EMC-Médecine 1 (2004) 388–392
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Rage Rabies S. Bevilacqua, C. Rabaud, T. May * Service de maladies infectieuses et tropicales, Hôpitaux de Brabois - Vandœuvre, 54500 Vandœuvre-les-Nancy, France
MOTS CLÉS Rage ; Zoonose ; Renard ; Vaccination ; Prophylaxie
KEYWORDS Rabies; Zoonosis; Fox; Vaccination; Prophylaxis
Résumé La rage est une zoonose ubiquitaire, les principaux vecteurs sont : le renard, les mammifères domestiques (chiens, chats, ruminants) et les chauves-souris. La transmission à l’homme se fait par morsure, cette maladie d’origine virale à déclaration obligatoire est toujours mortelle une fois déclarée. Grâce aux campagnes de vaccination animale, la rage terrestre a été éradiquée en France en 2001. Dans les pays d’Europe de l’Est, en Afrique, en Asie et sur le continent américain la rage est toujours d’actualité, le risque lié à l’importation d’animaux contaminés est loin d’être négligeable. Il est donc raisonnable d’envisager ce risque en cas de morsure ou de griffade par un animal suspect et d’adresser le patient exposé au centre antirabique agréé qui peut le cas échéant initier un traitement prophylactique postexposition. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Rabies refers to a zoonosis of which the main vectors are: fox, mammal domestic animals (dog, cow, cat) and bats. In man, the infection usually occurs following a bite; this viral disease is always fatal. In 2001, rabies in terrestrial animals was eradicated from France as a result of animal vaccination programs. In Eastern Europe, Africa, Asia and American countries rabies remains. Since the risk associated with the importation of contaminated animals is considerable, it appears reasonable to consider this risk in case of bite or scratch by a suspect animal, and to refer the exposed patient to an antirabic centre able to initiate post-exposition prophylactic therapy. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Introduction La rage est connue depuis l’Antiquité. On doit à Aristote (322 avant J.-C.) et Celsus (100 avant J.-C.) les premières descriptions cliniques de la rage humaine. Aujourd’hui, si elle a considérablement régressé en Europe occidentale, elle reste une menace bien réelle sur plusieurs continents. Cette zoonose virale affecte principalement les mammifères sauvages (renard, belette, fouine, fu* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (T. May).
ret...) ainsi que les chauves-souris et les mammifères domestiques (chien, chat et ruminant). La transmission à l’homme se fait par la salive d’un animal enragé, généralement après une morsure. Elle provoque chez l’animal comme chez l’homme une encéphalomyélite constamment mortelle lorsqu’elle est déclarée. Elle fait partie des maladies à déclaration obligatoire.
Épidémiologie Jusqu’à la moitié du XXe siècle, le chien constituait le vecteur et le réservoir majeur du virus rabique
1762-4193/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcmed.2004.06.003
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Figure 1 Rage animale en France de 1968 à 2000. (Source : AFSSA Nancy, Bulletins épidémiologiques mensuels sur la rage animale en France de 1968 à 2000.)
dans le monde. En Europe, la rage sylvatique a pour principal réservoir et vecteur le renard roux, probablement originaire de la frontière russopolonaise où elle apparaît dans les années 19391940. L’hypothèse de l’émergence de la rage vulpine repose sur la capacité d’adaptation du virus canin au renard. L’épizoonose s’est rapidement étendue à toute l’Europe occidentale ; elle touche tour à tour la RDA en 1947, l’Autriche en 1948, la RFA en 1950, le Danemark en 1964, la Belgique en 1966, la Suisse en 1967, la France en 1968 et l’Italie en 1980. Le front qui progressait à l’allure annuelle de 30 à 40 km, ne s’arrête que vers 1980. En Amérique du Nord, la rage vulpine a déferlé sur le Canada et le Nord des États-Unis vers 1945. Le virus s’est adapté à d’autres animaux comme la moufette et le raton laveur co-existant avec la rage des chauves-souris. Une trentaine de ratons laveurs ont été identifiés enragés à New York depuis 2 ans. En Amérique du Sud, la rage est essentiellement canine, elle atteint également des chauves-souris vampires qui ont favorisé sa propagation aux troupeaux de bovins. En Afrique, le virus canin s’est adapté à la mangouste et au chacal. La rage est donc une pathologie ubiquitaire ; elle est responsable chaque année de plusieurs milliers de décès à
travers le monde. En l’an 2000, elle reste au 10e rang des maladies infectieuses mortelles. Grâce à la vaccination orale des renards par les appâts débutée dès 1978 en Suisse et avec la collaboration efficace des pays frontaliers, la rage vulpine va progressivement régresser. En 2001, 16 pays européens étaient indemnes de rage sur mammifères terrestres d’origine autochtone. C’est le cas de la France qui est officiellement indemne depuis 2001 (J.O. n°108 du 10 mai 2001) ; le dernier cas de rage vulpine a été enregistré en 1998 (Fig. 1). La rage humaine autochtone a disparu en France depuis 1924, mais 19 cas de rage importée ont été déclarés au cours de ces dernières années ; il s’agissait pour la plupart soit de résidents issus de zones d’endémie, soit de touristes. Persiste toutefois le risque que constituent les animaux d’importation ; trois cas de chiens enragés importés clandestinement ou non d’Afrique ont été enregistrés à Nîmes en 1998, en Gironde en 2001 et en SeineSaint-Denis en août 2002. Entre 1989 et 2001, 14 cas de rage chez des chauves-souris (imputables à Europan Bat Lyssavirus), ont été répertoriés dans différents départements français. Il faut y ajouter
390 en 1999 dans le Gard un cas de rage chez une chauve-souris importée d’Égypte.1
Virus Le virus de la rage appartient à la famille des Rhabdoviridae et au genre Lyssavirus. C’est un virus à ARN monocaténaire d’une taille de 180 nm sur 75 nm, dont il existe cinq sérotypes et sept génotypes. En Europe le génotype 1 correspond à la rage dite « classique » et les génotypes 5 et 6 (EBL1EBL2) sont responsables de la rage observée chez les chauves-souris insectivores. C’est un virus fragile, sensible à la chaleur, à la lumière et à la dessiccation, il est également détruit par le savon de Marseille, les dérivés d’ammonium quaternaire et l’éther.
S. Bevilacqua et al. de la profondeur de la morsure et de la richesse en terminaisons nerveuses ; les extrémités (main, pieds), le visage et le cuir chevelu sont des zones particulièrement innervées. La durée d’incubation varie de 10 jours à 1 an avec une moyenne de 3 à 4 semaines (85 % entre 35 et 90 jours, 10 % des cas inférieurs à 20 jours et 5 % supérieurs à 3 mois).
Phase prodromique Les premiers signes sont peu spécifiques, avec de la fièvre, une asthénie et des myalgies. Au niveau de la morsure peuvent se manifester une douleur, un prurit et des paresthésies. Des troubles neuropsychiatriques ont été décrits (angoisse, irritabilité, tristesse et insomnie). Ces signes durent en moyenne une semaine et font place à la phase d’état.
Mode de contamination et dissémination
Phase d’état
La morsure par un animal enragé est le mode de contamination le plus fréquent. L’effraction cutanée permet au virus présent dans la salive de l’animal de pénétrer dans l’organisme. De la même façon, la griffade et le léchage d’une peau érodée ou d’une muqueuse sont des voies de contamination possible. La transmission par voie aérienne a été observée chez des sujets ayant pénétré dans une grotte peuplée de chauves-souris enragées. Des cas de rage après greffe de cornée ont également été rapportés. Enfin, la manipulation d’animaux morts sans gant constitue aussi un danger. L’animal est contaminant dans les 5 à 7 jours qui précèdent l’apparition des signes cliniques et ce jusqu’à sa mort. Après une morsure, le virus se multiplie au niveau de la plaie et dans les cellules musculaires avant de migrer vers le système nerveux. Sa présence est détectable pendant 2 à 3 jours au niveau du point d’inoculation. La migration du virus ne se fait pas par dissémination virémique mais par propagation à travers le flux axoplasmique rétrograde. Les neurones et les cellules gliales sont les cibles privilégiées du virus où il se multiplie rapidement. Dans un second temps, il va diffuser de façon centrifuge et atteindre tous les organes dont les glandes salivaires. C’est la destruction progressive des tissus nerveux qui conduit inéluctablement au décès du patient.
Au cours de cette phase, on note une augmentation des troubles du comportement ainsi qu’une anxiété majeure. Les douleurs irradiantes au niveau de la morsure souvent cicatrisée sont exacerbées et la fièvre s’élève. Deux évolutions cliniques sont possibles : la forme spastique « rage furieuse » ou la forme paralytique. La rage furieuse est la forme la plus connue et sans doute la plus caricaturale. Le patient présente un tableau d’instabilité psychomotrice majeure avec des hallucinations et des convulsions. Il existe également une hyperesthésie cutanée sensorielle qui explique l’exacerbation des symptômes au moindre stimulus. Le patient hypersalive et a une soif intense. Paradoxalement, la simple vue d’un verre d’eau ou le bruit de l’eau qui coule engendre le spasme hydrophobique pathognomonique de la rage humaine. Le patient présente alors des contractions paroxystiques du pharynx avec une répulsion intense, une contraction des traits, une souffrance extrême ainsi que de l’agressivité et des cris lorsqu’on essaie de le faire boire. La mort survient généralement en une dizaine de jours par paralysie cardiorespiratoire. La forme paralytique est moins fréquente. Il s’agit d’une paralysie progressive ascendante, atteignant les membres inférieurs, provoquant des troubles sphinctériens puis une atteinte bulbaire, enfin une paralysie des nerfs crâniens. Le patient succombe à un arrêt cardiorespiratoire.
Clinique Incubation
Diagnostic
Cette phase est totalement asymptomatique, sa durée est fonction de l’importance de l’inoculum,
Le diagnostic ne peut être confirmé que par un laboratoire spécialisé. Les recherches se font sur la
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salive, le liquide céphalorachidien (LCR), les biopsies de peau, les biopsies cérébrales et les appositions cornéennes. Elles devront être répétées car elles peuvent être négatives dans les premiers temps. Les tests les plus rapides sont l’immunofluorescence directe qui donne un résultat en 2 heures2 et l’isolement sur culture cellulaire dont le délai d’interprétation est de 24 heures. La sérologie n’a que peu d’intérêt et elle est difficilement interprétable, notamment lorsque le patient a bénéficié d’une vaccination et d’une sérothérapie. Des techniques de biologie moléculaire permettent la mise en évidence de l’ARN viral par polymérisation en chaîne après transcription inverse (RT-PCR) à partir de la salive et du LCR. Elles ont un intérêt dans le diagnostic de rage chez les patients vivants.
Conduite à tenir et prise en charge après exposition Même si la France est dorénavant considérée comme indemne, le risque est toujours bien réel.
Nous avons cité les cas récents de rage d’importation issus du trafic animal et la rage chez les chiroptères. Il convient d’être vigilant et de prendre en charge sans délai les patients victimes de morsure ou de griffade. Les soins locaux doivent être réalisés en priorité : il faut nettoyer la plaie à l’eau et au savon suivi de l’application d’un antiseptique (chlorhexidine ou solution iodée). La prophylaxie antitétanique ne doit pas être négligée et l’administration d’une antibiothérapie par amoxicilline + acide clavulanique ou tétracyclines (chez les enfants de plus de 8 ans) pendant 7 jours doit être envisagée au moindre doute d’infection, en cas de plaie délabrée et nécrosée ou s’il s’agit d’un sujet fragile (alcoolique, splénectomisé, immunodéprimé).3 Il est important d’essayer d’identifier dans la mesure du possible l’animal mordeur et son propriétaire afin de définir le risque réel de contamination selon les critères suivant (Tableau 1) (liste disponible sur le site www.pasteur.fr/santé/ cmed/esrage) :
Tableau 1 Prophylaxie antirabique : recommandations en cas de morsure par animal (d’apres Rollin et Sureau). Nature de l’exposition
État de l’animal mordeur (qu’il ait ou non été vacciné) au moment de l’exposition pendant les 10 jours suivants a sain sain enragé suspect b
Contact mais pas de lésion Contact indirect, pas de contact Léchage de la peau, égratisain gnures ou érosions, morsures mineures (parties couvertes suspect des bras, du tronc et des jambes)
b
sain enragé sain
enragé
enragé animal sauvage e ou animal ne pouvant être mis en observation Léchage des muqueuses, animal domestique ou saumorsures importantes (multi- vage e suspect bou enragé ou animal ne pouvant être mis en ples ou à la face, à la tête, observation aux doigts ou au cou)
c
Traitement recommandé pas de traitement
pas de traitement traitement vaccinal c traitement vaccinal ; arrêter le traitement si l’animal reste sain pendant 5 jours a, d traitement vaccinal ; terminer série de vaccinations dès qu’on a un diagnostic positif traitement vaccinal complet
sérum + vaccin n’arrêter le traitement que dans le cas d’animaux domestiques en observation restés sains pendant 5 jours a
a Cette période d’observation ne s’applique qu’aux chiens et chats. Les autres animaux domestiques et sauvages suspects de rage devraient être abattus et examinés par la technique des anticorps fluorescents. b Dans les régions d’endémie, en cas de morsure par animal non provoqué, on doit considérer que l’animal est suspect à moins que l’examen de laboratoire de son cerveau ne donne un résultat négatif. c Pendant la période usuelle de 10 jours, commencer un traitement vaccinal aux premiers signes de rage chez un chien ou un chat mordeur. L’animal doit être abattu immédiatement et examiné par la technique des anticorps fluorescents. d Ou si l’examen des coupes du cerveau en immunofluorescence donne un résultat négatif. e En général, l’exposition aux rongeurs, aux lapins et aux lièvres n’exige pour ainsi dire jamais de traitement antirabique spécifique.
392 • la nature du contact (morsure, griffade, léchage) et la gravité des lésions ; • la présence de rage dans la région où le contact a eu lieu ou dans la région de provenance de l’animal ; • l’espèce en cause (souris, rat, cobaye, lapin, écureuil et autres rongeurs provenant d’Europe ne sont pas des vecteurs habituels de la rage) ; • l’état clinique de l’animal, son statut vaccinal et la possibilité ou non de le mettre en observation. En cas de doute, il est impératif d’adresser le patient dans un des centres antirabiques agréés. La vaccination curative doit être débutée rapidement en cas de contact infectant afin que l’immunité se développe avant que la maladie se déclare (délai moyen d’incubation de 3 à 4 semaines). Rappelons qu’il n’existe pas de traitement curatif pour une rage déclarée. En France, on utilise le PVRV (purified verocell rabies vaccine) préparé sur culture cellulaire qui est un vaccin inactivé. Compte tenu du risque et de la gravité de la maladie il n’existe pas de contre-indication à une vaccination postexposition bien conduite. Actuellement, deux protocoles de vaccination sont couramment utilisés : • un protocole court « Zagreb » en 2 injections à j0, 1 dose à j7 et j21. Ce protocole a été validé et recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) lorsque la situation ne nécessite pas l’administration concomitante d’immunoglobulines ; • un protocole long « Essen » en 5 injections en intramusculaire administrées dans le deltoïde à j0, j3, j7, j14 et j28, il est utilisé en cas de morsure de catégorie III ou en cas de morsure par un animal suspect non vacciné et est également indiqué en cas de morsure par une chauvesouris (dans le cas où l’administration d’immunoglobulines antirabiques est nécessaire). L’administration d’immunoglobulines spécifiques est associée à j0 à un protocole long. Elle est indiquée en cas de morsure de gravité III et en cas de morsure de chauve-souris. La dose totale est de 20 UI/kg de poids pour les immunoglobulines humaines et de 40 UI/kg de poids pour les immunoglobulines équines. Elles sont injectées en partie au niveau de la morsure et le reste en intramusculaire.
S. Bevilacqua et al. Chez les patients préalablement immunisés avec un statut vaccinal sûr, le traitement postexposition comporte 2 injections de rappel à j0 et j3, il n’y a alors pas d’indication d’administration d’immunoglobulines.
Traitement préventif Certaines professions sont particulièrement exposées comme les vétérinaires, les agents communaux, les agents de l’Office national des Forêts (ONF), taxidermistes, spéléologues, il en va de même pour les voyageurs se rendant dans les pays à haut risque pour des séjours aventureux ou prolongés et isolés. Le vaccin préventif peut être réalisé par tout médecin praticien. Il s’administre à j0, j7 et j28, le rappel se fait 1 an après puis tous les 3 ans, il s’accompagne dans 10 à 15 % des cas d’une réaction bénigne. Ce vaccin préventif est contreindiqué en cas de grossesse et d’infection évolutive.
Conclusion Le contrôle de la rage reste une des priorités de l’OMS. Si la vaccination orale du renard va permettre son éradication en Europe occidentale, elle demeure préoccupante en Amérique, en Afrique et en Asie. Il faut évoquer cette possibilité après toute morsure ou griffade par un animal suspect et ne pas hésiter (après avoir assuré la désinfection locale) à adresser le patient exposé au centre antirabique agréé le plus proche afin que soit évalué le risque et éventuellement initié un traitement prophylactique postexposition.
Références 1.
2.
3.
Bruyère-Masson V, Arthur L, Barrat J, Cliquet F. Les données actuellement disponibles sur les populations chiroptères autochtones, leur situation épidémiologique au regard de la rage. Bull Epidémiol Hebd 2001;(n°39). Lang J, Cetre JC, Picot N, Lanta M, Briantais P, Vital S, et al. Immunogenicity and safety in adults of a new chromatographically purified Vero-cell rabies vaccine (CPRV): a randomized, double-blind trial with purified Vero-cell rabies vaccine (PVRV). Biologicals 1998;26:299–308. Strady C, Rémy G. Piqûre et morsures. Prévention de la rage. Rev Prat 2002;52:1381–6.