Prise en charge des urticaires médicamenteuses non allergiques

Prise en charge des urticaires médicamenteuses non allergiques

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Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique 46 (2006) 230–233 http://france.elsevier.com/direct/REVCLI/

Prise en charge des urticaires médicamenteuses non allergiques Management of non-allergic drug-induced urticaria N. Saad, I. Guillot, J.-F. Nicolas, F. Bérard * Unité d’immunologie clinique et allergologie, pavillon Dufourt 5F, hôpital Lyon-Sud, 69495 Pierre-Bénite cedex, France Reçu le 12 janvier 2006 ; accepté le 20 janvier 2006

Résumé L’urticaire au médicament est fréquente et bénigne dans la plupart des cas. Elle est le plus souvent la conséquence d’une intolérance (pas d’allergie spécifique), plus rarement d’une authentique hypersensibilité immédiate (HSI) médiée par des IgE. Le diagnostic étiopathogénique est un trépied constitué par les données de l’interrogatoire, les résultats des tests cutanés, et si nécessaire les données des explorations biologiques. En cas d’HSI, la réintroduction du médicament est définitivement contre-indiquée car la désensibilisation est inefficace. On doit dans ce cas rechercher une allergie croisée pour des molécules de la même classe (par des batteries de tests cutanés et/ou biologiques). En cas d’intolérance le médicament peut être réintroduit dans la grande majorité des cas, parfois sous couvert d’une prémédication par antihistaminiques et/ou antileucotriènes. © 2006 Publié par Elsevier SAS. Abstract Drug-induced urticaria occurs frequently and is benign in most cases. It is most often a consequence of intolerance (not a specific allergy), but occasionally it may be the consequence of an authentic IgE-mediated immediate hypersensitivity reaction (IHR). The etiological-pathogenic diagnosis is three-pronged, including history, skin tests and, if necessary, laboratory investigations. In cases of IHR, re-introduction of the medicament is definitely contra-indicated since desensitization is not efficacious. In such cases, one should carry out a battery of skin and/or laboratory tests looking for an allergic cross-reaction caused by molecules of the same class. In cases of intolerance, the medicament can be reintroduced in the large majority of cases, sometimes accompanied by pre-medication with an antihistamine and/or an antileukotriene. © 2006 Publié par Elsevier SAS. Mots clés : Urticaire ; Médicament ; Allergie ; Intolérance ; Clinique Keywords: Urticaria; Drug-induced; Intolerance; Allergy; Clinical

Les réactions médicamenteuses, quelles soient précoces ou tardives, sont fréquentes, mais les allergies vraies sont rares [1]. L’urticaire induite peut être aiguë, aiguë intermittente ou chronique. L’urticaire aiguë est en fréquence, après le rash maculopapuleux, la seconde manifestation clinique cutanée liée aux médicaments [2]. Ainsi, au cours d’un traitement médicamenteux, devant une manifestation urticarienne pouvant aller de l’urticaire banale au tableau de choc anaphylactoïde, il fau-

* Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Bérard).

0335-7457E/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.allerg.2006.01.038

dra différencier l’hypersensibilité immédiate (HSI = activation des mastocytes par les IgE), de l’intolérance médicamenteuse (activation des mastocytes par effet toxique des médicaments). 1. Conduite à tenir au moment de l’accident Dans l’urgence, il convient bien évidemment, dès les premiers signes, de stopper immédiatement le traitement en cours et de débuter un traitement symptomatique adapté à la clinique pouvant aller d’un simple comprimé d’antihistaminique à la mutation en réanimation, en passant par un bolus de corticoïde IV et par l’administration d’adrénaline. Parallèlement, mais

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sans retarder la prise en charge de l’accident, une histaminémie et une tryptasémie pourront être prélevées. Leur positivité pourra orienter le diagnostic étiologique vers un mécanisme allergique, tout en sachant qu’il existe des faux négatifs, que ces dosages sont surtout sensibles en cas d’œdème de Quincke, et que le diagnostic reste avant tout clinique. Après résolution de l’accident, il faut contre-indiquer le ou les médicaments pouvant en être responsables et prévoir la réalisation de tests allergologiques pour affirmer ou infirmer le mécanisme allergique. 2. Physiopathologie de l’urticaire médicamenteuse L’urticaire médicamenteuse, tout comme l’urticaire en général, peut découler d’un mécanisme immunologique ou non immunologique ([3] et article de N. Saad dans ce numéro). 2.1. L’urticaire médicamenteuse immunologique L’urticaire médicamenteuse immunologique est essentiellement représentée par l’HSI. Elle est rare et représente moins de 10 % des urticaires médicamenteuses [1,4,5]. Dans notre expérience, elle est de 7,9 % actuellement. Elle résulte de la mise en jeu de facteurs de l’immunité spécifique : les IgE spécifiques de la molécule allergisante (principe actif ou excipient du médicament). Les arguments en faveur d’un mécanisme IgE-dépendant sont la rapidité de survenue de l’accident (dans les minutes qui suivent la prise du médicament), le caractère rapidement extensif de l’urticaire avec atteinte muqueuse et angoisse majeure du patient, ainsi que la sévérité de l’évolution clinique. Certaines molécules apparaissent plus immunogènes que d’autres et sont les plus fréquemment en cause dans les accidents anaphylactiques : ce sont les antibiotiques, et principalement les bêtalactamines [3,6]. Ainsi, dans notre série de 783 patients testés entre février 2000 et décembre 2003, 62 patients présentaient une hypersensibilité immédiate, 44 (soit 75 %) aux bêtalactamines dont 30 (50 %) à l’amoxicilline et 14 (25 %) aux céphalosporines. 2.2. L’urticaire médicamenteuse non immunologique Également appelée intolérance médicamenteuse ou pseudoallergie, elle est de loin la plus fréquente [1,7]. Elle résulte de la mise en jeu de l’immunité innée, non spécifique [8]. Cliniquement, les manifestations sont identiques à celles de l’allergie vraie, mais : ● le début est généralement plus tardif (au-delà d’une heure) ; ● l’évolution de la symptomatologie est plus lente ; ● le tableau moins sévère n’engage qu’exceptionnellement le pronostic vital ; ● la réaction est souvent dose dépendante ; ● le tableau clinique se répète avec l’ingestion de substances pharmacologiquement très différentes.

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La prise en charge thérapeutique est également plus simple car les antihistaminiques (associées ou non aux antileucotriènes) suffisent habituellement à bloquer l’évolution des signes et à les faire disparaître rapidement. Diverses substances comme les opiacés, la codéine, les curares, la vancomycine, les produits de contraste iodés, l’atropine, la pentamidine, la polymyxine B ou les macromolécules type dextran peuvent provoquer, par une action directe sur le mastocyte, une dégranulation mastocytaire et donc une urticaire aiguë. D’autres médicaments comme les pénicillines, les sulfamides, la streptomycine, l’acide salicylique ou encore la diphénylhydantoïne, peuvent être responsables de la formation de complexes immuns et de l’activation du complément avec une urticaire entrant dans le cadre d’une maladie sérique et ne pouvant alors durer pas plus de six semaines [2]. Deux grandes classes de médicaments, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (et l’aspirine) et les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, inhibent respectivement la voie métabolique de la cyclooxygénase et celle de la bradykinine. Elles rentrent dans le cadre des urticaires chroniques médicamenteuses car elles peuvent générer une urticaire et/ou un angiœdème, soit d’emblée sur un terrain d’urticaire chronique et amplifier les symptômes préexistants, soit spontanément par un mécanisme différent de celui des réactions d’HSI [9]. Plusieurs syndromes différents au sein de ces urticaires médicamenteuses pseudoallergiques ont été individualisés [10]. 2.2.1. Les exanthèmes et urticaires aiguës associés à la prise d’antibiotiques chez l’enfant Présentant un syndrome inflammatoire [11], la physiopathologie des accidents pseudoallergiques n’est pas claire : ces accidents sont en effet inconstants et dépendent entre autres de l’état général du patient. Ainsi, un syndrome infectieux favorise l’intolérance médicamenteuse, mais de façon inconstante et non reproductible. 2.2.2. L’urticaire chronique idiopathique aggravée par les médicaments [7] Elle résulte d’une activation non spécifique des mastocytes. Les patients, aux antécédents d’urticaire ou de dermographisme, présentent souvent une baisse du seuil de dégranulation des mastocytes lors de la prise des médicaments (souvent d’ailleurs pour plusieurs molécules différentes). Les tests allergologiques cutanés (prick-tests et IDR) négatifs confirment le diagnostic. La plupart du temps, la reprise du médicament est possible, sous couvert d’une prise d’antihistaminique quelques heures avant le traitement, et ce pendant toute sa durée. On peut aussi proposer une association à un antileucotriène en cas d’efficacité incomplète des anti-H1. 2.2.3. L’urticaire de l’intolérance à l’aspirine et aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) Fréquente, elle est liée à leur effet pharmacologique qui inhibe la voie des cyclo-oxygénases [12]. Ce blocage aboutit à une diminution de la production de prostaglandines et à un excès de production de leucotriènes. Les manifestations clini-

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ques surviennent souvent sur un terrain d’atopie et des antécédents d’urticaire/angio-œdème chronique. Il est indispensable de rechercher un syndrome de Widal, triade associant un asthme intrinsèque sévère, une polypose nasale et une intolérance aux AINS, à de crises d’asthme graves induites par ces derniers. Le traitement comporte l’éviction des AINS et de l’aspirine dans les formes sévères (Fernand Widal par exemple). Dans les autres cas, l’utilisation d’AINS anti-COX-2 préférentiels (nimésulide, méloxicam) ou sélectifs (rofécoxib, célécoxib) est une bonne alternative. La prise concomittante d’antileucotriènes peut aussi être proposée. Enfin, dans les cas où la prise d’aspirine est indispensable (à visée anti-agrégante par exemple), il est parfois possible d’induire une tolérance par administration de doses croissantes d’aspirine. 2.2.4. L’urticaire et angio-œdème lors de la prise d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) Les angio-œdèmes sont des effets secondaires classiques des IEC (0,5 % des patients traités). Ils sont caractérisés par une toux, des angio-œdèmes du visage, des extrémités et des muqueuses. Le délai d’apparition est habituellement précoce, dans les premières semaines de traitement, mais peut aussi être retardé de plusieurs années. Les œdèmes n’ont pas de périodicité et surviennent de façon imprévisible, parfois déclenchés par un traumatisme ou d’autres prises médicamenteuses. Il est important de noter que les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (sartans) ont les mêmes effets secondaires, malgré leur mécanisme d’action différent [13]. Mais l’angio-œdème induit pourrait être dose dépendant [14]. 3. Les explorations allergologiques 3.1. L’interrogatoire Il repose avant tout sur l’anamnèse de l’accident, et en particulier sur son type, sa sévérité et sa chronologie d’apparition par rapport à la prise du médicament. Les circonstances de l’accident ainsi que les autres médicaments ou substances ingérés seront précisés. Les antécédents d’urticaire chronique (alimentaire, physique, médicamenteux, dermographisme) et d’atopie seront également recherchés. Ainsi, cliniquement, il est possible, la plupart du temps, de suspecter le mécanisme de l’urticaire (Annexe A). Les tests allergologiques et biologiques viendront confirmer ou infirmer l’hypothèse étiologique. Mais, ils restent surtout utiles en cas d’accident atypique ou ancien et alors mal rapporté par le patient. 3.2. Explorations cliniques Si l’HSI aux médicaments est un évènement rare, elle représente un événement grave car potentiellement mortel par choc anaphylactique. On dénombre 500 décès annuels par choc aux pénicillines aux États-Unis [15]. Cette gravité justifie la prise en charge des patients par des structures spécialisées dans la réalisation des explorations immunoallergologiques au médicament, ce d’autant plus que les tests, pratiqués avec rigueur,

paraissent avoir une très bonne spécificité et sensibilité. Nous avons ainsi testé dans notre unité plus de 1500 malades depuis 1998 sans observer aucun accident lors des tests, ce qui témoigne de leur innocuité. Dans notre unité, les tests se déroulent en deux temps. 3.2.1. Prick-tests et intradermoréactions (IDR) avec la ou les molécules suspectes L’utilisation des tests cutanés médicamenteux pour le diagnostic des allergies IgE dépendantes n’est pas encore totalement validée sauf pour les antibiotiques de la classe des pénicillines [4] et pour les curares [16]. Le test est positif s’il apparaît une papule urticarienne significative en regard des points d’injection. Si le test est positif, le diagnostic d’allergie est porté et le médicament est formellement contre-indiqué. Les tests cutanés réalisés avec les molécules de la même famille permettent ensuite d’étudier les réactivités croisées et de dégager les molécules qui ne sont pas reconnues par les IgE spécifiques et qui pourront éventuellement être prescrites au patient en cas de besoin [17]. Une carte d’allergie détaillée est alors remise au patient. En cas d’accident ancien, il est possible qu’il n’y ait plus suffisamment d’IgE spécifiques dans le sérum du patient, ce qui donne des tests faussement négatifs. C’est la raison pour laquelle tout patient qui a présenté un accident datant de plus de trois mois et ayant des tests négatifs sera testé de nouveau après une reprise du médicament en cause sous forme d’un rappel au 1/10° de la dose habituelle unitaire. Si l’accident est plus récent et si les tests sont négatifs, une réintroduction directe du médicament à dose complète est proposée. 3.2.2. Un à trois mois après, nouvelle série de tests Ce sont les mêmes et, si les tests sont toujours négatifs, réintroduction du médicament : ● dans le service si l’accident n’était pas sévère et s’il n’y a aucun doute sur la concordance des tests et de la clinique ; ● dans le service de réanimation du centre hospitalier LyonSud dans les cas contraires. Si les tests sont positifs, on conclue à une hypersensibilité immédiate, et, de la même façon, une allergie croisée est recherchée et une carte d’allergie est remise au patient. 3.3. Explorations biologiques ● Le dosage des IgE spécifiques est actuellement disponible pour les pénicillines (pénicilline G, pénicilline V, amoxicilline et ampicilline) [4] et les curares [18]. De nombreux travaux visent à valider un ensemble de réactifs capables d’analyser la réponse IgE à l’ensemble des pénicillines et des céphalosporines [19] ; ● les tests de dégranulation des basophiles ou histaminolibération, et l’expression de l’antigène CD63 et CD203c par les basophiles du patient mis en contact avec le médicament

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[20] sont utiles en cas de tests cutanés douteux ou discordants avec la clinique ; ● l’histaminémie et la tryptasémie peuvent être dosées en cas de récidive des manifestations cliniques au moment du rappel ou de la réintroduction afin d’écarter une HSI, cela lorsque la clinique est douteuse. En effet, la réintroduction et même parfois le rappel ne sont pas réalisés tant que persiste un doute sur la pertinence des tests par rapport à la clinique. En cas d’urticaire provoquée par la reprise d’aspirine ou d’AINS par exemple, ces dosages ne seront pas réalisés ; ● La biopsie cutanée n’a d’intérêt qu’en cas de doute sur une vasculite urticarienne. 4. Conclusion Tout effet indésirable observé au cours de prises médicamenteuses doit être considéré comme une réaction allergique jusqu’à preuve du contraire et doit faire suspendre le traitement immédiatement. Les allergies vraies, pouvant mettre en jeu le pronostic vital, sont cependant rares. La prise en charge est difficile et le diagnostic final est porté en fonction du tableau clinique, des critères d’imputabilité, des données de la pharmacovigilance, et des résultats des tests allergologiques. Annexe A. Diagnostic des urticaires allergiques et non allergiques au médicament (urticaire, angio-œdème, choc)

Interrogatoire Sévérité

Délai prise du médicament/ éruption Urticaire chronique Atopie Réaction à plusieurs médicaments de structures différentes Explorations Tests cutanés Tests biologiques (activation basophile, dosages d’IgE spécifiques…) Conduite à tenir Reprise du médicament

HSI

Intolérance

Fréquente (éruption rarement isolée) < 1 heure

Rare (éruption souvent isolée) > 1 heure

Non Non Non

Oui Oui Oui

Positifs Positifs

Négatifs Négatifs

Contre-indiquée (rechercher allergie croisée)

Possible (prémédication)

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