FAIT CLINIQUE
M#decine etMaladies Infectieuses .-:,1988 -- 6 / 7 - 334 ~336
S E P T I C E M I E S A Y'ERSINIA ENTEROCOLITICA. A proDos d'un cas chez un malade diabetique et cirrhotique * par E. ESTRANGIN**, R. ASSADOURIAN***, Y. PELOUX**, C. GULIAN**** et C. BOLLET****
RESUME
Les auteurs rapportent un cas de septicomie a Yersinia enterocofitica chez un malade diabetique et cirrhotique. Cette cause d'immunodepression n'a ote que tres rarement signalee a rorigine d'une telle affection. A cette occasion, une etude serologique complete, en insistant sur les reactions croisees, a 6t6 effectuee chez ce rnalade. La guerison a 6te faeilement obtenue avec une biantibiotherapie associant dibekacine et cofotaxime. Mots-cles : Yersinia enterocofitica depression.
Les septic~mies fi Yersinia enterocoIitica sont des affections peu fr~quentes, rencontr~es essentiellement chez les sujets dont l'immunit~ est d~ficiente, par exemple ceux pr6sentant une cirrhose alcoolique, une h~moglobinopathie, une h~mochromatose, un diab~te, un cancer ... mais ~galem e n t les h~modiatys~s. Nous aeons observ~ un cas tout ~ fail particulier puisqu'il concerne un sujet la fois diab~tique et cirrhotique.
OBSERVATION Monsieur A.R..., ancien l~gionnaire de 65 ans, est hospitalis~ d~but janvier pour perte de connaissance brutale ; une hyperthermie & 39°C est alors d~cel~e. Dans ses ant6c6dents on note : des crises palustres, une tuberculose pulmonaire, un diab~te insulino-d~pendant, une cirrhose alcoolique a y a n t Conduit ~ une intervention de d~rivation porto-cave. Quelques jours apr~s son hospitalisation les signes pr~sent~s font d'abord penser *Re~u le 23.3.1988. Acceptationd~finitivele 31.3.1988. **Facult6 de M6decine,Laboratoire de Bact~riologie,Avenue Jean Moulin,F-13385 Marseillecbdex5. ***H6tel Dieu, Chirurgie digestive, 6 place Daviel, 13002 Marseille. ****H6pital Salvator, Laboratoire de Microbiologie, 249 cheminde Ste. Marguerite, 13009 Marseille.
Septicemie
Diabete - Cirrhose - Immuno-
h une embolie pulmonaire. La fi~vre persistant, des hdmocultures sont demand~es et p e r m e t t e n t l'isolement (dans 3 h~mocultures) de Yersinia enterocolitica : le diagnostic de septic6mie est alors pos~. La recherche de ce germe dans les selles est n6gative ; il n'y a ni troubles du transit, ni douleurs ~ la mobilisation articulaire. La courbe d'~volution des anticorps anti-Yersinia enterocolitica est suivie grfice h trois s~ro-diagnostics. Le bilan h6matologique pratiqu~ le l e r f6vrier montre une an~mie mod~rae, macrocytaire avec hyperleucocytose ~ polynucl~aires neutrophiles. Le b i l a n r~nal est correct. Des hypoglyc~mies it6ratives sont le t~moin d'une mauvaise ~quilibration du diab~te. Le malade revolt ~ partir du 30 janvier une biantibioth~rapie : dib6kacine et c6fotaxime. Le traitement est interrompu le 9 mars : le malade est alors apyr6tique. Un contrSle bact~riologique est effectual quelques jours plus tard : la recherche de Yersinia dans les h~mocultures et dans les selles est n~gative. La septic6mie est jugul~e, le malade sort de l'hSpital le 18 mars.
ETUDE B A C T E R I O L O G I Q U E ET SEROLOGIQUE Les caract~res biochimiques des souches isol~es des trois h~mocultures nous ont conduit au
334~:
diagnostic de Yersinia enterocolitica, chimiotype 2, s6rotype 0:9, lysotype X3. Les s6ro-diagnostics de Yersinia enterocolitica 0:3 et 0:9 ont 6t6 pratiqu6s en agglutination directe, selon la technique en microm6thode indiqu6e p a r Wauters (16, 18). A titre documentaire, un s6r0-diagnostic de Wright a 6t6 pratiqu6 dans des Conditions identiques. Pour chaque s6rum, un 6chantillon normal (N)et u n 6chantillon trait6 au 2:mercapto-6thanol (2 Me) ont 6t~ engag6s (12, 13). L e s rdsultats sont mentionn6s dans le tableau I.
dans la tranche d'~ge la plus souvent atteinte (40 h 70 ans). Le tableau clinique des septic6mies h Yersinia enterocolitica n'a rien de sp6cifique, seuls l'isolement et l'identification de la Yersinia dans les h6mocultures permettent, comme dans 'notre cas, de poser le diagnostic. Le nombre de septic6mies h Yersinia enterocolitica s'accroit d'ann6e en ann6e, cela est probablement li6 ~ une particularit6 du germe : sa sdlection est favoris6e par des temp6ratures < 10°C d'ofi une pr6dominanee dans les v6g6taux conserv6s au froid (9).
TABLEAU I
Jusqu'en 1970 le taux de mortalit6 des septic6mies h Yersinia enterocolitica 6tait de 50 %, il est actuellement de 25 % en Europe de l'Ouest et en Am6rique du Nord (17) ; il est de 40 % chez les cirrhotiques et les immuno-d6prim6s graves, alors qu'il n'est que d'environ 10 % pour les diab6tiques, les thalass6miques ou les malades atteints d'h6mocromatose (11).
Cin6tique des anticorps du patient
Y.E 0:9
Y.E 0:3
Wright
N
2Me
N
2Me
N
2Me
1280
160
160
40
40
0
2~ s6rum (9 f~vrier)
2560
1280
640
640
80
0
3~ s6rum (9 mars)
640
640
320
320
0
0
ler s6rum
(25janvier) Au point de Vue bact6riologique, la souche iso16e ici est du type "4/3/VIII", le plus fr6quemment isol6 chez l'homme en Europe. Nous avons suivi l'6volution des anticorps, bien que le diagnostic d'une septicdmie ~ Yersinia enterocolitica repose essentiellement sur l'h6moculture, l'6tude s6rologique n'ayant 6t6 que rarement pratiqu6e dans ces septic6mies. La m6thode d'agglutination que nous avons employ6e est, comme la majorit6 des r6actions d'agglutination directe, fortement influenc6e par les IgM, moins par les IgG. Un s6rodiagnostic positif dont le taux est stable avec le sdrum trait6 au 2 Me implique qu'il s'agit des IgG. A l'inverse, un s6rodiagnostic ndgatif avec le s6rum trait6 alors qu'il 6tait positif avec le s6rum non trait6 signe la pr6sence d'IgM : infection r6cente par cons6quent, ce qui est le cas de notre observation. L'interpr6tation de la s6rologie est souvent difficile en raison des r6actions crois6es existant entre les Yersinia du s6rotype 0:9 et toutes les Brucella (1, 6, 14). Chez un brucellique le test de Wright et la s6rologie de Yersinia enterocolitica 0:9 ont des titres h peu pr6s similaires qui 6voluent parall61ement. Un malade atteint de Yersiniose pr6sente 6galement des anticorps anti-Brucelia mais ~ un taux moindre : ces diff6rences d'in tensit6 de r6ponse immunologique peuvent s'expliquer par les travaux d'Hurvell qui montrent que l'antig~ne commun est beaucoup plus a b o n d a n t chez les BruceUa que chez les Yersinia (6).
Les r6sultats sont exprim6s en nombre inverse de la dilution. N = 6chantillon de s6rum non trait6. 2 Me = dchantillon de s~rum traitd au 2-mercapto-6thanol On assiste h une mont6e d'anticorps tr~s importante au cours du 2~me mois. Les IgM ne sont pr6sentes que dans les deux premiers 6chantillons de s6rum. On notera que les titres observ6s pour le s6ro-diagnostic de Wright sont peu 61ev6s et ne concernent que les IgM.
COMMENTAIRES
Les septic6mies h Yersinia enterocolitica sont graves, peu fr6quentes et surviennent dans 75 % des cas sur un terrain particulier (2, 4, 10, 8, 9, 11, 15, 17). Notre malade associe deux facteurs pr6disposants (le diab~te et la cirrhose alcoolique) lesquels sont 6galement retrouv6s dans un cas (le seul notre connaissance) publi6 par Bouza et coll. (3) dans une liste de 50 septic6mies recens6es en 1980. I1 est, de surcroit, un homme fig6 de 65 ans, donc 335
en particulier les c~phalosporines de 3~me g~n~ration, l'imipdnbme ou l'association d'une carb0xyp~nicilline et d'un inhibiteur de b~ta-lactamases pourraient amener & recommander ces antibiotiques en th~rapeutique (6, 7, 17, 5). Cependant leur totale inefficacit~ chez l'animal (16) ne permet pas de les utiliser avant que de nouveaux r6sultats ne soient obtenus. Notre observation n'apporte pas d'~l~ment de r~ponse puisque le c6fotaxime a ~t~ associ6 &un aminoside ; or, les antibiotiques de ces families, classiquement utilis6s dans les infections Y. enterocolitica restent trbs efficaces.
L'antibiogramme pratiqu~ sur notre souche a montr~ qu'elle 6tait sensible aux antibiotiques classiquement actifs sur les bacilles & Gram n~gatif, & l'exception des anciennes B6ta-lactamines. Ces r~sultats sont en accord avec la sensibilit6/r~sistance de l'esp~ceYersinia enterocolitica connue depuis 1971 : r~sistance ~ •Vampicilline, &l a c~falotine et aux mol6cules apparent6es et sensibilit~ aux autres antibiotiqueS actifs surbacilles & Gram n~gatif hormis de rares Souches multir~sistantes (origine plasmidique). •Les excellents r~sultats obtenus in vitro avec les nouvelles b~ta lactamines,
YERSINIA ENTEROCOLITICA S E P T I C E M I A : A case report in a patient with diabetes melitus and cirrhosis
SUMMARY
The authors report a case of septicemia due to Yersinia enterocolitica with diabetes and cirrhosis. This cause of immunodepression is seldom reported as a predisposition for •this disease. On this occasion a complete serological study, insisting upon the crossreactions was performed with this patient. Recovery was easily achieved using a dibekacin cefotaxim combination. Key-words
: Yersinia enterocolitica
- Septicemia
Diabetes
Cirrhosis
Im-
munodeficience. BIBLIOGRAPHIE
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