Syncope et syndrome de Brugada
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CAS CLINIQUE
A. Leenhardt, A. Messali, G. Moubarak, F. Extramiana Service de cardiologie, hôpital Lariboisière, université Paris VII, centre de référence des maladies cardiaques héréditaires, Paris.
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n présence de syncopes inexpliquées chez un patient porteur d’un syndrome de Brugada, la recommandation actuelle est de proposer l’implantation d’un défibrillateur automatique. Le cas clinique que nous rapportons montre que la décision est parfois difficile et que le bon sens clinique prévaudra toujours sur toutes les recommandations. Il s’agit d’un patient de 68 ans, hypertendu traité par acébutolol 200 mg par jour depuis 10 ans, tabagique sevré, qui a présenté depuis 18 ans une dizaine de syncopes, « d’allure vagale ». Toutes les syncopes ont les mêmes caractéristiques. Il est vu en consultation à l’occasion des deux dernières qu’il décrit précisément. Ces deux épisodes syncopaux sont survenus après un bref malaise lipothymique alors qu’il marchait pour le premier et qu’il était assis pour le second, survenu 10 mn après le premier. La reprise de conscience se fait après
quelques secondes avec des sensations de nausées, de sueurs froides et un teint très pâle. Il n’a jamais présenté de convulsion, de perte d’urine, de morsure de langue ni de désorientation temporo-spatiale. Il dit avoir bénéficié d’un bilan neurologique normal qui comportait une IRM cérébrale. Il n’y a pas d’antécédent familial de mort subite. L’examen clinique est normal. L’ECG ne montre pas d’anomalie particulière ni de la repolarisation, ni de la conduction ou du rythme cardiaque. L’échographie cardiaque montre une très discrète hypertrophie ventriculaire gauche sans autre anomalie. Le test à l’ajmaline permet de démasquer en V1 et V2, un aspect caractéristique de Brugada avec un sus décalage du segment ST de plus de 2 mm et une onde T inversée (figure 1). L’exploration électrophysiologique ne révèle aucune anomalie de la conduction auriculoventriculaire mais permet de déclencher une fibrillation ventriculaire par stimulation de
Figure 1. Aspect ECG typique de syndrome de Brugada : sus-décalage en dôme de ST de plus de 2 mm, onde T inversée, en V1 et V2.
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l’apex du ventricule droit sur un protocole non agressif. Il s’agit donc d’un patient qui a fait une dizaine de syncopes en 18 ans, inexpliquées mais « d’allure vagale », présentant un syndrome de Brugada révélé par un test à l’ajmaline. Par ailleurs, il existe une fibrillation ventriculaire déclenchable, élément reconnu à l’époque, comme un facteur de risque dans le cadre du syndrome de Brugada. Même si nous étions à peu près persuadés que toutes les syncopes n’étaient pas d’origine rythmique, leur existence, leur répétition et le déclenchement d’une fibrillation ventriculaire ne permettaient pas de ne pas retenir l’implantation d’un défibrillateur automatique. Le problème du rôle potentiellement aggravant du traitement bêtabloquant se posait. Nous avons conservé ce traitement pour 3 raisons : l’ancienneté des premières syncopes, antérieures à la prise de bêtabloquant, l’absence jusqu’à ce jour de syncope grave avec ce traitement et la possibilité non exclue, en raison de ses facteurs de risque, d’une coronaropathie sous-jacente. L’implantation d’un défibrillateur automatique mono-chambre possédant des fonctions de surveillance à distance est réalisée sans complications. Le suivi biannuel ne montre pas d’évènement ventriculaire détecté et le patient reste asymptomatique pendant 18 mois sans modification thérapeutique, avec un seul ECG spontanément typique de Brugada durant ce suivi. Il consulte en urgence après ces 18 mois de surveillance, pour une nouvelle syncope. Elle est survenue la veille, à l’emporte-pièce, en rentrant d’une promenade, alors qu’il était debout chez lui sans aucune circonstance déclenchante. La perte de connaissance a duré 1 à 2 minutes. L’interrogatoire de son épouse permet d’apprendre que le patient avait les yeux ouverts, qu’il respirait, mais était sans connaissance. Il n’a pas eu de convulsion, pas de perte d’urine, pas de morsure de langue. Cette perte de connaissance ressemblait beaucoup, aux épisodes antérieurs, avec un élément supplémentaire qui est l’existence d’une période de désorien-
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tation temporo-spatiale dans les minutes qui suivirent la récupération. L’ECG est normal en rythme sinusal à 86/mn avec une tension artérielle élevée à 170/80. Il n’y a pas d’hypotension orthostatique. L’interrogatoire du défibrillateur ne retrouve aucune arythmie ventriculaire. Il est programmé par ailleurs en VVI à 40/mn, sans qu’on puisse savoir s’il s’est mis en marche au moment de la syncope. Les paramètres de fonctionnement sont tout à fait normaux. En l’absence d’explication strictement cardiologique à cette perte de connaissance, le patient est revu par un neurologue spécialisé dans le domaine de la comitialité, qui , sur les données cliniques et EEG retient le diagnostic d’épilepsie partielle à point de départ temporal et entreprend un traitement par Keppra 750 mg/j puis 1 g/j. Le suivi de ce patient, avec 3 ans de recul, est marqué par l’absence de récidive de syncope et d’arythmie ventriculaire détectée. L’ECG montre un rythme sinusal avec un bloc incomplet droit et un sus-décalage en selle de ST dans les dérivations précordiales droites. Cette observation illustre plusieurs problèmes fréquents dans la prise en charge du syndrome de Brugada : • La difficulté du diagnostic étiologique des syncopes : ce patient présente très certainement une comitialité mais, à ce stade, il n’est pas possible d’exclure formellement que cette étiologie soit la seule responsable des symptômes. Des malaises vagaux authentiques et des malaises « d’allure vagale » d’origine rythmique ne sont pas rares chez ces patients. Seule l’évolution à long terme sous traitement anti-comitial permettra d’être plus affirmatif. • Les décisions thérapeutiques sont souvent délicates et reposent sur des recommandations datant de 2006, actuellement largement remises en cause en particulier en ce qui concerne la valeur prédictive de l’exploration électrophysiologique. Si les syncopes de ce patient sont interprétées comme ayant une origine rythmique possible, ce qui était le cas, l’implantation d’un défibrillateur est formelle. Si les syncopes avaient pu être attribuées exclusivement à la comitialité, le cas de figure était tout AMC pratique n°184 janvier 2010
autre puisque le patient aurait alors été considéré comme « asymptomatique » vis-àvis du Brugada avec toute la problématique de la prédiction du risque rythmique. Néanmoins, le défibrillateur paraît, chez ce patient particulier, légitime en raison d’un ECG de base typique, même de manière inconstante, et d’une fibrillation ventriculaire inductible. Il faut souligner que nous avons maintenant une expérience de plus de 10 ans avec l’hydroquinidine chez ces patients asymptomatiques et déclenchables qui donne des résultats tout à fait remarquables. Néanmoins, ce traitement n’est pas actuellement validé et un protocole prospectif national randomisé intitulé QUIDAM teste actuellement cette option thérapeutique de manière contrôlée. • L’intérêt de la télé-cardiologie est particulièrement évident chez ce type de patient
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qui n’a pas de cardiopathie autre qu’électrique, souvent pas de traitement médical et dont le contrôle du défibrillateur pourrait n’être fait de visu qu’une seule fois par an, les autres contrôles, purement techniques étant réalisés automatiquement avec des consultations à la demande en cas de problème technique ou clinique.
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A. Leenhardt, et al.
Cette observation illustre, dans le cadre du syndrome de Brugada, un problème pratique où la décision thérapeutique est difficile. Elle doit se prendre en confrontant l’expérience de plusieurs rythmologues, cardiologues et neurologues, situation au mieux réalisée dans les centres de référence et de compétence pour les maladies rythmiques héréditaires. Conflit d’intérêt : aucun.
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