Troubles des conduites alimentaires et tentatives de suicide chez deux élèves danseuses

Troubles des conduites alimentaires et tentatives de suicide chez deux élèves danseuses

Arch Pddlatr 1996;3:51-54 51 © Elsevier,Paris Fait clinique Troubles des conduites alimentaires et tentatives de suicide chez deux 61 ves danseuse...

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Arch Pddlatr 1996;3:51-54

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© Elsevier,Paris

Fait clinique

Troubles des conduites alimentaires et tentatives de suicide chez deux 61 ves danseuses M Sanchez-Cardenas, C Paruit Portes Service des exploratlonsfonctlonnelles, HOtel-Dleu, CHRU de Nantes, place A-R[cordeau, 44000 Nantes, France

(Re~u le 21 janvier 1993; accept6le 17juillet 1995)

R~sum~ La population des 61~ves.danseuses constitue un groupe h risque pour l'anorexie et la boulimie aiors que les tentatives de suicide ne sent pas observ6es dans ce groupe. Observations. - Deux adolescentes, ag6es respectivemeat de 16 et 15 ans, avaient ~t6 hospitalis6es pour tentative de suicide. Elles 6taient dl~ves darts un cours de danse et avaient ant~rieurement 616 trait~es pour anorexic mentale. L'une d'entre elles pr~sentait des traits d6pressifs et l'autre des manifestations hyst~riformcs. Conclusion. - La surveillance psychologique de ees adolescents h haut niveau d'exigenccs sportives et de stress scolaire devrait etre syst6matique, tentative de suicide / anorexic mentale I boulimle I ~coles de danse / adolescent

Summary - Eating disorders and suicide attempts In two ballet students. Background. - Young ballet dancers constitute a risk group for anorexia and bullmia but suicide attempts have not been reported in this group. Case reports.- Two girls, aged 16 and 15 years, respectively, were admitted for suicide attempts. Both were students in a ballet school and had been previously treated f o r anorexia nervosa. One o f them was d e p r e s s e d and the other had h y s t e r i c a l manifestations. Conclusion. - Psychological monitoring should be systematic in young athletic subjects of high-level performances.

suicide, attempted I anorexia nervosa / bulimla / dancing [ adolescent medicine

La tentative de suicide (TS) quelle q u ' e n soit rissue, est fr6quente/X radolescence et repr6sente une des premieres causes de mortalit6 ii cet fige (351 cas pour 100000 centre 188/100000 dans la population tons ltges confondus [1]). Nous tappertons deux observations de TS chez des 61~ves danseuses d'un cours sup6rieur de danse d'un conservatoire national de r6gion (CNR) pour lesquelles une anorexic mentale a 6t6 d6pist6e. Si la pr6valence de l'anorexie mentale est classiquement plus 61ev6e dans les populations de danseuses (6,5%) [2] par rapport/~ une population d'adolescentes

occidentales (1/200) [3], le risque de TS chez des danseuses pr6sentant des troubles des conduites alimentaires (TCA) n ' a pas 6t6 6voqu6 dans la litt6rature. OBSERVATIONS

Cas 1 En juin 1991, D, 16 ans, 61~ve en cours sup~rieur de danse au CNR est hospitalis6e pour une TS (ingestion de bromaz~pam, Lexonfil®). Elle p~se 45 kg (- 1 DS) pour

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1,65 m (+ 1 DS), le body mass index (BMI = P/T2) est de 16 (10 ~ percentile des courbes Inserm). Elle n'est pus r6glde; los taux do FSH, LH, ,0 estradiol et la radio de er~lne sent normuux, 1/110 est alors nettement d6pressive (aboulie, pessimisme, tristesse). La conjonetion TCAd6pression n'est pas rep6r6e lots de son hospitalisation; ni D ni sos parents n'6voquent de TCA et Iv suivi p6dopsyehiatrique propos6 no pout alors etre instaur6. En septembm 1991, lots de l'examan m6dical de rentr6e du CNR, D 6voque des 6pisodes de boulimie; clio a pris ¢ffectivement 8,5 kg en 4 mois (53,5 kg pour 165 cm). Par rapport i~ la courbe de croissance de Semp6, le poids passe do ( - 1 DS) iX (+ 1 DS), le BMI est h 19 (BMI moyen pour l'llge suivant los courbes lnserm); le poureentage de graisse est i~ 16% (mesure des plis cutan6s par pince de Holtain et calcul du pourcentago de graisse par la formule de Dumin [4]. Ellea 6t6 r6glde une fois et est ixnouveau am6norrh6ique. On a ainsi suspect6 un 6pisode anorexique au moment du concours de fin d'ann6e au CNR et de l'6preuve de frangais an bacealaur6at au moins de juin. En septembre, vile d6crit des 6pisodes de boulimie et de vomissements lors des retours hebdomadaircs chez sos parents; l'examen p6dopsychiatrique rel0ve un cort0ge d6pressif et eonfirme la boulimie solon los crit~res DSMIIIR [5] (tableau I). L'6volution au cours de l'ann6e suivante avee une surveillance p6dopsychiatrique mensuelle montre un espacement des dpisodes boulimiques, une am61ioration thymique nette mais avec la proximit6 de l'examen final du CNR et le baccalaur6at, elle s'estime incapable de surmonter l'angoisse de cette double deh6anco, d6cid0 d'abandonner la danse avant le eoneours, obtient son examen et part ix l'6tranger.

Cas 2 A, 15 ans, 6R:ve danseuse au CNR, est hospitalisde en p6diatrie en octobre 1991 apr0s une TS th6titrale (absorption de eomprim6s anxiolytiques decant sos eamarades de cantine). Sur Iv plan morphologique, elle est sur la moyenne des courbes de Setup6 (M) pour la talile et le poids: 47 kg (M) pour 164 cm (M), BMI ix 17. L ' e x a m e n p6dopsychiatrique ne mentionne q u ' u n eontexte familial psychopathologique important (syndrome ddpressif matemel trait6 et pore absent apr~s une ann6e de chfmage) et des relations conflietuelles avee Io pr.ofesseur de danse. L'interrogatoire de la m0re apprend qu'A aurait fait un dpisode d'anorexie mentale 6 mois auparavant au moment de la preparation du concours de fin d'annde do danse au CNR en juin 1991; eile aurar alors pesd 37 kg ( - 2 DS) pour une taille de 164 cm (BMI ix 14: nettement infdfieur au 3 c percentile), Le diagnostic r6trospectif d'anorexie est 6voqu6 decant l'association des cri-

Tableau I. Los crit~.res du DSM !Ii de I'anorvxie mentale et de la beulimie. Anorexle mentale (anorexia nervosa) A. Refus de maintenir un poids corporcl uu-dessus d'un poids minimum normal pour I'nge et la tallle, par cxemple porte de poids visant i~ maintenir un poids corporel de 15% inf6rieur it la nonnale ou iaeapacit6 i~prendre du poids pendant la p~riode de croissance, conduisant it un poids inf~rlanr it 15% de la normale. B. Pour intense de prendro du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inf6rieur it la normale. C. Perturbation de I'estimation de son poids eorporel, de sa

taill~ ou do sos formes, par exemple la personne dit ccsesentir grosse~>m~me quand clio est tr~s amaigd¢, crolt que certuines parties de son corps sent trop grosses alors m0me qu'elle ¢st, it 1'6vidance, trop maigre. D. Chez los femmes, absence d'au moins trois cycles menstruels eons~cutifs altendus (amdnorrhde primaire on secon. duire); (une femme est consid6rde comme am6norrh6Jque si los rEgles ne surviennent qu'apr~s I'administration d'hormones, par exemple ocstrogdniques).

Boullmie (bulimia nervosa) A. I~pidoser~eurrents de fr6n6sie alimentairc (~Binge ¢ating~) (consommutlon rapid¢ d'une large quantit6 de nourriture en un temps limit6). B. Sentiment de porte du eontr61e du comportemant alimantaire durant los 6pisodes de boulimie. C. Rdguli~remant Iv sujct, soit se fur vomit, soit use de laxatifs ou de diurdtiques, soit pratique un rdgim¢ strict c a jeOne, soit encore so livre i~ des exercices physiques imporrants dans le but do prdvenir toute prise de poids. D. Au molns deux dpisodes boulimiqucs cn moyenne pendant au moins trois mois. E. Pr6oecupation excessive et persistante concernant le poids et los formes corporclles.

t~res de DSMII1R (tableau I), ix cette p~riode. Le bilan p6dopsychiatrique permet de mettre en 6vidence un conflit parental (m~re tralt6e pour syndrome d6pressif et alcoolisme patemel), un conflit net avec le professeur de danse et des dpisodes hyst6fiformes ix plusieurs reprises aux cours de danse. L ' e x a m e n morphologiqne effectu6 en d6e~.mbre retrouve un poids "~47,5 kg ( - 1 DS) pour 164 cm (M), Iv BMI est ix 17; l'6volution ult&ieure ne montre pas de changcments morphologiques, los r~gles sent r~guli0res et le BMI reste inchang6. COMMENTAIRES C e s deux o b s e r v a t i o n s d ' a d o l e s c e n t e s souhaitant etre danseuses professionnelles nons ont conduits 6tudier d ' u n e part le eontexte de survenue de cos TS afin de rechercher des crit~res de risque et e n v i s a g e r d ' a u t r e part une surveillance m6dicale assurant une pr6vention e f f i e a c e et un d6pistage c o r r e c t des t r o u b l e s des c o n d u i t e s alimen~ ~.res

Troubles des conduites alimentaires et tentatives de suicide

duns la population ix risque que repr6sentent les adolescentes futures danseuses. La diff6rence de mode de survenue des TS peut s'expliquer par la diff6renee de personnalit6 des deux sujets: landis que A effectue un gusto public en dehors de tout 6pisode d6pressif suivant un mode hyst6riforme, D effeetue une TS solitaire dans un contexte f r a n c h e m e n t d6pressif. Le contexte pr6suicidaire reste souvent difficile ix rep6rer en raison de l'6volution sp6cifique de chaque adolescente mais une br~ve unquote psychologique pout 8tre int6ressante pour d~pister des souffrances psychologiques d'apparition r6cente. En effet, un ~syndrome de menace d6pressive, de l'adoleseent a 6t6 d6crit [6]. An bout de 2 ou 3 mois d'6volution spontan~e sur un tableau franchement d6pressif, ces 616ments sent: la pour d'etre env,'dai par la tristesse, le cafard, des idles suicidairea, une anxi6t6 aigu~ ou subaiguS, une irritabilitY, des insomnies, des cauchemars, des moments de d6sespoir. Cos diff6rentes donn6es devraient ~tre recherch6es syst~matiquement ix l'interrogatoire 1ors de bilans de surveillance des adolescentes 61~ves danseuses. En revanche, ~ l'inverse des syndromes d6pressifs constitu6s, on ne pout rep~rer ici de tristesse permanente, de ralentissement psychomoteur, de sentiments d'indignit6 ou de culpabilit6. Dans los deux cas, les 6pisodes d'anorexie mentale sent survenus iX proximit6 du contours de danse de fin d'ann6e, p6riode oi~ la pression de l'entourage en danse (professeur et autres 616yes) pout majorer le risque de d6compensation et la survenue d'~pisodes d'anorexie chez des sujets pr6sealant des perturbations de l'estimation du poids corporel ou des formes physiques et/ou une peur intense de prendre du poids. Calabrese et al [7] insistent sur la pression formidable port6e par les danseuses pour obtenir ou maintenir un pourcentage de graisse faible et un choix de poids largement bus6 chez olios sur l'esth6tique. Au cours des enquStes nutritionnelles chez des danseuses, Benson et al [8] notent leur d6sir de maintenir une laille de sylphide. Evers [9] conclut au risque de carence nutritionnelle et d'anorexie mentale chez des sujets ing6rant seulement deux tiers des rations alimentaires reconmaand6es [9]. Los ant~c6dents familiaux, des conduites addictires telles que alcoolisme, les syndromes d~pressifs sent ~t rechercher compte tenu de leur fr~quente association avec l'anorexie [10] tulle qu'on l'observe chez ces deux sujets. L'association d'anorexie et de boulimie est fr6quemment constat6e [11]. La boulimie est plus facilement 6voqu~e chez los danseuses qui consul-

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tent elles-m~mes pour avoir des conseils di6t6tiques afin ~de retrouver un poids compatible avec la morphologie des danseuses classiques >~ solon leurs dires; tandis qu'en p6riode anorexique le d6ni de la maladie los conduit ix cacher mSme iX leur entourage leurs anomalies des conduites alimentaires. Aucune de nos deux danseuses cit6es n'a 6voqu~ sos troubles des conduites alimenlaires an cours de l'hospitalisation. Los crit~res du DSMIIIR sent done tL rechercher syst6matiquement pour l'anorexie et la boulimie lors des examens m6dicaux des populations de danseuses. Nous n'avons pus retrouv6 de description de morphologie id~ale tulle que l'6voquent les danseuses. I I n e semble pus exister de crit~res stricts de s61ection sur le poids et la laille mais plut6t une unanimit6 sur un morphotype. Los criti~res morphologiques tels que poids, BMI, pourcentage de graisse des danseuses duns la litt6rature ~;e situent en-dessous des moyennes de la population fran9aise. Sur los courbes de r6f~rence Inserm, le 500 percentile de BMI iX 15 et 16 ans est compfis entre 19 et 20; il est de 19 pour lecas 1 en p6riode boulimique, de 16 pour los deux danseuses au moment de leur TS (en-dessous du 30 percentile des courbes Inserm), valeurs proches de celles de la litt6rature: 17,9 + 1,4 pour les danseuses de l'op6ra de Paris [12], 18 (10 e percentile) pour Abraham et al duns une autre 6rude [13]. Le calcul du pourcentage de graisse des plis culan6s est de 20 i~ 25 % dans la population f6minine pub~re frangalse [14]. Nous retrouvons, pour nos deux sujets, respectivement 16 et 15 %, 18,8 :e 3,6 % ix l'Op6ra de Pads [12] et 15,9 % pour los danseuses de ballet de Calabrese [7]. CONCLUSIONS Chez les 61~ves danseuses, la surveillance trimestrielle de la croissance et des param~tres morphologiques doit permettre de d6pister un trouble des conduites alimenlaires avec porte ou prise de poids rdcente, cassure de la courbe de croissance, retard pubertaire. Un interrogatoire comprenant los crit~res DSMIIIR d'anorexie et de boulimie dolt etre inclus au bilan des populations adolescentes i~ risque tulles que les danseuses mais 6galement des athletes pratiquant de fa¢on intensive un sport qui comporte des contraintes morphologiques (gymnastique, patinage artistique) ou pond6rales (cat6gorie de poids des sports de combat). IIne faut pas attendre la constitution d'un tableau templet de T C A car des formes cliniques dissoci~es et mineures constituent d6j/t une entree pr~occupante duns la pathologic potentielle. I1 faut insister pour

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~viter les r e c o m m a n d a t i o n s m o r p h o l o g i q u e s abusives de l ' e n t o u r a g e en particulier e n s e i g n a n t et rep~rer un s y n d r o m e de m e n a c e de suicide chez les a d o l e s c e n t e s f r t g i l i s d e s par la p r o x i m i t 6 des c o n c o u r s de danse de fin d'annde.

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