SOCIETE MEDICO-PSYCHOLOGIQUE : SEANCE DU LUNDI 26 JANVIER 2004

SOCIETE MEDICO-PSYCHOLOGIQUE : SEANCE DU LUNDI 26 JANVIER 2004

Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 777–785 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Erratum Société Médico-Psychologique : séance du lundi 26...

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Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 777–785 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

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Société Médico-Psychologique : séance du lundi 26 janvier 2004 Disponible sur internet le 8 octobre 2004

Présidence : Docteur Jean-Pierre Luauté, président sortant, professeur Georges Lantéri-Laura, nouveau président Le Docteur Jean-Pierre Luauté, président, ouvre la séance à 14 heures 45. Assemblée générale Allocution du Président sortant, le Dr Jean-Pierre Luauté Mes chers collègues M’ayant donné l’insigne honneur de présider pendant un an notre société, vous me fournissez aujourd’hui, avec cette allocution de clôture, un privilège rare : une tribune où, selon la tradition, chaque président délivre « pour la postérité » son point de vue sur un sujet de son choix concernant notre profession. Le propos est libre et non contradictoire. J’essaierai de ne pas en abuser. En donnant mon sentiment sur le bilan de l’année écoulée, et en complétant ce que le Pr Allilaire vous en a dit lors de l’assemblée générale, je voudrais d’abord le remercier sincèrement pour la confiance et l’amitié qu’il m’a témoignées en m’encourageant, notamment dans mes initiatives, ainsi celle d’inviter pour une conférence François Dagognet dont l’œuvre épistémologique, dans la tradition de celles de Bachelard et de Canguilhem, honore la philosophie française. Laissé libre de son sujet il a choisi de nous parler d’Art, son domaine actuel de réflexion. Sa conférence, brillante, fut suivie avec attention et suscita de nombreuses questions. Une auditrice libre que j’avais invitée me confia par la suite son intérêt pour les propos du conférencier mais plus encore pour la qualité des interventions qui suivirent. « Il a trouvé à qui parler » conclut-elle. Elle connaissait le milieu psychiatrique, mais ne se doutait pas de l’étendue des compétences et des goûts de nos membres. Un autre temps fort fut la séance consacrée au centenaire de Pierre Lôo. Elle nous permit d’entendre plusieurs interventions de grande qualité sur un thème qu’il avait lui-même choisi : le stress. Je retiendrai sa recette pour atteindre le grand âge et dans la forme qui est la sienne. La séance de décembre, avec la remise du prix Baillarger, fut pour moi un moment de bonheur, celui d’entendre, sur la recherche génétique dans la maladie maniacodépressive, un exposé de travaux scientifiques de très grande qualité par un psychiatre encore jeune, le Dr Franck Bellivier, qui est resté en même temps au plus près des réalités clinidoi:10.1016/j.amp.2004.08.005

ques puisqu’il dut même quitter la séance pour prendre une garde, tel Cincinnatus retournant dans son champ après les honneurs. Bien sûr le clou de cette année fut pour moi l’organisation à Lyon, capitale de ma région d’adoption et pôle des neurosciences, de la journée consacrée, dans le cadre du CPNLF, au renouveau de la neuropsychiatrie. Elle a réuni plusieurs membres de notre société que je remercie encore, des collègues et amis et heureusement des intervenants lyonnais… Enfin j’ai été particulièrement heureux d’y accueillir le Pr Hadyn Ellis, de l’université de Cardiff, qui a prononcé en français une conférence, à laquelle j’attachais le plus grand intérêt, sur les « Délires d’identification des personnes ». Ses travaux, menés initialement avec le Pr Andrew Young, de Cambridge, sont directement à l’origine d’un mouvement essentiellement britannique : la neuropsychiatrie cognitive, qui s’inscrit dans le courant actuel néopositiviste, et ce n’est pas sans raison qu’il a éclos dans la patrie de Locke et de Hume. Du fait de la grève des trains, l’audience s’est trouvée, c’est le moins qu’on puisse dire, restreinte. Le Pr Ellis, qui est francophile et connaît très bien nos mœurs, n’a fait aucune remarque et il a heureusement remis son texte, ce qui a permis à un plus grand nombre de prendre connaissance de l’esprit de cette orientation prise par un secteur de la recherche en psychiatrie. Ma carrière hospitalière qui s’est terminée cette année, et qui a été couronnée par cette présidence, s’est déroulée pendant ses trente dernières années sur un seul secteur, si bien que lorsque je me suis demandé de quoi j’allais vous entretenir, j’ai eu la tentation — à partir de mon expérience — de vous tenir une sorte de discours présidentiel sur l’état de la psychiatrie publique en France. Libéré de l’obligation de réserve, j’avais envie de « vider mon sac », de régler quelques comptes, et pas seulement avec l’administration, c’est trop commode, mais avec la psychiatrie elle-même et encore plus avec certains de ceux qui sont supposés la servir. J’y ai, partiellement, renoncé car je reste trop amoureux de celle que je considère comme la reine des disciplines médicales pour fournir, éventuellement, à ses détracteurs des arguments qui pourraient la blesser. Et puis, même si mon expérience sur un seul secteur a été assez prolongée — sans que ceci soit exceptionnel — elle ne me permet nullement d’extrapoler. Néanmoins, comme je nourris de très grandes inquiétudes sur l’avenir de la psychiatrie publique, et notamment sur celle qui se pratique dans les petits hôpitaux généraux où nous étions parvenus à l’implanter, j’ai tenu à signa-

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ler ce qui me paraît le plus préoccupant. Rassurez-vous, je ne vais pas tenir un discours syndical projectif. Je suis de ceux au contraire qui regrettent qu’un syndicalisme dévoyé ait pris en France, et même en psychiatrie, une telle importance. Je ne m’étendrai pas sur le rôle des syndicats dans les affectations, rôle parfaitement abusif si l’on y réfléchit. J’ai fait personnellement l’expérience de ce temps où, quand on avait eu une formation hors norme, il fallait faire allégeance. Cette époque se termine faute d’amateurs pour des fonctions, je pense à celle de chef de service, que l’on a peu à peu vidée de ses prérogatives les plus légitimes. Une anecdote à ce sujet, et quant au rôle que l’État laisse jouer aux syndicats dans la conduite de sa propre politique. Il y a quelques années j’ai eu, comme tous mes collègues chefs de service, la surprise d’apprendre que je ne faisais plus partie, ès qualités, du Conseil Départemental de Santé Mentale, car ses membres étaient dorénavant choisis en fonction de leur appartenance syndicale. J’ai eu beau tempêter, dénoncer une dérive ouvriériste qui allait aboutir à des querelles intersyndicales ou à un front commun, rien n’y a fait et j’ai donc dû, la mort dans l’âme, m’affilier à un syndicat pour m’entendre répondre qu’il n’était pas suffisamment représentatif ! J’en ai conclu sur le coup que l’administration voulait de la sorte saboter un organisme qu’elle avait pourtant mis en place (je crois savoir que la CDSM ne se réunit plus dans la Drôme). Je pense maintenant que j’avais accordé trop de pouvoir et de machiavélisme à l’administration ; ce que je lui reprocherais, au contraire, c’est sa faiblesse et son impuissance face à des groupes de pression qui veulent imposer leur idéologie. La crise que traverse la psychiatrie publique me paraît être ainsi, et d’abord, la conséquence de cette soumission à l’idéologie, ce démon qui a empoisonné le XXe siècle. L’extension du champ de la psychiatrie à des situations de souffrance sociale en est un exemple caricatural. J’ai lu il y a quelques mois, dans la presse, qu’il fallait mettre en place des cellules d’aide psychologique pour les salariés licenciés. Le constat de base, établi par des syndicalistes et des médecins, c’est que « la violence qui a fait massivement irruption dans l’entreprise » est à l’origine de problèmes psychologiques spécifiques et massifs, voire de suicides. Peut-être, mais je crains que ce soit encore aux psychiatres publics que l’on va demander d’organiser ces cellules et que certains, sans discuter de la validité de ce constat et de ce projet, l’accepteront en se tournant vers l’État pour demander plus de moyens. Ce qui me paraît grave c’est de laisser ainsi exploser la demande (le plus souvent d’écoute) au risque de ne plus pouvoir remplir la mission indiscutable de soins que requiert la présence dans nos secteurs de malades avérés qui eux, bien souvent, ne demandent rien. Je n’insisterais pas en effet si ce « redéploiement » ne se faisait déjà au détriment des cas les plus lourds : je pense à ces grands malades itinérants, parfois dangereux, que leur secteur d’origine ne peut pas ou ne veut pas garder en l’absence de lits disponibles. La réduction drastique du nombre des lits sur le territoire est aussi une conséquence directe d’une thèse antipsychiatrique sommaire, propagée par des psychiatres repentants, et

acceptée avec enthousiasme par l’administration. Que n’ai-je entendu pour avoir voulu, et réussi, à conserver des lits en nombre suffisant et surtout des lits situés dans une structure de type hôpital-village autorisant, pour un certain type de malades, des séjours de durée suffisante. Plus grave s’impose sournoisement l’idée que la psychiatrie n’aurait à se préoccuper que des cas curables, voire des malades compliants, d’où le rejet dont sont victimes les psychopathes. Il n’y a pas de solution simple concernant l’aide à apporter à ces malades difficiles mais le refoulement n’en est pas une. Mon regretté ami le Dr Dabrowski, que la psychiatrie libérale ne tentait plus, avait souhaité exercer dans cette structure psychiatrique traditionnelle dont je parlais. Il s’y était épanoui et y avait créé une société de psychiatrie parodique dont je vous livre la devise : « Mieux vaut soigner des incurables que guérir des biens portants. » Je vais arrêter ici ce genre de discours pour rendre un hommage à l’un des plus éminents représentants de la psychiatrie française (et qui a contribué à son renom) un homme modeste, maintenant mondialement connu par le syndrome qui porte son nom : Joseph Capgras. Son syndrome que j’ai découvert, je l’avoue, dans la presse médicale anglo-saxonne est, comme l’écrivait F. Tosquelles dans son commentaire des deux cas présentés par J. Biéder en 1973, chaque fois « un cas princeps, pour toute approche du fait psychopathologique et de sa complexité ». Les quelques cas rencontrés m’ont ainsi, chaque fois, permis de réfléchir. Outre le fait qu’il s’agit d’une pathologie des confins neuropsychiatriques, le syndrome m’a aussi intéressé par cette remarque faite par Biéder dans sa communication, que les interprétations psychopathologiques qui suivent les observations publiées ne sont souvent que « des applications des grandes doctrines en vigueur, plutôt qu’une réflexion à partir du cas concret ». Sa remarque garde toute sa pertinence. Le syndrome constitue ainsi une sorte de miroir qui garde la trace des tendances théoriques de chaque génération. Capgras lui-même n’y avait pas échappé, car il était tenté par les thèses psychodynamiques naissantes. C’était déjà perceptible dans son premier cas présenté en 1923 avec Reboul-Lachaux. C’était évidemment le cas dans celui présenté devant notre société en 1924, « Illusion des sosies et complexe d’œdipe », ce qui lui valut cette remarque navrée d’Achille Delmas : « Je ne pense pas que l’observation de cette malade puisse entraîner l’adhésion de M. Capgras aux théories de Freud. » On peut comprendre la remarque de Delmas si l’on mesure le fossé qui existe entre « l’illusion des sosies », interprétation 1924, et « les folies raisonnantes » de 1909, ouvrage qui appartient encore au XIXe siècle par la prééminence de la description. Sérieux et Capgras sur les 350 pages et 11 chapitres du livre ne consacraient en effet que 30 pages, en tout et pour tout, au chapitre qu’ils intitulaient « genèse et causes ». Depuis quelques années la réflexion en psychopathologie s’est libérée peu à peu du « parasitage idéologique », selon l’expression de Baechler, et il est significatif que ce soit dans l’ouvrage intitulé Psychanalyse, que reste-t-il de nos amours ? que le physicien Jean Bricmont, coauteur précé-

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demment avec Sokal du fameux canular, ait entrepris de défendre le néopositivisme et l’empirisme (le terme se réfère ici au courant philosophique britannique) en rappelant la nécessité absolue de la preuve. Face à une affirmation, du reste quelconque, Bricmont invite à poser cette simple question : « Quels arguments me donnez-vous pour qu’il soit plus rationnel de croire ce que vous me dites plutôt que de supposer que vous vous trompez ou que vous me trompez ? » Il a beau jeu également de réfuter l’accusation de « scientisme » portée contre la science contemporaine et en particulier contre les neurosciences quand elles s’appliquent aux troubles mentaux, et il met nommément en cause l’une de nos psychanalystes médiatiques qui s’est faite la championne de ces attaques. Sans entrer dans la querelle, j’ai constaté avec regret que dans leur motion finale les participants aux États généraux de Montpellier s’étaient engagés à « rester vigilants face à la fascination du scientisme », ce qui m’a semblé représenter une sorte de gage donné inutilement à l’antiscientifisme ambiant. La fin des idéologies en psychiatrie — si l’on admet que l’administration de la preuve ne pourra jamais en être une — est liée, à mon avis, à l’apparition des nouvelles techniques d’exploration de l’encéphale dont les résultats ont imposé une compréhension nouvelle des troubles dont nous nous occupons. J’en arrive à l’essentiel de ce que je voulais dire. Je vais d’abord commencer par un constat un peu amer que j’ai fait il y a un an. Ayant été élu à la « Médico » pour représenter les hôpitaux psychiatriques, il était de mon devoir, me semblaitil, d’entraîner certains de mes collègues à venir grossir nos rangs en faisant notamment valoir que les communications de cas cliniques y étaient bienvenues. Cette proposition ne rencontra strictement aucun écho. Certes, nul n’est prophète en son pays, mais j’y ai surtout trouvé la confirmation que la majorité des psychiatres du terrain ne s’estiment pas des acteurs possibles de la recherche clinique. Parmi les raisons avancées il y a le manque de temps, l’absence de formation pour des tâches qui seraient dévolues aux universitaires, qui eux, en plus, auraient les moyens, et un obstacle qui paraît, au premier abord, légitime : la difficulté qu’il y a à concilier une approche objectivante avec ce qui fait l’essentiel et la primauté de la psychiatrie sur les autres disciplines, la relation psychothérapique. Pourtant le secteur, on ne l’a pas suffisamment souligné, peut être un formidable outil pour la recherche : celle qui porte sur des cas individuels suivis au long cours. Mais il convient préalablement de réfuter la critique de « l’anecdotisme ». Lecteur de Bachelard, j’avais été mis très tôt en garde contre la séduction de l’observation particulière et colorée. J’en suis revenu, car pourquoi ne pas être séduit quand une observation, prolongée parfois pendant des années, se complète d’épreuves originales destinées à tester toutes les hypothèses que le cas suscite ? Parmi tant de cas célèbres, pourquoi ne pas admirer le cas de Madeleine, étudié par Janet pendant 22 ans ? celui de Véniamine, étudié par Luria pendant près de 30 ans ? Récemment, les observations rapportées par Oliver Sacks constituent aussi une magnifique illustration de l’importance de cette étude des cas indivi-

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duels. Et au-delà du plaisir que l’on tire de la lecture ou de la rédaction de ces histoires — Sacks cite à ce sujet Osler pour qui « parler de maladies est un divertissement du genre des Mille et une nuits » —, ce qui force l’admiration c’est finalement l’engagement affectif de l’auteur auprès de ses malades (on sait que Sacks partage pendant plusieurs semaines la vie des malades qu’il étudie) ne confirmant donc nullement l’obstacle avancé par certains. On pourrait me rétorquer que les cas ainsi étudiés étaient a priori intéressants. Probablement, mais je voudrais livrer ici une des rares anecdotes qui m’a été rapportée sur Joseph Capgras quand j’ai fait mon enquête auprès de ceux qui l’avaient connu personnellement. Henri Ellenberger, qui fut l’un de ses derniers internes, me confia qu’un jour, quelqu’un ayant parlé devant lui d’un malade intéressant, Capgras déclara que la distinction entre malade intéressant et non-intéressant n’existait pas. Tout malade se révèle un cas intéressant si l’on pousse l’exploration assez loin. J’ai intentionnellement évoqué le cas du mnémoniste Véniamine car la neuropsychologie cognitive ne s’intéresse pas uniquement aux troubles déficitaires. Son objectif étant d’intégrer à ses modèles cognitifs tous les phénomènes concernant une fonction donnée — par exemple la mémoire — les manifestations par excès seront aussi étudiées. Par ailleurs, tout modèle qui se voudrait complet du fonctionnement de la mémoire doit intégrer le rôle de l’affectivité. Sinon comment comprendre, non seulement les amnésies « fonctionnelles » ou psychogènes, mais certaines hypermnésies de ce type ? J’ai, à ce sujet, été frappé par les capacités mnésiques, pour moi fabuleuses, de deux psychothérapeutes (des femmes) qui sont capables de se souvenir sans aucune note, à des années de distance, de tout ce que leurs patients leur ont dit. Dans ce cas, le facteur affectif, l’empathie, est la source probable de ce « don ». Le premier outil indispensable à l’exploration clinique est l’outil neuropsychologique. À ce sujet je reconnais la chance d’avoir eu une collaboratrice comme Élisabeth Bidault, car bien peu de nos collègues peuvent demander à leur psychologue de « qualifier » ainsi (selon la formule de Vygotsky) le trouble clinique. Avec l’observation clinique et la neuropsychologie, l’imagerie cérébrale (en y incluant l’électrophysiologie) constitue le trépied sur lequel repose l’exploration clinique. Je veux en profiter pour dire aussi que si j’ai eu la chance de pouvoir assez facilement réaliser des explorations en tomoscintigraphie (c’est-à-dire en SPECT), je le dois à l’intérêt porté à la psychopathologie par Edgar Sanabria, médecin isotopiste et en même temps psychanalyste d’une grande ouverture d’esprit. Les images obtenues par l’imagerie fonctionnelle sont, il faut le reconnaître, fascinantes, et je pense que M. Marchais se souvient comme moi de ce Congrès mondial de psychiatrie biologique à Stockholm où Ingvar, pionnier en la matière, nous avait montré ses images d’hypofrontalité chez des schizophrènes. En rester à cette fascination serait certainement du scientisme, mais toute découverte appelle des questionnements supplémentaires et très vite il est ainsi apparu que

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l’hypofrontalité n’avait rien de spécifique et, notion moins connue, que beaucoup de ces images, au lieu d’être véritablement « fonctionnelles », c’est-à-dire transitoires, étaient stables. Toutefois, en pratique ce n’est pas tant les résultats de l’imagerie fonctionnelle qu’il faudra en priorité interpréter mais ceux du scanner ou de l’IRM, examens maintenant indispensables, ne serait-ce que sur un plan médicolégal. Le psychiatre doit, non seulement être au courant des possibilités et des limites des examens qu’il prescrit, mais il doit être capable de participer à leur interprétation. Ainsi le moindre scanner demandé, disons chez un malade commençant une dépression à la cinquantaine, va soulever la question de la signification des images découvertes, par exemple de l’atrophie cérébrale. Que conclure aussi des images insoupçonnées que l’on découvre ? S’agit-il de coïncidences ou sontelles significatives ? Et dans ce cas se pose la question, que nous avons abordée à Lyon, de l’écart anatomoclinique. Si l’on demande des examens moins courants, par exemple des explorations fonctionnelles, on risque d’augmenter les difficultés d’interprétation pour aboutir à une équation à x inconnues, celles de chacune des méthodes utilisées. Mais à l’inverse, si elles ont été bien choisies, ce sont elles qui, grâce à la cohérence des résultats, vont pouvoir confirmer les hypothèses de départ et combler, partiellement, le fameux écart. Je voudrais ici souligner la nécessité, encore trop rare, d’explorations psychologiques ou physiologiques spécialement adaptées au cas étudié, ce que Biéder souhaitait déjà en 1973. J’en arrive au dernier point : pourquoi réaliser ces explorations ? D’abord il y a la pulsion épistémophilique, mais on en est possédé ou non, et puis il y a des nécessités pratiques. Le risque de « passer à côté » d’une étiologie de type tumeur cérébrale est maintenant très faible. Les malades ayant un tel risque, quand nous les voyons, ont tous eu un scanner (sinon on le demandera rapidement), mais il y a encore de nombreuses affections neuropsychiatriques, parfois rares, qui évoluent pendant des années sous un aspect, disons, comporte-

mental. Sur un plan plus spéculatif, nous nous sommes particulièrement intéressés à la recherche des facteurs d’« organicité », ceux dont la découverte peut faire considérer le trouble comme secondaire et permettre alors de mieux comprendre la psychophysiopathologie du trouble primaire. Nous avons déjà, lors de notre communication de décembre dernier, à propos d’un cas de TOC secondaire, donné les raisons pour lesquelles ces explorations doivent être réalisées en psychiatrie, nous n’y reviendrons pas. Les constats que l’on peut faire en imagerie fonctionnelle doivent aussi nous guider dans notre pratique. Il y a quelques années, montrant avec Edgar Sanabria les images obtenues en tomoscintigraphie chez des schizophrènes (plus souvent des hypotemporalités gauches que des hypofrontalités) à des médecins généralistes, je crus bon de déclarer que cette iconographie, comme je la désignais, ne devait pas constituer un frein dans notre prise en charge. Certes, me répondit l’un d’eux, mais je souhaiterais que vous n’en demandiez pas trop à ces malades dont vous nous dites que les hypoperfusions sont stables dans le temps. Sa remarque de bon sens constituera mon mot de la fin. Je voudrais, avant de céder le fauteuil au Pr Lantéri-Laura, lui dire combien sa présence attentive à mes côtés m’a été stimulante ; je lui souhaite de tirer de sa présidence autant de plaisir que j’en ai eu. Je ne veux pas oublier dans mes remerciements, pour le travail indispensable qu’ils accomplissent, les secrétaires de séance, nos collègues Payen et Petitjean, ce qui explique aussi la raison pour laquelle la fonction du président est si agréable, et je voudrais leur associer Mme Parant dont la tâche commence après la séance, essayons d’écrire lisiblement ! Enfin j’ai eu le grand plaisir de retrouver au poste clé de trésorier mon ami le Dr Cléry-Melin. S’il s’est acquitté des hautes responsabilités qui lui ont été confiées avec la même compétence et la même rigueur que celles qu’il met à gérer nos finances, ce dont je ne doute pas, l’avenir de la psychiatrie publique est moins sombre que celui que j’entrevoyais.

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Rapport financier pour l’exercice 2003 par le trésorier, le Dr Philippe Cléry-Melin BILAN ACTIF

PASSIF Fonds Associatifs Résultat de l’exercice – Bénéfice Fonds propres:

CRÉANCES Avances sur frais Mme Parant Valeurs Mobilières de Placement Banques TOTAL :

300,00 485 940,50 121 286,88 -----------------607 527,38

DETTES Fournisseurs Dettes fiscales et sociales

588 747,39 18 779,99 -------------------607 527,38 0,00 0,00

TOTAL :

-------------------607 527,38

COMPTE DE RÉSULTAT CHARGES Fournitures administratives Frais de convocations Édition des Annales Honoraires Mme PARANT J. Dons (Projectionniste) Affranchissements & téléphone Cotisations (FFpsy et FIpsy) Frais de réception Travaux informatiques Frais & Intérêts bancaires TOTAL : Gains de l’exercice

PRODUITS 0,00 2 177,30 34 650,00 30 412,35 150,00 4 593,00 500,00 99,00 3 476,19 262,72 -----------------76 320,56 18 779,99

Nous pouvons constater que les ressources de 2003 sont augmentées du résultat précédent (2002). Les valeurs mobilières de placement non pas été évaluées (plus-value latente). Le compte de résultat nous montre que les charges sont en diminution de 5 %, malgré l’imputation des frais informatiques pour la création de notre site web. Il montre également que le résultat des produits est stable, alors qu’en 2002, nous avions eu le produit de la vente du legs Heneaux ; mais en 2003, les cotisations sont mieux rentrées que les années précédentes. En résumé, nous avons un exercice 2003 avec un résultat positif (17 % des produits, sans compter la plus-value latente des placements) confirmant la bonne santé de notre Société.

Installation du nouveau Bureau Allocution du nouveau président de la Société médico-psychologique, le Pr Georges Lantéri-Laura L’unité problématique et la diversité effective du champ de la psychiatrie contemporaine Nous tenons d’abord à dire toute notre gratitude à nos collègues, membres de la Société médicopsychologique, qui nous ont fait l’amitié, il y a un an, de nous élire à la viceprésidence pour que nous nous retrouvions président à notre tour, en janvier 2004 ; mais nos remerciements les plus

Cotisations

55 900,00

Quote-part Editions Elsevier

36 305,84

Revenus des titres

0,00

Quote-part loyer Mme Bechemin

2 894,71 ------------------

TOTAL :

95 100,55

amicaux vont aussi au président sortant, le Dr J.-P. Luauté, et à notre secrétaire général, le Pr J.-F. Allilaire, et nous tenons aussi à exprimer nos sentiments de bienvenue à l’actuel vice-président, le général F. Lebigot. En secondant durant une année le Dr J.-P. Luauté, nous avons pu constater à de multiples reprises combien les sujets abordés dans chaque séance de communications s’avéraient divers, concernant tous les aspects de notre discipline, les plus classiques comme les plus inattendus, et combien leurs discussions confirmaient l’intérêt qu’ils suscitaient parmi nous. Notre Société se révélait ainsi ouverte à tous les domaines de la pathologie mentale, les uns fort traditionnels et les autres des plus originaux, concernant la sémiologie et la clinique, comme la philosophie et l’épistémologie, la psychanalyse et l’anatomie pathologique, la phénoménologie et la neuropsychologie, sachant s’intéresser à la psychiatrie de l’adulte comme à celle de l’enfant et de l’adolescent. C’est cette diversité qui nous a inspiré le thème de ce bref exposé introductif. Nous allons nous interroger sur les origines et la structure de ce fait si actuellement notable, à savoir que la psychiatrie recouvre des domaines non seulement multiples, mais encore disparates les uns à l’égard des autres, hétérogènes au moins en apparence et dépourvus d’unité effective, à ce qu’il nous semble. Nous emprunterons deux voies d’abord : la première cherchera, dans sa diachronie, parcourue depuis la fin de l’Aufklärung, à partir de quel moment la psychiatrie a com-

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mencé à se différencier et quand cette différenciation s’est transformée en une juxtaposition de parties de plus en plus étrangères les unes aux autres ; la seconde essayera de décrire l’organisation d’ensemble de la pathologie mentale, avec ses frontières et son organisation interne. Embryologie Nous gardons quelque nostalgie de la merveilleuse clarté qui émanait de l’enseignement du Pr Giroud, qui, à l’amphithéâtre Farabeuf, durant l’année universitaire 1949–1950, enseignait l’embryologie aux étudiants de première année de médecine. Il racontait une histoire qui commençait avec un ovule fécondé, se poursuivait avec deux, puis trois, puis quatre cellules embryonnaires, pour exposer la mise en place des trois feuillets — ectoblaste, endoblaste, chordomésoblaste — suivie de la réalisation progressive de l’organogenèse, faisant passer de l’embryon au fœtus, et sachant rendre compte de la complexité anatomique du nouveau-né en partant de la simplicité de la première cellule et en suivant ses différenciations bien ordonnées, le long d’un cours parfaitement régulier. Ce modèle, capable de rendre intelligible n’importe quel développement temporel, comme passage progressif d’une origine simple à un aboutissement complexe, se retrouve non seulement dans l’histoire des sciences, comme le montrait notre maître G. Canguilhem à propos de la biologie, dans son livre de 1988, Idéologie et rationalité dans les sciences de la vie, mais aussi dans l’histoire des institutions, comme le révèle cet excellent travail américain de S. Hanley sur Le Lit de justice des rois de France, qui, pour retracer l’histoire du Parlement de Paris, commence avec la Curia regis des Carolingiens et, à travers les grandes régences de la monarchie, aboutit à sa dernière dissolution par Louis XV, puis à sa réincarnation, sous la forme du Conseil d’État de la Constitution de l’An VIII. Toutes ces études reviennent toujours à envisager la spécificité finale à partir de la simplicité initiale, à travers des étapes typiques de complexification. Dans le registre qui nous intéresse ici, l’origine s’avère bien simple, car il s’agit de cette notion d’aliénation mentale, telle que nous l’avons spécifiée au début de notre ouvrage de 1998, l’Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne. C’est une maladie, comme dans tout le reste de la médecine, sauf que cette maladie se révèle unique et constitue à elle seule une spécialité complète, qui se définit comme cette partie de la médecine capable de rendre compte, au moins partiellement, de ce que la culture de l’époque entendait par folie. Elle ne peut se traiter que par une thérapeutique unique, le traitement moral de la folie, avec l’isolement indispensable dans un établissement que Ph. Pinel appellera hospice, puis Esquirol, asile. Cette aliénation mentale correspond à l’Einheitpsychose des auteurs germaniques, tant psychistes, comme J.-C. Heinroth et K.W. Ideler, que somatistes, comme W. Griesinger. Elle se retrouve en Belgique, avec J. Guislain, dans le Royaume de Piémont-Sardaigne, avec J. Daquin, dans le Grand-Duché de Toscane, avec V. Chiarugi et au Royaume-

Uni, avec S. Tuke. Elle constitue alors la référence commune à toute la pathologie mentale de l’Europe de l’Ouest. Grâce à elle, cette pathologie mentale se trouve conçue comme parfaitement unitaire et, même si on lui reconnaît des aspects un peu divers — manie, mélancolie, idiotisme et démence — il ne s’agit pas de quatre espèces morbides distinctes les unes des autres, mais bien de quatre aspects différents pris par la même maladie. Et si les monomanies d’Esquirol, comme l’a montré le travail de Th. Haustgen, en 2001, tendaient à varier notablement les tableaux cliniques retenus, il s’agissait toujours de la même et unique aliénation mentale. Et nous devons remarquer d’ailleurs que cette conception savante propre aux hommes de l’art se trouvait partagée par l’opinion éclairée et par les magistrats, car pour l’une, l’on était fou ou l’on n’était pas fou, sans tiers exclu, et pour les autres, on relevait ou non de l’article 64 du Code de 1810. La diversité des espèces morbides ne commença qu’un peu plus tard, vers les années 1850–1860, quand, avec les travaux de J.-P. Falret, puis de V. Magnan, l’on passa de l’aliénation mentale au singulier aux maladies mentales au pluriel. Trois questions au moins se posaient alors. D’une part, l’on devait se demander quel critère d’inclusion ou d’exclusion permettrait, parmi toutes les maladies alors retenues par la médecine, de déterminer celles que l’on devait tenir pour des maladies mentales et celles que l’on devait exclure de pareille catégorie. Par exemple est-ce que le tuphos de la fièvre typhoïde ou l’agitation du delirium tremens, ou l’état délirant de l’érysipèle (quand la plaque érysipélateuse atteint le cuir chevelu) constituaient ou non des maladies mentales ? Les troubles aigus devaient-ils se voir exclus de cette catégorie ? Pouvait-on prendre comme pierre de touche l’opposition du caractère primaire ou secondaire des altérations en question ? D’autre part, à la fin du XIX°siècle, se fit, entre la psychiatrie et la neurologie, une répartition résultant de la mise en question de la notion de névrose, dans la suite de J.-M. Charcot, avec les travaux de J. Babinski, de S. Freud, de J. Déjerine et de quelques autres à la neurologie, la maladie de Parkinson, la chorée de Th. Sydenhan et celle de Huntington, l’épilepsie ou l’athétose, et à la psychiatrie, les névroses actuelles — névrose d’angoisse, neurasthénie, hypocondrie — et les névroses de transfert — hystérie de conversion, névrose phobique, névrose obsessionnelle. Mais que dire des paraplégies, et pourquoi la myélite d’Erb n’est-elle pas une maladie mentale et pourquoi la paraplégie hystérique n’estelle pas une maladie neurologique ? L’on en venait vite à une tautologie à prétentions étiologiques, affirmant, de façon à peine voilée, que s’il en allait ainsi c’était parce qu’il en allait bien ainsi. D’autre part, enfin, l’on ressentait l’exigence d’une taxinomie précise, et c’est peut-être V. Magnan qui y a répondu avec un bon sens désabusé, quand il a proposé de distinguer les états mixtes et les folies proprement dites : le premier groupe comportait des troubles liés à des atteintes cérébrales assez bien caractérisées, mais dont le traitement exigeait une

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institution pour malades mentaux, tandis que le second concernait ce que tous les gens sensés entendaient par folie, mais dont les causes restaient malgré tout bien indéterminées. Où placer sans trop d’arbitraire, dans l’ensemble mal délimité de toutes ces maladies mentales, les frontières de la folie, frontières dont l’opinion, même éclairée, ne pouvait se passer, et qui restaient instantes dans le domaine judiciaire, aussi bien pour la responsabilité pénale que pour la capacité civile ? Ces requêtes pratiques ne pouvaient être éludées indéfiniment, et le discours savant, à s’isoler dans une spécialité qui devenait de plus en plus étrangère au profane, finissait par s’en trouver bien suspect. C’est à partir d’une telle situation, croyons-nous, que la psychiatrie a multiplié les espèces et les sous-espèces, et s’est installée peu à peu dans une diversité croissante et de moins en moins facile à ordonner. Vers le milieu du XXe siècle, avec les effets de sens conjugués de la phénoménologie et de la psychanalyse, et sous l’influence de la notion de structure, venue d’abord de la Théorie de la Forme, puis de la linguistique de F. de Saussure et de L. Hjelmslev, notre discipline a cherché à rétablir un certain ordre dans ses propres affaires. La plupart des classifications se sont organisées avec une opposition fondamentale, celle des névroses et des psychoses, non sans un certain reliquat dont nous devrons dire un mot. À l’essentiel, névroses vs psychoses, avec entre les deux ce qu’on va dénommer les états limites. Du côté des névroses, dans leurs formes légères, et sans oublier les névroses actuelles, tous les aspects possibles de troubles mineurs, confinant à la normalité ou encore à des manifestations évidemment réactionnelles. C’est dans ce registre que l’on va se demander ce qu’il convient de traiter ou non, et que l’on rencontrera la curieuse locution de thérapies pour normaux. Du côté des psychoses, l’on va alors rencontrer un champ qui correspondra plus ou moins à l’acception banale du terme de folie, ainsi restauré grâce à ce que, depuis 1911, E. Bleuler avait dénommé schizophrénie, et que la psychiatrie anglosaxonne allait sous peu étendre exagérément. Or, ce système opposant névroses et psychoses ne suffisait pas à résumer ce dont s’occupaient quotidiennement les psychiatres, comme ces états d’arriération, qui s’étendaient, dans le disparate le plus évident, depuis des aspects très légers des retards scolaires jusqu’aux plus tératologiques des effets de la pathologie d’origine génétique, mais aussi comme ces états déficitaires dont l’histopathologie savante multipliait les formes, d’ailleurs sans conséquence pour les traitements. Le dernier et le plus grandiose effort pour unifier le disparate de la psychiatrie nous semble la construction de l’organodynamisme de H. Ey, entre son livre de 1934 et son livre de 1975, le second confirmant le premier, et ce premier annonçant l’œuvre grandiose que nous connaissons. L’unité foncière de la pathologie mentale se trouve garantie à ses yeux de deux manières. D’une part, la psychiatrie s’avère constituer une pathologie de la liberté, alors que tout le reste de la

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médecine est seulement une pathologie de la vie, la vie demeurant commune aux animaux et à l’homme, et la liberté appartenant exclusivement à l’espèce humaine. D’autre part, cette pathologie de la liberté s’exprime, dans la sémiologie et la clinique, par des déstructurations globales, tandis que la neurologie le fait par des déstructurations partielles. Ces déstructurations globales peuvent être soit des déstructurations de la conscience, soit des déstructurations de la personnalité, et elles désorganisent le champ de la conscience dans les psychoses aiguës ou celui de la personnalité — ou de la conscience de soi — de plusieurs manières : le moi devenu démentiel, dans les affaiblissements intellectuels, le moi non-advenu, dans les arriérations profondes, le moi psychotique, dans les schizophrénies et les paranoïas, le moi névrotique, dans les processus de neutralisation de l’angoisse, et le moi caractéropathique, dans les divers aspects du déséquilibre et des perversions. La période tout à fait contemporaine développa deux autres formes d’expansion. D’une part, surtout en dilatant la notion d’addiction et en la détachant plus ou moins de celle de toxicomanie et en faisant jouer à plein l’analogie, l’on en est venu à considérer la pratique des jeux de hasard, celle de certaines collections, banales ou saugrenues, et d’autres semblables, comme des sortes de pathologies, susceptibles de traitement, en particulier de déconditionnement, de telle manière que des conduites gênantes ou inopportunes s’en trouvent assimilées à des maladies, latissimo sensu… D’un autre côté, les situations douloureuses ou inquiétantes, comme la perte d’un proche ou comme l’épreuve d’une catastrophe, en viennent, pour certains, à exiger toujours et dans tous les cas la mise en œuvre de ce qu’on appelle le debriefing, comme s’il fallait, même en dehors de toute pathologie, annuler le deuil, sans se soucier des effets parfois néfastes de telles entreprises. Et il nous semble d’autant plus surprenant que de telles attitudes peuvent aller de pair avec la décision d’ôter aux psychiatres la prise en charge de l’autisme infantile précoce. Nous venons donc d’examiner cette extrême diversité dans son développement diachronique et nous avons vu qu’elle a commencé avec le passage de l’aliénation mentale aux maladies mentales, puis qu’elle est allée en croissant jusqu’à extrapoler, et nous ne savons pas très bien si ce mouvement va se poursuivre ou se restreindre. Mais, sauf à penser que tout allait beaucoup mieux en psychiatrie quand nous y étions nous-même interne — nostalgie touchante, mais un peu sotte — rien ne nous garantit d’une façon sûre que cette diversité se révèle nécessairement malencontreuse ; c’est pourquoi nous allons l’envisager maintenant, non plus de son côté temporel, mais du point de vue de sa structure. Structures Cette diversité de la pathologie mentale doit aussi être étudiée à partir de l’organisation de son champ, c’est-à-dire à la fois par rapport à ses limites et par rapport à son organisation interne. Nous allons envisager les frontières de la psychiatrie en nous inspirant de deux œuvres majeures, l’une

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ancienne, de L. Febvre, l’autre, récente, de S. Rosière, qui nous permettront d’user avec rigueur de cette notion de frontière, qui peut consister en une ligne sans épaisseur, mais aussi en une zone franche ou encore en une sorte de dégradé progressif, et qui peut séparer deux états, mais parfois délimiter un condominium entre eux. À nous d’employer avec rationalité ces métaphores spatiales, sans en devenir serfs. La psychiatrie se trouve en rapports de proximité, dans le domaine médical, d’abord avec la neurologie clinique. C’est là que le condominium peut offrir une comparaison adéquate, au moins dans trois occurrences : les phénomènes de conversion, dont nous avons déjà parlé, les fonctions symboliques, sous-tendues par des aires corticales homotypiques, et enfin des troubles comme le syndrome de J. Capgras, à rapprocher avec prudence de la prosopagnosie, comme sait le faire S. Thibierge. Là se trouve un double risque : réduire la psychiatrie à la neurologie ou méconnaître la pertinence du système nerveux central dans telle occurrence de la psychiatrie. Et, en même temps, c’est bien là que se justifie la comparaison avec le condominium, à propos des affaiblissements intellectuels par lésion cérébrale plus ou moins circonscrite. Mais, en plus de ces liens avec la neurologie, nous devons évoquer des rapports avec l’endocrinologie, la génétique et la gériatrie, sans oublier le registre des affections psychosomatiques. Mais la psychiatrie a aussi des relations avec l’épidémiologie, la sociologie, l’anthropologie, l’ethnologie et, plus particulièrement, la criminologie et le droit pénal. Dans cette dernière occurrence, il devient très important de savoir qui peut constituer la clé de l’autre et dans quelle mesure certains troubles mentaux pourraient rendre compte, directement ou par analogie, sinon de la totalité des crimes et délits, du moins de quelques-uns d’entre eux. Là encore, nous devons nous méfier de la tentation du réductionnisme, opérant dans un sens ou dans l’autre. Les frontières que nous venons d’envisager, sans d’ailleurs nous croire exhaustif, se disposent entre la psychiatrie et des disciplines qui pourraient, au moins en partie, fonctionner à sa place ou qui possèdent des domaines en partie communs avec elle. Pour continuer nos analogies spatiales, et malgré le risque d’ériger l’à peu près en méthode, nous dirons qu’il s’agit de frontières horizontales, comme les frontières de la géographie politique et, si nous cédions à la mode des années 1960, nous pourrions les qualifier de frontières métonymiques ; et pour poursuivre cet anachronisme, nous prétendrions peut-être qu’il existât aussi des frontières non plus horizontales, mais bien verticales, et non plus métonymiques, mais bien métaphoriques — en hommage à l’œuvre de R. Jakobson à qui, toute mode mise à part, nous continuons à devoir beaucoup. Si nous réfléchissons sur les relations de la psychiatrie avec la psychanalyse ou avec la neuropsychologie ou avec la phénoménologie ou avec telle ou telle psychopathologie ou avec la neuroanatomie ou la neurophysiologie ou encore avec la biochimie, nous n’avons plus affaire à des rapports de voisinage avec des disciplines qui pourraient se substituer

l’une à l’autre ou encore partager un registre en commun, mais avec des disciplines qui peuvent fournir des explications à la psychiatrie et rendre compte de telle ou telle de ses parties. Nous devons remarquer à ce propos que de telles relations ne constituent jamais des liens de subordination d’une science supposée fondamentale à une science présumée appliquée, mais à des échanges de modèles, sans rien de supérieur ni d’inférieur. Nous laissons cependant de côté trois questions : une pertinence ainsi repérée rend-elle compte, à elle seule, de la totalité de la psychiatrie ou une pertinence vaut-elle pour une partie de son champ et une autre pertinence pour une autre partie de ce champ ? Existe-t-il une partie de ce champ dépourvue de toute référence explicative ? Disposons-nous d’une pertinence des pertinences qui rendrait compte d’elle-même et de toutes les autres, en constituant ainsi un métalangage exhaustif de la psychiatrie dans sa totalité ? Épilogue La fréquentation mensuelle des lundis après-midi nous a permis de nous rendre compte de l’extrême diversité des sujets abordés lors des diverses communications. Nous avons ainsi compris combien notre Société médico-psychologique comptait de membres capables de s’intéresser à de multiples parties de notre discipline, avec des points de vue fort différents les uns des autres, mais une égale tolérance pour des théorisations éventuellement antagonistes. Et nous y avons trouvé l’inspiration de ce modeste discours introductif. Pour en savoir plus Babinski J. Œuvre scientifique, Paris : Masson ; 1934. Bleuler E. Dementia praecox ou groupe des schizophrénies, trad. A. Viallard, Paris : E.P.E.L. & G.R.E.C. ; 1993. Bonduelle M, Gelfand T, Goetz CG. Charcot, un grand médecin dans son siècle, Paris : Michalon ; 1996. Canguilhem G. Idéologie et rationalité dans les sciences de la vie, Paris : J. Vrin ; 20 éd. ; 1988. Déjerine J. Sémiologie des affections du système nerveux, Paris : Masson ; n. éd. ; 1977 ; 2 vol. Esquirol É. Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médicolégal, Paris : J.-B. Baillière ; 1838 ; 2 vol. Ey H. Hallucinations et délire. Les Formes hallucinatoires de l’automatisme verbal, Paris : F. Alcan ; 1934. Ey H. Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychiatrie, Toulouse : Privat ; 1975. Ey H. Schizophrénie. Études cliniques, J. Garrabé éd., Paris : Les Empêcheurs de penser en rond ; 1996. Falret J-P. Des maladies mentales et des asiles d’aliénés, Paris : Sciences en Situation ; n. éd., 1994 ; 2 vol., 1, 1–LXIX. Febvre L. La Terre et l’évolution humaine. Introduction géographique à l’histoire, Paris : Albin Michel ; 1947. Freud S. œuvres complètes. Psychanalyse, III, 1894–1899, Textes psychanalytiques divers, A. Bourguignon, P. Cotet & J. Laplanche éds., Paris : PUF ; 1989. Gauchet M, Swain G. Le vrai Charcot. Les chemins imprévus de l’inconscient, Paris : Calmann-Lévy ; 1997. Hanley S. Le Lit de justice des rois de France, trad. A. Charpentier, Paris : Aubier ; 1991.

Ouverture de la séance / Annales Médico Psychologiques 162 (2004) 777–785 Haustgen T. Défense et illustration des monomanies d’Esquirol ou histoire de la Monomanie. In : J-F Allilaire éd., JED Esquirol. Une œuvre clinique, thérapeutique et institutionnelle, Paris : Interligne ; 2001 : 109–44. Hjelmslev L. Prolégomènes à une théorie du langage, trad. A-M Léonard, Paris : Minuit ; 1968. Jakobson R. Langage enfantin et aphasie, trad. J-P Boons & R Zygouris, Paris : Minuit ; 1969. Koffka K. Principles of gestalt psychologie, Londres : Routledge & Kegan Paul ; 4th ed. ; 1955. Lantéri-Laura G. Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Paris : Les Éditions du Temps ; 1998. Magnan V. Leçons cliniques sur les maladies mentales, Paris : L. Battaille ; 20e éd. ; 1893. Pinel P. Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Paris : J.A.Brosson ; 20e éd. ; 1809. Rosire S. Géographie politique et géopolitique. Une grammaire de l’espace politique, Paris : Ellipse ; 2003. Saussure F. de, Cours de linguistique générale, Paris : Payot ; n. éd., 1972. Thibierge S. Pathologie de l’image du corps. Étude de troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie, Paris : PUF ; 1999.

Communication du secrétaire général Messieurs les Présidents, Mes chers collègues et amis, Après l’allocution de fin de présidence de Jean-Pierre Luauté, le discours d’arrivée de notre nouveau président Georges Lantéri-Laura, et le rapport financier de notre Trésorier (Tableau 1), permettez-moi de vous informer de la vie de notre Société mais, d’abord, de vous présenter à tous mes meilleurs vœux pour une excellente année 2004. Sylvie Vermeersch, Michel Gayda, et Jacques Fousset vous prient de bien vouloir excuser leur absence aujourd’hui. Nous avons reçu des remerciements pour son élection de la part de Marc Willard, élu membre correspondant national en novembre dernier. J’ai le regret de vous annoncer le décès de Henri Potez, qui était membre depuis 1983. Le Bureau de la SMP vient d’élire un nouveau membre correspondant national, Thierry Baubet, de l’hôpital Avi-

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cenne. Nous lui souhaitons la bienvenue et espérons qu’il sera assidu à nos réunions. Le Bureau a également statué sur la demande faite par le Dr Oulès, de Montauban, d’accéder à l’honorariat. Je voudrais vous annoncer une candidature à titre de membre correspondant national, celle d’un jeune confrère, le Dr Marc Grohens, parrainé par Jean Maisondieu, François Petitjean et Michel Laxenaire qui sera son rapporteur. Nous voterons pour ce collègue au cours de notre prochaine réunion de février. Cette réunion, consacrée à un thème général « Les harcèlements », aura lieu le 23 février prochain, à partir de 14 heures. J’insiste sur cette heure inhabituelle, que je vous demande de bien vouloir noter. En effet, cette séance qui promet d’être passionnante comportera huit communications suivies d’une discussion générale. J’espère que vous serez nombreux à être intéressés par ce sujet d’actualité et à participer activement à cette réunion. Je vous remercie pour votre attention et je passe la parole à notre nouveau président, le Pr Georges Lantéri-Laura. Pr G. Lantéri-Laura : Permettez-moi de reprendre la parole tout d’abord pour remercier le trésorier de la présentation de ses comptes. Il m’a laissé le soin, d’une part, de vous demander de les approuver et, d’autre part, de justifier le passage de la cotisation annuelle de 200 à 210 euros. Nous savons que l’inflation annuelle est environ de 2,5 par an. Nous avons il est vrai, des finances florissantes, mais, si nous voulons garder cet avantage, il faut augmenter cette cotisation, qui, je vous le rappelle, n’a pas été réévaluée depuis fort longtemps. Y a-t-il des oppositions, des abstentions ? Non ; je considère donc que cette proposition est acceptée et que le rapport financier est adopté à l’unanimité des membres présents. Je vous remercie. Élection Élection au titre de membre correspondant national Le Dr Thierry Baubet, de l’Hôpital Avicenne de Bobigny, est élu.