Ann Chir 2001 ; 126 : 346-54 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S000339440100517X/FLA
Exercice de la chirurgie
Responsabilité et coût en chirurgie C. Gerson*, C. Bons-Letouzey, C. Sicot Le Sou Médical, 130, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75466 Paris cedex 10, France
RE´SUME´ Cette étude sur la responsabilité médicolégale des chirurgiens a été menée à partir de l’analyse rétrospective de dossiers clos impliquant des sociétaires chirurgiens du Sou Médical. Au total, les 122 dossiers de dommages corporels en chirurgie que le Sou Médical a clos durant l’année 1998 ont été étudiés ; 32 % des dossiers de cette série qui avaient fait l’objet d’une procédure amiable ou judiciaire ont été reconnus fautifs ; leur coût total a dépassé 7 millions de francs. L’analyse de ces dossiers a montré que la majorité des accidents à l’origine d’un contentieux auraient pu être évités. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS dossiers médicaux fautifs / indemnisation / plaintes / responsabilité du chirurgien
ABSTRACT Surgical responsibility and costs. This study on surgeons’ medical-legal responsibility was based on a retrospective analysis of closed files involving surgeons insured by Le Sou Médical. A total of 122 files of bodily injury settled during 1998 were studied; 32% of the files in this series which had been settled in or out of court were found to be at fault; the total cost was over 7 million francs. The analysis of these files has shown that the majority of accidents resulting in legal proceedings could have been avoided. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS at-fault medical case / complaints / indemnity / surgeon’s responsibility
Reçu le 25 janvier 2001 ; accepté le 19 mars 2001. *Correspondance et tirés à part.
Le but de cette étude fondée sur l’analyse de déclarations d’accidents adressées par les sociétaires chirurgiens du Sou Médical était d’abord d’apporter des informations sur le nombre, la nature et les suites médicolégales des accidents qui nous ont été déclarés, puis de fournir des éléments de réponse sur la prévention de ces accidents, à partir de quelques dossiers significatifs. ÉPIDÉMIOLOGIE DU RISQUE EN CHIRURGIE Fin 1998, le Sou Médical assurait 1 810 chirurgiens dont 873 exerçant de manière exclusive (526) ou non exclusive (347) en secteur libéral. Durant cette même année, le Sou Médical a clos 122 dossiers de dommages corporels en chirurgie (en dehors de la chirurgie esthétique, ORL et gynéco-obstétricale). Ces 122 dossiers impliquaient 102 chirurgiens ayant une activité libérale exclusive et 13 ayant une activité libérale non exclusive ; 12 étaient impliqués dans deux affaires (11 cas) voire dans trois (un cas). RÉPARTITION DES DOSSIERS Selon l’année de survenue Le sinistre à l’origine de ces affaires était souvent très ancien : – dans 13 % des cas (16 dossiers sur 122), il était antérieur à décembre 1988 (le plus ancien de ces sinistres datant de 1967) ; – dans 46 % des cas (56 dossiers sur 122), il était survenu entre janvier 1989 et décembre 1993 ; – dans 41 % des cas (50 dossiers sur 122), il était survenu dans les cinq années précédentes (janvier 1994–décembre 1998).
Responsabilité et coût en chirurgie
Cette longue durée de vie des dossiers (59 % des sinistres remontent à plus de cinq ans) est d’origine multifactorielle : elle est liée à l’existence d’un décalage entre l’année de survenue et l’année de déclaration du sinistre et aussi au temps nécessaire à l’instruction de ces dossiers. Selon l’année de survenue et l’année de déclaration – Trente-cinq pour cent des dossiers (43 dossiers sur 122) ont été déclarés dans l’année (le tiers de ces déclarations étant des déclarations dites de prudence). – Quatre-vingt pour cent des dossiers (98 dossiers sur 122) ont été déclarés dans les trois ans suivant la survenue du sinistre. – Et au total près de 90 % des dossiers (109 dossiers sur 122) ont été déclarés dans les cinq ans. Selon leur durée de gestion – Soixante-deux pour cent des dossiers (76 sur 122), soit la majorité de ceux-ci, ont été clos dans les cinq ans suivant l’année de la déclaration de sinistre. – Trente et un pour cent des dossiers (38 sur 122) ont été clos cinq à dix ans après leur déclaration. – Et près de 7 % (8 sur 122) ont nécessité plus de dix ans pour être réglés. Selon le type de procédure – Quinze déclarations dites de prudence (12 %), c’est-à-dire un simple signalement d’un accident par nos assurés, sans qu’aucune réclamation ou plainte n’ait été formulée par les victimes de ces accidents ou par leurs ayants-droit ; – 32 réclamations (26 %) ; – 61 assignations en référé (50 %) ; – six plaintes pénales (5 %) ; – neuf procédures ordinales (7 %). À noter en effet, qu’un dossier a donné lieu à une procédure civile (qui sera indemnisée) et une procédure ordinale (absence de sanction). ÉVOLUTION DES PROCÉDURES L’issue des procédures engagées dans 107 de ces dossiers a été la suivante :
347
– huit réclamations sur 32 (25 %) ont finalement été indemnisées ; – dans quatre des 61 dossiers faisant état d’une assignation en référé, le tribunal civil s’est déclaré incompétent pour statuer, les chirurgiens ayant été assignés (par erreur) pour un acte effectué en secteur public de l’hôpital public ; – 21 dossiers sur 57 (soit 37 %) ayant donné lieu à une expertise civile ont été indemnisés, la responsabilité de nos assurés ayant été mise en évidence par l’expert au terme de son rapport. Dans six cas, l’indemnisation amiable proposée par le Sou Médical après le dépôt d’un rapport d’expertise défavorable pour nos assurés a permis l’abandon de la procédure intentée à leur encontre ; dans les 15 autres cas (15 sur 58, soit 26 %), un jugement est intervenu les condamnant à réparer seul (12 cas) ou non (responsabilité partagée avec un anesthésiste dans trois cas) le préjudice subi par le malade ; – une seule des six plaintes pénales engagées a abouti à la condamnation d’un de nos sociétaires chirurgiens à une amende pénale de 10 000 F. À noter que dans trois cas, la plainte pénale a été classée sans suite, dans un cas le juge d’instruction a prononcé un non-lieu et dans un cas le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe d’un de nos sociétaires chirurgiens ; – dans un dossier, le Conseil de l’ordre a déclaré la plainte du patient irrecevable, l’intervention litigieuse ayant été faite en secteur public de l’hôpital public (les praticiens exerçant des fonctions publiques ne peuvent être traduits devant la juridiction ordinale que par le ministre de la Santé, le procureur de la République ou la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales). Un seul des huit dossiers ayant fait l’objet d’une procédure ordinale a abouti à la condamnation de notre sociétaire à une peine d’avertissement ; dans les sept autres dossiers, les conseillers ordinaux ont classé la plainte sans suite (un cas) ou l’ont transmise au Conseil régional qui n’a prononcé aucune sanction (quatre cas) ou l’amnistie (deux cas) des faits. Au total, si l’on exclut de cette série les dossiers faisant état d’une simple déclaration dite de prudence (15) ou d’une seule plainte ordinale (8) et ceux où la juridiction saisie s’est avérée incompétente pour statuer (5), il apparaît que 30 dossiers sur
348
C. Gerson et al.
94 (32 %) ont été reconnus fautifs, 29 d’entre eux ayant été indemnisés par le Sou Médical. COÛT DES SINISTRES Les 122 dossiers de dommages corporels en chirurgie clos par le Sou Médical en 1998 ont un coût total de 7 514 068 F. Ce coût inclut non seulement les frais de défense de nos assurés (1 713 252 F), mais aussi les indemnisations versées aux victimes de ces accidents médicaux ou à leurs ayants droit ainsi que le total des créances de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et autres organismes de recours (5 800 816 F). Le coût (frais de défense inclus) des 115 accidents déclarés par les chirurgiens exerçant en secteur libéral exclusif ou non (praticiens hospitaliers avec secteur privé) est de 7 412 007 F ; il représente plus de 99 % du coût total. À noter également que le coût des indemnisations versées aux victimes des 29 accidents reconnus fautifs et du recours de la CPAM et autres organismes de recours est de 5 000 816 F ; il représente environ 67 % du coût total. Le coût moyen d’un dossier est donc de 172 442 ± 248 842 F. Le coût des dossiers déclarés par des chirurgiens exerçant exclusivement en secteur public de l’hôpital public s’élève à 102 060 F. Ce coût représente uniquement le coût des frais de défense de ces dossiers devant la juridiction pénale (un dossier), ordinale (un cas), voire civile (rappelons que dans trois cas, une assignation en référé a été délivrée à ces sociétaires bien qu’ils appartenaient au secteur public de l’hôpital public). Ce faible coût s’explique par le fait que l’indemnisation d’un accident survenant en secteur public de l’hôpital public est couverte par l’hôpital ou par l’assureur de cet hôpital (hors cas d’une faute détachable du service). RÉPARTITION DES DOSSIERS SELON LA NATURE DU SINISTRE Si l’on tient compte uniquement de la nature du sinistre (sans préjuger de la spécialité de l’opérateur), la répartition est la suivante : 50 dossiers d’orthopédie (41 %) ; 15 dossiers de chirurgie du rachis (12 %); 20 dossiers de chirurgie digestive (16 %) ; 15 dossiers de chirurgie gynécologique ou de chirurgie du sein (non esthétique, 12 %) ; six
dossiers d’urologie (5 %) ; six dossiers de chirurgie vasculaire (5 %) ; six dossiers de « petite » chirurgie (ablation de verrue plantaire, circoncision, mise en place d’un cathéter péridural à visée antalgique…) ; un dossier de chirurgie esthétique ; trois dossiers d’autres spécialités (chirurgie de la thyroïde, sympathectomie…, 3 %). Soulignons que la chirurgie orthopédique et la chirurgie du rachis représentent donc plus de la moitié des dossiers de cette série (65 dossiers sur 122, 53 %). Pour les dossiers de chirurgie digestive, méritent d’être signalés : quatre oublis de compresses (au cours de colectomie, cholécystectomie, laparotomie et intervention sur le pancréas) et sept décès après intervention pour occlusion, éviscération, éventration, cholécystectomie chez des patients relativement âgés mais aussi après appendicectomie chez un enfant de deux ans, cholécystectomie sous cœlioscopie chez un homme de 54 ans ou cœlioscopie diagnostique chez un patient de 45 ans. COÛT DES SINISTRES SELON LEUR NATURE – Chirurgie orthopédique 2 514 925 F (50 % de l’indemnisation totale) ; 3 055 612 F (41 % du coût total). Coût moyen = 193 455 ± 295 916 F. – Chirurgie du rachis = 575 471 F (12 %) ; 730 176 F (10 %). Coût moyen = 143 867 ± 152 F. – Chirurgie digestive = 1 018 134 F (20 %) ; 1 317 257 F (10 %). – Chirurgie gynécologique ou du sein = 338 824 F (7 %) ; 754 446 F (10 %). – Chirurgie générale = 0F ; 90 282 F (1 %). – Chirurgie urologique = 86 498F (2 %) ; 927 375 F (12 %). – Chirurgie vasculaire = 441 962 F (9 %) ; 561 982 F (7 %). – Chirurgie esthétique : 0 F ; 25 967 F (1 %). – Autres : 25 000F (< 0,1 %) ; 50 718 F (1 %). Le coût de l’indemnisation totale versée aux victimes d’accidents d’orthopédie et de chirurgie du rachis représente donc 52 % de la somme totale versée par le Sou Médical dans cette série. Treize seulement des 50 (soit 26 %) dossiers d’orthopédie ont été indemnisés. Les 37 autres dossiers ont évolué comme suit : dans quatre cas, le dossier a été ouvert à la suite d’une simple déclaration de prudence ; dans trois cas la juridiction saisie
Responsabilité et coût en chirurgie
s’est déclarée incompétente pour statuer ; dans 12 cas le Sou Médical avait refusé de transiger à l’amiable, en l’absence d’élément pouvant faire conclure à la responsabilité de nos assurés et dans 18 cas, l’expertise civile s’était également révélée favorable à nos assurés. Le coût total de l’indemnisation de ces 13 dossiers dépasse 2,5 millions de francs. Quatre dossiers seulement sur 15 de chirurgie du rachis ont été indemnisés (soit encore 26 %). Les neuf autres dossiers ont évolué comme suit : dans un cas, le dossier n’a fait l’objet que d’une simple déclaration de prudence ; dans deux cas, d’une seule procédure ordinale au décours de laquelle nos sociétaires n’ont fait l’objet d’aucune sanction ; dans cinq cas, la réclamation présentée est demeurée sans suite ; dans trois cas, l’expertise civile diligentée s’est révélée favorable à nos assurés. Le coût total de l’indemnisation de ces quatre dossiers avoisine un demi-million de francs. EXEMPLES DE DOSSIERS FAUTIFS Erreur de diagnostic Dossier 1 (1997) Une réclamation a été adressée à un de nos sociétaires par l’assureur de la clinique initialement mise en cause par une femme reprochant la non exploration d’une plaie du doigt. Cette plaie avait été suturée par l’interne de garde placée sous la responsabilité de notre sociétaire qui le lendemain, lors de sa consultation, n’avait décelé aucun trouble sensitif à ce doigt. Un corps étranger avait été trouvé quelques semaines plus tard par un autre chirurgien consulté pour l’apparition de signes inflammatoires à ce niveau. Il persisterait une anesthésie pulpaire. Un compromis amiable entre l’assureur de la clinique, le Sou Médical d’une part et la patiente d’autre part, aboutira à l’indemnisation de celle-ci à concurrence de 65 000 F (dont 15 000 F versés par le Sou Médical).
349
en place alors qu’elle avait 39 ans ; il persisterait une boiterie. L’expert retiendra la responsabilité de notre assuré estimant que le choix de la pose d’une prothèse de genou chez cette patiente jeune, sans grande destruction articulaire, sans lésion ligamentaire, n’était pas très judicieux, compte tenu des risques d’usure et de dégradation à long terme ; que l’important traumatisme articulaire, le bouleversement de la mécanique du genou dû à une mauvaise orientation des pièces prothétiques en particulier tibiale, la rééducation mal assurée avaient certainement des responsabilités dans le mauvais résultat fonctionnel. Il sera conclu que les séquelles actuelles pouvaient être considérées comme secondaires aux interventions litigieuses dans la limite de 40 %. Malgré ces conclusions, les magistrats considéreront « que seule la pose non indiquée et de manière imparfaite de la prothèse avait causé l’état actuel de la patiente » et « que le droit à réparation du préjudice corporel de la patiente ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique dès lors que l’affection qui en est issue n’a été provoquée que par le fait dommageable. » Ils condamneront le chirurgien à réparer l’entier préjudice de la patiente (évalué à 200 000 F), le recours de la CPAM étant de 180 000 F. Maladresse opératoire Dossier 3 (1995) Un de nos sociétaires a été assigné par un patient ayant eu des complications urinaires dans les suites d’une hémi-colectomie sous cœlioscopie pour une sigmoïdite perforée. L’expert conclura à la responsabilité de notre sociétaire, celui-ci ayant malencontreusement posé des agrafes sur l’uretère lors de la dissection du mésocôlon, à l’origine d’une oblitération de l’uretère ayant imposé une intervention urologique (anastomose urétéro-urétérale terminoterminale). Le Sou Médical, sur la base de ce rapport, proposera une indemnisation amiable de 30 000 F à la victime.
Indication opératoire discutable Faute technique Dossier 2 (1991) Une procédure civile est intentée contre un de nos sociétaires par une patiente mécontente des résultats d’une prothèse monocompartimentale de genou mise
Dossier 4 (1992) Une plainte civile et ordinale a été engagée à l’encontre d’un de nos sociétaires qui avait été
350
C. Gerson et al.
amené à pratiquer une hémi-mammectomie chez une patiente de 42 ans pour un nodule suspect du sein droit. L’analyse de la pièce ne montra cependant aucun signe de malignité. L’image stellaire persistera sur la mammographie de contrôle. La patiente devra subir une mammectomie complète avec reconstruction prothétique qui sera réalisée par un autre chirurgien consulté par la patiente sur sa propre initiative. L’expert conclura que notre sociétaire avait commis une faute, car « devant les résultats négatifs de l’examen extemporané, il convenait soit de faire réaliser au cours de l’intervention une radiologie du tissu mammaire prélevé, soit de compléter l’exérèse du tissu mammaire jusqu’à trouver des lésions qui, par leur dimension, ne pouvaient échapper à une exérèse chirurgicale complémentaire. » Le préjudice subi sera un retard d’environ neuf semaines pour l’exérèse des lésions, le préjudice moral (PM) sera évalué à 4/7 et le pretium doloris (PD) à 4/7. Au vu de ce rapport, 40 000 F seront alloués par transaction amiable à la victime qui abandonnera la procédure civile intentée contre notre sociétaire. Les conseillers ordinaux rejetteront cette plainte, considérant que « si malheureusement l’intervention chirurgicale subie par la patiente s’était révélée incomplète, aucune faute de nature déontologique ne pouvait être reprochée au médecin. » Oubli de compresses Dossier 5 (1990) Une assignation a été adressée à un de nos sociétaires par un patient de 42 ans suite à un oubli de compresses lors d’une cholécystectomie. L’expert conclura à un manque de vigilance ainsi qu’à une insuffisance d’organisation du bloc opératoire. Le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) sera fixé à 6 % du fait de la fragilisation de la paroi et des douleurs alléguées au niveau d’une brèche sous aponévrotique, le PD sera évalué à 4/7 (deux interventions complémentaires sous anesthésie générale, cicatrisation très lente) et le préjudice esthétique (PE) à 2/7. Une transaction amiable (134 000 F) permettra l’abandon de la procédure engagée. Dossier 6 (1994) Un homme de 30 ans a adressé une réclamation à un de nos sociétaires lui réclamant des dommages et
intérêts pour avoir oublié une compresse lors d’une intervention de Bankart, à l’origine d’une collection abcédée qui avait été évacuée six mois plus tard. Cinq autres interventions avaient été nécessaires avant que la dite compresse ne soit finalement découverte. Trente-cinq mille francs seront alloués à l’amiable, le PD ayant été évalué à 2,5/7, l’incapacité temporaire totale (ITT) indemnisée par 2 500 F, le PE par 5 000 F et les frais médicaux engagés remboursés (2 000 F). Dossier 7 (1998) Une patiente de 52 ans a adressé une réclamation à un de nos sociétaires lui demandant des dommages et intérêts en réparation de l’oubli de compresse dont elle avait été victime lors d’une discectomie chirurgicale. Une réintervention avait été décidée six mois plus tard du fait de l’apparition d’une tuméfaction au niveau de la voie d’abord ; au cours de cette intervention, une compresse avait été découverte. L’expert missionné notera qu’il n’y avait pas eu décompte de compresses lors de l’intervention litigieuse, ce décompte n’étant pas systématiquement pratiqué du fait de la faible taille de l’abord chirurgical, attitude qu’il considérera néanmoins comme fautive. Au vu de ce rapport, le Sou Médical proposera une indemnisation de 15 000 F, l’ITT mise à la charge de l’oubli de compresse étant de 15 jours, le PD de 2/7 et le PE de 0,5/7. Problème de matériel Dossier 8 (1989) Une procédure civile a été engagée à l’encontre d’un de nos sociétaires par une femme de 33 ans qui lui reprochait d’avoir été incapable en 1989 d’enlever ses deux vis tibiales, faute de posséder le tournevis adapté à l’extraction de ces vis. Elle avait donc dû subir une intervention supplémentaire. Le chirurgien expliquera à l’expert qu’il s’était effectivement mépris sur la nature des deux vis qu’il projetait d’enlever, étant persuadé qu’il s’agissait de vis habituelles de type Manocort pour lesquelles il disposait du matériel nécessaire. Se trouvant en cours d’intervention devant une vis d’un modèle peu connu, il n’avait donc pu que refermer l’abord et reporter l’intervention à plus tard. L’expert évaluera
Responsabilité et coût en chirurgie
le dommage comme le fait d’avoir subi une anesthésie générale s’étant révélée inutile. Les douleurs alléguées par la patiente seront expliquées comme étant en partie liées au fait qu’elle avait dû subir deux interventions à la place d’une, ce qui justifiera l’évaluation du PD à 2,5/7 et celle de l’IPP à 2 %. Au vu de ce rapport, les magistrats condamneront le chirurgien à verser 19 000 F à la patiente pour ses différents chefs de préjudice. Erreur de côté Dossier 9 (1997) Une réclamation a été adressée à un de nos sociétaires qui, par inadvertance (il dira avoir été « piégé » par l’amplificateur de brillance) avait pratiqué une incision au niveau du 4e doigt d’un enfant, alors qu’il avait prévu d’explorer chirurgicalement une plaie de son index afin d’y ôter un corps étranger. Cette erreur engageant totalement la responsabilité du chirurgien, le Sou Médical allouera 8 000 F aux parents de l’enfant en réparation du préjudice esthétique résultant. Manquement au devoir d’information Dossier 10 (1994) Une femme de 23 ans a assigné le chirurgien qui lui avait proposé de pratiquer une sympathectomie bilatérale pour une hyperhidrose cutanée sévère. Les suites de cette intervention avaient été marquées par la survenue d’un syndrome de Claude-BernardHorner ; la patiente avait dû subir une nouvelle intervention pour corriger cet œil. L’expert affirmera que l’intervention était parfaitement justifiée, qu’elle avait été correctement réalisée et que le suivi postopératoire avait été assuré de façon satisfaisante. Si aucune faute ne pouvait donc être reprochée au chirurgien, l’expert soulèvera néanmoins le problème du consentement éclairé de la patiente, celle-ci maintenant qu’elle n’avait jamais été informée de ce risque et le chirurgien affirmant qu’il avait été explicite sur ce sujet. L’expert conclura cependant son rapport en rappelant que ce syndrome étant une complication exceptionnelle (inférieure à 3 %), le médecin n’avait donc pas obligation d’en informer sa patiente.
351
La patiente menaçant cependant de contester ce rapport d’expertise, 25 000 F lui seront alloués à l’amiable en réparation du préjudice allégué. Défaut de surveillance de la position de l’opéré sur table Dossier 11 (1993) Une procédure civile a été intentée contre un de nos chirurgiens par un patient ayant eu une paralysie radiale gauche au décours d’un pontage coronarien. Les experts relèveront que la clinique n’avait pas mis à disposition du chirurgien et de l’anesthésiste le matériel nécessaire permettant l’utilisation de gouttières brachiales de protection ; que la durée de prélèvement des deux mammaires avait été particulièrement longue ; que cette durée ajoutée à l’absence d’utilisation possible de gouttières de protection aurait dû imposer au chirurgien comme à l’anesthésiste une prudence particulière dans la surveillance de la position du bras de l’opéré par rapport au piquet permettant la traction de l’écarteur, ce qui manifestement n’avait pas été le cas. L’IPP sera évaluée à 8 % par les experts qui noteront que le retentissement professionnel était probablement très supérieur, évalué entre 20 et 33 % de la capacité de travail du patient, ébéniste de son état. Le PD sera évalué à 3/7. Les magistrats condamneront donc in solidum les deux praticiens au titre de l’obligation de surveillance et de prudence qu’il leur incombait d’assumer dans l’intérêt même de leur patient « afin que ce dernier ne soit victime d’aucun dommage corporel qui aurait pu être évité par une surveillance fréquente, rigoureuse et parfaitement adaptée aux circonstances. » Il sera donc alloué 194 000 F au patient pour son préjudice soumis à recours (IPP à 48 000 F avec incidence professionnelle estimée à 150 000 F), 40 000 F au titre de son préjudice personnel (PD à 20 000 F et préjudice d’agrément [PA] à 20 000 F). Le recours de la CPAM sera de 67 000 F. Carences dans le suivi postopératoire Dossier 12 (1995) Une réclamation a été adressée à un de nos sociétaires par une femme de 58 ans mécontente des suites d’une intervention réalisée pour un hallux
352
C. Gerson et al.
rigidus, suites ayant conduit à une ankylose du gros orteil. L’expert désigné dans le cadre de cette procédure amiable notera : « dans ce dossier se pose le problème de la responsabilité respective du médecin et du malade demandant à se faire opérer dans un lieu très éloigné de son domicile ; il est certain que le suivi postopératoire n’a pu de ce fait être au mieux assuré, le chirurgien exerçant à Nice et le malade demeurant à Turin. » L’expert constatera néanmoins que de telles conditions étaient défavorables à une bonne surveillance du patient, surtout en cas de complications comme cela avait été le cas ; il ajoutera qu’il était difficile de savoir ce qui s’était produit : éventualité d’une brûlure ? Réaction allergique au sparadrap ? Phénomène septique ? Il conclura cependant que quelle que soit son origine, le retard diagnostique de 40 jours avait empêché un traitement précoce de la complication survenue et de ce fait avait certainement majoré la complication séquellaire. L’IPP ayant été évaluée à 3 %, le PE à 0,5/7 et le PD à 2/7, 50 000 F seront alloués par transaction amiable à la patiente. Rupture de drain Dossier 13 (1991) La responsabilité civile d’un de nos adhérents a été mise en cause par une de ses patientes qui lui reproche d’avoir incomplètement enlevé un drain de Redon au décours d’une arthrodèse lombosacrée. L’expert indiquera que le drain de Redon avait été enlevé au 4e jour postopératoire par une infirmière, ce qui était une délégation de soins assez fréquente. Il notera que si aucun incident n’avait été signalé, il était cependant manifeste que le drain s’était rompu lors de son ablation et qu’effectivement un fragment d’une dizaine de centimètres était resté dans la plaie. Ceci avait été sans conteste à l’origine d’une formation kystique secondaire gênant la patiente au niveau de sa cicatrice mais selon l’expert, les douleurs lombosciatiques résiduelles alléguées par la patiente étaient sans rapport avec cet accident. Au vu de ce rapport, le chirurgien sera condamné à verser 22 609 F à la patiente dont 22 000 F pour le PD (évalué à 3,5/7 par l’expert).
Fautes multiples Dossier 14 (1986) Une plainte a été déposée par les parents d’un enfant de cinq ans qui mettent en cause la compétence de notre sociétaire compte tenu des suites présentées par leur enfant après qu’il l’ait opéré en 1986 d’une fracture des deux os de l’avant bras. Il lui était reproché d’avoir mis en place une plaque de taille inadaptée par rapport à l’âge de l’enfant ce qui aurait été à l’origine d’une pseudarthrose. L’expert conclura à la responsabilité de notre assuré qui avait effectivement commis une faute technique, en utilisant une plaque d’ostéosynthèse correspondant à un modèle adulte, donc tout à fait inadaptée à un enfant de cinq ans, ce qui avait été à l’origine d’une nécrose du foyer radial ayant nécessité six autres interventions pendant six ans. Il ajoutera que de surcroît, l’indication opératoire portée par le chirurgien était contestable, étant rappelé qu’il était tout à fait exceptionnel de devoir intervenir sur une fracture des deux os de l’avant bras chez un enfant. Au vu de ce rapport, les magistrats condamneront donc le chirurgien à réparer le préjudice de l’enfant à hauteur de 249 000 F, l’IPP ayant été évaluée à 8 %, le PD à 6/7, le PE à 4/7 et ayant été noté qu’il existait un préjudice d’agrément évalué à 15 000 F par le tribunal. Contestant le montant de la réparation accordée, les parents feront appel de ce jugement et obtiendront 25 000 F supplémentaires… PRÉVENTION DU RISQUE EN CHIRURGIE À la lecture de ce qui précède, deux « types » de dossiers fautifs peuvent être individualisés. Une première catégorie de dossiers regroupe des accidents apparaissant directement liés à une erreur de diagnostic ou d’indication, une faute technique ou une maladresse opératoire commises par nos sociétaires. La prévention de ces accidents faisant apparaître un défaut de formation des chirurgiens n’est donc pas du ressort de l’assureur. En revanche, une seconde catégorie de dossiers fait apparaître des cas où l’accident n’a été que la conséquence d’une insuffisance de précaution, de prudence ou d’un manquement à l’obligation de moyen des chirurgiens impliqués. Ces accidents, qui constituent la majorité de ceux ayant engagé la
Responsabilité et coût en chirurgie
responsabilité de nos sociétaires, semblent malheureusement se produire chaque année alors que le respect de règles simples permettrait de les prévenir. L’oubli de corps étrangers en 1998 a encore fait l’objet de 12 déclarations (dont oubli de compresse ou de champ, cinq cas ; d’aiguille, un cas ; d’un fragment de drain de Redon, un cas ; de bris de lame de bistouri, deux cas, etc.). Il faut rappeler, que plusieurs méthodes simples et reconnues comme efficaces par les experts, peuvent aisément être mises en place : pratique d’une radiographie peropératoire chaque fois que persiste un doute sur le nombre de compresses, utilisation de compresses radio-opaques, utilisation de compresses non pas sous forme libre mais sous forme de tampons tenus par des pinces… S’il ne nous appartient pas de dire laquelle de ces méthodes est la plus efficace, il faut inciter les chirurgiens à une plus grande vigilance concernant les dites compresses. En effet, les experts qualifieront systématiquement de fautif cet oubli et concluront toujours à la responsabilité entière de l’opérateur (même dans le cas où auront été relevés des dysfonctionnements manifestes dans l’organisation du bloc opératoire), le chirurgien devant consacrer suffisamment d’attention pour éviter de laisser en place un corps étranger avant de prendre la décision de fermer la paroi. Enfin, rappelons que le respect de protocoles opératoires rigoureux ne dispense pas pour autant le chirurgien d’un suivi tout aussi rigoureux ; certains dossiers prouvent que le diagnostic aurait pu être porté plus précocement ce qui diminue d’autant le préjudice séquellaire [1]. L’erreur de coté (huit déclarations en 1997 dont lithotripsie de calculs vésiculaires au lieu d’un calcul rénal gauche et erreur de coté lors d’une intervention orthopédique [six cas] intéressant un genou [2 cas], un col du fémur, un doigt [2 cas])… est encore un exemple d’accident engageant systématiquement la responsabilité du chirurgien et susceptible d’être prévenu. Signalons qu’à un récent congrès [2] sur la prévention du risque, des chirurgiens américains ont proposé une méthode aussi simple qu’efficace : le tatouage au feutre de la zone opératoire la veille de l’intervention lors de la visite préopératoire. Ce tatouage effectué en possession des radiographies préopératoires lorsqu’il s’agit d’interventions orthopédiques et avec la participation du malade, permet d’éviter qu’une erreur de côté voire d’intervention soit commise.
353
De même, chaque année, certains de nos sociétaires font l’objet d’une condamnation (souvent prononcée in solidum avec l’anesthésiste), ayant été jugés responsables de la survenue de complications positionnelles, parfois graves, liées à l’installation du patient [3]. Certains de ces accidents auraient pu être évités. La prévention de ces accidents repose en effet sur la vigilance des équipes chirurgicale et anesthésique, lors de l’installation du patient sur la table d’opération, mais aussi et surtout durant toute la durée de l’opération. Il appartient aux chirurgiens non seulement de procéder par eux-mêmes à l’installation du malade mais aussi de veiller à ce que l’équipe placée sous leur responsabilité surveille attentivement les éventuels points de compression, ce notamment lorsque l’acte chirurgical nécessite des changements de position de l’opéré en cours d’intervention ou lorsque celle-ci est de longue durée. La pratique chirurgicale ne se limite pas à la seule réalisation d’un acte. Préalablement à cet acte, le chirurgien est tenu d’informer le malade des avantages et inconvénients de la technique proposée comme des alternatives possibles. C’est du moins ce que rappelle un nombre croissant de jugements retenant la responsabilité de sociétaires, en l’absence même de toute faute technique, pour avoir manqué à ce devoir d’information. Insistons sur le fait qu’il appartient désormais au médecin d’apporter la preuve qu’il a bien informé son patient des risques encourus (Cass. civ 1re, 25 février 1997) et que l’information délivrée doit porter sur tous les risques graves aussi exceptionnels soient-ils (Cass. civ 1re, 14 octobre 1997). Enfin, si la preuve par tous moyens est théoriquement possible (présomptions, témoignages…), l’écrit demeure le plus sûr moyen de prouver que l’on a bien respecté cette obligation. Le Sou Médical recommande à ses sociétaires chirurgiens lorsqu’une intervention non urgente est envisagée, de remettre à leurs malades, lors d’une première consultation, une fiche d’information (établie par la société savante de la spécialité concernée) détaillant les principes comme les risques de l’acte envisagé ; de laisser ensuite aux malades un délai de réflexion suffisamment long pour qu’ils puissent en toute connaissance de cause prendre la décision d’accepter (ou de refuser) l’acte chirurgical proposé ; et dans ce cas de conserver le double de la fiche d’information qu’ils auront signée, fiche
354
C. Gerson et al.
précisant en outre que « cette information leur a été donnée en des termes qu’ils ont compris et qu’il a été répondu de manière satisfaisante à toutes les questions qu’ils ont pu poser. » Enfin, le chirurgien se doit d’assurer lui-même le suivi des malades qu’il a opérés et surtout de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’interruption dans ce suivi. De nombreux dossiers que nous avons eu à défendre montrent en effet que le chirurgien, en tant que chef d’équipe, verra toujours sa responsabilité reconnue par les magistrats de façon pleine et entière voire au mieux de façon partagée avec d’autres intervenants si une complication postopératoire survient. Ces faits nous amènent à insister sur la nécessité de mettre en place des procédures simples au sein de l’équipe médicochirurgicale, précisant notamment à qui incombe, du chirurgien ou de l’anesthésiste, la décision d’instaurer un traitement postopératoire par anticoagulants, une antibiothérapie, etc., la responsabilité des deux praticiens pouvant être reconnue lorsque l’expertise aura fait apparaître un retard dans le diagnostic ou dans le traitement des complications postopératoires. Insistons également sur la nécessité de transmissions écrites, portant sur les éventuelles difficultés peropératoires rencontrées (qui devraient d’ailleurs être mentionnées dans le
compte-rendu opératoire) et sur la surveillance préconisée pour l’opéré dans certaines situations à risques (gardes, congés, etc.). L’absence de tout document écrit précisant les consignes de surveillance à adopter, conduit généralement les magistrats à conclure à la responsabilité partagée de l’opérateur (fut-il absent au moment de la complication) et du chirurgien ayant pris sa relève. De même, la responsabilité de l’opérateur est consacrée lorsqu’aucune consigne précise n’ayant été donnée, une erreur est commise par un membre de l’équipe infirmière, toute délégation de soins relevant de sa seule responsabilité. Il en est de même, si faute de protocoles de surveillance écrits, un membre de cette équipe (et d’autant plus s’il s’agit d’une infirmière intérimaire ou d’une infirmière peu rôdée à la spécialité chirurgicale) tarde à contacter le médecin de garde en cas de besoin… RE´ FE´ RENCES 1 Vayre P. Gestion des risques en pratique chirurgicale : la sérénité retrouvée. Ann Chir 2000 ; 125 : 925-8. 2 Steven S. Fountain. Liability Committee, AAOS, Wrong-site surgery, PIAA Risk Management Workshop, January 21-23, 1999 Radisson Resort Scottsdale, Arizona. 3 Sicot C. Chirurgie du rachis et cécité postopératoire. Le Concours Médical 1997 ; 119 : 616-7.