SUIVI THERAPEUTIQUE
Thérapie 2004 Mar-Avr; 59 (2): 169-171 0040-5957/04/0002-0169/$31.00/0 © 2004 Société Française de Pharmacologie
Rôle d’un laboratoire hospitalier de pharmacologie dans les études pharmacocinétiques Involvement of a Public Pharmacology Laboratory in Pharmacokinetic Studies Nicolas Simon, Audrey Boulamery et Bernard Bruguerolle Laboratoire de Pharmacologie Médicale et Clinique, Hôpital de la Timone, Marseille, France
Résumé
Les études pharmacocinétiques interviennent avant ou après la commercialisation du médicament. En effet, toutes les difficultés quotidiennes d’utilisation ne peuvent être résolues avant l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Les services hospitaliers de pharmacologie sont souvent impliqués dans ces études complémentaires. Ils peuvent concevoir l’étude, la réaliser dans un centre d’investigation clinique (CIC), effectuer les dosages du médicament, l’analyse pharmacocinétique et rédiger le rapport. Si l’implication scientifique des laboratoires hospitaliers de pharmacologie est bien définie, le soutien financier des études non sponsorisées par l’industrie pharmaceutique pose des problèmes. En effet, il est difficile d’obtenir des crédits privés pour étudier la relation concentration-toxicité ou une interaction médicamenteuse d’un produit en fin de brevet. Or ces études ont un surcoût élevé principalement lié aux frais de dosages. Par ailleurs, le temps médical consacré à la recherche n’est pas reconnu par les institutions. Cette situation va se compliquer avec le cadre législatif contraignant imposé par la directive européenne. Mots clés : pharmacocinétique, centre d’investigation clinique, financement
Abstract
Pharmacokinetic studies can be performed before or after a drug is marketed. Indeed, extensive use of a new drug can uncover situations that it has not been possible to investigate before market application. Hospital departments of pharmacology are often involved in these complementary studies. They can design the study, initiate it in a clinical investigation centre, measure plasma concentrations, analyse the pharmacokinetic data, and write the report. If the extent of the scientific involvement of public pharmacology laboratories is strictly demarcated, financial support for nonsponsored studies by the pharmaceutical industry is problematical. Indeed, it is difficult to obtain funds to study the concentration-toxicity relationship or a drug-drug interaction for a compound for which the patent has expired. In addition, such studies have an excess cost, mainly because of the expense associated with drug measurements. Also, the medical time devoted to research is not rewarded by institutions. This situation will become more complicated because of the restrictive legislative framework imposed by the European directive. Keywords: pharmacokinetics, clinical investigation centre, financial support Texte reçu le 7 octobre 2003 ; accepté le 11 décembre 2003
1. Introduction Les études pharmacocinétiques réalisées chez le sujet sain et le patient sont indispensables au dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Elles sont souvent conduites à l’hôpital même si des prestataires privés de l’industrie pharmaceutique, essentiellement les « Contract Research Organization » (CRO),
en réalisent de plus en plus. Par ailleurs, des études pharmacocinétiques complémentaires sont souvent nécessaires après la commercialisation et le laboratoire de pharmacologie intervient à tous les niveaux, depuis la conception du protocole jusqu’à la rédaction du rapport. La réalisation à l’hôpital de ce type d’études présente des intérêts certains mais se heurte à de nombreux obstacles qui seront abordés.
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2. Intérêt des études pharmacocinétiques à l’hôpital Les études d’innocuité, d’efficacité et de comparaison au traitement de référence dites de phases I, II et III sont promues par le laboratoire pharmaceutique commercialisant la molécule et se déroulent soit dans des centres d’investigation clinique (CIC), soit dans des services cliniques hospitaliers. Elles sont indispensables avant le dépôt du dossier de demande d’AMM. En revanche, les études survenant après la commercialisation du médicament sont souvent indépendantes de l’industrie pharmaceutique qui n’est, bien souvent, plus le promoteur. Les études pharmacocinétiques, post-AMM, sont souvent initiées en raison d’un manque d’information quant au comportement du médicament dans des conditions particulières non mentionnées dans les études d’AMM. En effet, il n’est pas possible d’avoir réalisé toutes les études testant l’ensemble des facteurs de variation d’un nouveau médicament pour la constitution du dossier d’AMM et particulièrement leur association. Par exemple, les personnes âgées cumulent souvent plusieurs sources de variabilité comme un état nutritionnel fragile, des associations médicamenteuses et des comorbidités. Les conditions climatiques extrêmes, notamment la canicule dont les conséquences désastreuses ont été largement commentées durant l’été, constituent des situations particulières d’utilisation des médicaments. Ainsi, parmi les nombreux facteurs susceptibles de modifier l’efficacité et la tolérance des médicaments, la fièvre et l’hyperthermie n’ont fait l’objet que de quelques travaux cliniques (pranoprofène, ciprofloxacine). La plupart de ces études ont permis de mettre en évidence des modifications de la pharmacocinétique des médicaments allant le plus souvent dans le sens d’une élévation des concentrations plasmatiques et d’une réduction de la clairance, c’est-à-dire des capacités de l’organisme à éliminer ce médicament. Dans ces conditions, une augmentation d’efficacité et l’apparition d’une toxicité, majorées par la fragilité du terrain, sont possibles. Ces populations particulières (sujets âgés, nouveaux-nés, terrains débilités) ne correspondent pas à la population standard sur laquelle les médicaments ont bien souvent été testés. La recherche des relations dose-concentration-effet ou doseconcentration-toxicité permet de réaliser des simulations, de proposer des schémas posologiques adaptés et constitue la première étape d’un suivi thérapeutique pharmacologique éventuel. Elle permet également de définir les zones thérapeutiques qui ne sont pas toujours bien établies lors de la commercialisation. Enfin une variabilité interindividuelle est parfois rencontrée et les études pharmacocinétiques permettent de tester des covariables (sexe, âge, poids…) susceptibles d’en être responsables. 2004 Société Française de Pharmacologie
3. Rôle du laboratoire de pharmacologie Un service hospitalier de pharmacologie devrait pouvoir intervenir à tous les niveaux de l’étude, depuis sa conception jusqu’au rendu des conclusions. En amont, il élabore une méthode d’étude, rédige le protocole, le cahier d’observation, la lettre d’information aux patients ou volontaires sains, le formulaire de consentement éclairé et constitue le dossier de demande de financement. De même, il entreprend toutes les démarches administratives nécessaires avant de démarrer une étude clinique. Certains laboratoires de pharmacologie ont une unité de recherche clinique permettant d’inclure des patients ou des volontaires sains et de déléguer du personnel formé aux études pharmacocinétiques pour effectuer des prélèvements ou des évaluations au sein des services cliniques. Dans le cas des études chez les volontaires sains, le laboratoire organise le recrutement et la sélection des individus (gestion de la base de données des volontaires sains). Les échantillons sanguins (ou autres) prélevés lui sont adressés afin d’y doser les médicaments. Des données pharmacodynamiques peuvent aussi être recueillies pour une analyse de la relation dose/concentration/effet. Les laboratoires de pharmacologie proposent de plus en plus des méthodes d’analyse par modélisation. Ces analyses ont un objectif soit descriptif soit explicatif. Comme leur nom l’indique, les études descriptives ont pour objectif de décrire une souspopulation et de déterminer ses paramètres pharmacocinétiques. Leurs contraintes sont réduites dans la mesure où la validation du modèle n’est pas indispensable. De plus, l’effectif des patients peut éventuellement être restreint. Enfin, dans ce type d’étude, la règle de parcimonie prime ; le modèle le plus simple décrivant le mieux les données sera retenu. En revanche, les études explicatives sont plus complexes, leur objectif étant l’extrapolation du modèle choisi à toute une population. Le modèle obtenu pourra servir pour simuler d’autres études à venir, réaliser des adaptations bayésiennes de posologie ou de l’Anesthésie Intraveineuse à Objectif de Concentration (AIVOC). Selon cette méthode, pour une concentration désirée et connaissant le modèle pharmacocinétique compartimental, un logiciel calcule les débits de perfusion et pilote le pousseseringue. Contrairement aux études descriptives, les études explicatives présentent des contraintes élevées et la validation du modèle est indispensable. Le modèle, éventuellement complexe, doit être le plus précis possible et l’estimation de l’ensemble des paramètres nécessite souvent un effectif important. Enfin s’agissant d’une étude pharmacocinétique, c’est souvent au laboratoire de pharmacologie qu’incombe la rédaction d’un rapport et d’un éventuel article dans une revue scientifique. Thérapie 2004 Mar-Avr; 59 (2)
Etudes pharmacocinétiques à l’hôpital
4. Les difficultés rencontrées La réalisation de ces études à l’hôpital est théoriquement idéale puisque les situations particulières et les difficultés d’utilisation des médicaments rencontrées quotidiennement par les cliniciens constituent le fondement des protocoles. Cependant, elle se heurte à un certain nombre de difficultés dont la principale est d’ordre financier (tableau I). En effet, les frais engagés sont considérables et peuvent être schématiquement répartis en coût lié à l’activité des services cliniques investigateurs (personnel infirmier, vacations des investigateurs, indemnisation des patients, actes cliniques et/ou biologiques supplémentaires) et coût lié au service de pharmacologie, cette dernière composante étant bien souvent la plus importante. En effet, elle comprend les frais de dosage, d’entretien des appareillages, des consommables, d’analyse, de contrôle de qualité, etc. S’ajoute le coût de l’assurance et de présentation du dossier au CCPPRB (comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale) éventuellement pris en charge par l’institution lorsqu’elle accepte de promouvoir l’étude. Or, les crédits publics sont accordés avec la plus grande parcimonie lorsqu’il s’agit d’un médicament déjà commercialisé et bien souvent demande est faite à l’investigateur principal d’obtenir un financement de l’industrie pharmaceutique. Cette situation trouve ses limites pour les médicaments en fin de vie pouvant avoir un intérêt dans une nouvelle indication mais pour lequel le laboratoire privé ne souhaite plus investir durablement. D’autre part, il est peu probable qu’un laboratoire privé accepte de promouvoir une étude dont l’objectif principal est l’évaluation d’effets secondaires et de toxicité. Bien que critiquable, cette attitude semble réaliste dans le marché pharmaceutique actuel. Par ailleurs, les actes liés à la recherche clinique pour l’étude pharmacocinétique ne sont pas inclus dans l’activité hospitalière. Ainsi, l’activité d’un service est le reflet des consultations, de la durée d’hospitalisation et des dosages réalisés en routine mais le temps médical consacré aux recherches cliniques n’est pas pris en compte, quels que soient l’intérêt et l’urgence de l’étude. De même, certains « actes » pratiqués dans un service de pharmacologie, comme par exemple l’adaptation de posologie, ne sont pas reconnus. Ceci est un réel problème puisque l’activité conditionne les futurs crédits et le personnel affectés au service. En ce qui concerne les dosages de médicaments réalisés dans le cadre d’une étude, ils sont bien évidemment facturés par l’hôpital, au même titre qu’un dosage demandé par un service
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Tableau I. Exemples d’études pharmacocinétiques après commercialisation non financées par l’industrie pharmaceutique Populations vulnérables (âges extrêmes, dénutrition, réanimation) Pathologies interférant avec la pharmacocinétique (insuffisance rénale, hépatique) Interactions médicamenteuses Définition de la relation dose-concentration-effet (bénéfique ou indésirable) Recherche d’un cofacteur modifiant la pharmacocinétique (âge, sexe, poids, heure d’administration, tabac… )
mais pas toujours comptabilisés (cotation en B) par les services de pharmacologie car ils ne font pas l’objet d’une prescription classique. D’autres obstacles pratiques entravent la mise en place d’une étude. Il peut s’agir, par exemple, de la disponibilité des praticiens hospitaliers investigateurs et du personnel infirmier, de leur formation aux études cliniques et de la mise au point, parfois longue, de la technique de dosage. Enfin, la prochaine mise en place de nouvelles « contraintes », liées à l’harmonisation avec les directives européennes, ne simplifiera sans doute pas les problèmes évoqués. 5. Conclusion La nécessité des études pharmacocinétiques à l’hôpital est indiscutable. Parallèlement à leur activité principale de suivi thérapeutique, les services de pharmacologie doivent avoir un rôle dans les études pharmacocinétiques. Cependant des difficultés demeurent, dont la principale est liée à leur coût élevé. Il est souvent demandé à l’investigateur principal de rechercher des financements auprès des laboratoires pharmaceutiques qui commercialisent le médicament. Toutefois, selon les objectifs de l’étude, il est parfois difficile, voire impossible, de trouver des crédits privés. Enfin, une meilleure reconnaissance par l’institution des activités de recherche clinique au sein de l’hôpital, notamment une cotation de l’acte médical, est indispensable. Correspondance et offprints : Nicolas Simon, Laboratoire de Pharmacologie Médicale et Clinique, Hôpital de la Timone, 264 rue St-Pierre, 13005 Marseille Cedex 05, France. E-mail :
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