypercholestérolémie totale a été définie comme toute valeur du cholestérol total (CT), dosé par la méthode enzymatique au cholestérol oxydase, dépassant 2  g/L (5,16 mmoles/L). La fraction HDL-C a été déterminée par précipitation à l’acide phosphotungstique et MgCl 2. La concentration de LDL-C a été calculée selon la formule de Friedewald [8]. L’hypertriglycéridémie a été définie comme toute valeur des triglycérides (dosage par une méthode enzymatique) > 1,5 g/L. La dyslipidémie désigne une cholestérolémie totale > 2,0 g/L et/ou triglycéridémie > 1,5 g/L. L’hypoHDLémie est retenue selon la définition de l’IDF : HDL-C < 0,50 g/L, pour les femmes. – Les mesures anthropométriques ont été déterminées selon les normes de l’OMS [9]. Le poids en Kg a été déterminé par une pèse-personne de type Seca, et la taille par une toise verticale graduée en mm de type Seca, permettant le calcul de l’indice de masse corporelle (IMC). L’obésité a été définie sur la base d’un IMC ≥ 30,0 kg/m2, et le surpoids pour un IMC compris entre 25,0 et 29,9 kg/m2. Le tour de taille (TT) et le tour de hanche (TH) ont été respectivement mesurés à l’aide d’un mètre ruban gradué au millimètre au niveau horizontal de l’ombilic et de la saillie maximale des muscles fessiers. L’obésité abdominale a été définie à un seuil de TT > 88 cm, ou TT/TH > 0,85 [9]. – Le syndrome métabolique est déterminé suivant la définition de l’IDF (taux élevé de triglycérides, faible taux de HDL-C, HTA, taux élevé de glycémie, obésité abdominale). • Gestion et analyse des données Les données de l’étude ont été saisies et analysées sur le logiciel SPSS® version 20 pour Windows. Les résultats sont exprimés en moyenne ± écart-type, ou en pourcentage. Les corrélations sont déterminées par le test de Spearman.

Le test de chi2 est utilisé pour comparer deux pourcentages, alors que la comparaison des moyennes est faite par le test t de Student. Le niveau de signification a été fixé à 0,05.

notre étude, l’HTA n’est pas associée au niveau d’études (tableau III), car la majorité des femmes enquêtées sont analphabètes ou avec un niveau éducatif primaire. Par ailleurs, nous avons observé que la prévalence de l’HTA augmente avec l’âge (figure 2), et que 47 % des femmes obèses sont hypertendues (p = 0,003) (tableau III). L’HTA est associée à l’obésité abdominale estimée par le TT (p = 0,02) (tableau III) et par le TT/TH (p = 0,04). D’autre part, on note la forte association entre HTA et cholestérol total, triglycérides, HDL-C et LDL-C. • Les valeurs de la glycémie à jeun varient de 0,71 à 2,57 g/L (tableau II), avec une prévalence de 6,2 % pour le diabète de type 2 (DT2, glycémie à jeun > 1,26 g/L), et de 7,5 % pour l’hyperglycémie à jeun (glycémie à jeun : 1,10 à 1,25 g/L). L’hyperglycémie est associée à l’âge (p = 0,003) (figure 2), avec une élévation dans la tranche d’âge 30-39 ans (figure 2). L’hyperglycémie augmente également avec l’IMC (p  =  0,001) (tableau III), elle touche 25 % des obèses. L’hyperglycémie est fortement associée au cholestérol total et aux triglycérides.

Résultats • L’âge moyen des femmes est de 33,88 ±  7,87  ans. La tranche d’âge de 30-39 ans est la plus représentée (41,66 %). Plus de 27 % des femmes sont analphabètes. La plupart étaient des femmes au foyer (96,8 %). En très grande majorité (94,7 %), les femmes sont mariées. Parmi elles, environ 60 % sont mères de moins de deux enfants, et 57 % vivent dans des ménages qui dépassent cinq personnes (tableau I). • La prévalence des différents facteurs de risque cardiovasculaire dans la population de femmes de notre étude est présentée figure 1. • Les valeurs moyennes de la PA systolique et diastolique sont de 120,67 ± 17,1 mm Hg, et 74,2 ± 10,56 mm Hg, respectivement (tableau II). La prévalence totale d’HTA est de 35 %. Dans

Tableau I. Caractéristiques sociodémographiques des femmes enquêtées. Logement : nombre de pièces

Type de logement

Le chef de famille a une profession La femme a une profession (active)

Situation matrimoniale de la femme

Niveau d’étude

Nombre d’enfants PA : pression artérielle.

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n

%

1à4

268

42,95

5 et plus

356

57,05

Traditionnel

276

43,59

Villa

14

2,24

Appartement

14

2,24

Maison moderne

320

51,28

Oui

557

89,26

Non

67

10,74

Oui

66

10,58

Non

558

89,42

Célibataire

23

3,69

Mariée

591

94,71

Veuve

1

0,16

Divorcée

9

1,44

Analphabète

173

27,72

Primaire

234

37,50

Secondaire

207

33,17

Supérieur

10

1,60

0 1à2 3 et plus

25 378 221

4,01 60,58 35,42

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• La valeur moyenne du cholestérol total (CT) est de 1,66  g/L (tableau II). L’hypercholestérolémie (CT >  2  g/l) touche environ 22,9  % des femmes enquêtées. L’hypercholestérolémie augmente significativement avec l’âge (p = 0,006) (tableau III), elle touche 50 % des femmes âgées de 40-49 ans, 33,3 % de celles âgées de 30-39 ans, et 16,7 % des 20-29 ans (figure 2). De plus, 33,3 % des femmes obèses ont une hypercholestérolémie (p = 0,003) (tableau III). • La valeur moyenne des triglycérides (TG) est de 0,93 g/L (tableau II), avec une prévalence de 18,6 % de l’hypertriglycéridémie. L’augmentation des TG est associée à l’âge (p = 0,005) (tableau II) ; la tranche d’âge de 40 à 49 ans est la plus touchée par l’hypertriglycéridémie (66,3 %, contre 33,7 % pour la tranche 30-39 ans) (figure 2). On note également que l’augmentation des TG est associée à l’obésité abdominale (p = 0,001). L’hypertriglycéridémie est fortement associée à l’IMC (p = 0,003), au poids (p = 0,02), et à l’HTA (p = 0,02).

– Les valeurs moyennes de HDL-C et de LDL-C sont de 0,48 ± 0,11 g/L et 0,98 ± 0,26 g/L, respectivement (tableau II). Au total, 16 % des femmes ont un taux bas de HDL-C (< 0,5  g/L), et 14  % des obèses ont un taux bas de LDL-C (< 1,30 g/L) (p = 0,01). • La relation entre les FDRCV et le niveau socioéconomique est présentée dans le tableau III. Cependant, aucune association n’est montrée entre les FDR et les facteurs sociodémographiques (p > 0,05). • Les valeurs de l’IMC font apparaître que la prévalence de l’obésité chez les femmes enquêtées est de 30,6 %, la prévalence du surpoids est de 38,8 %. La répartition de la prévalence de l’obésité en classe d’âge montre que les tranches d’âge les plus touchées sont celles de 30 à 39 ans et de 40 à 49 ans. La prévalence de l’obésité abdominale est de 79,1  %, et touche 72  % des femmes âgées de moins de 30 ans. Les femmes obèses ont une forte probabilité d’avoir tous les facteurs de risque

Tableau II. Caractéristiques cliniques des femmes âgées de 20 à 49 ans dans la préfecture d’Oujda-Angad, Maroc. - PA systolique (mm Hg) - PA diastolique (mm Hg) - Fréquence cardiaque (batt/min)

Discussion

Moyenne 120,67 74,2

Écart-type 17,1 10,56

Min 76 48

Max 181 98

82,71

11,7

55

125

- Cholestérol total (g/L)

1,66

0,33

1,22

2,41

- HDL-Cholestérol (g/L) - Rapport cholestérol total/HDL-C - LDL-cholestérol (g/L) - Triglycérides (g/L) - Glycémie à jeun (g/L)

0,48

0,11

0,3

0,85

3,52

0,98

1,91

6,3

0,98 0,93 0,96

0,26 0,56 0,29

0,47 0,32 0,71

1,46 2,5 2,57

PA : pression artérielle.

Tableau III. Corrélation entre les facteurs sociodémographiques et les facteurs de risque cardiovasculaire. - Socioprofessionnelles - Situation matrimoniale - Niveau d’étude - Profession du chef de famille - Taille du ménage - Nombre d’enfants - Âge - IMC - Tour de taille

des maladies cardiovasculaires ; parmi les femmes obèses, 47 % sont hypertendues (p = 0,001), 23,14 % ont une hypercholestérolémie (p = 0,003), 25 % une hyperglycémie à jeun (p = 0,001), et 18,6  % une hypertriglycéridémie (p = 0,004). Les femmes ayant une obésité abdominale (TT ≥ 88 cm), avaient plus de risque d’avoir un taux de HDL-C abaissé (p = 0,03), et une forte prévalence d’élévation des valeurs des TG et du CT. • Le syndrome métabolique (SM) touche 35 % des femmes enquêtées (figure 1), selon la définition de l’IDF. Le SM augmente avec l’âge, il touche 25 % des femmes âgées entre 20 et 29 ans, et 37,5 % des femmes âgées entre 40 et 49 ans (figure 2). La forte prévalence du SM est due à la fréquence de l’obésité abdominale et de l’hypertriglycéridémie. • L’association des FDRCV indique que plus de 33 % des femmes de la préfecture d’Oujda ont un FDRCV, et que plus de 50 % des femmes d’âge ≥ 40 ans en associent plus de trois.

HTA 0,3 0,3 0,1

Triglycérides 0,39 0,39 0,15

Cholestérol 0,39 0,04 0,064

Glycémie 0,64 0,64 0,15

IMC 0,17 0,69 0,161

SM 0,4 0,4 0,01

0,9

0,06

0,64

0,27

0,56

0,42

0,9 0,4 0,06 0,003 0,02

0,65 0,49 0,005 0,003 0,01

0,65 0,01 0,006 0,003 0,07

0,1 0,3 0,003 0,001 0,23

0,40 0,000 0,001 – –

0,5 0,67 0,25 0,04 0,03

HTA : hypertension artérielle ; IMC : indice de masse corporelle ; SM : syndrome métabolique.

• Les maladies cardiovasculaires représentent actuellement un véritable fléau de santé au Maroc. Selon les derniers chiffres nationaux, ces maladies constituent la première cause de mortalité (30 %) [4]. Malgré ceci, peu d’études se sont intéressées à ce problème au Maroc, contrairement aux pays développés. • Dans ce contexte, et dans le but de sensibiliser les gens à l’égard du danger des MCV, nous avons réalisé la présente étude qui vise à évaluer la prévalence des différents facteurs de risque (FDR) de ces maladies. Cette étude a été effectuée dans la préfecture d’Oujda-Angad. • Parmi les différents FDR étudiés, nous avons trouvé que l’HTA est la plus présente, avec une prévalence de 35 %, ce qui confirme que l’HTA reste le principal facteur de risque pour les MCV. Cette valeur dépasse même les chiffres enregistrés dans certaines régions du Maroc [10]  ; à Rabat, elle est de 25  % [11]. Par contre, elle est similaire à d’autres pays du Maghreb, tels que l’Algérie [12] et la Tunisie [13]. Malgré le fait que ces

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Les points essentiels • Les facteurs de risque cardiovasculaire sont fortement présents chez les femmes marocaines en âge de procréer (20-49 ans), comme l’hypertension artérielle et les dyslipidémies. • Un tiers de ces femmes sont déjà obèses, et près de 80 % ont un tour de taille élevé (> 88 cm). • Le syndrome métabolique (définition IDF/FID) concerne 35 % de ces femmes, et 7,5 % ont une hyperglycémie à jeun. • La situation métabolique des femmes marocaines de notre étude est donc très préoccupante, traduisant des problèmes d’hygiène alimentaire et de sédentarité qui caractérisent les femmes dans notre société. • Une approche d’information, de prévention et de prise en charge s’impose de toute urgence.

valeurs enregistrées dans des pays en développement restent moins élevées en comparaison aux pays développés (38 % en Italie, 45 % en Espagne), l’HTA constitue actuellement un vrai problème de santé au Maroc. • Pour mieux cerner les FDR cardiovasculaire, nous avons étudié les différentes corrélations entre ces facteurs et les caractéristiques démographiques et socioéconomiques des femmes de notre échantillon. Il est à noter que nos résultats peuvent être en discordance avec des travaux antérieurs, ce qui s’expliquerait par les différences des échantillons et des méthodes de travail suivies. L’analyse des résultats a montré que l’HTA augmente avec l’âge, alors qu’elle diminue avec l’élévation du niveau d’études. Même si ces résultats ne sont pas significatifs statistiquement, ils restent en accord avec d’autres travaux précédents. L’étude multicentrique internationale INTERSALT, sur la base de données de 32 pays, a montré que dans 29 pays, la PA est plus élevée pour ceux qui avaient un niveau d’éducation plus bas ; d’autre part, les résultats du projet MONitoring of trends and determinants in CArdiovascular disease (MONICA) de l’OMS, tout comme ceux de l’étude National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) III aux États-Unis, ont montré que la prévalence de l’HTA augmente progressivement avec l’âge [14-16]. • Par ailleurs, le paramètre le plus attaché à l’élévation de la PA, selon notre étude, reste l’IMC. Ce résultat,

largement appuyé par les données de la littérature [16], confirme l’implication de l’obésité comme étant un facteur indirect des maladies cardiovasculaires. • Dans notre échantillon, la prévalence de l’hypertriglycéridémie est de 18,6 %. Nos résultats sont plus élevés que pour d’autres études réalisées au Maroc, de 11  % [17], et 3,3  % [11]. L’hypertriglycéridémie augmente avec l’âge (p = 0,01), elle touche 50 % des femmes de 40 à 49 ans. Selon la littérature l’hypertriglycéridémie représente, à elle seule, un facteur de risque des MCV [18] et de DT2 [19, 20]. • Pour le cholestérol, 22,9  % des femmes présentent une hypercholestérolémie, ce résultat est similaire à celui de l’étude réalisée à Rabat-Salé (23,2 %) [11]. Nos résultat sont supérieurs à ceux rapportés dans certains pays en développement [12, 13], mais restent faibles par rapport aux pays développés, ce qui peut s’expliquer par une faible consommation de viande au Maroc, soit 11 kg/ personne/an en moyenne, contre 82 kg/ personne/an dans les pays développés [21]. • Le diabète, un autre facteur de risque majeur des MCV, est également étudié dans notre étude. L’analyse des résultats a révélé une prévalence de 7,5 % pour l’hyperglycémie à jeun, et 6,2 % de DT2. Sachant que les femmes enquêtées sont déclarées non diabétiques, ces chiffres, même si faibles, reflètent une extension importante du DT2 dans notre région d’étude, à l’instar d’autres régions du Maroc où les prévalences

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sont très proches des nôtres. Ainsi, les valeurs enregistrées à Rabat sont de 6,7 % et 7,3 % pour le DT2 et l’hyperglycémie à jeun, respectivement [11] et, de même, à Laayoune, il a été rapporté une prévalence totale de 11,9 % pour l’hyperglycémie (diabète inclus) [17]. Ces résultats montrent que le diabète est en évolution dans notre pays, les données nationales ont rapporté que la prévalence du diabète a doublé depuis 2004 jusqu’à 2011 [22]. Le Maroc se trouve donc dans la même situation que les autres pays du Maghreb, tels que la Tunisie [13] et l’Algérie, où les chiffres enregistrés dans quelques régions sont très proches : 6,8 % à Tlemcen, et 7,3 % à Satif et Mostaganem [12]. L’analyse des corrélations avec les facteurs démographiques et socioéconomiques montre que la prévalence de l’hyperglycémie n’est associée à aucun d’entre eux, à l’exception de l’âge. Or, il est largement documenté que la prédominance de l’hyperglycémie augmente avec le vieillissement, chez les femmes comme chez les hommes [23], ce qui s’expliquerait par les modifications métaboliques qui apparaissent avec l’âge. De même, on note que la prévalence de l’hyperglycémie est associée positivement avec l’IMC, le cholestérol total, et les triglycérides. Ces affinités confirment bien l’étroite relation entre les différents FDRCV. De nombreuse études ont montré, en effet, que les taux élevés des triglycérides sériques contribuent au développement du DT2 [19, 20]. • Les prévalences de l’obésité, du surpoids, et de l’obésité abdominale, parmi les femmes de notre échantillon, sont respectivement de 30,6 %, 38,8 %, et 79,1 %. Si l’on compare nos résultats avec d’autres travaux réalisés au Maroc, on peut classer notre région en deuxième position, avec Rabat-Salé (32,4 %) [11], après d’autres zones où l’obésité est plus fréquente, telles que Laayoune (49 %) [17], Smara (43 %) [24], et le nord-est de Casablanca (43,8 %) [25]. Cependant, ces résultats sont plus élevés comparativement aux données nationales (26  %, en 2012) [22]. Tous ces chiffres inquiétants illustrent l’évolution fulgurante de l’obésité au Maroc, à l’instar de plusieurs pays

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Épidémiologie, coûts et organisation des soins

du Maghreb [12, 13] ; l’obésité est donc devenue un véritable fléau de santé dans les pays en développement. De ce fait, elle est qualifiée de « pandémie mondiale » [7]. • Les résultats de notre étude ont montré que l’obésité et le surpoids augmentent significativement avec l’âge. Ceci a été démontré par d’autres études [26, 27]. Le gain de poids chez les personnes âgées peut être expliqué par la diminution de l’activité physique [28], et par la diminution du métabolisme qui accompagne le vieillissement [29]. De plus, l’obésité interagit avec presque tous les autres FDRCV. Ainsi, on a mis en évidence une association positive entre l’obésité et l’augmentation de l’HTA, du diabète, des triglycérides, et du syndrome métabolique. Le surpoids et l’obésité à l’âge adulte s’accompagnent d’une augmentation des maladies chroniques et cardiovasculaires [30], des décès prématurés, et d’une diminution de l’espérance de vie [31]. Toutes ces données font donc de l’obésité à la fois un facteur de risque direct et indirect pour les MCV. • Enfin, pour le syndrome métabolique (SM), nous avons trouvé qu’il touche, selon la définition de l’IDF, 35 % des femmes de notre échantillon ; ce résultat est similaire à celui de la dernière enquête réalisée au Maroc [11]. Il est à noter que ces chiffres sont les plus élevés des pays du Maghreb [10-13], ce qui montre que la population marocaine évolue vers une forme d’occidentalisation. Le SM augmente avec l’âge, et il est parfaitement lié à l’obésité, puisque la totalité des femmes ayant le SM ont un surpoids (obésité incluse). Le taux élevé du SM résulte de la forte prévalence de l’obésité abdominale qui est considérée, selon plusieurs auteurs, comme le facteur le plus important dans le développement des maladies de l’athérosclérose, du DT2 et des MCV [32-34]. • L’urbanisation accentuée au Maroc peut expliquer ces taux inquiétants des facteurs de risque CV. Le milieu urbain a des conséquences sur le mode de vie et l’activité physique, • Les États membres de l’OMS ont convenu, comme cible mondiale volontaire pour les maladies non

transmissibles, une réduction de 10 % de la sédentarité d’ici 2020. • Les résultats révélés dans notre échantillon d’étude donnent une idée claire sur l’évolution des différents FDRCV dans la région Orientale du Maroc, et confirmeraient donc la transition nutritionnelle qui est déjà en cours dans notre pays [35], comme dans la plupart des pays en développement [36].

Conclusion Les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires (MCV) sont très élevés chez les femmes de notre étude, même à un âge jeune. Cela fait redouter une augmentation de prévalence des MCV chez les femmes relativement jeunes, dans les prochaines décennies. Il devient donc impératif de trouver des stratégies efficaces pour prévenir ces facteurs de risque cardiovasculaire, afin d’améliorer l’état de santé des femmes marocaines et prévenir l’accroissement des dépenses de santé dans l’avenir.

Remerciements Les auteurs remercient Mr. le Directeur Régional de la Santé, Mr. le Délégué de la Délégation de la Santé de la Préfecture d’Oujda-Angad, et tout le personnel des Centres de santé qui ont contribué de près ou de loin à cette étude, et pour leur aide dans la collecte des données de cette étude. Nos remerciements vont également à l’Équipe de la Transition alimentaire et nutritionnelle (ETAN), Laboratoire des essais biologique, Département de biologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofail, Maroc.

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Déclaration d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article.

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