Sénescence et immortalité cellulaire

Sénescence et immortalité cellulaire

Volume 97 • N° 11 • novembre 2010 Synthèse General review ©John Libbey Eurotext Sénescence et immortalité cellulaire Senescence and cellular immort...

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Volume 97 • N° 11 • novembre 2010

Synthèse General review

©John Libbey Eurotext

Sénescence et immortalité cellulaire Senescence and cellular immortality C. Trentesaux, J.-F. Riou Structure des acides nucléiques, télomères et évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Inserm U565, CNRS UMR 7196, 43, rue Cuvier, 75005 Paris, France

Tirés à part : J.-F. Riou

Résumé. La sénescence, à l’origine décrite suite à l’observation de la capacité limitée de prolifération de cellules normales en culture, peut être générée par une érosion des télomères, l’accumulation des dommages à l’ADN, un stress oxydatif et par la modulation de facteurs oncogéniques ou suppresseurs de tumeurs. La sénescence correspond à une réponse cellulaire qui vise à contrôler la progression tumorale en limitant la prolifération cellulaire et constitue une barrière anticancer. La sénescence est présente dans les tumeurs bénignes et disparaît au cours de la progression tumorale. Les agents utilisés en chimiothérapie antitumorale induisent la sénescence, ce qui pourrait expliquer au moins partiellement leur activité clinique. Il est aussi possible de rétablir la sénescence dans les tumeurs par des thérapies ciblées en cours de développement qui provoquent la déstabilisation des télomères ou réactivent les fonctions de gènes suppresseurs essentiels à l’induction de la sénescence.

Abstract. Senescence was originally described from the observation of the limited ability of normal cells to grow in culture, and may be generated by telomere erosion, accumulation of DNA damages, oxidative stress and modulation of oncogenes or tumor suppressor genes. Senescence corresponds to a cellular response aiming to control tumor progression by limiting cell proliferation and thus constitutes an anticancer barrier. Senescence is observed in pre-malignant tumor stages and disappears from malignant tumors. Agents used in standard chemotherapy also have the potential to induce senescence, which may partly explain their therapeutic activities. It is possible to restore senescence in tumors using targeted therapies that triggers telomere dysfunction or reactivates suppressor genes functions, which are essential for the onset of senescence.

Mots clés : sénescence, télomère, télomérase, dommages de l’ADN, oncogène, gène suppresseur, bêtagalactosidase acide

Key words: senescence, telomere, telomerase, DNA damage, oncogene, gene suppressor, acidic beta galactosidase



doi: 10.1684/bdc.2010.1205

Introduction Elizabeth Blackburn, Jack Szostak et Carol Greider ont obtenu en 2009 le prix Nobel de médecine et de physiologie pour leurs travaux sur la réplication des télomères et la découverte de la télomérase. Le principal mérite de cette découverte a été de faire le lien entre le rôle des télomères dans la division des cellules normales en culture et la sénescence réplicative décrite par Leonard Hayflkick. La description de la sénescence cellulaire fût initialement basée sur l’étude de la croissance de lignées cellulaires in vitro [1]. Au contraire des cellules tumorales, les cellules normales possèdent une capacité de division limitée qui se termine par une étape au cours de laquelle les cellules arrêtent leur cycle cellulaire, Bull Cancer vol. 97

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modifient leur métabolisme et leur morphologie. Les bases moléculaires de la sénescence ont été caractérisées au cours de ces dernières années, et on considère actuellement qu’elles correspondent à la combinaison de plusieurs mécanismes incluant la diminution de la longueur des télomères, l’accumulation de dommages à l’ADN et une modification de facteurs régulant le cycle cellulaire. Les travaux sur la réplication des télomères ont permis de mettre en évidence le rôle de la télomérase dans le maintien de l’immortalité cellulaire. L’expression de la télomérase dans des cellules normales permet de contrecarrer l’induction de la sénescence en maintenant la longueur des télomères. La découverte plus récente que certains oncogènes et des gènes

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suppresseurs de tumeurs pouvaient moduler l’entrée en sénescence a montré que la sénescence avait une fonction générale de barrière anticancéreuse. Enfin, un certain nombre d’études ont montré que les agents utilisés en chimiothérapie induisant des dommages à l’ADN provoquent aussi bien l’apoptose que la sénescence, et un certain nombre de thérapeutiques visant à rétablir ces mécanismes émergent actuellement.

Caractéristiques de la sénescence réplicative Le terme de sénescence cellulaire a été introduit afin de décrire un arrêt de la croissance permanent mais viable de fibroblastes primaires suite à plusieurs cycles de division en culture (environ 40 à 50 divisions) [1]. Des cellules en culture sont capables de se multiplier rapidement jusqu’à une limite dite « limite de Hayflick » à partir de laquelle les cellules se divisent de plus en plus lentement jusqu’à un arrêt du cycle cellulaire en G1, connu sous le nom de sénescence réplicative [2, 3]. Les cellules sénescentes acquièrent des caractéristiques morphologiques différentes des cellules normales telles que noyau et cytoplasme qui sont plus volumineux, forme aplatie, richesse en lysosomes, des modifications des enzymes de la matrice et de la production de facteurs paracrines qui affectent la survie et la croissance des cellules voisines [4, 5]. Cet état est également associé à de nombreux changements du métabolisme cellulaire, notamment une

A

C

activité accrue de l’activité β-galactosidase acide (SA-β-galactosidase) qui possède une activité optimale à pH : 6,0 (figure 1). L’activité SA-β-galactosidase est le marqueur de la sénescence le plus utilisé in vitro et in vivo. L’expression des protéines p21 et p27 qui contrôlent le cycle cellulaire est augmentée lors de la sénescence, et ces marqueurs sont souvent plus utilisés pour l’étude des modèles in vivo que l’expression de SA-β-galactosidase. L’expression de γ-H2AX phosphorylée qui témoigne de dommages à l’ADN est aussi augmentée au cours de la sénescence. L’ensemble de ces marqueurs ne permet de déterminer avec certitude l’apparition de la sénescence que s’ils sont associés à une réduction de la prolifération.

La dysfonction des télomères induit la sénescence réplicative Le lien théorique entre la sénescence et la machinerie de réplication de l’ADN est apparu dans les années 1970. Watson et Crick remarquent que le système de réplication de l’ADN récemment décrit [6] ne peut pas répliquer complètement l’extrémité de chromosomes linéaires. Les ADN polymérases fonctionnent dans la direction 5’ vers 3’ et utilisent une amorce ARN. En conséquence, la fin de l’extrémité des chromosomes ne peut pas être répliquée complètement, et Watson et Crick appelèrent ce phénomène end replication problem. En théorie, si les cellules ne possèdent pas de système enzymatique pour compenser cette particularité, les chromosomes doivent raccourcir à chaque

Modifications morphologiques SA-β-galactosidase → p53, p21, p16 et ARF → foyers de dommages à l’ADN (P-γH2AX)

B

Figure 1. Caractéristiques des cellules sénescentes. Cellules tumorales non sénescentes (A) et cellules normales fibroblastiques sénescentes (B). Les cellules sénescentes montrent une morphologie modifiée et une expression d’activité SA-β-galactosidase (coloration bleue). L’illustration (C) montre les principales caractéristiques de la sénescence, les modifications biochimiques et les marqueurs moléculaires associés à la sénescence.

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Cellules germinales

ss

le

Activation de la télomérase

iq

at om

s

ue

Instabilité génétique modérée Instabilité génétique forte

ale

s

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Longueur moyenne des télomères (kb) llu

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dans des cellules dépourvues d’activité télomérase (figure 2) [13, 14]. Au contraire, dans les cellules germinales, l’activité télomérase est présente, et la longueur des télomères est maintenue. L’expression d’oncogènes viraux dans les fibroblastes (par exemple, l’antigène T de SV40) permet à une fraction des cellules de passer l’étape de sénescence. Au cours de cette phase de longévité augmentée des cellules, les télomères continuent à se raccourcir, et la population cellulaire atteint l’étape de la « crise » au cours de laquelle la majorité des cellules meurt (figure 2). Une petite fraction cellulaire survit à condition d’activer l’expression de la télomérase et donc de maintenir la longueur des télomères [15]. Ces cellules devenues immortelles ont franchi une des barrières contrôlant la transformation tumorale. L’activité télomérase est effectivement détectable dans environ 85 % des tumeurs humaines [16]. Des études ultérieures mettront en évidence un mécanisme alternatif (alternative telomere lengthening) qui fait intervenir des recombinaisons entre les télomères en l’absence de l’activité télomérase pour maintenir la longueur des télomères [17]. Chez l’homme, les expériences qui ont montré que le raccourcissement des télomères induisait la

Ce

cycle de division. Cette érosion devrait raccourcir les télomères et les gènes les plus adjacents au fur et à mesure des divisions. Environ à la même époque, Olovnikov trouva le lien entre le problème de la réplication terminale et la sénescence cellulaire décrite par L. Hayflick [7]. Il proposa que le raccourcissement répété de l’extrémité de l’ADN à chaque cycle de division pouvait expliquer pourquoi les cellules normales ne pouvaient se diviser qu’un nombre limité de fois. Ce raccourcissement de l’ADN dans les cellules normales jouerait le rôle d’une « horloge mitotique » qui contrôlerait ainsi l’activité de prolifération des cellules normales. C’est dans ce contexte qu’Elizabeth Blackburn découvrit, en 1978, que les télomères de Tetrahymena thermophila protégeaient l’extrémité des chromosomes de la dégradation et qu’ils étaient constitués par la répétition d’une séquence hexamérique de type TTGGGG [8]. Le rôle fondamental des télomères a été par la suite étudié dans la levure par Szostak et Blackburn [9]. La présence d’un ADN télomérique de cilié à l’extrémité d’un fragment d’ADN permet la stabilité de ce fragment chez la levure Saccharomyces cerevisiae et sert de matrice pour la synthèse de novo d’un télomère de levure. La découverte par Greider, étudiante dans le laboratoire d’E. Blackburn, du système enzymatique permettant l’addition de séquences télomériques chez le cilié intervient plus tard en 1985 [10]. La télomérase fut d’abord appelée telomere terminal transferase. C’est un complexe ribonucléoprotéique qui comprend une sous-unité protéique (TERT) qui possède l’activité catalytique et est associé à une sous-unité d’ARN (TR) contenant le motif CCCCAA qui sert de matrice pour synthétiser les répétitions télomériques. Ces travaux ont permis de montrer que les répétitions télomériques sont conservées dans l’arbre évolutif des eucaryotes et qu’il existe un mécanisme commun pour assurer leur maintien [11]. Le lien direct entre l’induction de la sénescence et le raccourcissement des télomères a tout d’abord été démontré chez la levure par J. Szostak au début des années 1990. Un criblage génétique a permis de sélectionner des mutants déficients pour l’allongement des télomères et d’identifier les gènes EST (Even Shorter Telomere) [12]. En parallèle, une étude de la longueur des télomères dans des fibroblastes humains permet de relier la limite de Hayflick à l’érosion des télomères

or

m

Limite de Hayflick

Δ p53

u st

le

llu

Ce

Crise

Sénescence

Crise

Divisions cellulaires

Figure 2. Représentation schématique de l’horloge mitotique des télomères. Dans les cellules germinales, la télomérase est active et la taille des télomères est maintenue à chaque division. L’absence de télomérase dans les cellules somatiques provoque un raccourcissement progressif des télomères à chaque mitose. Lorsque les télomères ont atteint une taille critique (limite de Hayflick), les cellules rentrent en sénescence et arrêtent de se diviser. L’inactivation de p53 ou de Rb permet d’échapper à la sénescence réplicative. L’érosion télomérique se poursuit au fur et à mesure des divisions jusqu’à la crise où la majorité des cellules meurent. L’émergence de cellules immortelles s’effectue si un mécanisme de maintien des télomères est activé. Dans 85 % des cas de tumeurs humaines, il s’agit de la télomérase, et dans les 15 % restant il s’agit du mécanisme ALT basé sur la recombinaison homologue entre les télomères.

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sénescence ont été réalisées en 1998. La transfection de cellules normales humaines par l’ADNc de la télomérase (hTERT) a permis d’obtenir des lignées immortelles n’atteignant jamais la limite de Hayflick [18]. Chez la souris, l’inactivation par knock-out du composant ARN de la télomérase aboutit après six générations à un phénotype de vieillissement associé à une diminution de la longueur des télomères, une instabilité génétique, une infertilité, une diminution de la durée de vie et une augmentation de la fréquence d’apparition de tumeurs spontanées lorsque p53 est aussi déficient [19]. Un certain nombre de maladies génétiques associées à des mutations dans les composants de la télomérase ont été mises en évidence (hTERT, hTR, DKC1 et d’autres protéines associées au complexe) [20]. Ces mutations provoquent un dysfonctionnement des télomères et conduisent à des défauts de prolifération de certains types cellulaires et sont associées à des syndromes d’aplasie médullaire et à des fibroses de tissus pulmonaires, hépatiques ou cardiaques. Les formes les plus graves sont observées dans le syndrome de dyskératose congénitale et le syndrome de Hoyeraal-Hreidarsson qui résultent de mutations du gène DKC1 [21]. Des formes hétérozygotes de mutations de hTR et de hTERT contribuent à des formes moins sévères dues à une haplo-insuffisance et peuvent être traitées par l’utilisation d’hormones sexuelles qui augmentent l’activité transcriptionnelle de hTERT et donc l’activité télomérase.

Télomères et oncogenèse Un certain nombre d’expériences critiques ont été réalisées à la fin des années 1990 et ont montré le rôle de hTERT dans l’oncogenèse. En introduisant la télomérase dans des lignées normales, on aboutit plus facilement à un phénotype transformé et on favorise l’oncogenèse induite par l’antigène T de SV40 et l’oncogène Ras in vivo [22]. À l’inverse, l’introduction d’un dominant négatif de hTERT dans des cellules tumorales induit une réversion du phénotype tumoral associée à une diminution de la longueur des télomères [23]. L’activité télomérase procure à la cellule un potentiel réplicatif illimité et est considérée comme une des six altérations essentielles nécessaires à la croissance tumorale [24].

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Des relations entre le risque de cancer et le raccourcissement des télomères ont aussi été établies [20]. Ce risque est élevé chez les patients atteints de dyskératose congénitale avec une forte prédisposition pour les cancers ORL et la leucémie myéloïde chronique. Des télomères courts semblent prédire la progression en adénocarcinome d’une ulcération chronique gastro-intestinale. De plus, des études de génomique associent des polymorphismes du locus de hTERT comme facteurs de susceptibilité pour plusieurs types de cancers [25].

Les télomères sont reconnus comme des dommages de l’ADN pendant la sénescence réplicative Les télomères sont composés d’une région double brin comportant la répétition du motif télomérique GGGTTA, prolongé par un ADN simple brin riche en guanines (brin G) [26]. Ils sont associés à six facteurs protéiques (TRF1, TRF2, RAP1, TIN2, TPP1 et POT1) formant un complexe protecteur (shelterin ou télosome) qui contrôle la structure, la réplication et le recrutement de nombreuses protéines associées comme les facteurs de réparation des dommages de l’ADN (figure 3) [27]. Le brin G, de par sa richesse en guanines, peut adopter in vitro une structure en quadruplex de guanines (G4) peu propice à la fixation de la télomérase [28]. Le brin G télomérique peut aussi envahir le duplex télomérique (D-loop) en formant une boucle que l’on appelle la t-loop qui protège le chromosome des fusions télomériques en séquestrant le brin G (figure 3) [29]. Au cours de la phase S, la t-loop doit être « résolue » pour permettre l’extension du brin G par la télomérase et la réplication des télomères. Les télomères ont pour fonction de protéger les extrémités des chromosomes et d’éviter les phénomènes de fusion en empêchant la machinerie de réparation de l’ADN de les reconnaître comme une cassure de l’ADN [27]. Le complexe shelterin permet à la cellule de discriminer entre les cassures du génome devant être réparées et l’extrémité chromosomique devant être protégée. Les protéines TRF2 et POT1 de ce complexe qui reconnaissent respectivement la répétition double brin et l’extension simple brin (brin G) sont capables de réprimer les deux voies de réponse aux dommages à l’ADN : la voie NHEJ et la voie HR Bull Cancer vol. 97

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TIN2

Complexe « Shelterin » TPP

1

A

POT1

Simple brin télomérique

T T TTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGG-5’ R R AATCCCAATCCCAATCCCAATCCCAATCCC-3’ F F 1 2

TIN2

TPP 1

POT1

T TTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGGTTAGGG-5’ T R AATCCCAATCCCAATCCCAATCCCAATCCC-3’ R F 1

RAP1

F 2

RAP1

Complexe « shelterin »

B ATM

ATR

Chk2

Chk1

NHEJ

HR

5’ 3’ T-loop

C 3’3’

5’ G-quadruplexe

Figure 3. Structures de l’extrémité des télomères. A. L’extrémité des télomères est protégée par le complexe shelterin qui comprend les protéines TRF1 et TRF2 fixant le double brin télomérique, la protéine RAP1 associée à TRF1, la protéine POT1 fixant le simple brin et les protéines adaptatrices TIN2 et TPP1 qui font la jonction entre le simple brin et le double brin. B. Structure en t-loop dans laquelle le simple brin envahit le double brin télomérique. C. Stucture en quadruplexe de guanine formée au niveau du simple brin télomérique.

(figure 4). La perte de TRF2 au niveau de l’extrémité des télomères conduit à l’activation de la voie NHEJ par la signalisation d’ATM et de Chk2 [27]. La perte de POT1 conduit à l’activation de la voie HR par la signalisation d’ATR et de Chk1. Lorsque les télomères atteignent une longueur critique ou lorsque la coiffe des télomères est altérée, l’extrémité des chromosomes devient exposée. Dans le cas de fibroblastes humains en culture, le brin G télomérique est perdu à l’approche de la sénescence, ce qui empêche la formation de la structure correcte de protection des télomères, la tloop [30]. Un certain nombre de travaux ont montré l’accumulation de dommages de l’ADN sous la forme de foyers d’histone γH2AX phosphorylée, ainsi que d’autres protéines intervenant dans la réparation de l’ADN, comme 53BP1 et BRCA1 [31]. Ces foyers de dommages se colocalisent au niveau des extrémités télomériques et peuvent persister durant des mois après l’entrée en sénescence. La signalisation de cette réponse conduisant à la sénescence, bien que non complètement élucidée, présente une forte similarité Bull Cancer vol. 97

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Réponse aux dommages de l’ADN

Figure 4. Le complexe shelterin contrôle la réponse aux dommages de l’ADN et empêche l’extrémité des télomères d’être reconnue comme un dommage. TRF2 réprime la voie ATM qui conduit à la recombinaison non homologue (NHEJ), et POT1 réprime la voie ATR qui conduit à la recombinaison homologue (HR).

avec la signalisation conventionnelle de l’arrêt de croissance. Le signal de dommage initial est détecté par les kinases ATM/ATR qui activent la voie p53, directement ou indirectement par les kinases Chk1/Chk2. L’activation de p53 va à son tour activer p21 qui interfère avec les CDKs, ce qui conduit à l’arrêt du cycle et à l’induction de sénescence. La sénescence réplicative a pour but de protéger l’organisme de l’apparition de cancers en empêchant les cellules de réaliser un trop grand nombre de divisions cellulaires. En effet, le raccourcissement des télomères provoque une augmentation de la recombinaison non homologue conduisant à des fusions chromosomiques, ce qui peut favoriser l’activation de voies oncogéniques si les cellules passent la sénescence.

Autres voies d’induction de la sénescence La sénescence peut être également induite par d’autres facteurs que l’érosion des télomères. Ces facteurs sont

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synthétisés en réponse au stress oxydatif, aux radiations ionisantes, aux UV, à l’expression d’oncogènes (voir paragraphe suivant) et aux traitements par des agents anticancéreux [32]. En effet, à des doses non toxiques n’induisant pas l’apoptose, certaines molécules peuvent conduire des cellules traitées par ces agents à la sénescence après plusieurs divisions cellulaires [33]. L’ensemble de ces stimuli provoque une sénescence prématurée, appelée aussi « sénescence accélérée », qui est observée avec les mêmes caractéristiques biochimiques et morphologiques que celles de la sénescence réplicative. Pour l’ensemble de ces facteurs induisant la sénescence, on parle de sénescence extrinsèque, par opposition à l’érosion télomérique qui forme la sénescence intrinsèque (figure 5). Dans le cas des cellules humaines en culture, les agents utilisés en chimiothérapie induisent souvent une réponse cellulaire dose-dépendante qui conduit à la sénescence pour des concentrations faibles ou modérées et à l’apoptose à de plus fortes concentrations. En clinique, la régression des tumeurs induite par la chimiothérapie ne peut pas s’expliquer uniquement par la réponse apoptotique que l’agent utilisé provoque au niveau de la tumeur. En effet dans bien des cas, la régression tumorale n’est pas associée avec des marqueurs d’apoptose, et il est vraisemblable que l’induction de la sénescence joue un rôle non négligeable. Quelques études montrent la présence de marqueurs de sénescence dans des biopsies de tumeurs du poumon ou du sein chez des patients traités dont la tumeur est en régression [34, 35]. L’ensemble des études effectuées indique aussi que la sénescence

Sénescence extrinsèque = Sénescence accélérée

Dommages de l’ADN

Oncogènes

Suppresseurs de tumeurs

Radiations, UV, H2O2, chimio

Ras, Raf, E2F, Akt

P53, ARF, INK4A

Sénescence intrinsèque = Sénescence réplicative Erosion télomérique

Figure 5. Sénescence intrinsèque déclenchée par l’érosion télomérique et sénescence extrinsèque déclenchée par différents stimuli : dommages de l’ADN, oncogènes et gènes suppresseurs de tumeurs.

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induite par chimiothérapie ou radiothérapie n’affecte pas la longueur des télomères et donc ne correspond pas à une sénescence réplicative induite indirectement par ces traitements [32]. Cependant, les molécules ciblant l’ADN G-quadruplex télomérique, que l’on peut considérer comme des agents induisant un dommage ciblé de l’ADN au niveau des télomères, provoquent une déstabilisation de la structure des télomères ou un raccourcissement des télomères dont le mécanisme rejoint celui déclenché par la sénescence réplicative [36-39].

La sénescence comme barrière anticancer Il y a un peu plus d’une dizaine d’années, un phénotype similaire à celui de la sénescence a été observé lors de la surexpression d’une version mutée et oncogénique de HRAS dans des cellules normales [40]. Les cellules normales exprimant ce haut niveau de protéine oncogène n’augmentent pas leur niveau de prolifération mais au contraire stoppent leur division et montrent des modifications morphologiques et moléculaires identiques à celles observées lors de la sénescence réplicative. Deux gènes suppresseurs de tumeurs, INK4A et ARF, sont surexprimés dans ces cellules sénescentes et sont responsables de l’arrêt du cycle cellulaire. Ce travail a permis de faire émerger le concept de sénescence comme mécanisme de suppression de tumeur. Plusieurs séries de travaux ont été réalisées dans des modèles murins et montrent la présence de marqueurs de sénescence dans les états prétumoraux et leur absence dans les tumeurs malignes. Chez l’homme, on retrouve aussi la sénescence dans certaines tumeurs humaines, comme par exemple dans les naevi en association avec la présence de BRaf oncogénique, dans des neurofibromes en association avec des mutants du gène NF1 et dans des adénomes de la prostate lors de l’inactivation de PTEN [41, 42]. La présence de la sénescence est aussi observée dans des adénomes non malins du côlon, mais dans ce cas aucun marqueur oncogénique spécifique associé à la sénescence n’a été décrit. La présence de cellules sénescentes dans une large fraction des stades tumoraux précoces expliquerait la croissance lente et le caractère peu malin de ces Bull Cancer vol. 97

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tumeurs, et l’ensemble des données suggère que la sénescence joue un rôle de barrière au cours de la progression tumorale. Le rôle de barrière anticancer de la sénescence a été établi grâce à l’étude de gènes suppresseurs de tumeurs (p53, INK4A et ARF) dont l’activation induit ou est associée à la sénescence [43, 44]. En effet, leur perte ou la mutation de ces gènes est souvent associée avec une incapacité d’entrée en sénescence et une progression tumorale accélérée. On peut aussi distinguer deux types de gènes suppresseurs en fonction de leur action vis-à-vis de la sénescence (figure 6). Le premier type agit en amont de facteurs oncogènes, et régule négativement leur fonction, et a pour conséquence de bloquer la sénescence (PTEN, VHL, NF1 et RB). Le second type agit en aval de la signalisation oncogénique et inhibe l’induction de sénescence (p53, INK4A et ARF). Les gènes suppresseurs en amont préviennent de façon constitutive une signalisation oncogénique excessive. La perte de ces gènes produit une activation oncogénique qui induit secondairement la sénescence. Les gènes suppresseurs en aval sont normalement inactifs, mais deviennent actifs en cas de stimuli oncogéniques excessifs et induisent la sénescence. La perte de ces facteurs empêche la sénescence et provoque la progression tumorale [45]. Les tumeurs malignes, malgré la perte de leur capacité d’induction de la sénescence, peuvent néanmoins être

Suppresseurs de tumeurs qui bloquent les oncogènes PTEN, VHL, NF1 et RB

Oncogènes PI3K, HIF1a, Ras et E2F

Suppresseurs de tumeurs qui induisent la sénescence P53, INK4A et ARF

perte Activation d’oncogène

activation

perte

Tumeurs qui engagent la sénescence

Bloque la sénescence et permet la progression tumorale

Sénescence

Figure 6. Les suppresseurs de tumeurs peuvent être séparés en deux catégories en fonction de leurs effets sur la sénescence. Bull Cancer vol. 97

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redirigées vers la sénescence si les facteurs de suppression tumorale sont restaurés [43, 44]. Chez la souris, des tumeurs induites par l’inactivation de p53 régressent pour une large part grâce à l’induction de sénescence lorsque p53 est restaurée. La réactivation de p53 affecte sélectivement les cellules tumorales et non les cellules normales et s’accompagne d’une réponse du système immunitaire. Ces travaux ont abouti à un nouveau concept de thérapie ciblée visant à restaurer les fonctions de p53 et la sénescence dans les tumeurs. Des molécules capables d’empêcher la fixation de p53 à MDM2 ou de réactiver un mutant de p53 en modifiant sa conformation protéique sont actuellement en cours d’études précliniques et cliniques (pour une revue, voir [46]). Enfin, il a été montré que les cellules sénescentes possèdent une capacité de sécrétion importante connue sous le nom de senescence-associated secretory phenotype (SASP) qui produit des cytokines, des chimiokines et des enzymes de remodelage de la matrice extracellulaire [45]. Cette activité SASP aurait pour fonction de stimuler l’élimination des cellules sénescentes par le système immunitaire, mais pourrait aussi produire un effet de proximité qui renforcerait localement l’induction de sénescence.

Conclusion La sénescence réplicative et la sénescence accélérée peuvent être considérées comme une réponse cellulaire qui vise à contrôler le stress oncogénique et le stress réplicatif de la cellule. L’érosion des télomères et la sénescence accélérée définissent un mécanisme suppresseur permettant de contrôler la progression tumorale en limitant la prolifération cellulaire [47]. Le ciblage de sénescence seule suffit à provoquer la régression tumorale dans des modèles expérimentaux chez l’animal et pourrait correspondre à une part importante de la réponse à la chimiothérapie antitumorale. Le ciblage thérapeutique de la sénescence, soit en provoquant la déstabilisation des télomères, soit en réactivant les fonctions de gènes suppresseurs comme p53, est actuellement en cours d’évaluation. Cependant, un point critique devra être élucidé avant l’utilisation chez le patient de ces thérapeutiques. Il est indispensable de savoir si la sénescence correspond réellement à une forme d’arrêt

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de croissance irréversible de la cellule plutôt qu’à un refuge temporaire pour des cellules tumorales dormantes qui peuvent éventuellement retrouver une capacité de prolifération sous l’action d’un stimulus extérieur.



Remerciements. Chantal Trentesaux et Jean-François Riou sont soutenus financièrement par la Ligue nationale contre le cancer, Équipe labellisée 2010. Conflits d’intérêts : aucun.

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