Revue du rhumatisme 80 (2013) 201–203
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Éditorial
Tabac et spondylarthrite夽
i n f o
a r t i c l e
Mots clés : Spondylarthrite ankylosante Activité de la maladie Tabagisme Progression radiographique
Le tabagisme est l’un des facteurs de risque majeurs dans l’apparition de la polyarthrite rhumatoïde [1]. Afin de déclencher les différents phénomènes physiopathologiques de la maladie, surviennent des interactions spécifiques entre ce facteur environnemental modifiable et les caractéristiques génétiques individuelles (par exemple les gènes de l’épitope partagé) [2]. Cependant, fumer ne semble pas influencer la progression radiographique à long terme de la maladie, ni l’importance de l’impotence fonctionnelle [3], suggérant que le tabac influencerait uniquement le déclenchement de la maladie sans influencer sa sévérité. Récemment, de nouvelles données supportent le lien entre le tabagisme et d’autres rhumatismes inflammatoires, en particulier les spondyloarthrites (SpA). Chez les patients atteints de spondylarthrite ankylosante (SA), le tabac a été associé à une augmentation de l’activité de la maladie [4,5], à une altération fonctionnelle plus importante [4–8], à une qualité de vie plus médiocre [5,9] et à plus de lésions radiographiques [6,10]. Ces données ont été corroborées dans la cohorte franc¸aise devenir des spondyloarthropathies indifférenciées récentes (DESIR) chez 647 patients présentant une SpA axiale de moins de trois ans d’évolution à l’inclusion [11]. Le tabagisme n’était pas seulement associé à un indice de la maladie plus important parmi les autoquestionnaires (particulièrement le Bath Ankylosing Spondylitis Disease Activity Index [BASDAI]), mais aussi à un score Ankylosing spondylitis Disease Activity Score (ASDAS) plus élevé, qui est un score composite incluant la CRP, et avec des lésions inflammatoires plus fréquentes des sacro-iliaques et du rachis à l’IRM. Un BASDAI et un ASDAS plus élevés chez les patients tabagiques atteints d’une SpA axiale étaient retrouvés aussi à l’inclusion dans la cohorte Suisse (Swiss Clinical Quality Management [SCQM]axial SpA) [12]. Cependant, l’impact du tabagisme sur le BASDAI variait selon le statut HLA-B27 : le niveau moyen du BASDAI était plus élevés de 0,8 points chez les patients fumeurs HLA-B27 positifs versus les patients non-fumeurs HLA-B27 positifs, alors qu’aucune différence n’a été observée chez les HLA-B27 négatifs. Cette interaction entre
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.jbspin.2012.10.017. 夽 Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc¸aise de cet article, mais la référence anglaise de Joint Bone Spine avec le DOI ci-dessus.
le tabac et le HLA-B27 n’a pas été retrouvée dans la cohorte DESIR. La raison de cette discordance n’est pas connue, mais pourrait être expliquée par la fréquence différente de HLA-B27 entre les deux études (moins de 65 % dans DESIR versus 84 % dans SCQM axial SpA). Alors que ces associations entre tabagisme et activité élevée de la maladie semblent intéressantes, aucun lien de causalité n’a pu être établi, car les études avaient un caractère transversal. Ce sont les études longitudinales, émettant l’hypothèse que les tabagiques montrent moins d’amélioration en termes d’activité de la maladie comparés aux non tabagiques, qui permettront de démontrer que le tabac influence l’activité de la maladie. Au contraire, si le tabagisme n’influait pas sur l’activité de la SA, on pourrait s’attendre à ce que le cours de la maladie, en particulier l’évolution des scores BASDAI et ASDAS, soit parallèle entre les fumeurs et les non-fumeurs (Fig. 1). À notre surprise, nous avons retrouvé une évolution parfaitement parallèle dans le temps entre les fumeurs et les non-fumeurs des scores ASDAS et BASDAI dans une analyse de la cohorte SCQM axial SpA, indépendamment du statut HLAB27 [12]. Comment pourrons-nous concilier le fait que les patients atteints de SA qui fument semblent avoir une activité de la maladie plus importante à l’inclusion, alors que l’évolution ne montre pas d’atteinte plus défavorable ? On peut conjecturer que les fumeurs viennent consulter un rhumatologue à un stade plus tardif de leur maladie (biais de sélection), mais une fois traités correctement, ils répondent de la même fac¸on que les non-fumeurs. Une autre explication serait que des différences existent entre les fumeurs et les non-fumeurs parmi les SA et constituent des facteurs confondants qui influencent l’évolution de la maladie. Une évolution plus défavorable de la maladie chez les SA fumeurs avec une activité plus importante de la maladie a été constatée uniquement chez les patients avec une CRP et une vitesse de sédimentation (VS) élevées à l’inclusion dans la cohorte Swiss axial SpA (données non publiées). Il est intéressant de noter que les paramètres biologiques de l’inflammation semblent prédire la progression radiographique axiale de la SpA [13]. Chez les patients n’ayant pas de syndesmophytes à l’inclusion qui fument et qui ont des CRP élevées, le risque de progression radiographique augmentait de 4 à 20 % après deux ans. La différence était encore plus frappante chez les SA avec des lésions rachidiennes préalables, chez qui le risque de progression ultérieure rachidienne passait de 19 à 55 % chez les fumeurs avec une CRP élevée. Ces données suggèrent une interaction entre le tabac et l’inflammation dans la SA et pourraient permettre d’identifier un groupe de patients ayant un risque élevé d’évolution sévère de leur SA axiale. Les mécanismes sous-tendant les effets du tabagisme sur l’évolution de la SA ne sont pas connus jusqu’à présent. L’évolution moins favorable de la maladie dans au moins un sous-groupe de
1169-8330/$ – see front matter © 2012 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rhum.2012.11.008
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Fig. 1. Impact hypothétique du tabac sur l’évolution de la SpA. A. Le tabac affecte l’évolution de la maladie. B. Aucun effet du tabac sur l’évolution de la maladie.
patients fumeurs pourrait-être expliqué par l’effet du tabac sur la réponse aux traitements, parmi lesquels les anti-TNF alpha et les Disease modifying anti-rheumatic drugs (DMARDs) conventionnels, chose qui est bien établie dans la polyarthrite rhumatoïde [14–16]. De plus, le tabagisme est fortement associé à une élévation des paramètres de l’inflammation, particulièrement la CRP [17,18], favorisant une inflammation systémique de bas-grade chez les fumeurs [19]. Comme le couplage de l’inflammation et de la progression radiographique est encore sujet à un grand débat [20], l’impact documenté du tabagisme sur la formation de syndesmophytes [13] pourrait être encore plus difficile à élucider. L’activation de la signalisation Wnt en bloquant l’antagoniste du Wnt, le DKK1 mène à une nouvelle formation osseuse et des taux très bas de DKK1 étaient retrouvés dans la SA [21]. Le tabac peut mener à une activation aberrante des voies Wnt en inhibant les ligands antagonistes du récepteur Wnt à travers une hyperméthylation du promoteur dans certains carcinomes humains [22]. Alors que la relation causale entre le tabagisme et la progression de la SpA n’est pas encore bien établie, le tabac pourrait favoriser une mauvaise évolution de la maladie. De plus, le tabagisme est un facteur modifiable parmi les habitudes de vie, et pourrait donc être une cible modifiable afin de contrôler la maladie. Cependant, il reste à déterminer si le sevrage tabagique influenc¸ait de fac¸on positive l’évolution de la SA. Les patients présentant une SA ont un risque plus élevé de maladie cardiaque et vasculaire cérébrale [23]. Les maladies vasculaires sont la cause la plus fréquente de décès et la principale cause de mortalité observée dans la SA [24]. Conseiller et aider nos patients spondylarthritiques à diminuer leur exposition au tabac est justifiée à ce stade afin de réduire le risque cardiovasculaire additionnel et améliorer potentiellement leur devenir à long terme. La plupart des patients présentant une SpA sont relativement jeunes, ce qui implique que nous avons l’opportunité de prevenir le tabagisme ou au moins d’éviter une consommation chronique de tabac. Globalement, les nouvelles données émergeant sur le tabagisme dans les pathologies rhumatismales impliquent que les rhumatologues doivent être avertis de la nécessité d’accompagner des fumeurs souhaitant arrêter de fumer et à apprendre à motiver une cessation du tabac chez nos patients fumeurs les autres fumeurs à le faire aussi [25].
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Adrian Ciurea a,∗ Axel Finckh b a Service de rhumatologie, hôpital universitaire de Zurich, Gloriastrasse 25, 8091 Zurich, Suisse b Service de rhumatologie, hôpital universitaire de Genève, Genève, Suisse ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Ciurea)
Accepté le 19 octobre 2012 Disponible sur Internet le 26 janvier 2013