Répercussions cardiaques des dysthyroïdies avérées

Répercussions cardiaques des dysthyroïdies avérées

Presse Med 2005; 34: 1153-60 M © 2005, Masson, Paris I S E A U P O I N T Cardiologie/Endocrinologie Répercussions cardiaques des dysthyroïdies ...

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Presse Med 2005; 34: 1153-60

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© 2005, Masson, Paris

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Cardiologie/Endocrinologie

Répercussions cardiaques des dysthyroïdies avérées S.Vinzio, M.-S. Brafin-Busch J.-L. Schlienger, B. Goichot

Service de médecine interne et nutrition, Hôpital Hautepierre, avenue Molière, Strasbourg (67)

Correspondance: Stéphane Vinzio, Service de médecine interne et nutrition, Hôpital Hautepierre, av. Molière, 67098 Strasbourg Cedex Tél. : 03 88 12 75 90 Fax : 03 88 12 75 96 stephane.vinzio@ chru-strasbourg.fr

Données physiopathologiques, cliniques et épidémiologiques

Key points

Points essentiels

Cardiac consequences of clinical dysthyroidism Pathophysiological, clinical, and epidemiologic data

• Les hormones thyroïdiennes agissent sur les fonctions diastolique et systolique du cœur mais aussi sur le système vasculaire. • En cas d’hyperthyroïdie, il existe précocement une élévation du débit cardiaque de repos (accroissement de la contractilité cardiaque, amélioration du remplissage ventriculaire et baisse des résistances vasculaires systémiques). • Paradoxalement, ces modifications hémodynamiques vont progressivement diminuer les performances cardiaques à l’effort (altération des fonctions diastolique puis systolique) et enfin au repos (altération du remplissage ventriculaire suite à la tachycardie et/ou à la fibrillation auriculaire) notamment en cas de cardiopathie sous-jacente (sujets âgés). • En cas d’hypothyroïdie, le retentissement hémodynamique est inversé et surtout moins bruyant, le plus souvent limité à une bradycardie relative, la morbi-mortalité semblant surtout liée aux modifications vasculaires athérogènes et prothrombotiques consécutives à la carence en hormones thyroïdiennes alors que l’insuffisance cardiaque et surtout la fibrillation auriculaire et ses complications thromboemboliques sont au premier plan en cas d’hyperthyroïdie. • Le retour à l’euthyroïdie permet, dans les deux cas, la correction des anomalies cardiaques secondaires à la dysthyroïdie. • Chez les patients traités par amiodarone, une dysthyroïdie (hypo ou hyperthyroïdie) survient dans 10 à 20 % des cas. Compte tenu de la gravité potentielle de ces dysthyroïdies, il est souhaitable de vérifier certains éléments cliniques voire biologiques avant la mise en route d’un tel traitement et d’instituer un suivi clinique orienté, complété par des dosages biologiques.

• Thyroid hormones affect the vascular system, including the diastolic and systolic functioning of the heart. • Resting heart rate increases early in hyperthyroidism (cardiac contractility expands due to improved ventricular loading and decreased systemic vascular resistance). • Paradoxically, these hemodynamic alterations progressively reduce cardiac performance on effort (changes in diastolic then systolic functioning) and finally at rest (modification in ventricular loading following tachycardia or atrial fibrillation), especially in cases of underlying heart disease (in the elderly). • Hypothyroidism has an inverse hemodynamic impact and is less noisy, usually limited to relative bradycardia. The morbidity and mortality associated with hypothyroidism are apparently related to the atherogenic and prothrombotic vascular modifications that follow thyroid hormone deficiency, whereas heart failure and particularly atrial fibrillation and its thromboembolic complications are the primary consequences of hyperthyroidism. • In both cases, return to normal thyroid levels corrects the cardiac abnormalities caused by the dysthyroidism. • Dysthyroidism (hypo- or hyperthyroidism) occurs in 10 to 20% of the patients treated with amiodarone for arrhythmia. Because of the its potential seriousness, some clinical or laboratory tests are necessary before initiating treatment, and specific clinical surveillance should be scheduled, including laboratory tests. S. Vinzio, M.-S. Brafin-Busch, J.-L. Schlienger, B. Goichot Presse Med 2005; 34: 1153-60 © 2005, Masson, Paris

es manifestations cardiovasculaires de l’hyperthyroïdie sont connues de longue date; elles sont les conséquences des effets cellulaires génomiques et non génomiques des hormones thyroïdiennes sur la paroi vasculaire et sur les myocytes du cœur. Plus généralement de nombreux paramètres car-

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diovasculaires (fréquence et débit cardiaques, résistances vasculaires systémiques) sont étroitement liés au niveau de l’hormonémie thyroïdienne, dressant ainsi un continuum hémodynamique des hyper- aux hypothyroïdies en passant par l’euthyroïdie et les dysthyroïdies frustes. La Presse Médicale - 1153

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Système cardiovasculaire et hormones thyroïdiennes: aspect global Schématiquement,les hormones thyroïdiennes associent des effets cardiaques et vasculaires (tableau 1, figure 1): • effets chronotrope, inotrope, dromotrope et lusitrope pour le cœur; • baisse des résistances vasculaires systémiques (RVS) et ainsi de la postcharge,et amélioration du retour veineux et de la précharge pour le système vasculaire périphérique. Les effets hémodynamiques des hormones thyroïdiennes conduisent dans leur ensemble à une augmentation du débit cardiaque (figure 1), liée d’une part directement à Tableau 1

Paramètres cardiovasculaires selon le statut thyroïdien Hypothyroïdie

Euthyroïdie

Hyperthyroïdie

Fréquence cardiaque (/min)

60-80

72-84

88-130

Débit cardiaque (L/min)

< 4,5

4,0-6,0

> 7,0

Fraction d’éjection (%)

≤ 60

50-60

> 60

Temps de relaxation isovolumique (ms)

> 80

60-80

25-40

Résistances vasculaires systémiques (dyn.s/cm-5)

2100-2700

1500-1700

700-1200

Volume sanguin (% de la normale)

84,5

100

105,5

Source: Klein I et al. Thyroid hormone and the cardiovascular system. N Engl J Med 2001; 344: 501-9.

 thermogenèse tissulaire

 débit cardiaque

vasodilatation locale

T3

 RVS

SRAA EPO  TAD

Effets inotrope et chronotrope

 précharge  postcharge

Figure 1 Effets hémodynamiques des hormones thyroïdiennes EPO: érythropoïétine; RVS: résistances vasculaires systémiques; SRAA: système rénine-angiotensine-aldostérone; TAD: pression artérielle diastolique Sources: Klein I et al. Thyroid hormone and the cardiovascular system. N Engl J Med 2001; 344: 501-9. Biondi B et al. Hypothyroidism as a risk factor for cardiovascular disease. Endocrine 2004; 24: 1-13.

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l’action des hormones thyroïdiennes sur le cœur et d’autre part aux répercussions cardiaques indirectes de 1 leurs effets vasculaires systémiques . Ainsi, l’hypertrophie ventriculaire gauche rencontrée dans l’hyperthy2 roïdie est surtout la conséquence des effets fonctionnels et qualitatifs (modifications hémodynamiques) des hormones thyroïdiennes, leurs effets quantitatifs (synthèse protéique en elle-même) ayant un impact faible sur 3 la masse ventriculaire . La part respective des effets cardiaques et vasculaires dans le retentissement hémodynamique global est souvent difficile à apprécier in vivo notamment en cas d’hy1,4-7 perthyroïdie . D’après Biondi et al., l’élévation de la fréquence cardiaque et celle de la précharge tiendraient une place prépondérante dans l’accroissement des performances ventriculaires gauches.Dans cette optique,le tableau hyperkinétique cardiovasculaire de l’hyperthyroïdie correspondrait plutôt à un processus adaptatif visà-vis d’une demande métabolique périphérique stimulée 5 par les hormones thyroïdiennes . L’accroissement de la contractilité myocardique en elle-même ne jouerait alors qu’un rôle modeste. Ceci est conforté par plusieurs études montrant que le travail du ventricule gauche a une efficience mécanique supérieure (rapport entre le travail fourni et son coût énergétique) en cas d’hyper6,8 thyroïdie . Ces données rejoignent un principe cardiologique plus général: pour un accroissement équivalent des performances cardiaques, celui lié indirectement à l’amélioration des conditions de remplissage est énergétiquement plus efficient que celui lié directement à l’accroissement de la contractilité myocardique.Ceci est également accrédité par des études plus anciennes qui ont montré que l’administration de substances vasoconstrictrices artérielles réduisait le débit cardiaque de plus de 30 % chez des sujets hyperthyroïdiens mais était sans 9,10 effet chez des sujets euthyroïdiens . Plus récemment Palmieri et al. ont confirmé ce concept 4 intégré .Les paramètres échocardiographiques ventriculaires gauches de 20 sujets hyperthyroïdiens non traités comparés à ceux de 20 témoins euthyroïdiens différaient significativement en termes de fréquence cardiaque (+ 37 %), de précharge (+ 11 %), de pression pulsée (+ 53 %) et plus modestement de contractilité myocardique (+ 5 %), entraînant une élévation de l’index cardiaque (+ 64 %) et une baisse des RVS (- 43 %) mais une élévation de la rigidité artérielle totale (+ 29 %).Chez 10 de ces sujets hyperthyroïdiens pris au hasard, les mesures ont été répétées 2 heures après ingestion d’un bêtabloquant cardiosélectif (5 mg de bisoprolol): par rapport à 10 témoins non traités, les sujets hyperthyroïdiens avaient une fréquence cardiaque et une contractilité myocardique similaires mais une pression pulsée toujours supérieure (+ 24 %), une précharge encore aug24 septembre 2005 • tome 34 • n°16 • cahier 1

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mentée (+ 24 %) et surtout un index cardiaque toujours élevé (+ 58 %) et des RVS abaissées (- 34 %) alors que la 4 rigidité artérielle totale était normalisée . Ces données semblent conforter le rôle prépondérant de l’augmentation de la précharge et de l’optimisation du temps diastolique dans l’amélioration des performances ventriculaires induite par les hormones thyroïdiennes et, à l’inverse, le rôle mineur de la contractilité myocardique dans ces modifications hémodynamiques. Cet accroissement de la rigidité artérielle améliorerait le transfert de la masse sanguine du cœur vers la périphérie, participant ainsi à l’hyperkinésie cardiovasculaire. La baisse de la rigidité artérielle totale sous bisoprolol serait la conséquence de la quasi-normalisation de la fréquence cardiaque et donc de la régression du phénomène de superposition des ondes de pression 4,5 antérogrades et réfléchies .

En cas d’hyperthyroïdie ALTÉRATION DE LA TOLÉRANCE À L’EFFORT ET INSUFFISANCE CARDIAQUE DITE À “HAUT DÉBIT” Les effets de l’hyperthyroïdie sur le cœur ont été très largement étudiés. Ils peuvent sembler à première vue bénéfiques puisque le fonctionnement du cœur apparaît globalement optimisé. Malheureusement cet “accroissement”des performances systoliques et diastoliques atteint un niveau déjà très élevé voire maximal au repos, limitant d’autant les réserves fonctionnelles myo11,12 . Cette insuffisance carcardiques en cas d’effort diaque dite à “haut débit”se traduit par une tachycardie de repos et par la survenue de symptômes initialement à l’effort à type de dyspnée et/ou d’intolérance. Ces manifestations sont rattachées, au moins en partie, à l’impossibilité pour le cœur de répondre aux besoins supplémentaires engendrés par l’exercice notamment par le biais d’un accroissement de la fréquence car13-15 . En cas d’hyperthydiaque et d’une baisse des RVS roïdie sévère et/ou non contrôlée, cette insuffisance cardiaque peut devenir permanente notamment en cas de tachycardie importante et/ou de fibrillation auriculaire, par altération du remplissage ventriculaire et en particulier de sa composante auriculaire. La présence d’une cardiopathie sous-jacente, ischémique ou post-hypertensive, peut aggraver ce phénomène et conduire à une véritable décompensation car16 diaque . Chez les sujets âgés, cette symptomatologie cardiaque (angor, insuffisance cardiaque) est souvent au premier plan, parfois révélatrice de l’hyperthyroïdie. L’accroissement des besoins en oxygène du myocarde 17 lié à l’hyperthyroïdie (+ 34 %) peut être limité par les possibilités du réseau coronaire, notamment en cas de coronaropathie préexistante. La tachycardie accentue 24 septembre 2005 • tome 34 • n°16 • cahier 1

encore ce phénomène en augmentant les besoins et en réduisant les apports liés au temps de perfusion coronaire diastolique. Parallèlement au traitement spécifique, se pose la question de la place des bêtabloquants dans la prise en charge des sujets hyperthyroïdiens à la phase initiale, dans l’attente de retour à l’euthyroïdie.Malgré la méconnaissance de son mécanisme exact, le bénéfice clinique 18 lié à leur emploi dans ce cadre est bien établi .Les bêtabloquants ne modifient ni la synthèse ni la sécrétion des hormones thyroïdiennes dans la thyroïde elle-même, même si certains comme le propranolol réduisent la conversion de la T4 en T3 et agissent peut-être aussi par 18 un effet stabilisant de membrane . L’effet des bêtabloquants passe surtout par le blocage des récepteurs cardiaques β1-adrénergiques,diminuant ainsi les symptômes cardiovasculaires qui sont souvent au premier plan dans l’hyperthyroïdie.Le blocage concomitant des récepteurs β2-adrénergiques n’apporte pas de bénéfice symptomatique supplémentaire malgré une réduction plus prononcée de la consommation en oxygène de l’orga19 nisme . À côté de ces données pharmacologiques nombreuses et parfois contradictoires, peu d’éléments permettent de guider le choix du clinicien pour une molécule plutôt qu’une autre. Les bêtabloquants cardiosélectifs apparaissent équivalents à des produits plus anciens et non cardiosélectifs.Toutefois, les bêtabloquants cardiosélectifs sont utilisables dans certaines circonstances (l’asthme par exemple,s’il est bien contrôlé) où les molécules dépourvues de cette propriété ne peuvent être utilisées (contre-indication relative versus absolue).De plus, leur pharmacocinétique autorise souvent un traitement en une seule prise quotidienne,ce qui peut contribuer à améliorer l’observance. En pratique, le traitement bêtabloquant améliore significativement la tolérance à l’effort qui se normalisera complètement avec le retour à 11,14 . En raison de ces bénéfices fonctionl’euthyroïdie nels, ce traitement doit être discuté même en cas de 13 décompensation cardiaque . De plus il pourrait contribuer à améliorer la qualité de vie des patients jusqu’au retour à l’euthyroïdie comme cela a été montré dans le 20 cadre de certaines hyperthyroïdies .

FIBRILLATION AURICULAIRE La fibrillation auriculaire (FA) complique et parfois révèle 5 à 15 % des hyperthyroïdies, la prévalence augmentant avec l’âge et/ou en présence d’une cardiopathie sous1,21 jacente . Ces chiffres sont majoritairement issus de séries anciennes et semblent diminuer actuellement, peut-être grâce au diagnostic plus précoce de l’hyper22 thyroïdie . À l’inverse,une hyperthyroïdie n’est trouvée que dans un peu moins de 1 % des FA nouvellement diagnostiquées et le plus souvent en présence d’autres La Presse Médicale - 1155

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signes évocateurs23. Cependant sa prévalence peut atteindre 13 % en cas de FA survenant sur un cœur pré24 sumé sain . Sa survenue dépend largement du terrain comme l’a montré une récente étude de cohorte réali21 sée au Danemark . Entre 1980 et 1999, 40628 sujets hyperthyroïdiens dont 3362 avec une FA ont été recensés.En cas d’hyperthyroïdie,l’analyse multivariée a montré un risque accru de FA associé à différents facteurs: l’âge (OR 1,7 par tranche d’âge de 10 ans; IC 95 % 1,71,8), le sexe masculin (OR 1,8; IC 95 % 1,6-1,9), une cardiopathie associée,ischémique (OR 1,8;IC 95 % 1,6-2,0) ou valvulaire (OR 2,6; IC 95 % 1,9-3,4) et surtout la présence d’une insuffisance cardiaque décompensée préexistante (OR 3,9; IC 95 % 3,5-4,4). L’origine des anomalies de l’automaticité et des phénomènes de réentrée impliqués dans l’apparition et la pérennisation de la FA a été en partie précisée par des 25-27 . En effet, la T3 modifie la synthèse et travaux récents l’expression de certains canaux potassiques et calciques des cardiomyocytes situés d’une part au niveau des veines pulmonaires (sources de foyers ectopiques aryth25 mogènes) et d’autre part au niveau des oreillettes (entraînant un raccourcissement de la période réfractaire favorisant des phénomènes de réentrée intra-auricu26 laire) . La T3 modifie également l’expression de ces canaux au niveau ventriculaire mais de façon qualitativement et quantitativement différente, ceci expliquant peut-être la plus grande susceptibilité du tissu auriculaire 27 aux troubles du rythme en cas d’hyperthyroïdie . Le traitement spécifique de l’hyperthyroïdie permet un retour en rythme sinusal chez environ 60 % des patients, majoritairement durant les 10 premières semaines (avant le retour en euthyroïdie le plus souvent) et rarement au-

 T3

repos

Cœur : ralentissement relaxation VG

Vaisseaux :  tonus musculaire lisse

22,28 .Indépendamment de toute cardiopadelà de 4 mois thie organique associée, le taux de réduction de la FA après retour en euthyroïdie diminue avec l’âge des 1 patients et selon la durée de la FA .Si la FA persiste après 4 à 5 mois d’euthyroïdie, le recours à la cardioversion 1,22,28 .Comme devant toute FA et même peut être discuté si elle est sujette à controverse, une anticoagulation efficace doit être envisagée.En effet aucune étude n’a montré de réduction du risque de complication embolique notamment cérébrale,chez les patients hyperthyroïdiens en FA par rapport à ceux ayant une FA idiopathique 1,29,30 . (risque thromboembolique annuel évalué à 3-6 %)

AUTRES MANIFESTATIONS Elles sont plus rarement rapportées et sans doute sousestimées. Il s’agit d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) et de valvulopathies (insuffisances mitrales et tricuspidiennes). L’association au prolapsus mitral est plus discutée. Concernant l’HTAP, rapportée de façon anecdotique jusque là, une étude prospective récente a montré que la pression artérielle pulmonaire systolique calculée était en moyenne de 38 ± 12 mmHg chez les sujets hyperthyroïdiens récemment diagnostiqués et non traités, contre 27 ± 4 mmHg chez les témoins (p = 0,001). Elle était supérieure ou égale à 35 mmHg chez 41 % des sujets 31 hyperthyroïdiens contre 3 % des témoins (p = 0,001) . Dans la même étude, une insuffisance mitrale modérée et/ou une insuffisance tricuspidienne modérée ou sévère étaient diagnostiquées respectivement chez 13, 13 et 5 % des patients contre seulement 3, 3 et 0 % des témoins (p = 0,01). Ces anomalies sont le plus souvent corrigées lors du retour à l’euthyroïdie. Leur physiopathologie est mal expliquée et associerait des modifications organiques (rupture de cordages, dépôt de glycosaminoglycanes) et des processus fonctionnels (dysfonctionnement des muscles papillaires, retentissement des modifications hémodynamiques détaillées précédemment comme l’élévation du débit cardiaque, la tachycardie, la FA mais aussi potentiellement l’HTAP).

En cas d’hypothyroïdie ALTÉRATION DES PERFORMANCES SYSTOLIQUES

effort

 remplissage VG diastolique

 vasodilatation périphérique

Dysfonction systolique Figure 2 Effets hémodynamiques de l’hypothyroïdie VG : ventricule gauche Source : Biondi B et al. Hypothyroidism as a risk factor for cardiovascular disease. Endocrine 2004; 24: 1-13.

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ET DIASTOLIQUES

Les manifestations cardiovasculaires cliniques de l’hypothyroïdie s’opposent point par point à celles de l’hyperthyroïdie (tableau 1, figure 2). Il s’agit principalement d’une bradycardie,d’une élévation de la pression artérielle diastolique avec une pression pulsée abaissée (tableau 2). La présence d’un épanchement péricardique symptomatique est rare et se voit surtout en cas d’hypothyroïdie pro1 fonde et prolongée . La baisse du débit cardiaque résulte de la diminution de la fréquence cardiaque,du remplissage 24 septembre 2005 • tome 34 • n°16 • cahier 1

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ventriculaire et de la contractilité myocardique32-34. La 35 fonction diastolique est aussi altérée et ce précocement, alors que la fonction systolique est encore globalement 36 conservée . Par ailleurs les résistances vasculaires systé37 miques sont accrues ,augmentant d’autant la postcharge et donc le travail cardiaque.La consommation tissulaire en oxygène est diminuée ce qui limite en partie les effets de la 1 réduction du débit cardiaque .Toutefois, cette réduction de la consommation en oxygène du cœur n’explique pas à elle seule la baisse de ses performances qui semble surtout 8 liée à une perte d’efficience myocardique . L’ensemble des perturbations hémodynamiques secondaires à l’hypothyroïdie est réversible sous traitement par 32,38-41 . Les modalités de la mise en place du thyroxine traitement substitutif classiquement à doses progressivement croissantes demeurent controversées mais peu étudiées. Ses bénéfices sont clairement établis et les com42-44 . plications semblent finalement relativement rares Ainsi chez les sujets jeunes, sans facteurs de risque cardiovasculaire notables ni cardiopathie préexistante, on pourra proposer une dose initiale proche de la dose cible puis une croissance posologique rapide. Chez les sujets âgés et/ou fragiles,la prudence reste de mise mais ne doit pas retarder le traitement ni conduire à sous-évaluer la posologie finale.Par ailleurs,en cas de besoin,une angioplastie percutanée pourra être réalisée avant la correction de l’hypothyroïdie et avec des résultats compa45 rables à ceux obtenus chez des sujets euthyroïdiens .

EFFET ARYTHMOGÈNE VENTRICULAIRE À l’inverse de l’hyperthyroïdie, l’extrasystolie ventriculaire n’est pas rare dans l’hypothyroïdie suite à l’allongement du potentiel d’action et ainsi de l’intervalle QT 16 visible sur l’ECG . Cet effet arythmogène ventriculaire pourrait être secondaire à l’action des hormones thyroïdiennes sur certains canaux ioniques comme le canal 46 potassique voltage dépendant Kv1.5 . Le risque de tor47 sade de pointes est cependant minime .

Tableau 2

Anomalies cardiovasculaires et hypothyroïdie Anomalies cardiaques

Effets athérogènes

• Altération des fonctions systolique et diastolique (exercice et repos) • Élévation des résistances vasculaires systémiques • Augmentation de la prévalence de l’insuffisance cardiaque diastolique du sujet âgé

• Augmentation de la prévalence de l’HTA • Altération de la vasodilatation médiée par l’endothélium • Profil lipidique athérogénique • Hyperhomocystéinémie • Anomalies de la coagulation • Élévation de la CRP

Source : Biondi B et al. Hypothyroidism as a risk factor for cardiovascular disease. Endocrine 2004; 24: 1-13.

Conclusion Les hormones thyroïdiennes agissent sur les fonctions systolique et diastolique du cœur et plus globalement sur le système cardiovasculaire dans son ensemble.Dans le cadre de l’hyperthyroïdie,ces effets hémodynamiques sont souvent au premier plan (tachycardie, angor, fibrillation auriculaire), et marqués par l’élévation du débit cardiaque au repos, secondaire à l’accroissement de la contractilité cardiaque et à la baisse des résistances vasculaires systémiques. Ces modifications précoces peuvent altérer les performances cardiaques à l’effort, voire conduire à une véritable insuffisance cardiaque. En cas d’hypothyroïdie, le retentissement hémodynamique est inversé et nettement moins bruyant. Dans ce cas, la morbi-mortalité cardiovasculaire semble surtout liée aux conséquences athérogènes et prothrombotiques de la carence en hormones thyroïdiennes. Le retour à l’euthyroïdie permet dans les deux cas la correction des anomalies cardiaques liées à la dysthyroïdie. Enfin,un problème particulier doit être envisagé à part.Il s’agit de celui des interactions entre l’amiodarone,la thyroïde et le cœur. Il est abordé dans l’annexe. ■

Conflits d’intérêt : aucun

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Cardiologie/Endocrinologie

Répercussions cardiaques des dysthyroïdies avérées Données physiopathologiques, cliniques et épidémiologiques

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S.Vinzio, M.-S. Brafin-Busch, J.-L. Schlienger, B. Goichot

Annexe Thyroïde, cœur et amiodarone

PHYSIOPATHOLOGIE ET ÉPIDÉMIOLOGIE ❚ L’amiodarone est un produit lipophile riche en iode (37 % de son poids), largement utilisé pour ses propriétés antiarythmiques (classe III). Elle interagit de façon complexe avec la thyroïde et le métabolisme des hormones thyroïdiennes avec lesquelles elle a des analogies structurales, notamment avec la T4. À l’échelon myocardique, l’amiodarone et son métabolite principal, la deséthyl-amiodarone (DEAm), s’opposent aux effets de la T3, d’où un tableau proche de l’hypothyroïdie, ce qui contribue aux effets thérapeutiques de l’amiodarone (tableau A). Par ailleurs l’amiodarone inhibe les 5’-désiodases de type I et II qui transforment normalement la T4 en T3 en périphérie. Ainsi, chez 50 % des sujets euthyroïdiens traités par amiodarone on note, sans que cela soit pathologique, une élévation de la T4 et, inversement, une baisse de la T3, respectivement dans les valeurs hautes et basses de la normale, alors que la TSH demeure normale, après parfois une élévation initiale transitoire. ❚ Conjointement, les hypo- et les hyperthyroïdies surviennent chez 10 à 20 % des patients sous amiodarone, dans des délais très variables après l’initiation du traitement (de quelques semaines à plusieurs mois) voire après son arrêt en raison de son accumulation tissulaire et d’une demi-vie d’élimination de 100 jours environ. La prévalence et le type de dysthyroïdies sont étroitement liés aux apports iodés alimentaires préalables. Ainsi l’incidence de l’hyperthyroïdie est élevée (10-15 %) dans les zones de carence iodée comme le Sud de l’Europe où par contre l’hypothyroïdie est plus rare (5-7 %). À l’inverse en cas d’apports importants comme aux États-Unis, l’incidence de l’hyperthyroïdie est faible (2-3 %) et l’hypothyroïdie est au premier plan (1322 %)1. Cette incidence est également influencée par le degré d’utilisation de l’amiodarone (place privilégiée en France pour cette molécule au départ française) et par la présence ou non d’anomalies thyroïdiennes préexistantes (goitre nodulaire, présence d’auto-anticorps antithyroïdiens).

❚ La présentation clinique de ces dysthyroïdies induites par l’amiodarone est souvent particulière voire trompeuse notamment en cas d’hyperthyroïdie (forme potentiellement la plus grave). En effet cette dernière se développe par définition chez des sujets fragiles sur le plan cardiaque, mais qui paradoxalement peuvent être peu symptomatiques en raison des effets myocardiques protecteurs de l’amiodarone (tableau A) et ce malgré un tableau biologique d’hyperthyroïdie très sévère. Le pronostic individuel n’est pas prévisible à ce stade et une évolution péjorative est possible malgré une présentation initiale rassurante. La physiopathologie de ces dysthyroïdies est imparfaitement connue. Elle comporte des altérations fonctionnelles secondaires à la richesse en iode de l’amiodarone (hypothyroïdies, hyperthyroïdies dites de type 1) et/ou une véritable thyroïdite destructrice par cytotoxicité directe de l’amiodarone et de la DEAm (hyperthyroïdies dites de type 2) (tableau B)2.

AMIODARONE ET HYPERTHYROÏDIE ❚ L’hyperthyroïdie induite par l’amiodarone dite de

type 1 est liée à la surcharge iodée qui entraîne une synthèse excessive d’hormones thyroïdiennes (effet Jod-Basedow). En effet 100 mg/j d’amiodarone apportent un peu moins de 40 mg/j d’iode dont 3,7 mg/j sont finalement disponibles sous forme inorganique, représentant environ 25 fois les apports quotidiens recommandés. Dans ce contexte, l’existence d’anomalies thyroïdiennes sous-jacentes et principalement d’un goitre nodulaire mais aussi d’une auto-immunité thyroïdienne favorise l’émergence d’une hyperthyroïdie, notamment dans les zones carencées en iode. ❚ À l’inverse, l’hyperthyroïdie de type 2 correspondrait plutôt à une thyroïdite avec destruction du parenchyme, libérant les stocks d’hormones préformées. Il n’y a classiquement pas d’anomalie thyroïdienne préexistante et elle apparaît souvent dans les 3-4 premiers mois du traitement. Une hypothyroïdie transitoire peut survenir au décours comme dans les thyroïdites du post partum Tableau A ou de de Quervain. Effets cardiaques de l’amiodarone et ses interactions ❚ En pratique, cette distinction entre avec ceux des hormones thyroïdiennes hyperthyroïdies de types 1 et 2 est difficile et largement discutée, d’autant que Effets cellulaires ↓ de la conversion périphérique T4 → T3 (inhibition des désiodases) leur association est possible. Elle s’appuie ↓ de la pénétration intracellulaire de la T4 et de la T3 sur des éléments d’orientation: certaines ↓ de la liaison de la T3 à ses récepteurs nucléaires α1 et β1 données basales (goitre nodulaire, présence ↓ de l’effet β-adrénergique de la T3 d’auto-anticorps avant la mise en route du Aspects cliniques Chronotrope négatif traitement) et les données d’examens comInotrope négatif plémentaires réalisés devant l’hyperthyroï↓ de la consommation en oxygène du myocarde die (dosage de l’IL-6, scintigraphie thyroï↑ du potentiel d’action myocardique (intervalle QT) dienne avec mesure du captage iodé,

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Cardiologie/Endocrinologie évaluation de la vascularisation thyroïdienne en Doppler couleur) (tableau B). Cette subdivision physiopathologique est surtout mise en avant pour tenter de rationaliser la prise en charge thérapeutique des patients. Le traitement de ces hyperthyroïdies est lui aussi encore largement débattu. Quand il est possible, l’arrêt de l’amiodarone est indiqué. Toutefois, cette attitude de principe n’est pas systématique et le bénéfice au moins théorique de sa poursuite mérite d’être soulevé compte tenu de certains effets potentiellement protecteurs de l’amiodarone dans ce contexte3. En cas d’hyperthyroïdie de type 1, les antithyroïdiens conventionnels (carbimazole, méthimazole, PTU) seront utilisés, éventuellement en association à du perchlorate de potassium destiné à limiter la captation d’iode par la thyroïde. Dans le type 2, une corticothérapie initiale est proposée. En cas de doute mais aussi systématiquement pour certains auteurs, un traitement combiné par antithyroïdiens, perchlorate de potassium et corticoïdes sera instauré d’emblée. L’évolution est le plus souvent favorable même si peu de données sont finalement disponibles, notamment chez les sujets âgés, les plus fragiles dans ce contexte. En cas d’échec une thyroïdectomie pourra être envisagée, ou éventuellement un traitement par iode radioactif si la fixation isotopique mesurée est suffisante. La reprise ultérieure de l’amiodarone étant souvent nécessaire, un traitement antithyroïdien radical mérite d’être systématiquement envisagé après la survenue d’une hyperthyroïdie induite par l’amiodarone. Pour sa

Répercussions cardiaques des dysthyroïdies avérées Données physiopathologiques, cliniques et épidémiologiques

simplicité et sa sécurité d'emploi, l’iode radioactif est sans doute à privilégier dans cette indication de prévention secondaire, notamment pour les sujets âgés et/ou fragiles chez lesquels une thyroïdectomie chirurgicale est souvent difficile4. Le traitement conjoint au long cours par amiodarone et perchlorate de potassium (en prévention secondaire ou primaire) n’est pas validé. Néanmoins cette couverture par perchlorate pourrait être intéressante en cas d’exposition iodée importante mais transitoire (coronarographie, scanner) afin de limiter ponctuellement le captage d’iode par la thyroïde.

AMIODARONE ET HYPOTHYROÏDIE Concernant l’hypothyroïdie induite par l’amiodarone, les choses sont globalement plus simples. Elle est rattachée à un non-échappement au phénomène de Wolff-Chaikoff qui normalement limite les quantités d’iode disponible pour la synthèse hormonale, notamment en cas d’apports importants. Ce risque est accru en cas d’auto-immunité thyroïdienne sous-jacente (positivité des anticorps anti-thyroïde). Son traitement est simple et repose sur une hormonothérapie par L-thyroxine. Il ne nécessite pas l’arrêt de l’amiodarone (tableau B).

EN PRATIQUE

Compte tenu l’incidence de ces dysthyroïdies et de leur gravité potentielle, il est souhaitable de vérifier certains éléments cliniques voire biologiques (antécédents thyroïdiens connus, présence d’un goitre, TSH, T4 Tableau B et T3 libres, auto-anticorps anti-thyroïdiens) préalablement à la mise en Les dysthyroïdies induites par l’amiodarone route d’un traitement par amiodarone Hyperthyroïdie Hyperthyroïdie Hypothyroïdie (ou rapidement après en cas d’urde type 1 de type 2 gence). Un suivi clinique orienté est Mécanismes surcharge iodée thyroïdite destructrice surcharge iodée également nécessaire, complété au (zones de carence iodée) (zones sans carence iodée) moindre doute (systématiquement Goitre préexistant oui non possible pour certains) par des dosages bioloAuto-anticorps préexistants fréquents non fréquents giques (TSH, T4 et T3 libres). La dronéIL-6 sérique normale ou ↑ ↑↑↑ darone actuellement à l’étude est un Fixation isotopique ↓ ou normale dérivé non iodé de l’amiodarone. Les (scintigraphie 123I) (zones de carence iodée) effondrée (< 5%) études préliminaires n’ont pas rapou ↑ (zones non carencée) porté de dysthyroïdies sous dronédaVascularisation rone mais ont trouvé un effet antago(Doppler couleur) ↑↑ ↓ niste des récepteurs des hormones Traitements ATS, ± perchlorate K Corticoïdes, ± ATS L-thyroxine thyroïdiennes de type α1, similaires à 123I : iode 123 ; ATS : antithyroïdiens de synthèse ; IL-6 : interleukine 6 ; perchlorate K : perchlorate de potassium celui décrit avec l’amiodarone5. ■

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