Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 26 (2007) 1111–1113
PRATIQUE CLINIQUE
Prise en charge peropératoire du patient cardiaque >> Intraoperative management of the high risk cardiac patient D. Longrois Pôle d’anesthésie–réanimation, CHU de Brabois Adultes, 4, rue du Morvan, 54511 Vandœuvre-lès-Nancy, cedex, France
Mots clés : Prise en charge peropératoire ; Patient cardiaque Keywords: High risk cardiac; Intraoperative management
Le patient présenté dans le cas clinique est à risque modéré pour développer des complications cardiaques postopératoires. Les facteurs de risque sont ceux du score de Lee [1] : les antécédents de coronaropathie (1 point) et la chirurgie qui peut être considérée comme à risque intermédiaire (1 point), mais cette estimation du risque lié à la chirurgie est imparfaite [2]. Le risque attendu de complications cardiovasculaires majeures (infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque ou décès) est entre 1 et 2 % [1]. Les défis pour la prise en charge peropératoire de ce patient sont de définir des stratégies pour : • la gestion des traitements chroniques pour la veille et le jour de l’intervention ; • le monitorage peropératoire ; • la surveillance postopératoire ; • le choix des médicaments anesthésiques ; • l’épargne sanguine périopératoire ; • l’analgésie postopératoire. Les objectifs thérapeutiques peropératoires sont : • le maintien de l’homéostasie ; • éviter les sur- et sous-dosages anesthésiques. Seront développés dans cette présentation seulement les problèmes en relation avec la cardiopathie du patient du cas clinique.
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doi of original article 10.1016/j.annfar.2007.10.009. Journée monothématique de la Sfar. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Longrois).
0750-7658/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0750-7658(07)00523-0
1. GESTION DES TRAITEMENTS CHRONIQUES Le patient doit prendre le β-bloquant la veille et le matin de l’intervention afin de maintenir la fréquence cardiaque en dessous de 60 b/min avant la chirurgie et de 80 b/min après la chirurgie [3]. Compte tenu du fait que le patient recevait un traitement chronique par β-bloquant, l’indication pour continuer ce traitement est formelle [4]. L’inhibiteur de l’enzyme de conversion (Zestril®) ne doit pas être donné la veille ni le jour de l’intervention. Le problème des antiplaquettaires, pour ce patient, a été abordé dans les autres textes pour cette journée monothématique.
2. MONITORAGE PEROPÉRATOIRE En plus du monitorage peropératoire obligatoire, ce patient devra bénéficier d’un monitorage du segment ST et de la pression artérielle par méthode invasive (cathéter radial) [5]. Le cathéter artériel permettra la mesure des variations de la pression pulsée (∆PP) avec le cycle respiratoire pendant l’intervention chirurgicale (ventilation contrôlée) et faciliter le diagnostic d’hypovolémie. Il n’existe pas de preuves que le monitorage du débit cardiaque (invasif par cathéter de Swan-Ganz ou non invasif) modifie l’incidence des complications cardiovasculaires postopératoires [6]. La fonction ventriculaire gauche légèrement altérée et l’hypertension artérielle pulmonaire modérée, documentées à l’échocardiographie préopératoire, ne sont pas des argu-
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ments en faveur de l’utilisation « prophylactique » du cathéter artériel pulmonaire. L’insertion d’un cathéter veineux central (CVC) peut être envisagée mais n’est pas indispensable. Des arguments en faveur du cathéter sont des pertes volémiques anticipées importantes (expérience du chirurgien) et un capital veineux périphérique médiocre. Si un CVC est inséré, il permettra de mesurer la pression veineuse centrale (PVC) et la saturation en oxygène du sang veineux cave supérieur (SvcO2). L’utilisation conjointe du ∆PP, de la PVC et de la SvcO2 permet d’estimer les performances cardiovasculaires peropératoires. L’hypovolémie et le surdosage anesthésique sont les causes les plus fréquentes d’hypotension artérielle peropératoire. Une instabilité hémodynamique inexpliquée en peropératoire ne répondant pas aux mesures de correction (traitement de l’hypovolémie) pourrait bénéficier d’une échographie transœsophagienne (ETO) diagnostique. Pour ce patient, le monitorage de la profondeur de l’anesthésie basé sur l’analyse automatisée de l’EEG spontané pourrait être intéressante (voir plus loin).
comme conséquence un risque accru de mémorisation explicite peropératoire [8,10]. L’utilisation de l’AIVOC, du monitorage de la profondeur de l’anesthésie et du cathétérisme artériel permet une titration de l’anesthésie selon un algorithme qui a été proposé pour l’anesthésie en chirurgie cardiaque [11,12]. Compte tenu du fait que l’hypotension artérielle (en l’absence d’une hypovolémie) est surtout en relation avec la concentration du morphinique [13], le rémifentanil, à cause de ses propriétés pharmacocinétiques, permet de diminuer le temps cumulé de surdosage en morphinique tout en permettant d’augmenter les concentrations lorsque cela est nécessaire. L’utilisation du rémifentanil en mode AIVOC permet d’améliorer la stabilité hémodynamique [14]. Le maintien de l’homéostasie fait partie des objectifs de toutes les anesthésies ; il concerne le maintien de la normothermie, de la normovolémie, de la masse globulaire rouge et surtout le maintien d’une pression de perfusion coronarienne et (probablement) d’une fréquence cardiaque inférieure à 60 b/min peropératoire et inférieure à 80 b/min en postopératoire [3].
3. CHOIX DES MÉDICAMENTS ANESTHÉSIQUES
5. ANALGÉSIE POSTOPÉRATOIRE
Il n’existe pas d’arguments formels pour l’utilisation d’un type de médicaments anesthésiques ou d’une technique anesthésique. Les choix seront faits sur des considérations physiopathologiques. L’utilisation de l’anesthésie intraveineuse à objectif de concentration (AIVOC) facilite la titration de l’anesthésie. La combinaison propofol–rémifentanil permet l’administration des deux médicaments en mode AIVOC. L’utilisation du rémifentanil imposera de débuter l’analgésie postopératoire avant la fin de l’intervention. L’utilisation d’une faible dose (infra-anesthésique) de kétamine administrée en peropératoire permettra de diminuer les besoins morphiniques ainsi que l’incidence des nausées– vomissements postopératoires [7].
4. TITRATION DE L’ANESTHÉSIE Le patient décrit dans le cas clinique est à risque de sur- et de sous-dosage anesthésique à cause de sa cardiopathie [8]. Le type de chirurgie n’est pas associé à un risque particulier [8]. Le surdosage se traduirait par une hypotension artérielle qui risquerait de diminuer la pression de perfusion coronarienne. Il a été suggéré (mais pas encore démontré) que le surdosage anesthésique (traduit par une hypotension artérielle et des valeurs de BIS < 45) serait associé à une augmentation de la mortalité à un an après la chirurgie [9]. Par ailleurs, l’altération des fonctions cardiovasculaires ainsi que le traitement chronique par Sectral® peuvent masquer la réponse hémodynamique à une anesthésie insuffisante pour le niveau de stimulation nociceptive [10]. Cela expose le patient à un risque accru de sous-dosage anesthésique avec
La chirurgie prothétique de la hanche est douloureuse. La question pour ce patient est de savoir si une technique d’analgésie plus « invasive », type analgésie péridurale ou analgésie par morphine intrathécale, permet de diminuer l’incidence des complications cardiovasculaires postopératoires. Cette question est à analyser dans le contexte où la reprise du traitement antiplaquettaire serait souhaitable en période postopératoire immédiate. Les quelques rares études réalisées n’ont pas montré un bénéfice des techniques d’analgésie neuraxiale pour diminuer l’incidence des complications cardiovasculaires chez les patients à risque [15,16]. La technique d’analgésie sera donc en fonction des habitudes de l’équipe d’anesthésie, des contraintes liées à la gestion du traitement antiplaquettaire et des préférences du patient. 6. GESTION DES COMPLICATIONS PEROPÉRATOIRES Les principales complications peropératoires sont l’instabilité hémodynamique aggravée par la cardiopathie présente, les traitements cardiovasculaires chroniques, le risque d’hypovolémie (chirurgie) et les effets hémodynamiques des médicaments anesthésiques. La première étape est le diagnostic étiologique de l’instabilité hémodynamique. L’utilisation de l’administration en mode AIVOC, du monitorage hémodynamique et de la profondeur de l’anesthésie permet de mieux identifier les causes de l’instabilité hémodynamique et de débuter le traitement de la cause. 7. CONCLUSION Le cas clinique présenté est un défi pour la titration de l’anesthésie. Ce type de patient bénéficie des techniques
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dites « modernes » d’anesthésie comme l’AIVOC et le monitorage de la profondeur de l’anesthésie.
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