Annales de pathologie (2015) 35, 41—53
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MISE AU POINT
Tumeurs adipeuses Adipocytic tumors Nathalie Stock Service d’anatomie et cytologie pathologiques, pôle cellules et tissus, CHU Pontchaillou, 2, rue Henri-le-Guilloux, 35033 Rennes cedex 9, France ecembre 2014 Accepté pour publication le 2 d´ Disponible sur Internet le 20 d´ ecembre 2014
MOTS CLÉS Tumeurs adipeuses ; Lipome ; Hibernome ; Lipoblastome ; Liposarcome
KEYWORDS Adipocytic tumors; Lipoma; Hibernoma; Lipoblastoma; Liposarcoma
Résumé Les tumeurs adipeuses sont les tumeurs conjonctives les plus fréquentes, les liposarcomes représentant environ 20 % des sarcomes des tissus mous. Le diagnostic différentiel entre tumeurs adipeuses bénignes et malignes est souvent problématique et constitue une proportion significative des cas soumis pour consultation. Le but de cet article est de passer en revue les différents types de liposarcome et les principales tumeurs adipeuses bénignes : lipoblastome, hibernome, lipome à cellules fusiformes et pléomorphes, lipome chondroïde, ainsi que les tumeurs non adipeuses comportant un contingent lipomateux telles que la tumeur fibreuse solitaire lipomateuse, en insistant sur les problèmes pratiques de diagnostic différentiel et les outils immuno-histochimiques et moléculaires permettant de les résoudre. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Adipocytic tumors are the most common mesenchymal neoplasms, liposarcoma accounting for approximately 20% of soft tissue sarcomas. The differential diagnosis between benign and malignant tumors is often problematic and represents a significant proportion of consultation cases. The goal of this article is to review liposarcoma subtypes, the main benign adipocytic neoplasms: lipoblastoma, hibernoma, spindle/pleomorphic cell lipoma, chondroid lipoma, as well as non adipocytic neoplasms with a lipomatous component such as lipomatous solitary fibrous tumor, emphasizing on practical differential diagnosis issues, and immunohistochemical and molecular tools allowing their resolution. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Adresse e-mail :
[email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.12.001 0242-6498/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
42 Les tumeurs adipeuses sont les plus fréquentes des tumeurs des tissus mous [1]. Les tumeurs bénignes dépassent de beaucoup les tumeurs malignes et leur incidence réelle est sous-estimée. Dans le réseau sarcome qui collige tous les nouveaux cas franc ¸ais de sarcomes depuis le 1er janvier 2010, il existait en 2013 environ 2000 cas de liposarcomes sur les 10 000 sarcomes recensés ce qui représente 20 % de l’ensemble des sarcomes (http://www.conticabase.com/). Parmi les cas de tumeurs conjonctives rec ¸ues pour avis par les centres experts franc ¸ais, 15 % correspondent à une tumeur adipeuse après relecture. Les tumeurs adipeuses posent généralement peu de problèmes diagnostiques mais deux cas de figure récurrents s’imposent au pathologiste : • celui de ne pas méconnaître une tumeur adipeuse atypique/liposarcome bien différencié (TAA/LPS BD) face à une tumeur adipeuse mature. Cette situation est souvent source d’angoisse pour le pathologiste et représente un des cas de figure le plus fréquemment rec ¸u en consultation par les experts en tissus mous [2] ; • celui de ne pas poser à tort le diagnostic de sarcome devant une tumeur adipeuse atypique. Dans l’étude d’Arbiser et al. portant sur les cas rec ¸us pour avis par Sharon Weiss, les tumeurs adipeuses représentaient la part la plus importante (21 %) des tumeurs bénignes diagnostiquées à tort comme sarcomes [2].
Classification OMS 2013 des tumeurs adipeuses Les tumeurs adipeuses sont diagnostiquées selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle repose sur des critères histologiques et sur la mise en évidence d’anomalies moléculaires récurrentes dans plusieurs entités. Elle a été actualisée en 2013 [1]. Très peu de changements sont intervenus par rapport à la classification OMS 2002 [3]. Il n’a pas été décrit de nouvelle entité. Par contre, l’entité « liposarcome mixte » a été supprimée. Les liposarcomes (LPS) mixtes étaient considérés comme des tumeurs rarissimes, rétropéritonéales correspondant à une collision entre un LPS myxoïde/à cellules rondes et un LPS bien différencié/dédifférencié (BD/DD) ou comme une collision entre un LPS pléomorphe et un LPS BD/DD. De nombreux travaux ont montré que ces tumeurs correspondaient à des LPS dédifférenciés avec un contingent à différenciation lipogénique homologue [4] et sont donc désormais classés comme tels. Les tumeurs adipeuses bénignes sont les lipomes « ordinaires » ou conventionnels, les angiolipomes, les lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes, les myolipomes, les lipomes chondroïdes, les hibernomes et les lipoblastomes. Les tumeurs adipeuses malignes sont les tumeurs adipeuses atypiques/LPS bien différenciés (TAA/LPS BD), les LPS dédifférenciés (LPS DD), les LPS myxoïdes/à cellules rondes, les LPS pléomorphes. Les principales caractéristiques cliniques et les anomalies moléculaires des tumeurs adipeuses bénignes et malignes sont décrites de fac ¸on synthétique dans le Tableau 1.
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Lipomes conventionnels Les lipomes conventionnels superficiels sont de loin les plus fréquents. Les lipomes profonds correspondent aux lipomes intra- ou intermusculaires, aux lipomes des gaines des tendons, aux lipomes arborescents de la synoviale et aux lipomes lombosacrés. Ces tumeurs posent rarement des problèmes diagnostiques sauf en cas de grande taille ou de remaniements importants. Sur le plan immuno-histochimique, les adipocytes présentent un marquage intense et diffus, cytoplasmique et nucléaire pour la PS100 dans la totalité des cas, et un marquage nucléaire pour HMGA2 dans 86 % des cas [5,6]. L’expression de HMGA2 en immuno-histochimie est corrélée au fait qu’il existe des réarrangements impliquant le gène HMGA2 dans les lipomes ordinaires. Ce marquage n’est pas spécifique puisqu’il est observé dans de nombreuses tumeurs adipeuses bénignes ou malignes (86 % des liposarcomes bien différenciés, 76 % des liposarcomes dédifférenciés). Ce n’est pas non plus un marqueur de différenciation adipeuse puisqu’il est exprimé dans moins de 20 % des lipomes à cellules pléomorphes et qu’il n’est pas exprimé dans les autres tumeurs adipeuses notamment les LPS myxoïdes [6]. Par ailleurs, HMGA2 est exprimé dans les lésions fibrohistiocytaires à type de fasciite nodulaire et les histiocytofibromes. De fac ¸on intéressante, HMGA2 n’est pas exprimé dans le tissu adipeux normal et peut donc être une aide diagnostique sur microbiopsie ou en cas de ré-excision tumorale pour prouver l’origine tumorale du tissu adipeux échantillonné. Il n’est pas noté d’expression de MDM2 et CDK4 en immuno-histochimie dans les lipomes. Dans la série de Binh et al. portant sur 559 tumeurs des tissus mous, seules trois tumeurs adipeuses bénignes sur 33 (toutes initialement classées comme lipomes à cellules fusiformes ou pléomorphes) présentaient un marquage nucléaire pour MDM2 et/ou CDK4 ; l’une d’entre elle présentait a posteriori une amplification de MDM2 et CDK4 en Hybridation In Situ en Fluorescence (FISH) et correspondait donc à un LPS BD/DD [7]. Les lipomes peuvent être le siège de remaniements soit du fait de leur taille ou de leur localisation. En effet, un défaut d’irrigation vasculaire peut entraîner infarctus, hémorragie, calcifications, fibrose cicatricielle et peut causer de remaniements pseudokystiques. De même, un traumatisme ou une infection peuvent entraîner une nécrose adipocytaire. Dans ces cas, on observe une atrophie adipocytaire caractérisée par une irrégularité de taille des adipocytes avec des secteurs nécrotiques entourés de nombreux macrophages lipophages, de quelques cellules inflammatoires et de cellules géantes multinucléées (Fig. 1a). Des images de lipodystrophie membrano-kystique peuvent être notées. Ces aspects de relative richesse cellulaire, de fibrose et d’anisocytose ne doivent pas faire évoquer à tort le diagnostic de TAA/LPS BD. L’analyse morphologique fine reste une clé du diagnostic, car les macrophages présentent des noyaux arrondis ou ovalaires à chromatine claire. Il faut garder en tête que les macrophages et les cellules géantes multinucléées peuvent présenter un marquage nucléaire généralement faible pour MDM2. Ils sont négatifs pour CDK4. L’analyse en FISH permet de redresser le diagnostic en montrant l’absence d’amplification des gènes MDM2 et CDK4 dans les lipomes remaniés.
Tumeurs adipeuses Tableau 1 associées.
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Classification OMS des tumeurs adipeuses, principales caractéristiques cliniques et anomalies moléculaires
OMS classification of adipocytic tumours; clinical characteristics and associated molecular alterations.
Classification
Fréquence
Terrain
Localisation
Anomalie moléculaire
Tumeurs bénignes Lipome
Très fréquent
Adulte, 40—60 ans
Réarrangement 12q14.3 incluant HMGA2
Lipomatose
Rare
Enfants, adultes
Angiolipome
Fréquent
Adulte jeune
Tissu sous-cutané ou formes profondes, ubiquitaires Formes cliniques variables Tissu sous-cutané Avant-bras dans 60 % des cas Nuque, épaule et dos Tumeur superficielle Rares cas profonds Tissu sous-cutané (90 %) Cuisse ++ Superficiel ou profond Tronc et extrémités Profond ou superficiel Racines des membres Tête et cou (cavité buccale) Tumeur profonde Cavité abdominale ++
Lipome à cellules fusiformes/pléomorphe Hibernome Rare
Adultes, 45—60 ans H > >F Adultes jeunes Troisième décade Petite enfance, 90 % avant 3 ans Adultes, 30—40 ans F>H
Lipoblastome
Rare
Lipome chondroïde
Très rare
Myolipome des tissus mous
Très rare
Adultes, F > >H
40—45 % des LPS
Adulte d’âge moyen H=F Pic 6e décennie
LPS dédifférencié
20—30 % des LPS
Adulte d’âge moyen H=F
LPS myxoïde
20 % des LPS
LPS pléomorphe
Rare 5 % des LPS
Adulte jeune Pic 3e , 4e décennie Adultes âgés Pic 7e décennie
Tumeurs malignes TAA LPS bien différencié
Non décrites Caryotype normal
Pertes partielles multiples Perte du 16q et du 13q Déletion de Rb1 en 13q14 Réarrangement de la région 11q13-21 Réarrangement 8q11-13 incluant PLAG1 t(11;16)(q13;p12-13) impliquant C11orf95 et MKL2 Réarrangement 12q14.3 incluant HMGA2
Tissus mous profonds Amplification 12q13-15 Membres > rétropéritoine intéressant MDM2 et HMGA2 (100 %) et CDK4 (90 %) Tissus mous profonds Amplification 12q13-15 Rétropéritoine > membres intéressant MDM2 et HMGA2 (100 %) et CDK4 (90 %) Profond t(12;16) FUS-DDIT3 ou t(12;22) EWSR1-DDIT3 Cuisse 65 % des cas Réarrangements Tumeurs profondes complexes avec pertes et surtout Tissu sous-cutané (25 % gains génomiques des cas) Anomalies de P53, Rb1 et NF1
OMS : Organisation mondiale de la santé ; H : homme ; F : femme ; TAA : tumeur adipeuse atypique ; LPS : liposarcomes.
Variantes histologiques de lipome Les variantes histologiques de lipomes décrites dans l’OMS sont l’angiolipome, le myolipome, le lipoblastome, le lipome à cellules fusiformes et pléomorphes, l’hibernome et le lipome chondroïde. Seules les quatre dernières entités sus mentionnées seront décrites.
Lipoblastome Il s’agit d’une tumeur bénigne localisée ou diffuse (ex. lipoblastomatose) de la graisse blanche embryonnaire (Fig. 1a et b). Ces tumeurs rares présentent un risque de récidive locale si l’exérèse est incomplète, qu’il s’agisse d’une forme
diffuse ou localisée. Il n’a jamais été noté de métastase [8]. Les lobules sont constitués de cellules adipeuses dont la maturation est variable allant de cellules primitives fusiformes ou étoilées, en passant par des lipoblastes uni- ou multivacuolisés jusqu’à des adipocytes matures. Il existe souvent un gradient de maturation au sein des lobules ; les cellules immatures disposées sur un fond myxoïde sont plus nombreuses en périphérie avec une maturation adipocytaire plus marquée au centre des lobules. La vascularisation est abondante faite de petits capillaires pouvant rappeler le réseau vasculaire observé dans les liposarcomes myxoïdes. Certains secteurs sont pratiquement indiscernables des liposarcomes myxoïdes qui représentent le principal diagnostic différentiel. Les lipoblastomes surviennent dans la petite enfance et les
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Figure 1. a : lipoblastome : architecture lobulée (HE, ×5) ; b : lipoblastome : stroma myxoïde et abondante vascularisation ressemblant à un liposarcome myxoïde (HE, ×20) ; c : lipome à cellules fusiformes : cellules fusiformes monotones, rares adipocytes et épais faisceaux de collagène (HE, ×20) ; d : lipome à cellules fusiformes : perte de Rb1 au niveau des cellules tumorales, marquage nucléaire conservé au niveau des cellules endothéliales ; e : lipome à cellules pléomorphes (HE, ×20) ; f : lipome chondroïde : adipocytes associés à des travées et îlots de cellules vacuolisées (HE, ×10) ; g : hibernome : cellules éosinophiles granuleuses, noyaux nucléolés centraux (HE, ×40). a: lipoblastoma: lobulated architecture (HE, ×5); b: lipoblastoma: myxoid stroma and abundant vascularisation, resembling myxoid liposarcoma (HE, x20); c: spindle cell lipoma: monotonous spindle cells, rare adipocytes and thick collagen bundles (HE, ×20); d: spindle cell lipoma: Rb1 is lost in tumor cells but maintained in endothelial cells; e: pleomorphic cell lipoma (HE, ×20); f: chondroid lipoma: adipocytes admixed with cords and nests of vacuolated cells (HE, ×10); g: hibernoma: granular eosinophilic cells, central nuclei with nucleoli (HE, ×40).
liposarcomes myxoïdes à l’adolescence et chez les adultes jeunes. Dans ces dernières, qui sont aussi des tumeurs lobulées, le gradient de maturation est inversé avec des cellules d’aspect lipoblastique plus nombreuses en périphérie qu’au centre des lobules. L’immuno-histochimie n’est d’aucune aide diagnostique et seule l’analyse cytogénétique
permet de classer avec certitude les lésions équivoques en montrant des réarrangements de 8q11-13 (PLAG1) avec différents partenaires (HAS2, COL1A2, RAD51L1, COL3A1, RAB2A) et l’absence de translocation t(12;16) ou t(12;22) impliquant le gène DDIT3 dans les liposarcomes myxoïdes [9,10].
Tumeurs adipeuses
Lipome à cellules fusiformes/pléomorphes Ces tumeurs surviennent classiquement chez l’homme de plus de 40 ans, au niveau des tissus mous superficiels de la nuque, des épaules ou du dos (Fig. 1c à e). Il existe un continuum histologique entre les lipomes à cellules fusiformes et les lipomes pléomorphes. Le lipome à cellules fusiformes est constitué de proportions variables d’adipocytes et de cellules fusiformes d’aspect monotone, possédant de fines expansions cytoplasmiques. Ces éléments sont associés à d’épais faisceaux de collagène. Des remaniements myxoïdes du stroma sont fréquents. Le lipome à cellules pléomorphes contient en outre des cellules multinucléées aux noyaux hyperchromatiques. Ces tumeurs présentent un marquage cytoplasmique pour le CD34. La PS100 est négative dans les cellules fusiformes ou pléomorphes mais positive dans les adipocytes matures. Les lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes présentent des réarrangements chromosomiques avec délétion de 16q et 13q. Ils présentent notamment une délétion de la région 13q14 contenant le gène Rb1 [11]. Une étude récente confirmait la perte d’expression de RB1 dans la totalité des cas examinés alors que celle-ci était conservée dans les liposarcomes bien différenciés [12]. Ces résultats préliminaires sont intéressants mais l’intérêt de Rb1 dans le diagnostic des lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes reste à évaluer. Récemment, des lipomes à cellules fusiformes/ pléomorphes ont été décrits dans des situations « atypiques » : siège profond, localisation aux membres [13]. Ceux ci présentent les mêmes caractéristiques immuno-histochimiques et moléculaires que les lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes classiques.
Lipome chondroïde Il s’agit d’une tumeur bénigne, très rare, de l’adulte d’âge moyen entre 30 et 40 ans mais avec des extrêmes entre 14 et 70 ans (Fig. 1f). Elle touche essentiellement les femmes, et est localisée essentiellement à la racine des membres, dans les tissus mous superficiels ou profonds. D’autres localisations sont possibles comme le tronc, la région tête et cou et notamment la cavité orale [14,15]. Sur le plan macroscopique, ces tumeurs sont bien limitées, lobulées et encapsulées dont la taille varie entre 1 et 11 cm. À la coupe, ces lésions sont habituellement gélatineuses, avec une couleur variant du blanc au jaune, beige. Des secteurs hémorragiques sont possibles. Sur le plan histologique, Il s’agit d’une tumeur bien limitée, constituée de lobules séparés par des septas fibreux. Les lobules sont constitués d’un mélange en proportion variable de cellules immatures arrondies regroupées en plages, nids ou travées et d’adipocytes matures. Les cellules immatures présentent des aspects variables au sein d’une même tumeur ainsi que d’une tumeur à l’autre. Il existe des cellules arrondies au cytoplasme granulaire éosinophile riche en glycogène PAS positif et des cellules contenant une ou plusieurs vacuoles optiquement vides avec indentation nucléaire rappelant tous les stades du lipoblaste. Ces cellules présentent des noyaux arrondis ou réniformes avec une chromatine fine, régulière. Il n’est pas noté d’hyperchromatisme nucléaire et l’activité mitotique est nulle ou très faible. Dans ces secteurs, le fond est chondro-myxoïde. Des secteurs fibreux hyalins sont parfois observés. La vascularisation est constituée de vaisseaux à paroi fine et épaisse, parfois dilatés et
45 il n’est pas noté l’aspect de capillaires branchés « en patte de poulet » observé dans les liposarcomes myxoïdes. Sur le plan immuno-histochimique, la PS100 est intensément positive dans les adipocytes matures, plus faible dans les cellules lipoblastiques et négative dans les cellules granulaires éosinophiles sans différenciation lipoblastique. La vimentine est variable. L’EMA, les marqueurs musculaires et le CD34 sont négatifs. De rares cas expriment les cytokératines [14,15]. Les lipomes chondroïdes présentent une translocation réciproque t(11;13)(q13;p13) impliquant un transcrit de fusion oncogène C11orf95-MKL2 [16—18]. Cette translocation semble spécifique de cette tumeur et n’a pas été rapportée dans d’autre lésion à ce jour. Le diagnostic différentiel se pose essentiellement avec les liposarcomes myxoïdes, les chondrosarcomes myxoïdes extrasquelettiques et les myoépithéliomes.
Hibernome Ces tumeurs bénignes sont encapsulées et composées d’une proportion variable de cellules issues de la graisse brune mélangées à des adipocytes banaux (Fig. 1g). Leur couleur oscille du jaune vif au brun rouge [19]. Sur le plan histologique, les cellules de la graisse brune sont de grande taille et comportent un noyau central arrondi de petite taille. Le cytoplasme est abondant et comporte des micro-vacuoles optiquement vides en nombre variable et un cytoplasme éosinophile riche en mitochondries. La composante de graisse brune est parfois minoritaire. Des zones myxoïdes ou à cellules fusiformes ont été décrites [19]. La vascularisation est abondante. Il n’est pas noté d’atypies cytonucléaires ni de mitoses. En immuno-histochimie, ces cellules expriment la PS100 et sont négatives pour le CD34. L’hibernome est caractérisé sur le plan moléculaire par des réarrangements de 11q13 [20,21]. Il est important de noter que des cellules ressemblant à de la graisse brune ont été décrites dans des liposarcomes bien différenciés et des liposarcomes myxoïdes classiques par ailleurs.
Tumeurs malignes Il existe 3 familles de tumeurs adipeuses malignes qui présentent des caractéristiques clinicopathologiques et moléculaires différentes et spécifiques : • les tumeurs adipeuses atypiques ou LPS bien différenciés/LPS dédifférenciés ; • LPS myxoïdes/à cellules rondes ; • LPS pléomorphes.
LPS bien différenciés/LPS dédifférenciés Ils représentent la majorité des liposarcomes. Ces sarcomes ont en commun un profil génomique simple caractérisé par une amplification de la région 12q14-15 impliquant le gène MDM2. Sur le plan cytogénétique, ces tumeurs comportent un ou deux chromosomes géants ou en anneaux surnuméraires appelés « chromosomes marqueurs » [22]. Ce sont ces chromosomes marqueurs qui comportent les séquences amplifiées. Plus récemment, il a été montré que le gène HMGA2, également amplifié dans les lipomes ordinaires est
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constamment co-amplifié avec MDM2 alors que le gène CDK4 localisé en 12q14.1 plus centromérique appartient à un autre amplicon co-amplifié avec MDM2 et HMGA2 dans 90 % des cas. Ces critères sont actuellement utilisés en pratique courante et la FISH et l’analyse immuno-histochimique à la recherche d’une amplification de MDM2 et CDK4 sont nécessaires au diagnostic [7,23]. CDK4 est amplifié de fac ¸on indépendante de MDM2 ; cette amplification n’est pas obligatoire et est observée dans 90 % des cas. CDK4 code pour une protéine de 33kd qui joue un rôle clé dans la régulation de la transition G1-S en collaboration avec Rb1. D’après l’étude de Italiano et al. les tumeurs sans amplification de CDK4 sont des tumeurs mieux différenciées, « lipoma-like », de localisation périphériques. Dans cette étude rétrospective, elles présentaient un risque de récidive locale et à distance inférieur aux tumeurs avec amplification de MDM2 et CDK4 [24,25]. Parallèlement, une étude récente met en évidence une évolution plus péjorative dans les LPS BD et DD avec des hauts niveaux d’amplification de CDK4 [26]. Néanmoins, ces données restent à confirmer sur une série prospective.
LPS bien différenciés Comme les LPS BD ne présentent pas de potentiel métastatique en dehors d’une dédifférenciation, certains auteurs ont préconisé l’utilisation du terme de tumeur adipeuse atypique (TAA) pour les localisations périphériques (membres et tronc) dont l’exérèse chirurgicale large est possible car celle-ci entraîne généralement la guérison des patients (Fig. 2a et b). Le terme de « sarcome » peut donc être évité dans ces localisations. Les termes TAA et LPS BD sont synonymes et décrivent des lésions identiques sur le plan clinicopathologique, moléculaire et évolutif. De ce fait, « le choix de la terminologie est déterminé par le degré de compréhension réciproque entre chirurgien et pathologiste pour éviter tout traitement inapproprié ». Ceci exclut les localisations rétropéritonéales, médiastinales et paratesticulaires où le terme de liposarcome bien différencié est préféré en raison du risque très important voire inévitable de récidive locale et de la morbidité essentiellement lié à l’impossibilité de résection chirurgicale large [1]. Macroscopiquement, des bandes fibreuses épaisses peuvent être observées et séparent des lobules dont la couleur varie du jaune (mou) au blanc (plus ferme) en fonction de la proportion des contingents adipeux et fibromyxoïdes. Des zones remaniées, nécrotiques sont fréquentes dans les tumeurs de grande taille. Sur le plan histologique, trois variantes sont classiquement décrites sans incidence clinique ni pronostique. Elles sont souvent mélangées au sein d’une même tumeur. Il s’agit du type adipocytaire « lipoma-like », du type sclérosant et du type inflammatoire. Des lipoblastes, cellules adipocytaires comportant une ou plusieurs vacuoles lipidiques venant encocher un noyau atypique hyperchromatique peuvent être observées mais ne sont pas nécessaires au diagnostic. La variante « lipoma-like » est caractérisée par des adipocytes matures de taille irrégulière comportant au moins focalement des atypies nucléaires avec des noyaux volumineux hyperchromatiques et une proportion variable de cellules stromales fusiformes ou multinucléées au noyau atypique hyperchromatique. Ces cellules sont plus fréquentes
Figure 2. a : liposarcome bien différencié « lipoma-like » : rares cellules stromales atypiques (HE, ×) ; b : liposarcome bien différencié sclérosant : cellules stromales multinucléées dans un stroma fibromyxoïde (HE, ×20). a: ‘‘lipoma-like’’ well-differentiated liposarcoma; rare atypical stromal cells (HE, ×20); b: sclerosing well-differentiated liposarcoma: multinucleated stromal cells in a fibromyxoid stroma (HE, ×20).
dans les septas fibreux où elles doivent être recherchées. La variante sclérosante, plus fréquente dans le rétropéritoine et en paratesticulaire, est caractérisée par des zones fibreuses denses alternant avec des zones adipocytaires. Ces zones fibreuses sont soit trabéculaires soit en plages larges. Elles comportent entre les fibres collagènes des cellules stromales fusiformes ou multinucléées au noyau atypique hyperchromatique en nombre variable. La forme inflammatoire survient presque exclusivement dans le rétropéritoine et comporte un infiltrat inflammatoire important lymphoplasmocytaire sur un fond adipeux ou sclérosant. L’inflammation peut être majeure et masquer les cellules tumorales [27].
LPS dédifférenciés Ces sarcomes sont les deuxièmes liposarcomes en fréquence après les LPS bien différenciés (Fig. 3a à c). Ils siègent principalement dans le rétropéritoine et en paratesticulaire. Ces tumeurs sont exceptionnellement superficielles. Environ 90 % surviennent de novo et 10 % lors de la récidive d’un liposarcome bien différencié. Le risque de dédifférenciation dépend de la durée d’évolution et de la localisation de la tumeur : il est de 20 % pour les tumeurs du rétropéritoine et de 5 % pour les tumeurs des membres [1].
Tumeurs adipeuses
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Figure 3. a : liposarcome dédifférencié : cellules fusiformes et pléomorphes indifférenciées (HE, ×20) ; b : liposarcome dédifférencié : marquage nucléaire pour MDM2 ; c : liposarcome dédifférencié avec éléments méningothéliomateux (HE, ×20). a: dedifferentiated liposarcoma: spindle and pleomorphic unidfferentiated cells (HE, ×20); b: dedifferentiated liposarcoma: nuclear staining for MDM2; c: dedifferentiated liposarcoma with meningotheliomatous elements (HE, ×20).
Le diagnostic histologique repose sur la présence au sein d’un LPS BD de secteurs sarcomateux non adipocytaires. Le contingent bien différencié peut être absent. Les secteurs dédifférenciés sont le plus souvent de haut grade ressemblant à un sarcome pléomorphe indifférencié ou un myxofibrosarcome. Des zones
dédifférenciées de bas grade sont également possibles ressemblant à une fibromatose ou à un fibrosarcome. Néanmoins, toutes ces formes de dédifférenciation ont la même incidence sur le pronostic [28]. La transition est souvent abrupte mais peut rarement être progressive.
Figure 4. a : liposarcome myxoïde : lacs de mucine et vascularisation typique en « patte de poulet » (HE, ×10) ; b : liposarcome myxoïde : bonne délimitation avec les tissus adjacents, renforcement périphérique de la cellularité, lipoblastes de petite taille contenant une vacuole unique (HE, ×20) ; c : liposarcome myxoïde de haut grade (« à cellules rondes ») (HE, ×20). a: myxoid liposarcoma: mucin pools and typical ‘‘chicken-wire’’ vasculature (HE, ×10); b: myxoid liposarcoma: sharp delineation from adjacent tissues, enhanced cellularity at the periphery of lobules, small univacuolated lipoblasts (HE, ×20); c: high-grade ‘‘round-cell’’ myxoid liposarcoma (HE, ×20).
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Une différenciation hétérologue est observée dans 5 à 10 % des cas, sans influence sur le pronostic. Le contingent hétérologue est soit de type ostéo/chondrosarcomateux soit musculaire (lisse ou strié). De rares formes méningothéliales ont été décrites [29,30]. Récemment, des cas de liposarcome dédifférencié avec différenciation homologue de type liposarcome pléomorphe ont également été rapportés [31].
LPS myxoïdes/cellules rondes Ce type de sarcome représente environ un tiers des LPS et touche des sujets plus jeunes que pour les autres LPS avec un pic dans la 5e décennie (Fig. 4a à c). Il s’agit du type de liposarcome le plus fréquent chez l’enfant et l’adolescent. Cette tumeur se développe essentiellement dans le membre inférieur, préférentiellement la cuisse. Des localisations sous-cutanées et rétropéritonéales ont été rapportées mais sont extrêmement rares [1]. Les LPS myxoïdes sont des tumeurs paucicellulaires avec une cellularité renforcée en périphérie des lobules. IL existe habituellement une délimitation nette avec les tissus adjacents. Chaque nodule est constitué de cellules fusiformes ou arrondies isolée dans une matrice myxoïde riche en acide hyaluronique. Par place des flaques de mucine peuvent se former réalisant un aspect pseudo alvéolaire. Les noyaux sont monotones sans atypies ni activité mitotique marquée. D’assez nombreux lipoblastes uni- ou multivacuolisés sont observés dans la lésion surtout en périphérie des lobules. Il existe un réseau abondant de capillaires plexiformes, arborescent en « patte de poulet » à paroi fine, élément clé du diagnostic. Ces LPS myxoïdes peuvent perdre leur différenciation et des secteurs à cellules rondes apparaissent soit sous forme d’un nodule cellulaire à cellule ronde avec transition abrupte ou le plus souvent progressive avec les secteurs myxoïdes. Dans les secteurs à cellules rondes, les cellules tumorales arrondies présentent des noyaux nucléolés et sont disposés les uns contre les autres, avec images de superposition nucléaire sans interposition de stroma entre les cellules. Le stroma vasculaire devient presque impossible à identifier. L’IHC n’est d’aucune aide au diagnostic et celui-ci repose sur la mise en évidence de la translocation réciproque impliquant DDIT3 et FUS ou rarement EWSR1 [32]. Le pronostic dépend de la proportion de cellules rondes dans la tumeur, estimée en pourcentage. Le risque métastatique est faible (< 10 %) pour les tumeurs de bas grade. Les liposarcomes avec contingent à cellules rondes tendent à métastaser dans des localisations inhabituelles telles que les tissus mous, les cavités séreuses, les os [33—35].
LPS pléomorphes Ce sous type histologique est le plus rare, représentant environ 5 % des liposarcomes (Fig. 5). Il est défini comme un sarcome à cellules pléomorphes contenant des lipoblastes atypiques en nombre variable. Il ne présente pas de secteurs de type liposarcome bien différencié ni d’autres lignes de différenciation. Il présente un profil génomique complexe avec de nombreux gains et pertes de chromosomes tel qu’observé dans les sarcomes peu différenciés et notamment les myxofibrosarcomes.
Figure 5. Liposarcome pléomorphe : transition entre une composante épithélioïde peu différenciée et des nappes de lipoblastes (HE, ×10). Pleomorphic liposarcoma: transition between poorly differentiated epithelioid areas and sheets of lipoblasts (HE, ×10).
Sur le plan microscopique, ces tumeurs correspondent le plus souvent à un sarcome de haut grade à cellules pléomorphes comportant des lipoblastes en nombre variable, souvent groupés en nappes et pouvant nécessiter un échantillonnage important pour être mis en évidence. La présence de lipoblastes est indispensable au diagnostic. Dans les secteurs non lipogéniques, l’aspect est le plus souvent celui d’un sarcome indifférencié à cellules pléomorphes de haut grade. Dans la moitié des cas, l’aspect ressemble à un myxofibrosarcome de haut grade. On observe fréquemment des cellules de très grande taille au cytoplasme clair ou vacuolisé et des corps ronds ou gouttelettes éosinophiles extraou rarement intracellulaires. Une morphologie épithélioïde est observée dans 25 % des cas [36]. L’étude immuno-histochimique n’apporte pas d’aide au diagnostic positif mais permet d’éliminer les diagnostics différentiels. En particulier, il n’est pas noté d’expression de MDM2 et CDK4 [37]. Sur le plan génétique, ces tumeurs présentent un profil différent des LPS bien différenciés/dédifférenciés et des LPS myxoïdes et proche des autres sarcomes pléomorphes de haut grade. Ces tumeurs sont en général hyperploïdes associées à des réarrangements complexes non récurrents, avec souvent atteinte de P53 et Rb1. Ces tumeurs sont très agressives avec un risque métastatique estimé à 30—50 % et une survie à 5 ans estimée à 60 % [38,39].
Tumeurs occasionnellement riches en adipocytes Certaines lésions peuvent être riches en adipocytes soit de fac ¸on habituelle soit plus occasionnellement et peuvent poser un problème de diagnostic différentiel avec les tumeurs adipeuses bénignes ou malignes.
Tumeurs fibreuses solitaires riches en tissu adipeux En 1995, Nielsen et al. [40] ont rapporté 3 cas de tumeurs composées de tissu adipeux mature et de zone d’aspect hémangiopéricytaire qu’ils considéraient comme une variante morphologique particulière de ce l’on appelait
Tumeurs adipeuses
49
Angiomyolipome
Figure 6. Tumeur fibreuse solitaire « lipomateuse » : vascularisation « hémangiopéricytaire », îlots d’adipocytes (HE, ×5). Lipomatous solitary fibrous tumor: haemangiopericytoma-like vasculature, clusters of adipocytes (HE, ×5).
alors les hémangiopéricytomes (Fig. 6). Puis d’autres séries ont été publiées, suggérant que ces lésions correspondent à des tumeurs fibreuses solitaires formant du tissu adipeux. Dans la série de Guillou et al. portant sur 100 cas de tumeurs fibreuses solitaires extraites des dossiers de consultation des auteurs, 13 d’entre elles présentaient une différenciation adipeuse [41]. Ces tumeurs sont en général bien limitées et au moins partiellement encapsulées. Elles présentent les caractéristiques histologiques des tumeurs fibreuses solitaires classiques : alternance de zones cellulaires et de zones hypocellulaires collagène, prolifération de cellules fusiformes sur un fond collagène et de vaisseaux bien formés branchés plus ou moins hyalinisés prenant des aspects en « bois de cerfs » hémangiopéricytaires. Les cellules sont agencées de manière anarchique, sans pattern spécifique. Elles sont monotones, homogènes et présentent des noyaux à chromatine claire. Il s’y associe une quantité variable d’adipocytes matures, non atypiques, soit isolés soit regroupés en clusters épars dans toute la lésion ou prédominant par places. Ces tumeurs fibreuses solitaires avec contingent adipeux présentent le même profil immuno-histochimique que les tumeurs fibreuses solitaires classiques (CD34+, BCl2+, CD99+). La positivité du CD34 est observée dans 75 % des cas. Elles présentent également un marquage nucléaire avec l’anticorps anti-STAT6, anticorps récemment décrit et spécifique des tumeurs fibreuses solitaires [42]. Même s’il n’avait pas été montré d’évolution agressive dans les premières séries rapportées de tumeurs fibreuses solitaires avec contingent adipeux, une série rétrospective plus récente de Lee et Fletcher a montré que ces tumeurs partageaient le même potentiel agressif et métastatique que les tumeurs fibreuses solitaires classiques [43]. De fac ¸on intéressante, ces tumeurs comportaient dans la moitié des cas rapportés une composante adipeuse « atypique » caractérisée soit par des cellules d’aspect lipoblastique multivacuolisées soit par des zones ressemblant à des liposarcomes bien différenciés caractérisés par des adipocytes matures de taille irrégulière associés à la présence de cellules atypiques au noyau hyperchromatique dans des septas fibreux [43]. Les principaux diagnostics différentiels sont l’angiomyolipome, le myolipome, les liposarcomes bien différenciés et dédifférenciés de bas grade.
L’angiomyolipome (AML) fait partie du cadre lésionnel des PEComes avec la lymphangioléiomyomatose pulmonaire, la tumeur « sucre ». Il s’agit d’une prolifération de cellules myomélanocytaires qui se caractérisent par une expression en IHC des marqueurs mélanocytaires (HMB-45, Mélan-A, Mitf) et musculaires lisses (actine muscle lisse surtout, desmine focalement). C’est une lésion rare survenant préférentiellement chez la femme (H/F : ¼). Cette tumeur peut être sporadique (60—70 %) ou survenir dans le cadre d’une sclérose tubéreuse de Bourneville (STB) et alors plus volontiers multiple. Il existe fréquemment dans ces tumeurs une atteinte des gènes TSC1 et TSC2 de fac ¸on sporadique ou associée à la STB impliqués dans la voir mTOR qui régule la prolifération cellulaire. Cette lésion touche le rein mais peut s’étendre dans le rétropéritoine, les veines rénales, les ganglions rétropéritonéaux et la rate. Elle peut même être totalement extrarénale et se situer dans le rétropéritoine, le pelvis ou le foie. Douleurs, hématurie et fièvre sont les symptômes les plus fréquents. Une rupture tumorale spontanée peut entraîner une hémorragie rétropéritonéale grave. Sur le plan histologique, ces tumeurs sont constituées d’une proportion variable de tissu adipeux mature parfois atrophique, de tissu d’aspect musculaire lisse et de vaisseaux à paroi épaisse. La composante musculaire lisse peut présenter des atypies cytonucléaires fréquentes mais sans activité mitotique. Elle entoure préférentiellement les vaisseaux et prend souvent une orientation perpendiculaire à l’adventice. Sur le plan immuno-histochimique, les cellules fusiformes expriment l’actine musculaire lisse (80 % des cas) et les marqueurs mélanocytaires HMB45 (90 % des cas), Mélan-A (70 % des cas). HMB45 est le marqueur le plus sensible des PEComes et sa positivité est cytoplasmique et typiquement granulaire. La desmine (30 %) est moins souvent exprimée. Le diagnostic différentiel se pose avec les LPS BD dans les composantes à prédominance adipocytaire et avec le léiomyosarcome dans les formes à prédominance musculaire lisse. Les AML conventionnels ont une évolution bénigne et ne récidivent pas. Les AML épithélioïdes présentent quant à eux un risque augmenté de transformation maligne mais ne sont pas discutés ici car ils ne comportent pas de tissu adipeux.
Myélolipome Il s’agit de tumeurs rares qui surviennent presque exclusivement chez l’adulte de plus de 40 ans. Elles sont préférentiellement localisées à la surrénale mais d’autres localisations sont possibles notamment la région présacrée, le rétropéritoine et la région thoracique [1]. Ces lésions sont soit de découverte fortuite dans le cadre du bilan d’une autre anomalie ou entraînent une symptomatologie non spécifique à type de douleurs abdominales, de nausées et de vomissements. La rupture spontanée est rarissime mais peut entraîner une hémorragie rétropéritonéale sévère. Sur le plan radiologique, il s’agit d’une tumeur bien limitée à composante adipeuse et tissulaire posant, en cas de localisation extra-surrénalienne, le problème du diagnostic différentiel avec un liposarcome bien différencié,
50 d’un tératome ou d’une tumeur associée à une hématopoïèse extra-médullaire. Sur le plan macroscopique, ces tumeurs ressemblent à des lipomes. Elles sont bien limitées et mesurent en général entre 3 et 7 cm bien que des tumeurs de très grande taille aient été rapportées. Si la composante hématopoïétique est importante, des zones grises ou rougeâtres peuvent être observées. Sur le plan microscopique, elles sont constituées de tissu adipeux mature et d’éléments hématopoïétiques en proportion variable. L’histogenèse de ces lésions est incertaine mais quelques travaux semblent montrer qu’il s’agit d’une lésion clonale [44]. Ces lésions sont bénignes et il n’a pas été montré de dégénérescence maligne à ce jour.
Hémangiome intramusculaire Ces lésions traditionnellement considérées comme des tumeurs vasculaires sont probablement plutôt des malformations artério-veineuses, survenant dans 80 à 90 % des cas avant l’âge de 30 ans. Les hémangiomes intramusculaires sont probablement congénitaux et évoluent progressivement dans l’enfance jusqu’à devenir symptomatique. De localisation ubiquitaire, il existe néanmoins une prédilection pour les membres inférieurs (cuisse) et la région de la tête et du cou [1]. Ces lésions présentent très fréquemment un contingent adipeux, qui peut parfois être prédominant. Dans ces cas, il existe un risque de confondre ces lésions avec un lipome intramusculaire. Ainsi il faudra bien échantillonner la lésion et s’attacher à mettre en évidence au sein du tissu adipeux des vaisseaux à parois musculaires lisses et des zones comportant de nombreux capillaires afin de classer correctement ces lésions.
Conduite à tenir en pratique en fonction de la morphologie Tumeur adipeuse mature La localisation profonde d’une tumeur des tissus mous et/ou la taille tumorale supérieure à 5 cm sont les critères clinico-radiologiques utilisés pour suspecter le diagnostic de sarcome et déclencher une prise en charge diagnostique appropriée avec imagerie par IRM ou TDM avant réalisation d’une microbiopsie à visée diagnostique [1]. Dans les tumeurs adipeuses matures, ces critères ne permettent pas de discriminer entre une lésion bénigne et maligne. Même si les lipomes sont plutôt des tumeurs superficielles (au-dessus de l’aponévrose superficielle), sous-cutanées et de petite taille, ils peuvent atteindre des tailles importantes, supérieures à 10—15 cm ou être de localisation profonde. Il existe donc une zone de chevauchement importante entre les lésions bénignes et malignes ne permettant pas d’aboutir à un diagnostic de présomption radio-clinique fiable [45]. Face à un prélèvement de tissu adipeux mature, la première question à se poser est de savoir si le matériel examiné est effectivement intra-lésionnel, surtout en cas de reprise d’exérèse ou de microbiopsie. L’utilisation de HMGA2 en immuno-histochimie peut être utile dans cette indication ; en effet, ce marqueur nucléaire est positif dans plus de 80 % des tumeurs adipeuses matures
N. Stock (bénignes ou malignes) hormis les lipomes à cellules fusiformes et pléomorphes alors qu’il est toujours négatif dans le tissu adipeux normal. Ensuite, il faudra se poser la question de savoir s’il s’agit d’une tumeur adipeuse ou d’une tumeur riche en adipocytes. Il faut notamment chercher une composante vasculaire en cas de localisation intramusculaire afin d’éliminer la possibilité d’un hémangiome intramusculaire. Une fois la nature tumorale adipocytaire établie, il faudra faire la distinction entre lipome et TAA/LPS BD. Celle-ci présente un intérêt thérapeutique puisque les TAA/LPS BD présentent un risque de récidive locale d’environ 20 % dans les membres et de plus de 90 % dans le rétropéritoine après chirurgie complète. Le risque métastatique est quant à lui presque nul. Le risque de récidive d’un lipome est quant à lui faible (moins de 5 %) sauf en cas de lipome intramusculaire (15 %). L’analyse morphologique fine est la clé du diagnostic et implique un échantillonnage correct de la lésion (1 bloc par cm de tumeur) et une technique de qualité. Celle-ci s’attachera à chercher les critères devant faire suspecter une TAA/LPS BD (anisocytose, hyperchromatisme nucléaire, septas épais contenant des cellules atypiques au noyau hyperchromatique). Les lipomes sont constitués de cellules adipocytaires matures avec minime variation de taille des cytoplasmes. Les noyaux des adipocytes sont réguliers, à chromatine fine et surtout il n’est pas noté d’hyperchromatisme nucléaire. De fac ¸on non exceptionnelle, ces noyaux présentent une vacuole claire intranucléaire appelée « Lochkern » à ne pas confondre avec un lipoblaste ou le noyau hyperchromatique est encoché par une ou plusieurs vacuoles cytoplasmiques [46]. Des septas fibreux fins et paucicellulaires séparent les lobules adipocytaires. Ils ne contiennent pas de cellules atypiques au noyau hyperchromatique par opposition aux LPS BD. C’est dans les septas que les cellules atypiques sont mises en évidence et il n’est pas nécessaire d’observer de lipoblaste pour faire le diagnostic de LPS BD. Dans les lipomes intramusculaires, lésions infiltrantes, les adipocytes englobent souvent des fibres musculaires striées elles-mêmes atrophiques qu’il ne faut confondre avec des cellules atypiques. La principale difficulté diagnostique provient de la présence de remaniements au sein d’un lipome. Les adipocytes en souffrance vont progressivement s’atrophier et être responsables d’une irrégularité de taille cellulaire, plus ou moins associée à la présence de macrophages et à une fibrose. Cette anisocytose peut alerter le pathologiste et faire craindre un LPS BD mais les noyaux restent homogènes et surtout sans hyperchromatisme. Les macrophages lipophages ne doivent pas être pris à tort pour des lipoblastes ou des cellules atypiques. La difficulté est accrue par le fait que les macrophages peuvent présenter de fac ¸on constitutionnelle un marquage nucléaire pour l’anticorps anti-MDM2 en général faible à modéré. En cas de doute, la FISH permet de redresser le diagnostic en montrant l’absence d’amplification des gènes MDM2 et CDK4 dans les lipomes remaniés. Une source d’angoisse supplémentaire provient de l’émergence dans la littérature de TAA/LPS BD sans atypies. Ceci est surtout vrai sur microbiopsies où les atypies peuvent manquer et la zone d’échantillonnage avoir porté sur un secteur très mature. Dans l’étude de Zhang et al. portant sur 405 tumeurs adipeuses de la Mayo Clinic, 2 % des tumeurs adipeuses classées lipomes sur le plan histologique possédaient une amplification de MDM2 en FISH et ont récidivé.
Tumeurs adipeuses Ces tumeurs ont donc été reclassées en TAA/LPS BD. Ces tumeurs étaient toutes de localisation profonde ou rétropéritonéales, de taille supérieure à 15 cm et/ou récidivantes [47]. Les auteurs de cette étude en tirent des recommandations d’examen par FISH MDM2 devant : • toute tumeur adipeuse sans atypie profonde de plus de 15 cm ; • toute tumeur adipeuse rétropéritonéale (ou intraabdominale) sans atypie ; • tout lipome récidivant ; • toute tumeur adipeuse avec atypies équivoques ou douteuses.
Cas particulier des tumeurs adipeuses du rétropéritoine Cette situation est fréquente et concerne souvent des tumeurs de grande taille paucisymptomatiques ou découvertes de fac ¸on fortuite lors d’un bilan pour une autre affection. Trois cas de figure : • il s’agit d’une tumeur majoritairement adipeuse, bien différenciée : le diagnostic principal à évoquer est celui de liposarcome bien différencié car c’est la tumeur adipeuse la plus fréquente du rétropéritoine. Il a longtemps été admis que les tumeurs adipeuses sans atypies du rétropéritoine correspondaient à des liposarcomes bien différenciés « lipoma-like » ; certains experts allant même jusqu’à affirmer que les lipomes rétropéritonéaux n’existaient pas. Néanmoins, il semble qu’il existe d’exceptionnels lipomes rétropéritonéaux. Ainsi dans la série de Macarenco et al. concernant 24 tumeurs adipeuses du rétropéritoine sans atypies cytologiques, aucune ne présentait d’amplification des gènes MDM2 et CDK4 en FISH, alors qu’un réarrangement d’HMGA2 comme décrit dans les lipomes ordinaires était observé dans 42 % des cas [48]. Ces tumeurs étaient de grande taille avec une taille moyenne de 21 cm (extrêmes 8 à 46 cm). Sur le plan histologique, elles étaient bien limitées, lobulées, sans septas fibreux épais. Elles étaient constituées d’adipocytes de taille régulière, sans variation importante de taille et sans atypies cytonucléaires. Il n’était pas observé de cellules fusiformes atypiques au sein de septas. L’analyse moléculaire était négative pour une amplification de MDM2 et CDK4. Une analyse moléculaire est donc indispensable dans ces cas pour classer correctement ces tumeurs. L’autre diagnostic différentiel à garder en mémoire est celui d’angiomyolipome surtout sur microbiopsie. La présence de vaisseaux à paroi épaisse dystrophique et de cellules fusiformes myoïdes est importante à rechercher de même que la positivité focale des cellules tumorales pour l’HMB45 et/ou le Mélan-A ; • il s’agit d’une tumeur myxoïde avec contingent adipeux. Là encore le principal diagnostic à évoquer est celui de LPS BD ; les LPS myxoïdes étant exceptionnels en localisation abdominale. L’analyse cytogénétique par FISH à la recherche d’une amplification MDM2 et CDK4 pour les LPS BD ou à la recherche d’une translocation impliquant DDIT3 dans les LPS myxoïdes est d’une grande aide ; • il s’agit d’une tumeur manifestement maligne à cellules fusiformes et/ou pléomorphe du rétropéritoine ou de la cavité abdominale. Après avoir éliminé un éventuel carcinome sarcomatoïde notamment rénal, une étude immuno-histochimique doit être réalisée afin d’étayer
51 l’hypothèse d’un LPS DD (MDM2 et CDK4 positifs), d’une tumeur musculaire (actine, desmine, caldesmone, myogénine) ou d’une éventuelle tumeur stromale gastrointestinale (GIST) (CD117+, DOG1+).
Diagnostic différentiel entre lipome a cellules pléomorphes et liposarcome bien différencié Les lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes comportent parfois des adipocytes atypiques et des lipoblastes pouvant faire évoquer à tort une TAA/LPS BD. La clinique est importante car les lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes sont des tumeurs majoritairement superficielles et à l’inverse les liposarcomes des tumeurs profondes. Néanmoins, d’authentiques lipomes à cellules fusiformes/pléomorphes sont de localisation profonde et source de difficultés diagnostiques [13]. L’étude immuno-histochimique à l’aide des anticorps anti-MDM2 et CDK4 est utilisée en première instance pour discriminer ces deux types de lésions. Dans les cas douteux, une étude en FISH à la recherche d’une amplification des gènes MDM2 et CDK4 permet d’aboutir au diagnostic. La mise en évidence par immuno-histochimie d’une perte de RB1 dans les lipome à cellules fusiformes/pléomorphes peut également être utile mais ce marqueur est parfois difficile à interpréter.
Diagnostic différentiel entre sarcome indifférencié à cellules pléomorphes et liposarcome pléomorphe Ces deux tumeurs présentent des caractéristiques cliniques identiques concernant le terrain et la localisation tumorale. Le diagnostic différentiel repose uniquement sur la mise en évidence de lipoblastes uni- ou multivacuolisés le plus souvent disposés en petits amas au sein de la tumeur.
Diagnostic différentiel entre sarcome indifférencié à cellules pléomorphes et liposarcome dédifférencié La définition classique des liposarcomes dédifférenciés est l’association au sein d’une même tumeur d’un sarcome indifférencié à cellules fusiformes ou pléomorphes et de secteurs bien individualisés à types de liposarcome bien différencié. Il a récemment été démontré par Le Guellec et al. que les sarcomes indifférenciés à cellules pléomorphes des extrémités MDM2+ sans secteur liposarcomateux bien différencié présentaient les mêmes profils cliniques, moléculaires et évolutifs que les liposarcomes dédifférenciés classiques et correspondaient vraisemblablement à des liposarcomes dédifférenciés [49]. Il apparaît donc intéressant de réaliser systématiquement une immuno-histochimie MDM2 dans les sarcomes indifférenciés des membres même en l’absence de secteurs bien différenciés et notamment sur microbiopsie afin d’éliminer la possibilité d’un LPS DD qui a un pronostic meilleur qu’un sarcome indifférencié. Ainsi si MDM2 est négatif en immunohistochimie, le diagnostic le plus probable sera celui de sarcome indifférencié (sous réserve de la négativité des marqueurs musculaires et nerveux notamment). Il faut garder à l’esprit qu’un marquage MDM2 positif en immunohistochimie n’est pas complètement spécifique du diagnostic de LPS DD et que celui-ci peut être observé notamment dans les myxofibrosarcomes, de rares
52 léiomyosarcomes et tumeurs malignes de gaines des nerfs périphériques. En cas de positivité de MDM2 en immunohistochimie, il faudra donc réaliser une analyse moléculaire afin de mettre en évidence l’amplification du gène MDM2 qui permettra de poser le diagnostic de LPS DD.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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