Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2011) 12, 173—180
FAITES LE POINT
Rachialgies : prise en charge en médecine physique et réadaptation Management of chronic low-back pain with rehabilitation and physical medicine Grégoire Le Blay a,b a
Centre médico-chirurgical de réadaptation des massues, Croix-rouge franc¸aise, 92, rue Edmond-Locard, 69322 Lyon cedex 05, France b Centre orthopédique Santy, 24, avenue Paul-Santy, 69008 Lyon, France Disponible sur Internet le 23 juin 2011
MOTS CLÉS Lombalgie chronique ; Rééducation ; Massage ; Physiothérapie ; Tractions ; Manipulations vertébrales ; Corset ; Activité physique ; Hygiène de vie ; Réentraînement à l’effort
KEYWORDS Chronic lumbago; Rehabilitation; Massage;
Résumé La prise en charge des lombalgies chroniques est une nécessité, validée par leur extrême fréquence et le risque d’évolution vers une incapacité, redoutée tant par le patient que par le thérapeute. Après avoir rappelé l’importance de la démarche diagnostique, nous présentons la synthèse d’une revue de la littérature portant sur les outils et techniques de la rééducation. Les techniques sont présentées en détaillant les applications, les indications, les effets secondaires, les contre-indications et les résultats. Il en ressort que le niveau de preuve obtenu est variable, car les études cliniques randomisées de bonne qualité à haut niveau de preuve sont rares et difficiles à réaliser. De forts niveaux de preuve ont cependant été retenus pour les programmes de restauration fonctionnelle du rachis. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Low back pain is very common and can lead to severe incapacity if untreated. After a brief reminder of the diagnosis process, we present a synthesis of a literature review of major tools and techniques in physical and rehabilitation medicine. Techniques, appliances, indications, side effects and contraindications are described. Evidence-based proof is scarce
Adresse e-mail :
[email protected] 1624-5687/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.douler.2011.04.005
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Physiotherapy; Drives; Vertebral manipulations; Corset; Physical activity; Lifestyle
and low because randomised-controlled trials are difficult to produce. However, there is strong evidence for functional restoration programs in the treatment of low-back pain. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Les déterminants cliniques, psychologiques et sociaux étant importants dans les rachialgies communes, en particulier dans leur évolution chronique et/ou récidivant, leur prise en charge est, elle aussi, le plus souvent multiple. C’est cette diversité qui peut rendre complexe les moyens à mettre en œuvre en termes de prescription. Elle doit en effet répondre à des règles précises tant au niveau des indications que de la durée d’application, de la connaissance des effets secondaires ou des complications. L’efficacité doit avoir été évaluée au moyen d’essais cliniques permettant d’apporter des preuves de rang A (essais cliniques randomisés) de rang B (étude de cohorte) ou de rang C (études cas-témoins). Nous éliminons d’emblée les rachialgies symptomatiques de pathologies inflammatoires (spondylarthrite ankylosante, rhumatisme psoriasique), tumorales (métastases osseuses, myélome, tumeurs osseuses primitives), les tassements des ostéopathies fragilisantes et les douleurs viscérales projetées (rénales ovariennes digestives. . .).
Nous nous proposons de rapporter pour chacune des modalités thérapeutiques proposées l’ensemble de ces données, telles qu’elles ont pu récemment être rapportées lors d’une revue Cochrane [1]. Cette revue de littérature permet de faire un point exhaustif et rigoureux sur les études publiées en sélectionnant les plus pertinentes. Auparavant nous voulons rappeler quelques éléments de réflexions indispensables pour prescrire au mieux en fonction des éléments cliniques, anatomiques et lésionnels, étiologiques et psychosociaux.
Éléments d’orientation cliniques, anatomiques, étiologiques et psychosociaux Même si les rachialgies sont considérées comme un modèle global, bio-psychosocial, surtout dans leur évolution chronique, il faut d’abord rechercher les éléments anatomiques physiologiques lésionnels, car ce sont la plupart du temps ceux qui sont initialement en cause. Ils constituent une
cible plus aisée à traiter, facteur de limitation de l’évolution chronique. Ainsi, au-delà d’un bilan clinique bien conduit, dissociant rachialgies pures et radiculalgies, l’analyse clinique doit reposer sur l’étude du morphotype et, pour cela, le bilan radiologique classique, élémentaire (de type radiographie lombaire face et profil et colonne dorsale face et profil) ne suffit pas pour faire une analyse précise de la statique vertébrale. En effet, cette analyse nécessite la réalisation de clichés de la colonne totale de face et profil, incluant les têtes fémorales, pour réaliser des mesures précises dans le plan frontal et sagittal. De face, ces mesures vont définir l’équilibre du bassin, la présence d’une scoliose et/ou de dislocations vertébrales lombaires. De profil, l’analyse est encore plus importante avec la mesure de l’incidence pelvienne de Duval-Beaupère et al. [2] qui a permis à Roussouly et al. [3] de proposer une classification des profils, parfaitement adaptée à l’examen clinique et aux conséquences biomécaniques de ces dysmorphométries (hypercyphoses hyperlordoses, cyphoses dorsolombaires, dos plat, spondylolisthésis) (Fig. 1). Il est important de connaître cette nouvelle classification pour prescrire une technique de rééducation qui soit cohérente (par exemple, on ne cherchera pas à lordoser un type IV qui est déjà en butée sur les articulaires postérieures mais plutôt à renforcer les quadriceps et le gainage antérieur du tronc). Ce bilan clinique et radiologique (complété par l’imagerie par résonance magnétique lombaire [IRM] lombaire) va permettre de distinguer le caractère discal ou articulaire postérieur de certaines lombalgies, de savoir suspecter une participation musculaire (insuffisance ou déséquilibre fléchisseurs/extenseurs du tronc) ou des raideurs des chaînes musculaires, de découvrir un dérangement intervertébral mineur, un syndrome myofascial, ou de dépister des douleurs neuropathiques. Enfin, le bilan psychosocial permet de retracer l’histoire de la maladie, mode de survenue et vécu, le parcours diagnostique et thérapeutique du patient et ses souffrances au niveau parental, scolaire, professionnel et enfin au niveau de sa propre cellule familiale. Cela permet de classer les rachialgies en plusieurs stades : • le stade I : lombalgie aiguë, qui va guérir en quelques jours ; • le stade II : lombalgie subaiguë, qui guérit en trois à six semaines avec une à deux récidives par an ;
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Figure 1.
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Les quatre types de profil selon la classification de Roussouly.
• le stade III : lombalgie permanente ou chronique, évoluant depuis plus de trois mois, résistant au traitement médical ; • le stade IV : douleurs chroniques, avec retentissement psychique majeur.
Les techniques de la rééducation Les techniques pouvant être prescrites et réalisées en rééducation sont nombreuses, mises en application par des médecins, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, ou autres paramédicaux. Les prises en charge sont individuelles ou de groupe, en pratique libérale ou dans le cadre de prise en charge multidisciplinaire programmée en hospitalisation complète ou en hôpital de jour. Elles sont justifiées après un bilan spécialisé programmé et rigoureux, par un médecin de médecine physique et de réadaptation (MPR), et doivent être évaluées pour leur bénéfice. On peut distinguer des techniques dites passives et des techniques actives, sollicitant la participation du patient. Ces techniques peuvent souvent être associées dans le cadre d’un programme de soin personnalisé.
Les techniques passives Le massage Le massage occupe une place importante dans les techniques de kinésithérapie. Il est le plus souvent utilisé en première intention dans la prise en charge des lombalgies, aiguës ou chroniques. Il s’agit d’une technique fiable, reproductible et pratiquement toujours utilisable dans les
lombalgies communes. Il peut aussi être réalisé dans l’eau chaude, avec massage au jet. La tolérance est généralement bonne sauf en cas de fibromyalgie et de lombalgie par poussée inflammatoire sur une arthrose postérieure (dans ce cas la position en décubitus ventral prolongé est mal supportée). Les contre-indications sont exceptionnelles, de type infections cutanées, brûlures, myosite ossifiante, pathologies tumorales et inflammatoires, fractures vertébrales. Le massage remonte à des temps très anciens puisqu’il en est fait état en Chine 2700 ans av. J.-C., en Grèce en 460 av. J.-C. (Hippocrate), et à Rome en 470 av. J.-C. (Socrate). Une revue Cochrane a été réalisée par Imamura et al. en 2008 pour colliger les données scientifiques sur l’efficacité des massages [4]. Techniquement, il s’agit de pétrissages, effleurages, pressions glissées, ponc ¸ages. Le massage est dans tous les cas comparé à d’autres traitements et les études sont sélectionnées selon des critères de qualité très stricts (Cochrane Back Review Group) [1]. À l’issue de leur travail, ils concluent qu’il existe un fort niveau de preuve pour affirmer que les massages sont efficaces dans la prise en charge des lombalgies chroniques. Le niveau de preuve est modéré quant à leur efficacité à court et à long terme sur la disparition des douleurs, mais ils améliorent la fonction et diminuent l’intensité des symptômes. De plus, ils peuvent réduire les coûts en limitant le recours à de nouveaux traitements ou à des spécialistes plus onéreux. Enfin, les effets du massage sont meilleurs s’ils sont associés à des exercices ou de l’école du dos et s’ils sont réalisés par un thérapeute diplômé.
La physiothérapie Le terme est assez général, définissant l’application d’agents physiques dans le traitement des douleurs verté-
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brales. Les plus utilisés sont l’électrothérapie (qui comprend la stimulation transcutanée antalgique [TENS], les courants interférentiels et l’éléctrostimulation fonctionnelle), les ultrasons et la thermothérapie avec l’application de compresses chaudes ou réfrigérées. La durée des séances est de 15 à 30 minutes. Les traitements sont habituellement appliqués par des thérapeutes formés. Le TENS a pris une place particulière dans le traitement de la douleur. Il s’agit de courant électrique de basse, voire très basse fréquence, que le patient peut appliquer lui-même après avoir loué ou acheté l’appareil et avoir rec ¸u la formation nécessaire à son utilisation. L’objectif est de diminuer la douleur, l’œdème et l’inflammation, d’améliorer ou conserver la trophicité musculaire, et de favoriser la cicatrisation. Les contre-indications sont : pour l’électrothérapie, le port d’un pacemaker ou de tout autre appareil électrique implanté, ainsi que les troubles de la sensibilité ; pour les ultrasons, ce sont les hématomes, la grossesse, les tumeurs, les prothèses avec ciment, la présence d’implants électroniques, les lésions cutanées, les troubles de la sensibilité et les zones de croissance épiphysaires. Enfin, l’utilisation de froid est contre-indiquée dans le syndrome de Raynaud et les cryoglobulinémies, et le chaud est à proscrire sur les hémorragies et les inflammations, mais également sur les tumeurs (la thermothérapie peut dans certains cas être active sur des tumeurs et il est alors nécessaire de prendre l’avis d’un oncologue). Les complications peuvent être, de fac ¸on rare, des brûlures cutanées. L’efficacité a été étudiée par une revue de littérature réalisée par Poitras et Brosseau [5] selon les critères précédemment définis. Peu d’études ont été retrouvées et dans celles qui existent, notamment sur le TENS, la méthodologie reste de faible niveau.
sont l’existence de malformations de la moelle épinière, de compressions médullaires, de pathologie tumorale ou inflammatoire, de fracture vertébrale, d’un anévrisme de l’aorte. Des effets secondaires ont été rapportés, à type d’aggravation de la radiculalgie par progression soudaine de la protrusion discale. Le travail de revue de littérature a été réalisé par Gay et Brault [6], qui ne retrouve que dix essais cliniques randomisés ne permettant pas de conclure à l’efficacité des tractions lombaires dans le traitement des lombalgies chroniques.
La surveillance vigilante
Il ne semble pas y avoir de résultat à long terme sur la douleur. L’impact antalgique est immédiat et a été retrouvé dans plusieurs études. Il n’a pas été trouvé d’étude permettant d’affirmer l’efficacité des courants interférentiels, de l’électrostimulation fonctionnelle, des ultrasons, de l’application de froid ou de chaud.
Il s’agit d’un concept Nord-Américain, associant des moyens passifs comme le repos, le ralentissement de l’activité, l’éducation thérapeutique et les conseils pour éviter les situations aggravantes ou déclenchantes. Le concept ne comprend aucune intervention comme l’utilisation de médicaments, d’exercices physiques ou d’étirements mais peut comprendre l’application de compresses froides ou chaudes. Le repos attentif peut être proposé par le coordonnateur des soins au patient après présentation des autres possibilités thérapeutiques. Le support du concept vient du fait que les lombalgies chroniques évoluent spontanément vers l’amélioration et sont peu influencées par le traitement. Cette vision encourage le patient à gérer lui-même un épisode douloureux en s’adaptant dans sa vie quotidienne et à ne consulter son médecin que si la douleur retentit sur sa vie professionnelle, familiale ou de loisir, ou nuit à son sommeil. Le concept est dit « attentif » car le patient doit connaître les signes de gravité (douleurs nocturne, mal calmée par le repos) qui différencient lombalgies mécaniques et symptomatiques. Le concept inclut la patience car les douleurs disparaissent avec le temps dans la majorité des cas. Une action de réconfort sera particulièrement menée pour rassurer le patient et lui expliquer que l’évolution est favorable spontanément en quatre à six semaines, et que, même si les douleurs n’ont pas complètement disparu, il peut reprendre le travail sans risque. Le repos au lit ne doit pas dépasser deux jours et il faut conserver des activités de la vie quotidienne en évitant toutefois celles qui provoquent la douleur. Pradhan [7] ne rapporte pas d’étude permettant de démontrer l’efficacité de ce concept. Cependant, il rappelle les facteurs d’échec : anxiété, dépression, stress, insatisfaction au travail, travail physiquement pénible avec port de charges lourdes, tabagisme, obésité et mauvais état général.
Les tractions lombaires
Les manipulations vertébrales
Les tractions ont été utilisées depuis de nombreux siècles puisque l’on en retrouve la trace en 1800 av. J.-C. et qu’Hippocrate au ive siècle av. J.-C. en faisait usage. Les tractions sont habituellement utilisées lors des radiculalgies d’origine lombaire (parfois aussi de niveau cervical) par conflit discoradiculaire, avec comme objectif de « décomprimer » le conflit au niveau de la racine. Une autre indication peut être à visée de décoaptation des articulaires postérieures dans les dos très galbés. La traction est axiale, effectuée de fac ¸on progressive par appareil mécanisé, sur une durée d’une vingtaine de minutes avec une force de 20 à 50 % du poids du corps. Les contre-indications
Elles étaient déjà utilisées en Chine en 2700 av. J.-C. En France, elles sont pratiquées par des praticiens diplômés. Leurs indications concernent une lombalgie ou lomboradiculalgie par dysfonctionnement d’un joint segmentaire, pouvant être manipulé selon la règle de Robert Maigne dite « du sens libre et du mouvement contraire » (Fig. 2).
Il semble que la stimulation électrique de basse et haute fréquence provoque immédiatement un effet bénéfique sur la douleur, avec une préférence pour les hautes fréquences.
Les contre-indications sont : les sciatiques hyperalgiques, les sciatiques déficitaires, toutes les pathologies inflammatoires, tumorales ou les fractures vertébrales.
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Figure 2.
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Exemple de manipulation vertébrale en déroulé dorsal.
Les effets secondaires peuvent être une augmentation des phénomènes douloureux, habituellement transitoire, plus rarement l’aggravation de la radiculalgie. La revue de bibliographie rapportée par Bronfort et al. [8] (Bronfort est un chiropracteur américain et de ce fait ne prend pas en compte les études faites en langue franc ¸aise par l’école de R. Maigne) ne fait état que de preuves modérées de l’efficacité des manipulations par rapport aux autres thérapeutiques à court ou long terme pour les lombalgies chroniques ; l’efficacité est supérieure dans les douleurs aiguës. Des études ont été réalisées par les anglo-saxons sur les manipulations sous neurosédation ou après infiltration des articulaires postérieures ou épidurale, mais elles n’ont pas apporté de niveau de preuve suffisant [9].
Immobilisation par corset L’utilisation d’une immobilisation du tronc pour le traitement des douleurs vertébrales communes repose sur la diminution des contraintes provoquées par un effet caisson, la mise au repos relatif du segment lombaire bas et l’utilisation forcée de la flexion des membres inférieurs pour le rapprochement vers le sol. Nachemson et al. [10] ont évalué la réduction de ces contraintes à 25 %. La pose du corset peut être précédée de la réalisation d’un plâtre-test afin de s’assurer de l’efficacité de l’immobilisation. L’effet antalgique doit être obtenu dans les 48 heures. Le corset sera alors réalisé à partir d’un moulage par des bandes de plâtre ou de résine au plus près possible du corps. Il évite les hyper-appuis osseux en maintenant au maximum une bonne lordose lombaire, en remontant sur les auvents chondrocostaux et en assurant un appui pubien. Si en fin de moulage le patient est soulagé, cela témoigne d’un bon positionnement du patient et d’une orthèse de bonne qualité. Le moulage peut aussi être réalisé par une analyse informatisée de la forme externe du tronc (Fig. 3). La durée du port d’un corset est habituellement de 12 heures par jour pendant six semaines à six mois en fonction des équipes et de l’évolution des symptômes [11]. Le suivi régulier sera réalisé par un médecin spécialiste, un kinésithérapeute pour les exercices associés et un ergothérapeute pour adapter les éléments de la vie quotidienne.
Figure 3. Corset à type de lombostat polyéthylène bivalve emboîté sur mesure.
Le patient peut poursuivre son activité professionnelle durant le traitement. Les effets secondaires sont rares mais bien décrits : • gêne psychologique ; • compression du nerf fémoro-cutané ; • douleurs au niveau des reliefs osseux ; • œdème des membres inférieurs ; • aggravation d’une incontinence urinaire d’effort ; • pyrosis ; • compression du nerf fémoro-cutané ; • fracture de côte ; • phlébite. Il n’y pas de risque d’amyotrophie. Van Duijvenbode et al. [12] dans la revue Cochrane réalisée en 2008 rapportent que les preuves de l’efficacité des orthèses par rapport aux exercices dans la prévention des lombalgies sont modérées et qu’il n’y a pas de certitude sur l’efficacité dans le traitement des lombalgies, cela en raison d’études peu nombreuses et de faible niveau méthodologique. Cependant, il faut garder à l’idée que la ceinture de maintien lombaire est plus un outil de prévention secondaire et le corset un appareil orthopédique destiné au traitement de la lombalgie chronique, avec ou sans trouble statique.
Les techniques actives Activité physique et hygiène de vie Il est clair que le risque de lombalgie et surtout la chronicisation se trouve entre les deux extrêmes : d’une part, le manque et, d’autre part, l’excès d’activité physique. La surcharge pondérale et la consommation de tabac ont été évoqués comme facteurs de risque de la survenue de lombalgies. Concernant la surcharge pondérale, même si
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Figure 4. Exercices de stabilisation lombaire par gainage dynamique des abdominaux.
elle augmente les contraintes mécaniques, l’obésité n’est retrouvée que dans un tiers des cas comme facteur de risque avéré. Il n’y a pas d’effet secondaire ou de contre-indication à mettre en place ces mesures en cas de lombalgie chronique. La revue de littérature conclut a un niveau de preuve raisonnable des exercices physiques dans la prise en charge des lombalgies. En revanche, il n’a pas été retrouvé de preuve d’efficacité de l’arrêt du tabac ou de la perte de poids sur les douleurs, mais cela doit être analysé avec prudence car les études étaient de faible qualité méthodologique et les échantillons de population de faible taille [13].
Les exercices de renforcement musculaire Exercices de stabilisation lombaire Ceux sont des exercices qui correspondent aux techniques de gainage, c’est-à-dire, la réalisation d’un travail isométrique des muscles du tronc, notamment abdominaux, obliques et paravertébraux (Fig. 4). Il n’y a pas de contre-indication à ce type d’exercices hormis l’incapacité physique liée à une douleur aiguë ou à un état médical incompatible avec la pratique d’exercices physiques. Il n’y a pas d’effets secondaires graves potentiels. Ces exercices sont utilisés en kinésithérapie de manière routinière depuis une quinzaine d’années et les études ont montré qu’ils améliorent la douleur et la fonction. En revanche, la technique elle-même n’est pas supérieure en termes d’efficacité aux autres méthodes employées pour le traitement des lombalgies chroniques [14].
Exercices de renforcement des extenseurs Il s’agit d’un programme de renforcement musculaire progressif des extenseurs du rachis avec des exercices de renforcement (utilisant des charges lourdes, avec peu de répétitions) complétés par un travail en endurance (avec beaucoup de répétition à charges légères), selon le schéma suivant : six répétitions à 85 % de la résistance maximale (RM) pour le travail en force et 25 répétitions à 30 % de la RM pour le travail en endurance. Il est proposé une à trois séances par semaine pendant dix à 12 semaines. Les exercices se font sur un banc, un ballon de Klein, une chaise
Figure 5. nétique.
Renforcement des extenseurs sur dynamomètre isoci-
romaine ou avec des machines de type dynamomètre isocinétique (Fig. 5). Les indications sont évidentes dans la mesure où les lombalgies chroniques sont déficitaires au niveau des extenseurs du rachis. Il n’y a pas de contre-indication sauf l’incapacité à réaliser des exercices physiques (angine de poitrine, hypertension artérielle [HTA] instable, troubles du rythme cardiaque, insuffisance cardiaque, myocardiopathie). Les contre-indications par rapport au rachis sont l’existence d’une fracture, une tumeur ou une pathologie inflammatoire. Les effets secondaires peuvent être des contractures musculaires, survenant après l’effort (qui se limitent dans le temps), et n’imposent pas l’arrêt des exercices. La revue de la littérature confirme l’efficacité de ce protocole sur la douleur et l’incapacité, mais pas d’effet supérieur aux autres techniques [15].
Le programme de restauration fonctionnelle du rachis Ce concept a été développé par T. Mayer dans les années 1990 pour faire face aux conséquences de l’incapacité lourde dans laquelle sont plongés les patients lombalgiques chroniques en arrêt de travail depuis plusieurs mois. Il s’agit de redonner aux patients des capacités physiques, psychiques et sociales leur permettant de reprendre une vie normale, au moyen d’une prise en charge intensive sur six semaines, cinq jours sur sept et avec une équipe pluridisciplinaire. Ces programmes ont montré la meilleure efficacité dans la prise en charge des lombalgies chroniques même si des critiques ont été faites sur le coût plus important
Rachialgies : prise en charge en médecine physique et réadaptation qu’ils impliquent comparés aux autres thérapeutiques [16]. Mais cela doit être rapporté au fait que les programmes de restauration fonctionnelle donnent les meilleurs taux de reprise d’activité professionnelle, avec le moins de risque de rechute.
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évalués par de nombreux essais cliniques randomisés qui montrent l’efficacité sur la douleur et sur la fonction et encouragent à introduire et développer ce type de prise en charge dans les programmes pluridisciplinaires de réentrainement à l’effort.
Les techniques conceptuelles Il s’agit de définir une stratégie, de proposer un concept et de créer une démarche thérapeutique grâce à des exercices adaptés, des postures et des positionnements. En France, Troisier a décrit la rééducation en verrouillage lombaire qui consiste à limiter la mobilité du rachis lombaire dans les positions extrêmes de la vie quotidienne, notamment en utilisant de préférence la flexion des jambes avec position accroupie ou chevalier servant [17]. Les exercices qui en découlent sont donc des gainages sur tous les muscles du tronc et du renforcement musculaire sur les quadriceps et fessiers. Sans le nommer en tant que tel, ce concept est largement utilisé dans les écoles du dos. Cyriax a développé une rééducation en extension basée sur le fait que l’hyperextension créait des contraintes pouvant faire réintégrer le fragment discal de la hernie vers l’intérieur du disque [18]. Williams a proposé une rééducation en cyphose, partant du fait que cette position antalgique ouvrait les foramens et décomprimait les racines [19]. Mézières a développé la rééducation basée sur les chaînes musculaires et la nécessité d’étirer les raideurs avec des postures prolongées et à grands bras de leviers [20]. Néanmoins, ces techniques n’ont jamais été évaluées sur le plan de l’efficacité et aucun niveau de preuve n’a pu être établi. En revanche, la technique McKenzie, qui est plus contemporaine puisque décrite en 1958, a bénéficié d’études cliniques jugeant de son efficacité.
Cette technique est basée sur la découverte du fait que le positionnement prolongé pouvait faire disparaître une symptomatologie radiculaire : ainsi la prise en charge est basée sur des corrections posturales et sur des exercices d’auto-traitement que le patient devra exécuter plusieurs fois par jour. Il n’y a pas de contre-indication à cette méthode ni d’effets secondaires (sauf état général contre-indiquant la pratique d’exercice). Sur des patients correspondant aux indications de la méthode, les essais cliniques ont apporté un bon niveau de preuve mais pas de supériorité par rapport aux techniques de gainage ou de renforcement musculaire [21].
Les techniques cognitivo-comportementales Les techniques comportementales sont particulièrement utiles dans la prise en charge du lombalgique, dont la douleur va provoquer des sentiments de dévalorisation et de pensées négatives associées à des bénéfices secondaires qui renforcent l’incapacité. Gatchel et Rollings [22] proposent une approche basée en trois étapes : la correction des pensées négatives sur la douleur chronique, le contrôle des émotions dues aux réactions douloureuses, et faire face plus efficacement à la douleur chronique et aux autres situations à risque. Il n’y a pas de contre-indication à cette technique ni d’effets secondaires particuliers. Les résultats ont été
Les écoles du dos Développé par l’école suédoise à partir de 1969, le concept d’école du dos fait partie intégrante de la prise en charge des lombalgies chroniques. Il s’agit d’expliquer comment fonctionne le dos, quelles sont les situations à risque, comment y faire face et garder une attitude positive dans son comportement lorsque les douleurs apparaissent. Cela est réalisé par des enseignements, des mises en situations, à l’école pour les enfants et parfois directement à la maison ou en entreprise. Le matériel de travail est ainsi analysé et des préconisations peuvent être faites pour conseiller une adaptation en termes de position assise, de port de charge, de hauteur de plan de travail. Trois actions ont été évaluées pour en juger l’efficacité : l’école du dos (exercices en groupe avec mises en situations), l’éducation simple (intervention d’un thérapeute pour expliquer le fonctionnement du dos et les différentes situations à risque, avec possibilité d’avoir un livret d’explications ou une information Internet), enfin la formation sur les peurs et croyances, qui encourage à retourner vers des activités physiques et de la vie quotidienne sans avoir peur de se faire mal. Les résultats montrent qu’il n’y a pas de niveau de preuve suffisante pour recommander l’école du dos, l’éducation simple a montré une éfficacité dans la réduction des congés maladie. Les livres sur le dos ou les discussions Internet n’ont pas montré d’efficacité. La formation sur la peur et les croyances a montré une efficacité associée aux exercices, en comparaison à la chirurgie d’arthrodèse [23].
Discussion et conclusion Il existe de nombreux moyens thérapeutiques proposés dans la prise en charge de la lombalgie, aux différents stades d’évolution, et il en est de même dans le champ des techniques proposées en médecine physique et de réadaptation. Cependant, il est important de s’assurer pour chacune de ces techniques que son efficacité a été évaluée et validée, et en tous les cas de savoir en connaître les limites. Les études sont de plus en plus nombreuses, permettant de comparer les techniques entre elles pour nous aider dans nos choix et dans nos stratégies thérapeutiques. Cependant, les biais méthodologiques et les définitions des critères d’inclusion des patients sont encore souvent trop vagues, ne tenant pas toujours compte des éléments anatomiques, morphologiques et fonctionnels, générant sans doute des biais dans les résultats. À l’inverse, dans la pratique clinique (au-delà de la comparaison de certaines techniques qui n’apportent pas une solution toujours satisfaisante, et dans le contexte d’une prise en charge plutôt complexe, pluridisciplinaire, graduée et évolutive de la lombalgie chronique), il peut être intéressant de savoir utiliser à bon escient certains de ces moyens, parfois de manière combinée et en vraie stratégie thérapeutique.
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Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements Remerciements au Dr P. Calmels pour la relecture de cet article et à Mme P. Raillard pour l’aide à la rédaction.
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