© AFTCC, Paris, 2004
Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive 2004, 14, 3, 124-130
Article original
PRÉVENTION DU JEU EXCESSIF CHEZ LES ADOLESCENTS : UNE APPROCHE COGNITIVE R. LADOUCEUR, F. FERLAND, C. ROY, O. PELLETIER, E.-L. BUSSIÈRES, A. AUCLAIR Université Laval, Québec, Canada.
RÉSUMÉ : Les perceptions erronées qu’entretient le joueur envers la notion de hasard constituent un facteur crucial dans le développement et le maintien des habitudes de jeu. Elles amènent le joueur à tenter de maîtriser le hasard en reliant entre eux des événements indépendants. Cet article comprend deux études évaluant l’efficacité d’activités de prévention du jeu excessif auprès d’adolescents. La première étude évalue l’efficacité d’activités préventives créées par des spécialistes du jeu et élaborées sur des bases théoriques éprouvées. Les résultats démontrent que le nombre de perceptions erronées des adolescents ayant reçu le programme a significativement plus diminué que celui des adolescents du groupe contrôle. La seconde étude reprend ces activités et compare leur efficacité à des activités de prévention déjà utilisées dans le milieu scolaire québécois et évalue également l’efficacité relative de l’animation faite par un enseignant ou par un spécialiste. Trois conditions expérimentales sont évaluées dans cette étude. Les résultats indiquent une efficacité significative des trois méthodes pour corriger les perceptions erronées des adolescents. Toutefois, la méthode créée et animée par des spécialistes du jeu démontre une efficacité supérieure auprès des élèves à risque de développer un problème de jeu. L’implication pratique de ces résultats dans le cadre de l’implantation de programmes de prévention des habitudes de jeu dans les écoles est discutée. Mots-clés : jeu, jeu excessif, prévention, adolescents.
SUMMARY: Prevention of pathological gambling in adolescents: a cognitive approach R. LADOUCEUR, F. FERLAND, C. ROY, O. PELLETIER, E.-L. BUSSIÈRES, A. AUCLAIR (Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive, 2004 ; 14, 3, 124-130).
An erroneous perception of the notion of chance is a crucial factor for the development and maintenance of the gambling habit. The pathological gambler attempts to control chance by linking together independent events. The present article includes two studies evaluating the efficacy of activities designed to prevent pathological gambling in adolescents. The first study evaluated the efficacy of preventive activities created by gambling specialists and based on proven theoretical standards. The results demonstrated that the number of misperceptions displayed by adolescents who participated in the program decreased significantly compared with adolescents in the control group. The second study re-evaluated these activities by comparing their efficacy with that of other prevention activities already in use in the Quebec schools. It also evaluated the relative efficacy of programs conducted by a teacher or a specialist. Three experimental conditions were studied. The results show that the three methods are significantly effective in correcting erroneous perceptions in adolescents. However, the method created and presented by gambling specialists demonstrated superior efficacy for students at risk of developing a gambling problem. The practical implication for school prevention programs is discussed. Key words: gambling, gambling habit, prevention, adolescents.
Correspondance : R. LADOUCEUR, École de Psychologie, Université de Laval, G1K 7P4, Sainte-Foy, Québec, Canada. e-mail :
[email protected] Cette étude a été réalisée dans le cadre d’une subvention accordée par Loto-Québec et le Ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec.
PRÉVENTION DU JEU EXCESSIF CHEZ LES ADOLESCENTS
Aujourd’hui, les jeux de hasard et d’argent font partie des activités récréatives pratiquées par les adolescents (Ladouceur et coll., 1998 ; Moore et Ohtsuka, 1997). Deux études menées à près de 10 ans d’intervalle montrent l’augmentation de la participation des jeunes dans les jeux de hasard et d’argent. Alors qu’en 1988, 76 % des jeunes mentionnaient avoir joué au moins une fois au cours de leur vie (Ladouceur et Mireault, 1988), ce nombre s’élève à 87 % en 1999 (Ladouceur, Boudreault et coll., 1999). Au cours de cette même période, le taux de jeunes joueurs pathologiques est passé de 1,7 % en 1988 (Ladouceur et Mireault, 1988) à 2,6 % en 1999 (Ladouceur et coll., 1999). Tout comme les adultes éprouvant des problèmes de jeu, les jeunes joueurs pathologiques subissent des conséquences négatives de leurs habitudes de jeu. Ces conséquences sont variées et parmi celles-ci on retrouve l’emprunt d’argent pour miser (Ladouceur et Mireault, 1988), la diminution du rendement scolaire (Fortin et coll., 2001 ; Gupta et Derevensky, 1997), l’absentéisme à l’école et/ou au travail (Ladouceur et coll., 1997) et la commission d’actes illégaux pour financer la pratique du jeu (Ladouceur et coll., 1999). Malgré ces répercussions négatives peu de recherches concernant la prévention du jeu pathologique chez les jeunes ont été publiées jusqu’à maintenant. En fait, seulement trois études empiriques traitant directement de ce sujet sont disponibles (Ferland et coll., 2001 ; Ferland et coll., 2002 ; Gaboury et Ladouceur, 1993). Ces trois études ont été menées auprès d’étudiants de niveau secondaire et elles ont permis de démontrer qu’une intervention préventive pouvait améliorer les connaissances des jeunes en matière de jeu de hasard et d’argent tout en permettant de corriger les perceptions erronées qu’ils entretenaient envers ces activités. Il est toutefois important de noter que ces trois interventions préventives sont considérées comme étant de type général puisqu’elles abordent plusieurs thèmes entourant la problématique du jeu. Des données récentes tendent à démontrer que la persistance à jouer s’expliquerait par la présence de perceptions erronées que le joueur entretiendrait envers la notion de hasard (Ladouceur et coll., 2002). Ces perceptions contribueraient au maintien des habitudes de jeu et la correction de celles-ci permettrait de diminuer l’ampleur des habitudes de jeu (Ladouceur et Walker, 1996 ; Sylvain et coll., 1997). Les adolescents et les enfants ne sont pas à l’abri de ces perceptions erronées puisqu’eux
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aussi en présentent les manifestations (Carroll et Huxley, 1994 ; Derevensky et coll., 1996 ; Ferland et coll., 2001 ; Ferland et coll., 1999 ; Gupta et coll., 2001 ; Ladouceur et coll., 2003). Considérant que la correction des perceptions erronées est une composante importante dans le traitement du jeu pathologique chez les adultes (Ladouceur et Walker, 1998 ; Sylvain et coll., 1997), il est probable que la correction de cellesci avant qu’elles ne soient profondément installées dans le mode de pensée des adolescents permettrait de prévenir le développement d’habitudes de jeu problématiques. La présente étude évalue l’efficacité d’une nouvelle intervention préventive visant l’enseignement de la notion de hasard aux adolescents. Les exercices de prévention utilisés dans le cadre de la présente étude ont été créés et élaborés en utilisant des bases théoriques issues de recherches fondamentales et cliniques menées dans le domaine des jeux de hasard et d’argent. Ces exercices ont de plus été créés en tenant compte des goûts des jeunes et ils sont présentés en classe par un spécialiste du jeu. Il est prédit que le nombre de perceptions erronées relié à la notion de hasard diminuera significativement plus chez les élèves ayant participé aux activités préventives que chez les élèves du groupe contrôle.
ÉTUDE 1 Participants Au total 345 élèves (45 % garçons) provenant de deux écoles secondaires de la région de Québec participent à cette étude. Les élèves sont en secondaire 1 (76 % : l’équivalent de Collège 6 e en France) et en secondaire 3 (24 % : l’équivalent de Collège 4e en France). Comme l’intervention préventive se fait dans les classes régulières, ces dernières sont réparties aléatoirement entre les groupes expérimental et contrôle. Le groupe expérimental est composé 227 élèves et le groupe contrôle est composé de 118 élèves. Des tests de chi-carré confirment l’équivalence des groupes tant pour la répartition des sexes que pour la répartition des niveaux scolaires.
Instrument de mesure Questionnaire sur les jeux de hasard et d’argent — Version adolescents : Ce questionnaire sert à évaluer la compréhension de la notion du hasard. Il comporte 18 questions dont 14 utilisent des réponses de type vrai ou faux pour éva-
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R. LADOUCEUR et coll.
luer les connaissances reliées à la notion de hasard. Quatre questions socio-démographiques complètent le questionnaire. Le questionnaire a été élaboré pour les fins de cette expérimentation et il s’inspire fortement de questionnaires précédemment utilisés pour évaluer les perceptions erronées entretenues envers le jeu (Ferland et coll., 2001 ; Ferland et coll., 2002 ; Gaboury et Ladouceur, 1993 ; Ladouceur et coll., 2002-b).
Déroulement de l’étude Au début de la rencontre les jeunes du groupe expérimental complètent une première fois le questionnaire avant de participer à l’intervention préventive d’une durée d’environ 60 minutes. Par la suite, ils complètent à nouveau le questionnaire. Après avoir complété une première fois le questionnaire, les élèves du groupe contrôle poursuivent les activités scolaires régulières avec leur enseignant pour une durée de 60 minutes. Par la suite, ils complètent à nouveau le questionnaire.
Exercices de prévention1 L’intervention préventive est présentée par deux expérimentateurs et elle repose sur trois activités. Tout d’abord, les expérimentateurs effectuent des mises en situation au cours desquelles les jeunes doivent tenter de déceler les cognitions erronées reliées à la notion de hasard. On simule ensuite un tirage de loterie (6/49) lors duquel les élèves sont invités à choisir leur combinaison de chiffres. Enfin, un jeu de pile ou face (fait avec des pièces de monnaies géantes) est utilisé pour démontrer l’indépendance entre les événements. Un quizz de 10 questions résumant le contenu théorique abordé lors de la rencontre permet de finaliser l’intervention préventive. Le quizz est présenté à l’aide d’acétates et les jeunes y répondent oralement.
RÉSULTATS Statistiques descriptives Lors de l’évaluation initiale, la majorité des élèves (90 %) ont rapporté des perceptions erronées envers la notion de hasard. Plus du tiers des élèves (39 %) ont fait une ou deux erreurs alors que 51 % ont commis trois erreurs et plus lors de l’évaluation pré-expérimentale. 1 Une
copie de ces exercices est disponible auprès des auteurs.
Analyses statistiques Un test t pour échantillons indépendants démontre que les deux groupes présentent un nombre de perceptions erronées différents lors du pré-test, t (345) = -2,95 ; p < 0,05. Cette variable est donc utilisée comme covariable. L’ANCOVA effectuée sur le nombre de perceptions erronées commises lors de l’évaluation post-expérimentale révèle une différence significative entre les groupes, F (1, 343) = 88,84 ; p < 0,05. Ce résultat révèle que l’intervention préventive créée et animée par des spécialistes du jeu est significativement plus efficace que l’absence d’intervention pour diminuer les perceptions erronées entretenues envers la notion de hasard. Une seconde analyse portant uniquement sur les participants ayant fait 3 erreurs ou plus lors de l’évaluation initiale a également été effectuée afin de vérifier comment se comportent les perceptions erronées de ces jeunes plus extrêmes. Le groupe expérimental compte 126 jeunes (83 % garçons) et le groupe contrôle en compte 50 (76 % garçons). Les tests de chi-carré confirment l’équivalence des groupes tant pour la répartition des degrés scolaires que pour la répartition des sexes entre les groupes. Un test t pour échantillons indépendants démontre également que les deux groupes ont fait un nombre équivalent d’erreurs lors de l’évaluation pré-expérimentale : t (174) = – 1,72 ; p > 0,05. Une ANOVA à mesures répétées effectuée sur le nombre de perceptions erronées commises par les jeunes plus extrêmes indique des effets Temps (F (1,174) = 63,23 ; p < 0,05), Groupe (F (1,174) = 7,70 ; p < 0,05) et une interaction Temps X Groupe significative, F (1,174) = 54,55 ; p < 0,05. Ces résultats démontrent encore une fois l’efficacité de l’intervention pour diminuer le nombre de perceptions erronées reliées au hasard. Le tableau I présente les nombres moyens de perceptions erronées pour l’ensemble des jeunes ainsi que pour les jeunes plus extrêmes.
DISCUSSION Cette première étude démontre l’efficacité d’activités préventives créées par spécialistes du jeu et ayant pour but de diminuer les perceptions erronées que les jeunes du secondaire entretiennent à l’égard de la notion de hasard. Ces résultats indiquent également que ce programme de prévention est efficace tant pour l’ensemble des
PRÉVENTION DU JEU EXCESSIF CHEZ LES ADOLESCENTS
ÉTUDE 2
TABLEAU I. — Nombres moyens de perceptions erronées lors de l’étude 1.
Évaluations PréPostexpérimentale expérimentale Tous les élèves Groupe Expérimental
Moyennes (Écart types)
3,01 (2,03)
1,81 (1,54)
Groupe Contrôle
Moyennes (Écart types)
2,38 (1,79)
2,62 (2,12)
Groupe Expérimental
Moyennes (Écart types)
4,48 (1,53)
2,32 (1,68)
Groupe Contrôle
Moyennes (Écart types)
4,06 (1,35)
3,98 (1,67)
3 erreurs et plus
jeunes que pour les jeunes présentant des caractéristiques plus extrêmes. Il est toutefois important de noter que les activités préventives ont été animées par des spécialistes du jeu alors que les programmes de prévention sont habituellement animés par des enseignants. La seconde étude examine donc l’impact du type d’animation (spécialiste du jeu versus enseignant) en comparant l’efficacité des activités préventives des spécialistes à d’autres activités de prévention du jeu déjà utilisées dans le milieu scolaire québécois. Pour ce faire, trois exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » (Groupe Jeunesse, 2000) sont utilisés. Les trois exercices visent les mêmes thématiques et objectifs que ceux poursuivis par les exercices des spécialistes. Trois conditions expérimentales sont utilisées : — l’enseignant présente les exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » (tel que suggéré par ce programme) ; — un spécialiste du jeu présente les exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » ; — un spécialiste du jeu présente les exercices créés par les spécialistes du jeu et utilisés dans le cadre de la première étude. Il est prédit que les jeunes de la condition 2 auront une meilleure compréhension de la notion de hasard que les jeunes de la condition 1. Il est également prédit que les jeunes des conditions 2 et 3 (animation par un spécialiste du jeu) auront une meilleure compréhension de la notion de hasard que les autres jeunes.
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Participants Au total 520 élèves (44 % garçons) participent à cette étude. Ces jeunes proviennent de quatre écoles secondaires de la région de Québec et sont en secondaire 1 (34 % : l’équivalent de Collège 6 e en France), secondaire 2 (19 % : l’équivalent de Collège 5e en France) et secondaire 3 (47 % : l’équivalent de Collège 4 e en France). Comme l’intervention se fait dans les classes régulières, ces dernières sont réparties aléatoirement entre les trois conditions expérimentales. Des tests de chi-carré démontrent l’équivalence des trois groupes pour la répartition des sexes ( χ2 (2, N = 520) = 3,31 ; p > 0,05) alors que la répartition des degrés scolaires présente une différence significative, χ2 (2, N = 520) = 26,53 ; p < 0,05. Cette dernière variable sera utilisée comme covariable dans les analyses ultérieures.
Instrument de mesure Questionnaire sur les jeux de hasard et d’argent — Version adolescents : voir la description de ce questionnaire à la section « Méthodologie » de l’étude 1.
Spécialiste du jeu Afin de contrer un biais de l’expérimentateur, deux spécialistes du jeu sont assignés aléatoirement aux conditions expérimentales M-S et E-S. Les deux spécialistes possèdent une formation universitaire en psychologie et sont spécialisés dans le domaine des jeux de hasard et d’argent.
Déroulement de l’étude Au début de la rencontre, les jeunes des trois conditions expérimentales complètent le questionnaire. Par la suite, ils reçoivent l’intervention préventive d’une durée d’environ 60 minutes. Une fois les activités préventives terminées, les élèves complètent à nouveau le questionnaire.
Condition M-E (N = 122 élèves) Exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » animés par l’enseignant. Quelques semaines avant l’expérimentation, l’enseignant est informé des activités de prévention qu’il aura à animer avec sa classe. Il reçoit une copie des exercices de prévention ainsi qu’une copie du guide d’animation créé par
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R. LADOUCEUR et coll.
Groupe Jeunesse pour aider les enseignants dans leur tâche d’animation. L’enseignant est libre de faire l’animation comme bon lui semble et d’utiliser le matériel pédagogique qu’il désire. Lors de la journée de l’expérimentation, l’expérimentatrice explique brièvement le déroulement de la rencontre avant de faire compléter le questionnaire aux élèves. Par la suite, elle cède la parole au professeur et se tient en retrait à l’arrière de la classe. Une fois l’animation terminée, les élèves complètent à nouveau le questionnaire. Trois exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » sont présentés aux élèves. Les exercices choisis ciblent la même problématique que les exercices des spécialistes soit l’enseignement de la notion de hasard. Le premier exercice demande à l’élève de trouver la définition de « hasard » parmi trois définitions suggérées. L’élève doit ensuite résoudre un problème abordant l’indépendance entre les événements. Le deuxième exercice consiste à associer des événements avec différentes probabilités d’occurrence et, finalement, la troisième activité consiste à faire la simulation d’un tirage de loterie 6/49.
Condition M-S (N = 191) Exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » animés par un spécialiste du jeu. Cette condition expérimentale est identique à la précédente, à l’exception que les exercices sont animés par un spécialiste de la psychologie des jeux de hasard et d’argent.
Condition E-S (N = 207) Exercices de l’étude 1 animés par un spécialiste du jeu. Cette condition est identique à la condition expérimentale utilisée dans le cadre de l’étude 1.
Analyses statistiques Une analyse de covariance à mesures répétées utilisant le niveau scolaire comme covariable a été effectuée après s’être assurée de l’équivalence des groupes lors de l’évaluation initiale, F (2, 510) = 0,07 ; p > 0,05. Les résultats de cette analyse indiquent un effet Temps significatif (F (2, 502) = 32,22 ; p < 0,05) alors que l’effet Groupe (F (2, 502) = 0,44 ; p > 0,05) et l’interaction Temps X Groupe (F (2, 502) = 2,03 ; p > 0,05) ne sont pas significatifs. Ces résultats démontrent donc que les trois modes d’intervention retenus pour cette étude sont aussi efficaces les uns que les autres pour diminuer le nombre de perceptions erronées des jeunes du secondaire. Une seconde analyse portant sur les participants ayant fait 3 erreurs ou plus lors de l’évaluation initiale a également été effectuée afin de vérifier comment se comportent les perceptions erronées des jeunes plus extrêmes. Les conditions M-E, M-S, E-S comprennent respectivement 39, 55 et 51 jeunes. Une analyse de covariance à mesures répétées a été effectuée sur le nombre de perceptions erronées des jeunes plus extrêmes. Les résultats indiquent un effet Groupe (F (2, 137) = 4,18 ; p < 0,05) et un effet d’interaction Temps X Groupe significatifs (F (2, 1376) = 5,58 ; p < 0,05) alors que l’effet Temps n’est pas significatif, F (1, 137) = 1,60 ; p > 0,05. Des analyses de contraste révèlent que la condition E-S se démarque significativement de la condition M-E (p < 0,05) démontrant ainsi que les exercices de prévention créés et animés par les spécialistes permettent de diminuer significativement plus le nombre d’erreurs des étudiants extrêmes que les exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » animés par l’enseignant. Aucun autre contraste ne révèle de différence significative entre les différents modes d’intervention à l’étude. Le tableau II présente les nombres moyens d’erreurs obtenus par les jeunes.
DISCUSSION RÉSULTATS Statistiques descriptives Les résultats démontrent que la majorité des adolescents (74 %) entretiennent des perceptions erronées à l’égard du hasard. Près de la moitié des élèves (46 %) ont commis une ou deux erreurs alors que 28 % ont rapporté trois erreurs et plus lors de l’évaluation initiale.
La présente étude avait pour but premier de vérifier l’efficacité d’une toute nouvelle intervention préventive visant spécifiquement l’enseignement du concept de hasard à des jeunes du secondaire. La première hypothèse postulant une meilleure efficacité des activités préventives créées et animées par des spécialistes du jeu est partiellement confirmée puisque ces activités sont significativement plus efficaces auprès des
PRÉVENTION DU JEU EXCESSIF CHEZ LES ADOLESCENTS TABLEAU II. — Nombres moyens de perceptions erronées lors de l’étude 2.
Évaluations PréPostexpérimentale expérimentale Tous les élèves Condition M-E
Moyennes (Écart types)
1,83 (1,63)
1,13 (1,29)
Condition M-S
Moyennes (Écart types)
1,75 (1,53)
0,77 (1,11)
Condition E-S
Moyennes (Écart types)
1,68 (1,52)
0,90 (1,19)
Condition M-E
Moyennes (Écart types)
3,87 (0,89)
2,32 (1,42)
Condition M-S
Moyennes (Écart types)
3,73 (0,85)
1,64 (1,35)
Condition E-S
Moyennes (Écart types)
3,82 (1,07)
1,41 (1,47)
3 erreurs et plus
jeunes à risque que les exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » (Groupe Jeunesse, 2000) animés par l’enseignant. Par ailleurs, la seconde hypothèse prévoyant que les exercices tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » animés par un spécialiste du jeu démontrerait une plus grande efficacité que les mêmes activités animées par l’enseignant n’est pas confirmée. En effet, les résultats démontrent que ces deux modes d’enseignement sont tout aussi efficaces l’un que l’autre pour diminuer le nombre de perceptions erronées des étudiants du secondaire. L’efficacité accrue des exercices des spécialistes auprès des jeunes présentant plusieurs conceptions erronées nous amène à nous interroger sur la présence d’éventuelles différences entre ces jeunes dits à risque et les autres jeunes du même âge. Il est possible que les cognitions erronées des jeunes à risque soient plus fortement ancrées dans leur mode de penser et, se faisant, seule une intervention plus spécialisée permet de les contrer et de les modifier. Cet ancrage plus profond des conceptions erronées des jeunes à risque pourrait donc expliquer pourquoi l’intervention des spécialistes s’est démarquée des autres interventions. Toutefois, comme l’utilisation des activités tirés du programme de sensibilisation « Moi, je passe » animés par le spécialiste du jeu ne s’est pas démarquée, on peut croire que tant le contenu de l’intervention que les exercices présentés aux jeunes à risque ont une influence sur leur
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apprentissage. Le protocole expérimental utilisé ici ne permet toutefois pas de préciser si l’efficacité des activités préventives des spécialistes repose sur l’animation des spécialistes, sur les exercices, sur les caractéristiques des jeunes ou sur une combinaison de tous ces éléments. L’ajout d’un quatrième groupe expérimental dans lequel les exercices créés par les spécialistes du jeu seraient animés par les enseignants permettrait de s’assurer de l’impact de chacun de ces éléments. Dans un cadre où le système scolaire est sollicité de toute part pour s’impliquer dans la prévention de diverses problématiques, il est intéressant de noter qu’une courte intervention préventive (60 minutes) permet de diminuer significativement le nombre de perceptions erronées des étudiants. Selon Ladouceur et coll. (sous presse) les enseignants du Québec ne sont pas prêts à accorder du temps à la prévention du jeu, ils sont toutefois intéressés à recevoir du matériel pédagogique prêt à être utilisé avec leurs étudiants. Des activités de prévention de courtes durées et faciles à utiliser en classe pourraient donc intéresser les enseignants et augmenter leur taux d’utilisation en classe. Il faut toutefois être prudent avant de distribuer ce matériel de prévention dans les écoles secondaires car, comme l’ont démontré les résultats de la présente étude, l’efficacité de l’intervention auprès des jeunes à risque dépend grandement des connaissances de l’animateur. Il est donc important de s’interroger sur la meilleure façon d’implanter ces programmes de prévention avant de les distribuer dans les écoles. Devrait-on offrir des programmes de prévention différents aux jeunes à risque ? Devrait-on maximiser l’impact des programmes de prévention auprès du plus grand nombre possible de jeune en confiant leur animation uniquement aux spécialistes du jeu ? Si on décidait de confier l’animation des programmes de prévention aux enseignants ou à d’autres professionnels, ne faudrait-il pas leur offrir et même rendre obligatoire des ateliers de formation à la psychologie des jeux de hasard et d’argent ? Bien que permettant de circonscrire plusieurs points d’intérêts, Il est important de noter que les deux études présentées ici ont été menées auprès d’une population non clinique. Considérant les résultats obtenus auprès des jeunes à risque, il serait important de s’assurer de l’efficacité des activités préventives auprès d’un plus grand nombre de jeunes à risque et de jeunes présentant des problèmes de jeu avant d’implanter ces activités dans le milieu scolaire.
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R. LADOUCEUR et coll.
CONCLUSION Les résultats des deux études présentées ici révèlent que, tout comme les adultes (Ladouceur et Walker, 1996) et les jeunes du primaire (Ladouceur et coll., 2002), la majorité des jeunes du secondaire entretient de fausses croyances envers la notion de hasard. Tout en venant appuyer les résultats précédemment obtenus par Carroll et Huxleyn, 1994 ; Derevensky et coll., 1996 ; Ferland et coll., 1999 ; Ladouceur et coll., 2002-b), la présente recherche démontre également que l’utilisation d’exercices de prévention permet de diminuer significativement le nombre de perceptions erronées entretenues envers la notion de hasard. Ces erreurs cognitives s’avérant particulièrement importantes dans le développement et le maintien des habitudes de jeu (Gaboury et Ladouceur, 1989 ; Griffiths, 1994 ; Ladouceur et coll., 1994 ; Ladouceur et Walker, 1996 ; Savoie et Ladouceur, 1995), on peut croire qu’à long terme l’acquisition d’une notion non biaisée du hasard permettra de diminuer le nombre de jeunes présentant des problèmes de jeu. Ces études permettent également d’établir que les jeunes à risque réagissent différemment des jeunes non à risque au contenu de l’intervention préventive. Elles ont permis d’identifier l’importance de requérir aux services d’un spécialiste du jeu pour favoriser l’apprentissage de la notion de hasard chez les clientèles plus extrêmes. Cet élément devra dorénavant être pris en considération dans l’élaboration et la mise en place de programmes de prévention des habitudes de jeu s’adressant à des jeunes du secondaire. RÉFÉRENCES CARROLL D, HUXLEY JAA. Cognitive, dispositional, and psychophysiological correlates of dependent slot machine gambling in young people. Journal of Applied Social Psychology 1994 ; 24 : 1070-1083. DEREVENSKY JL, GUPTA R, CIOPPA GD. A developmental perspective of gambling behavior in children and adolescents. Journal of gambling studies 1996 ; 12 : 49-66. FERLAND F, LADOUCEUR R, JACQUES C. Evaluation of a gambling prevention program for youths . Toronto, Canada: Conference Innovation 2001. Canadian Foundation for Compulsive Gambling, 2001. FERLAND F, LADOUCEUR R, RHÉAUME N, BOUCHARD C, TREMBLAY M. First step toward a gambling prevention program. Paper presented at the 1999 Annual Convention, CPA. Halifax, NS, Canada: 20-22 mai 1999. FERLAND F, LADOUCEUR R, VITARO F. Prevention of problem gambling: Modifying misconceptions and increasing knowledge. Journal of Gambling Studies 2002 ; 18 : 19-30.
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