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Surveillance clinique et biologique après chirurgie de l’obésité
Gastric bypass surgery © Herjua
En France, deux types de chirurgie bariatrique sont pratiqués : les opérations restrictives (anneau ajustable, sleeve gastrectomy) et les opérations restrictives avec malabsorption (bypass gastrique et minibypass, diversion biliopancréatique). En 2011, 30 000 interventions ont été réalisées avec une augmentation importante des sleeve gastrectomy et des bypass. Des recommandations précises ont été émises en France par la HAS concernant les indications et contre-indications de ces interventions qui ne sont pas dénuées de complications à court et long termes. De fait, un suivi clinique et biologique est indispensable.
La chirurgie bariatrique est actuellement la seule technique qui entraîne une perte de poids significative et durable chez les patients en obésité morbide. Sont pratiquées : - des opérations restrictives avec diminution du bol alimentaire : anneau gastrique ajustable et sleeve gastrectomy (tubulisation de l’estomac dont les 2/3 sont enlevés) ; - des opérations restrictives avec malabsorption : le bypass gastrique (Roux en Y), réalisé depuis plus de 30 ans aux USA et environ 10 ans à la Pitié (Paris) et le minibypass, réalisé depuis 2-3 ans, qui s’est beaucoup développé (notamment en clinique) car l’intervention est plus simple à réaliser, mais les complications sont identiques.
Pourquoi et quand opérer ? Les formes sévères de l’obésité ont des complications métaboliques et les traitements médicaux ont des limites (rebond de prise de poids) ; la chirurgie est efficace et les patients la demandent. L’évolution classique après une chirurgie de l’obésité est une perte de poids maximale à 1 an, puis
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une reprise de poids, mais à 10-15 ans, la perte de poids se maintient (perte moyenne de 27 % pour un bypass gastrique) ; en parallèle, les complications métaboliques sont réduites (résolution d’un diabète dans 80 à 90 % des cas selon les séries) et la mortalité est nettement diminuée à long terme. Indications chirurgicales (recommandations de la HAS) Ř Index de masse corporelle (IMC) ≥ 40 kg/m2 Ř IMC ≥ 35 kg/m2 + comorbidité améliorée par la chirurgie Ř Hypertension artérielle ou autre maladie cardiovasculaire Ř Syndrome d’apnée du sommeil et autres troubles ventilatoires Ř Diabète de type 2 et autres désordres métaboliques Ř Maladie ostéo-articulaire invalidante Ř Stéatose hépatique non alcoolique (nash) Ř Infertilité. La chirurgie est indiquée en 2e intention, après échec d’une prise en charge médicale de 6 à
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12 mois bien suivie, en l’absence de perte de poids suffisante ou de maintien de la perte de poids. Une information préalable du patient est indispensable. Les contre-indications à la chirurgie sont des troubles cognitifs ou mentaux sévères, des troubles du comportement alimentaire sévères ou non stabilisés, une incapacité à un suivi médical prolongé, des addictions, l’absence de prise en charge médicale préalable et la grossesse. Les non-indications sont un IMC compris entre 30 et 35 kg/m2, un âge > 60 ans (à discuter au cas par cas) et les obésités génétiques ou lésionnelles. La décision, coordonnée par un médecin référent, est prise lors d’une réunion de concertation pluridisciplinaire. La chirurgie ne permet pas une guérison de l’obésité ; elle consiste à remplacer une maladie métabolique chronique, ayant sa morbi-mortalité spécifique, par une maladie digestive durable. Un suivi est nécessaire, à vie.
Les complications Les complications digestives Elles sont fréquentes : ce sont des vomissements, surtout la première année, des troubles du transit, une dysphagie, une œsophagite, un dumping syndrome (malaise après le repas, cf. infra) notamment dans le bypass gastrique. Les complications psychologiques et sociales Elles sont importantes : troubles du comportement alimentaire, anorexie mentale, compulsions graves, dépressions, voire suicides ou décompensations psychiatriques. Le retentissement sur la vie personnelle et sociale doit être pris en compte. Les complications chirurgicales Ce sont des urgences : fistule, abcès, dilatation de poche, occlusion sur brides ou sur hernie interne (tardive, après bypass), hémorragie digestive (peut être tardive), cholécystite. En cas d’urgence chirurgicale, il ne faut pas retarder le diagnostic
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avec des examens radiologiques car le pronostic dépend du délai de l’intervention chirurgicale (< 6 h). Une hernie interne peut survenir après bypass, risquant d’entraîner une nécrose intestinale et le décès. Les symptômes sont une douleur abdominale intermittente, déclenchée par l’alimentation, parfois calmée en décubitus ventral. La douleur est très intense et associée à des vomissements. Le diagnostic de nécrose intestinale est objectivé par une acidose, avec augmentation des lactates, de l’amylase (attention au diagnostic différentiel de pancréatite). L’imagerie peut être non contributive (scanner normal dans 20 % des cas). Au moindre doute, une exploration chirurgicale précoce est nécessaire et le traitement est chirurgical. Une urgence chirurgicale doit être suspectée devant une tachycardie > 120/min, des douleurs abdominales spontanées ou déclenchées par l’alimentation, des vomissements (non sélectifs, même aux liquides), une fièvre, une hyperleucocytose. Même si les signes abdominaux sont modérés ou absents (l’examen peut être difficile), il faut écouter les patients.
Les complications médicales fonctionnelles et nutritionnelles Elles sont de deux types : dumping syndrome (surtout après un bypass gastrique) et hypoglycémies. Les symptômes du dumping syndrome sont postprandiaux et précoces : la prise d’aliments riches sucrés et/ou gras, hyperosmotiques, entraîne une déshydratation extracellulaire : le patient demande à s’allonger car il ressent des signes vasomoteurs (céphalées, palpitations, flush, pâleur, syncope) et abdominaux (nausées, crampes abdominales, diarrhée, borborygmes). Les hypoglycémies tardives (1 à 3 h après le repas) surviennent chez 10 à 15 % des patients opérés (hypoglycémies très sévères dans 1 à 2 % des cas). Les patients se présentent avec une sensation de faim, des troubles de conscience, des difficultés de concentration, une transpiration. Conduite à tenir Il convient d’éliminer les causes médicamenteuse, neurologique ou cardiovasculaire, une insuffisance surrénalienne, un saignement digestif ou une cause organique (sémiologie, scanner pancréatique). Une HGPO 75 g sur 3 heures permet d’observer un pic précoce de glycémie, puis une hyperinsulinémie, une chute de la glycémie importante
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autour d’une heure et une remontée généralement spontanée. La prise en charge est difficile : il faut recommander un fractionnement des repas, une prise d’aliments à faible index glycémique et utiliser des médicaments tels que l’acarbose ou un inhibiteur calcique, éventuellement avoir recours à une alimentation par gastrostomie ou à la chirurgie (réduction de poche, pancréatectomie).
Les complications nutritionnelles Elles dépendent du type de chirurgie : majeures dans les diversions biliopancréatiques (DBP), moindres dans le bypass gastrique ou la sleeve. Les causes sont des carences d’apport (dans les 3 premiers mois après la chirurgie, les patients passent en moyenne d’une alimentation de 1 800-2 000 kcal/j à 600 kcal/j), un court-circuit du duodénum et de la portion proximale du jéjunum (où sont absorbés de nombreux nutriments notamment le fer, le calcium, la vitamine D), une maldigestion et une malabsorption (l’estomac n’a plus de fonction mécanique et il existe une asynergie entre le bol alimentaire et les sécrétions biliopancréatiques, une diminution des sécrétions acides gastriques nécessaires à l’absorption du fer et de la vitamine B1, et une pullulation microbienne). Carences protidiques
Elles sont fréquentes les 6 premiers mois, notamment si la perte de poids est très rapide et/ou en cas de vomissements, complication chirurgicale (sténose) ou maladie intercurrente. Elles se manifestent par une perte musculaire, une asthénie, des troubles des phanères. La surveillance repose sur des dosages d’albumine, de préalbumine et de CRP (interprétation de l’albuminémie en fonction de l’état inflammatoire). Il est conseillé de viser au minimum 60 g de protéines par jour, ce qui est parfois difficile, d’où le recours à des suppléments hyperprotidiques si nécessaire, sous forme liquide ou de poudre. Déficit vitaminocalcique
Le retentissement osseux est important avec hyperparathyroïdie secondaire, ostéoporose, ostéomalacie (à long terme), surtout en cas de DBP. La surveillance repose sur un bilan phosphocalcique avec dosages de vitamine D et PTH, associé à une ostéodensitométrie. La prévention par suppléments doit être systématique, adaptée au dosage de vitamine D (ex : 1 200 mg/j de calcium et 1 000 UI/j de vitamine D3).
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Déficit en folates
Il est moins fréquent (< 20 %) surtout si les apports de fruits et légumes sont conservés. Le patient est relativement protégé car bien que l’absorption des folates se fasse dans le grêle proximal, il existe une possibilité d’adaptation de l’absorption tout le long de l’intestin. De fait, les anémies macrocytaires sont rares, mais ce déficit participe probablement aux troubles neurologiques (symptômes peu spécifiques : asthénie, anorexie). Toutefois, il est grave en périconceptionnel et au premier trimestre de grossesse d’où une supplémentation systématique chez la femme avant grossesse. Exemple de supplémentation systématique Ř Anneau : fer (80 – 160 mg/j) (la tolérance dépend de la dose). Ř Sleeve : multivitamines, fer, B12. Ř Bypass gastrique : multivitamines apportant 100 % des ANC (par ex : 2 Azinc®, 1 ElevitB9®), calcium (1 000-1 200 mg/j), vitamine D (800 UI/ jour +/- 100 000 unités/ trimestre), vit. B12 (1 000 μg IM 2 à 3 fois par an ; utiliser les différentes formes galéniques en fonction de la tolérance).
Les complications neurologiques Elles peuvent apparaître plusieurs années après la chirurgie sous forme de polyneuropathie ou d’atteinte centrale. Il faut informer les patients, prévenir avec des suppléments adaptés, traiter rapidement dès l’apparition de symptômes, réaliser annuellement un examen neurologique complet, effectuer des dosages et renforcer la supplémentation au moindre doute. Troubles neurologiques par carence en vitamine B12
La vitamine B12 est un cofacteur de synthèse de la succinyl coA et de la méthionine, impliquées dans le fonctionnement des cellules nerveuses. Le stock de vitamine B12 est habituellement suffisant pour 6 à 12 mois ; les complications en cas de déficit surviennent à long terme, sous forme de plusieurs tableaux cliniques : sclérose combinée de la moelle (signes moteurs pyramidaux), atteinte cérébrale (confusion, modification du goût, de l’odorat, de la vision) ou neuropathie périphérique (atteinte sensitive superficielle et/ou profonde, neuropathie optique). Toutefois, la concentration sérique en vitamine B12 est normale dans 1/3 des cas de ces troubles neurologiques, d’où l’intérêt de doser l’homocystéine
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et l’acide méthylmalonique (augmentés) ; en outre, la corrélation avec l’anémie mégaloblastique est mauvaise (absente dans 1/3 des cas). Troubles neurologiques par carence en vitamine B1 (thiamine)
La vitamine B1 est impliquée dans la transmission nerveuse et est un cofacteur de nombreuses enzymes du métabolisme du glucose. Son stock dans l’organisme est faible et peut être effondré en 3 à 6 semaines. De fait, les complications liées aux carences (un facteur de risque important est la consommation d’alcool dont l’absorption est en compétition au niveau du jéjunum proximal) surviennent tôt, après tout type de chirurgie : - encéphalopathie de Gayet-Wernicke (en aigu) : confusion, troubles occulomoteurs (nystagmus ou paralysie occulomotrice), syndrome cérébelleux ; - encéphalopathie de Korsakoff (en chronique) : amnésie antérograde, anosognosie, fausses reconnaissances et fabulations ; - neuropathie périphérique : béri-béri neurologique (polyneuropathie sensitive, motrice, douloureuse, distale, symétrique). La diminution de la concentration sérique de thiamine n’est pas constante ; parfois, la carence peut être mise en évidence par une diminution
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de la thiamine érythrocytaire et/ou de l’activité transcétolasique érythrocytaire. Le bilan biologique spécifique à réaliser devant des troubles neurologiques récents est le suivant : hémogramme, ionogramme, créatinine, CRP, vitamine B12, acide méthyl malonique et homocystéine, vitamine B9 sérique et érythrocytaire, vitamine B1 sérique et érythrocytaire, vitamine B6, cuivre, céruléoplasmine, vitamine E, vitamine B2, vitamine B3 (PP), vitamine A, zinc, sélénium.
Surveillance clinicobiologique Le suivi clinique doit s’attacher aux signes de carences, permettant l’initiation d’une supplémentation : vomissements importants (vit. B1 ++), infections (protéines), femme réglée (fer), sécheresse de la peau, dermatite, ecchymoses, pétéchies, alopécie (zinc, fer, protéines, vit. C), paresthésies, troubles neuropsychiatriques (vitamines du groupe B), troubles digestifs (vit. B1), anomalies de la vision (vit. A), saignements (vit. K)… Le bilan de surveillance clinique est préconisé à un rythme de 4 à 5 fois la première année, 2 à 4 fois la deuxième année puis 1 à 2 fois/an. Le bilan biologique à réaliser en préopératoire puis à 3 mois, 6 mois et 1 an associe kaliémie, natrémie, créatinine, glycémie, NFS, bilan hépatique,
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bilan martial (ferritine, CS), CRP, albumine, préalbumine, calcémie, vitamine D, PTH. À 6 mois, 12 mois et 18 mois seront ajoutés des dosages de vitamines B9, B12, B1 (+ Ca et PTH) ; puis annuellement, en fonction des signes cliniques : vitamine A, zinc, cuivre, etc.
Conclusion De nombreuses questions restent à résoudre : cas particulier des femmes enceintes, effets des carences à long terme, effets des supplémentations, fréquente absence de corrélation entre dosages et symptômes… Néanmoins, le suivi des patients ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique est indispensable pour dépister, prévenir les complications, et adapter la prise en charge. Déclaration d’intérêt : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
CAROLE EMILE Biologiste, rédactrice scientifique
[email protected] pour en savoir plus Recommandations HAS sur l’évaluation préopératoire et suivi après chirurgie de l’obésité de l’adulte : http://www.has-sante.fr source D’après une communication de Christine Poitou (Centre intégré de prise en charge de l’obésité, Centre Francilien, Pôle Cœur et métabolisme Pitié-Salpêtrière, Paris). Journées de biologique clinique Necker-Institut Pasteur (Paris), janvier 2014.