Syndrome de Goujerot-Sjögren primitif et neuromyélite optique de Devic

Syndrome de Goujerot-Sjögren primitif et neuromyélite optique de Devic

La Revue de médecine interne 31 (2010) e13–e15 Cas clinique Syndrome de Goujerot-Sjögren primitif et neuromyélite optique de Devic Primary Sjögren’s...

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La Revue de médecine interne 31 (2010) e13–e15

Cas clinique

Syndrome de Goujerot-Sjögren primitif et neuromyélite optique de Devic Primary Sjögren’s syndrome and neuromyelitis optica N. Chourkani ∗ , B. El Moutawakil , M. Sibai , M. Bourezgui , M.A. Rafai , I. Slassi Service de neurologie et d’explorations fonctionnelles, CHU Ibn Rochd, quartier des hôpitaux, Casablanca, Maroc

i n f o

a r t i c l e

Mots clés : Syndrome de Devic Syndrome de Goujerot-Sjögren primitif Vascularite Anticorps anti-NMO

r é s u m é La neuromyélite optique de Devic est une affection inflammatoire se traduisant par une névrite optique et une myélite aiguë. Dans 30% des cas, elle s’associe à une pathologie auto-immune. Nous rapportons les observations de deux patientes chez qui un syndrome de Gougerot-Sjögren primitif était posé au moment d’une poussée de neuromyélite optique aiguë de Devic. Le mécanisme physiopathologique qui sous-tend l’association de ces deux entités n’est pas parfaitement établi, et l’hypothèse d’une association fortuite de deux pathologies auto-immunes reste la plus probable. Le pronostic de la neuromyélite paraît plus sévère ce qui rend légitime la recherche d’un syndrome de Gougerot devant tout syndrome de Devic. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Devic’s syndrome Primary Sjögren’s syndrome Vasculitis NMO-IgG

Neuromyelitis optica (NMO) is characterized by the association of optic neuritis and myelitis without any other neurological signs. In 30% of the cases, NMO is associated with a systemic disorders. We report two cases of NMO associated with primary Sjögren’s syndrome that was diagnosed during an acute flare of NMO. The relationship between NMO and Sjögren’s syndrome has not been clearly identified. This association likely reflects the coexistence of two autoimmune disorders. The prognosis of NMO appears to be more severe in patients having coexisting Sjögren’s syndrome, which renders useful to search for this association in patients with neuromyelitis optica. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction

2. Observations

La neuromyélite optique de Devic (NMO) ou syndrome de Devic se caractérise par des manifestations inflammatoires cliniquement limitées aux nerfs optiques (névrite optique aiguë uni- ou bilatérale) et à la moelle épinière (myélite aiguë) [1,2]. D’évolution monophasique ou à rechute, la NMO peut être isolée ou associée à une maladie inflammatoire systémique, infectieuse ou endocrinienne [1–3]. L’association à un syndrome de Goujerot-Sjögren primitif (SGSP) est rarement décrite, et nous en rapportons deux observations.

2.1. Observation 1

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : chourkani [email protected] (N. Chourkani).

Une femme âgée de 43 ans, se plaignant de xérostomie, rapportait plusieurs épisodes neurologiques depuis 2005 : • le premier, en janvier 2005, était une tétraparésie avec rétention vésicale. Cet épisode régressait spontanément mais partiellement (persistance d’une parésie des membres inférieurs) ; • le deuxième survenait en mars 2006 et était marqué par une baisse de l’acuité visuelle gauche, régressive sous bolus de méthylprednisolone ; • le troisième en mai 2006 comportait un nouvel épisode de baisse de l’acuité visuelle gauche, motivant l’hospitalisation actuelle. À l’admission, l’examen retrouvait une paraparésie spastique, des réflexes ostéotendineux vifs aux quatre membres, une diminution de la pallesthésie des quatre membres. L’examen ophtalmolo-

0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.08.018

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quée par une récupération motrice partielle, sans nouvel épisode visuel avec un recul de trois ans. 2.2. Observation 2

Fig. 1. IRM médullaire en coupe sagittale séquence T2 montrant un hypersignal intramédullaire cervicodorsal étendu.

gique retrouvait une acuité visuelle à 8/10 à droite sans anomalie au fond d’œil, alors qu’à gauche, l’acuité visuelle se limitait à la perception lumineuse, et le fond d’œil montrait une atrophie optique. L’IRM médullaire montrait un hypersignal intramédullaire cervicodorsal étendu sur plus de trois vertèbres (Fig. 1). L’IRM cérébrale était normale. Les potentiels évoqués visuels étaient altérés de fac¸on bilatérale. L’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) mettait en évidence une hyperalbuminorrachie à 0,73 g/l et sept éléments, sans synthèse intrathécale ni bandes oligoclonales. Le diagnostic de syndrome de Devic était retenu selon les critères de Wingerchuk [2]. La vitesse de sédimentation était à 45 mm/1 h. Le reste du bilan était normal ou négatif : numération formule sanguine, électrophorèse des protéines sériques, sérologies virales (VIH, hépatites virales B et C). La recherche de tuberculose était négative : radiographie thoracique, intradermoréaction à la tuberculine, recherche de bacille tuberculeux dans les sécrétions bronchiques et par tubage gastrique. Les examens immunologiques (facteur rhumatoïde, anticorps antinucléaires, anti-ADN natifs, antiphospholipides, ANCA, cryoglobulinémie) étaient normaux. La recherche des anticorps anti NMO était également négative. En revanche, le test de Schirmer révélait une sécheresse lacrymale, la biopsie des glandes salivaires accessoires (BGSA) une sialadénite chronique stade III de Chisholm et Mason, et le dosage des anticorps anti-SSA et anti-SSB était positif à 75 et 60 U respectivement (taux significatif > 40). L’association à un SGSP était retenue. Outre un traitement antispastique, la patiente recevait des bolus de méthylprednisolone de 1 g/j pendant cinq jours, relayés par prednisone 1 mg/kg par jour pendant un mois puis à dose dégressive, associés à un traitement immunosuppresseur par cyclophosphamide en bolus mensuels de 1 g, relayés ensuite par azathioprine à la dose de 3 mg/kg par jour. L’évolution était mar-

Une femme âgée de 48 ans se plaignant de xérostomie, présentait en 2001 un déficit des quatre membres avec troubles sphinctériens, régressif sous bolus de corticoïdes. En 2004, la même symptomatologie récidivait. En 2006, elle présentait une baisse de l’acuité visuelle bilatérale. À l’examen clinique il existait une tétraparésie avec un niveau sensitif cervical C3. À l’examen ophtalmologique la patiente comptait les doigts à un mètre, avec au fond d’œil une atrophie optique à gauche et une pâleur papillaire à droite. L’IRM médullaire mettait en évidence un hypersignal T2 cervical étendu sur plus de trois vertèbres. L’IRM cérébrale était normale. Les potentiels évoqués visuels étaient altérés, l’étude du LCR était normale : biochimie, cytobactériologie et immunoélectrophorèse des protéines. Le dosage des anticorps anti-NMO était négatif. Le bilan étiologique comportait un test de Schirmer positif, une BGSA montrant une sialadénite chronique stade III de Chisholm et Mason et un dosage des anticorps anti-SSA et anti-SSB positif respectivement à 40 et 60 U. Le reste du bilan immunologique et infectieux était négatif ou normal. Le diagnostic d’un syndrome de Devic associé à un SGSP était retenu. Le traitement comportait des bolus de méthylprednisone 1 g/j pendant cinq jours relayés par prednisone à doses dégressives associés au cyclophosphamide en bolus mensuels de 1 g pendant 11 mois. L’évolution était marquée par une récupération initiale partielle de la vision, puis un an après par la survenue d’une poussée visuelle avec à l’examen ophtalmologique une atrophie optique totale bilatérale. Mise alors sous azathioprine, la patiente décédait lors d’une autre poussée médullaire en septembre 2007. 3. Discussion Le syndrome de Gougerot-Sjögren primitif est la plus fréquente des maladies de système. Il touche 0,5 à 3 % de la population. Il s’accompagne fréquemment de manifestations neurologiques (21–67 %) [4], qui sont parfois inaugurales de la maladie. Il s’agit avant tout d’une atteinte du système nerveux périphérique à type de polyneuropathie sensitivomotrice ou sensitive pure, l’atteinte du système nerveux central n’étant retrouvée que dans moins de 20 % des cas [5]. La neuromyélite optique (NMO) est une entité anatomoclinique rare caractérisée par une démyélinisation aiguë et extensive des nerfs optiques et de la moelle épinière. Sa parenté avec la sclérose en plaques a été longtemps évoquée et a constitué un obstacle à l’identification des NMO rémittentes, mais actuellement la NMO est considérée comme une pathologie autonome avec certaines particularités pathogéniques, cliniques, biologiques, radiologiques et évolutives [1]. L’association d’un SGSP à un authentique syndrome de Devic a été rapportée dans la plupart des séries de NMO. Dans la série de Wingerchuk et al. [3], la NMO était associée à une pathologie autoimmune dans 15 cas (30 %) dont quatre étaient des SGSP. Dans la série de De Sèze et al. [4], sur 13 patients, cinq avaient une maladie auto-immune associée (38 %) dont un cas de lupus et quatre cas de SGSP. À l’inverse, dans une série de myélopathies associée à un SGSP, sur sept cas de myélite aiguë, quatre avaient un tableau typique de NMO [5]. D’autres observations isolées ont été rapportées [6–8] dont deux pédiatriques [6,8]. Chez nos patientes, le syndrome de Devic a révélé le SGSP jusque là méconnu. Dans la littérature, le délai entre l’apparition

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des signes neurologiques et le diagnostic de SGSP peut être de plusieurs années. Ainsi, Gökcay et al. [8] rapportent l’observation d’une jeune fille de 20 ans suivie pour un syndrome de Devic depuis l’âge de dix ans alors que le diagnostic d’un SGSP associé n’est fait que dix ans après. Dans la série de De Sèze et al. [9], le syndrome de Devic avait précédé le diagnostic de SGSP dans les quatre cas avec des délais allant de deux à 14 ans. Les complications neurologiques du SGSP pourraient résulter d’une vascularite auto-immune dans laquelle l’antigène SSA jouerait un rôle important spécialement dans les atteintes centrales [10]. Cet anticorps a été retrouvé chez 77 % des cas de myélite aiguë transverse récurrente sans étiologie évidente, et serait alors un facteur prédictif de rechutes [11]. Le mécanisme physiopathologique sous-tendant l’association SGSP et NMO n’est pas parfaitement élucidé : le syndrome de Devic serait-il lié à une vascularite associé au SGSP ou s’agirait-il d’une simple association de deux pathologies auto-immunes sur un terrain dysimmunitaire ? La plupart des auteurs sont plutôt en faveur de cette deuxième proposition [12]. Des études multicentriques ont été conduites pour évaluer la relation entre des maladies auto-immunes type SGSP ou lupus érythémateux disséminé et le syndrome de Devic [12,13]. Elles ont démontré la spécificité des anticorps anti-NMO pour distinguer les neuropathies optiques et les myélites aiguës rentrant dans le cadre d’un syndrome de Devic de celles relevant de pathologies autoimmunes : en cas de SGSP ou de lupus la recherche d’anticorps anti-NMO étaient négative, ce qui est en faveur de la coexistence du syndrome de Devic avec ces pathologies au même titre qu’une thyroïdite auto-immune, un diabète de type I ou une myasthénie. Des études immunopathologiques des lésions médullaires chez ces patients s’avèrent nécessaire pour mieux comprendre la relation entre ces pathologies [12]. En pratique, l’association à un SGSP ne modifie en rien le traitement « classique » du syndrome de Devic. Les corticoïdes en bolus pendant trois à cinq jours sont utilisés lors des poussées, les échanges plasmatiques ont également été proposés [5–8,14]. Pour prévenir les rechutes, une corticothérapie orale à forte dose 1 mg/kg par jour, associée à un traitement immunosuppresseur est indiqué ; l’association de prednisone et d’azathioprine ainsi que l’utilisation d’un anticorps monoclonal anti-lymphocytaire B (rituximab) par voie intraveineuse ont permis une diminution notable de la fréquence des poussées mais avec un recul insuffisant respectivement de 18 mois et de 12 mois [15,16]. Le cyclophosphamide est utilisé en cures mensuelles pendant un an par certains auteurs [5,17]. Généralement, la présence d’une pathologie auto-immune associée au syndrome de Devic est un facteur prédictif de rechute. En

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particulier, le syndrome de Devic associé au SGSP paraît être de mauvais pronostic, avec des poussées plus sévères et plus rapprochées, comme chez notre seconde patiente et les cas rapportés dans la littérature [6–8]. Conflits d’intérêt Aucun. Références [1] Cabre P, Bonnan M, Olindo S, Brochet B, Smadja D. Neuromyélites optiques. EMC 2007, 17-066-A-57. [2] De Sèze J. Myélites aiguës transverses. Rev Med Interne 2009;30(12):1030–37. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2009.03.008. [3] Wingerchuk DM, Hogarcamp WF, O’brien PC, Weinshenker BG. The clinical course of neuromyelitis optica (Devic’s syndrome). Neurology 1999;53:1107–14. [4] Lafitte C. Manifestations neurologiques du syndrome de Sjögren primitif. Rev Neurol 2002;10:959–65. [5] De Seze J, Stojkovic T, Hachulla E. Myélopathies et syndrome de Gougerot-Sjögren : étude clinique, radiologique et profil évolutif. Rev Neurol 2001;157:669–78. [6] Arabshahi B, Pollock AN, Pollock, Sherry DD, Albert DA, Kreiger PA, et al. Devic disease in a child with primary Sjögren syndrome. J Child Neurol 2006;21:285–6. [7] Barroso B. Primary Sjögren syndrome mimicking neuromyelitis optica. Eur J Intern Med 2007;18:507–8. [8] Gökcay F, Celebisoy N, Gökcay A, Kabasakal Y, Oder G. Primary Sjogren’s syndrome presenting as neuromyelitis optica. Pediatric Neurol 2007;36:58–60. [9] De Seze J, Stojkovic T, Ferriby D, Gauvrit JY, Montagne C, Mounier-Vehier F. Devic’s neuromyelitis optica: clinical, laboratory, MRI and outcome profile. J Neurol Sci 2002;197:57–61. [10] Alexander EL, Ranzenbach MR, Kumar AJ. Anti-Ro(SSA) antibodies in central nervous system disease associated with Sjögren’s syndrome (CNS-SS): clinical, neuroimaging, and angiographic correlates. Neurology 1994;44: 899–908. [11] Hummers LK, Krishnan C, Casciola-Rosen L, Rosen A, Morris S, Mahoney JA, et al. Recurrent transverse myelitis associates with anti-Ro (SSA) autoantibodies. Neurology 2004;62:147–9. [12] Pittock SJ, Lennon VA, De Seze J, Vermersch P, Hamburger HA, Wingerchuk DM, et al. Neuromyelitis optica and non-organ-specific autoimmunity. Arch Neurol 2008;65:78–83. [13] Weinshenker B, De Sèze J, Vermersch P, Pittock S. The relationship between Neuromyelitis optica and systemic autoimmune disease. Neurology 2006;66:A380. [14] Mochizuki A, Hayashi A, Hisahara S, Shoji S. Steroid-responsive Devic’s variant in Sjögren’s syndrome. Neurology 2000;54:1391–2. [15] Mandler R, Ahmed W, Dencoff J. Devic’s neuromyelitis optica: a prospective study of seven patients treated with prednisone and azathioprine. Neurology 1998;51:1219–20. [16] Cree B, Lamb S, Morgan K, Chen A, Waubant E, Genain C. An open label study of the effects of rituximab in neuromyelitis optica. Neurology 2005;64: 1270–2. [17] Williams CS, Butler E, Roman GC. Treatment of myelopathy in Sjögren’s syndrome with a combination of prednisone and cyclophosphamide. Arch Neurol 2001;58:815–9.